L’inflation et la réponse enfantine du fédéral

18 septembre 2023

Introduction

Accusé de laxisme depuis des mois par le chef de l’opposition conservatrice, le gouvernement libéral s’est trouvé un bouc émissaire; les grandes chaines d’épicerie.

Celles-ci ont été sommées de se présenter à Ottawa aujourd’hui pour expliquer la hausse marquée du panier d’épicerie des Canadiens.

Signalons qu’en juin dernier, sous la pression du gouvernement français, les transformateurs et distributeurs alimentaires ont consenti volontairement à un gel de prix sur certains aliments.

Deux mois plus tard, le taux d’inflation du prix des aliments en France était encore le double du taux d’inflation pour l’ensemble de l’économie de ce pays. On a donc renforcé cette mesure en l’étendant à environ cinq-mille articles.

L’inflation au Canada et dans le monde
 

Dans un rapport sénatorial publié l’an dernier (et dont le graphique ci-dessus est tiré), les auteurs écrivent qu’un nombre relativement faible d’éléments — notamment l’énergie et les couts de l’habitation — explique en grande partie la hausse des prix moyens à la consommation.

Mais l’inflation n’est pas limitée au Canada; elle est mondiale.
 

 
Depuis trois ans, l’inflation a connu deux phases consécutives qui se sont superposées au point de créer, en apparence, une seule ‘vague’.

La première phase est apparue lors de la reprise économique consécutive à la levée des mesures sanitaires. La brutale augmentation de la demande qui en a résulté a provoqué la rupture temporaire des chaines d’approvisionnement avec l’Asie et l’engorgement des ports américains qui donnent sur l’océan Pacifique.

À cette inflation d’environ 3 %, s’est ajouté depuis l’effet des sanctions occidentales contre la Russie. Celles-ci ont provoqué une rupture permanente de milliers de chaines d’approvisionnement.

Obligées de s’approvisionner ailleurs, les entreprises ont dû, en catastrophe, rompre des contrats à long terme qui leur garantissaient un approvisionnement stable et économique, pour se tourner vers le marché libre où elles ont dû payer le gros prix pour obtenir la même chose.

Dans certains cas, ‘la même chose’ doit s’interpréter littéralement. C’est ainsi que les pays d’Europe occidentale achètent autant (sinon plus) d’hydrocarbures russes. Mais au lieu d’effectuer leurs achats directement de la Russie, ces pays achètent du pétrole russe une fois raffiné dans des pays intermédiaires.

D’autre part, afin d’éviter de pénaliser ses agriculteurs, Washington a pris soin d’exclure les engrais russes de la liste des produits interdits.

Mais Ottawa — sous l’influence de la vice-première ministre Chrystia Freeland (de descendance ukrainienne) — a interdit l’importation d’engrais russes. Ce qui a obligé les agriculteurs québécois à se tourner vers d’autres fournisseurs et à payer plus cher. Ce qui a contribué à hausser le prix des aliments au Canada.

Les taux d’intérêt

Les États-Unis ayant décidé de hausser substantiellement leurs taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, le Canada a été obligé de suivre.

Obligé parce que sans une hausse similaire de ce côté-ci de la frontière, les gestionnaires de capitaux auraient boudé les obligations canadiennes et se seraient tournés massivement vers le marché obligataire américain, plus rentable. Et cette fuite des capitaux aurait provoqué une dépréciation de la devise canadienne.

Fondamentalement, toute hausse des taux d’intérêt diminue l’inflation en réduisant la demande de biens et services. En d’autres mots, en provoquant un ralentissement économique, voire une récession.

Les sanctions économiques contre la Russie s’étant avérées inefficaces, la solution de dernier recours est la récession économique.

En entrainant une diminution de la consommation mondiale des hydrocarbures, celle-ci provoquerait une chute des revenus d’exportation de la Russie et une diminution du financement de sa guerre en Ukraine.

Ici et ailleurs, les politiciens promettent diverses mesures pour faire face à l’inflation. On adopte ainsi des mesures de mitigation qui rendent nécessaires des hausses encore plus importantes des taux d’intérêt.

Conclusion

Plutôt que de laisser les peuples occidentaux assumer les conséquences des sanctions économiques qu’ils réclamaient hier à grands cris (et qu’ils appuient toujours), on infantilise la population en lui faisant croire qu’on peut indirectement faire la guerre sans en éprouver le moindre inconvénient.

La hausse du prix des hydrocarbures augmente le prix de tout ce qui est transporté sur de longues distances. Et cette hausse augmente également le prix des engrais puisque ceux-ci sont produits à partir de gaz fossile.

Donc la principale composante de l’inflation canadienne — la hausse du prix de l’énergie — est liée aux décisions géopolitiques d’Ottawa.

Et parce que cette inflation est intolérable aux yeux des banques centrales, celles-ci haussent leurs taux d’intérêt. Ce qui entrave l’accès à la propriété, aggrave la crise du logement, et pousse les loyers à la hausse.

Voilà l’origine de la deuxième composante de l’inflation canadienne en ordre d’importance.

Bref, le ‘show de boucane’ auquel Ottawa s’apprête à procéder aujourd’hui est un vieux truc qui fonctionne très souvent. Il consiste à faire d’un bouc émissaire le responsable de ses choix politiques.

Références :
Derrière les chiffres : ce qui cause la hausse des prix des aliments
France announces more food price caps, takes aim at multinational firms
La hausse (et le recul?) de l’inflation au Canada : une analyse détaillée de son évolution post-pandémie
Les baisses d’impôts, l’inflation et la guerre
Les PDG des grandes chaînes d’alimentation convoqués à Ottawa

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

Laissez un commentaire »

| Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne, Politique canadienne, Politique internationale | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


France : la réforme des retraites finance l’augmentation des dépenses militaires

18 mars 2023

Le président de la République française a justifié le recours au bâillon pour court-circuiter l’Assemblée nationale et forcer l’adoption de sa réforme des retraites en ces termes : « Je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands.»

Son ministre délégué aux comptes publics a été plus explicite :
« C’est la réforme ou la faillite ! »

Tout comme les entreprises, l’État doit avoir en tout temps les liquidités qui lui sont nécessaires pour respecter ses engagements.

Or l’essentiel de la dette des États est constitué de bons du Trésor.
Lorsqu’ils viennent à échéance, le pays émetteur peut alors les payer (s’il en a les moyens) ou pelleter vers l’avant cette dette en émettant de nouveaux bons du Trésor pour payer les anciens.

Il y a quelques mois, l’ambitieux programme de réduction de taxes pour les riches (qui devait accroitre substantiellement la dette britannique) a été abandonné par Londres quand les bons du Trésor nouvellement émis n’ont pas trouvé preneurs.

Ce qui a entrainé la démission de la première ministre britannique.

D’abord estimé sommairement à 43 milliards de livres sterling, cette réforme devait finalement couter entre 100 et 200 milliards de livres.

Dans le même ordre d’idée, la France a dernièrement annoncé une augmentation de son budget militaire de 413 milliards d’euros en sept ans.

Par crainte de la sanction des milieux financiers, la France doit sabrer son filet de protection sociale. D’où la réforme des retraites.

Puisque le compte n’y est pas, on peut donc anticiper — lorsque la grogne populaire sera passée — d’autres compressions budgétaires reflétant les nouvelles orientations de l’Élysée.

Références :
Crise de la dette : S&P dégrade la perspective du Royaume-Uni
La Banque d’Angleterre intervient en urgence pour empêcher le naufrage de la dette britannique
L’armée française manque de munitions pour la haute intensité
Pourquoi la Banque d’Angleterre est-elle intervenue sur le marché obligataire?
Réforme des retraites : Macron justifie le 49.3 en invoquant des « risques financiers trop grands »
Retraites : la réforme pourrait rapporter 18 milliards d’euros d’ici à 2030, le gouvernement fait l’impasse sur les surcoûts

Paru depuis :
Le gouvernement [français] veut faire 10 milliards d’euros d’économies (2023-06-19)

Laissez un commentaire »

| Guerre russo-ukrainienne, Politique internationale | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Le sabotage des gazoducs Nord Stream par les États-Unis

14 février 2023

Avant-propos

Gagnant de plusieurs distinctions, dont le prix Pulitzer en 1970, le journaliste d’investigation Seymour Hersh a publié le 8 février un article qui explique comment les États-Unis auraient procédé, selon lui, pour obliger l’Allemagne à se sevrer de manière irréversible au gaz fossile russe.

Le texte qui suit résume sa thèse et en présente le contexte.

L’adoption du gaz fossile russe par l’Allemagne

En 2010, le nucléaire comptait pour environ le quart de la production électrique totale de l’Allemagne. À la suite de la catastrophe japonaise de Fukushima l’année suivante, l’Allemagne s’était donné une décennie pour fermer ses centrales.

Ses engagements internationaux en matière de réduction des gaz à effet de serre l’empêchaient de compenser cela par le recours accru au charbon comme combustible. L’Allemagne a donc investi massivement dans l’éolien et le solaire.

En raison de l’instabilité de la production électrique obtenue à partir de ces moyens, le pays adopta le gaz fossile comme moyen de stabiliser sa production électrique et comme source d’énergie privilégiée pour son industrie lourde.

À cette fin, l’Allemagne s’est tournée vers la Russie, deuxième producteur mondial, en raison de sa proximité et du prix de vente très bas de ses hydrocarbures (ce qui donnait à l’industrie lourde allemande un avantage compétitif).

Les États-Unis et Nord Stream 2

Le marché allemand étant convoité par les États-Unis (premier producteur mondial de gaz fossile), ces derniers ont exprimé leur opposition à la construction d’un premier gazoduc (Nord Stream 1) reliant directement la Russie à l’Allemagne.

Puis, dès novembre 2021, ils ont fait pression sur cette dernière pour qu’elle retarde le processus de certification du gazoduc Nord Stream 2.

Reliant lui aussi la Russie à l’Allemagne par le golfe de Finlande et la mer Baltique, ce gazoduc était destiné à accroitre l’approvisionnement de l’Allemagne en gaz fossile russe, sans toutefois être strictement nécessaire dans l’immédiat.

Deux semaines avant le début de l’invasion russe en Ukraine, le président américain déclarait :

« Si la Russie envahit [l’Ukraine], alors il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin. […] Je vous le promets; nous serons en mesure de le faire.»

Au déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, la certification de ce gazoduc fut refusée le 22 février 2022.

Dans un premier temps, ce refus n’empêcha pas l’Allemagne de continuer d’être approvisionnée par d’autres moyens, notamment par le gazoduc maritime Nord Stream 1, et par des gazoducs terrestres traversant la Pologne et l’Ukraine.

Pour les États-Unis, le sevrage allemand aux hydrocarbures russes était une pièce maitresse de la stratégie qu’ils entendaient déployer dans leur guerre économique et militaire contre la Russie.

En effet, tant que l’Allemagne dépendait du gaz russe, Washington craignait que ce pays hésite à adopter des sanctions économiques contre la Russie et à livrer des armes à l’Ukraine.

Le 1er mars 2022, une des premières sanctions américaines fut d’empêcher l’accès de la Russie au système SWIFT. Celui-ci facilite les flux financiers qui permettent, entre autres, aux banques russes d’encaisser le paiement des achats d’hydrocarbures par l’Europe (libellés en euros).

Le but de ce blocus financier était de faire en sorte que la Russie coupe l’approvisionnement en gaz à l’Allemagne pour non-paiement. Évidemment, d’autres pays européens étaient affectés, mais la cible américaine était principalement l’Allemagne.

Pour contourner ce blocus, Poutine décréta le 23 mars que le gaz russe se paierait dorénavant en roubles. Ce que l’Allemagne accepta quatre jours plus tard.

La Pologne, elle, refusa. Puisque la consommation de gaz russe se paie mensuellement, la Russie ferma le 26 avril le robinet du gazoduc Yamal-Europe qui approvisionnait la Pologne, privant indirectement l’Allemagne de ses approvisionnements par le biais de ce gazoduc.

Comble de malchance, le gaz russe destiné à l’Europe qui transitait par l’Ukraine fut détourné le mois suivant par l’armée d’occupation russe pour desservir les régions séparatistes de l’Est de l’Ukraine.

Les États-Unis et Nord Stream 1

Pour l’Allemagne, il restait heureusement Nord Stream 1. Mais les États-Unis avaient une autre carte dans leur jeu.

Les turbines et les compresseurs de tous les gazoducs au monde font périodiquement l’objet de maintenance et de réparations.

Or, pour des raisons inconnues, le conglomérat allemand Siemens avait décidé de confier imprudemment l’entretien des turbines de Nord Stream 1 à sa filiale canadienne.

Sous l’influence de la vice-première ministre canadienne (de descendance ukrainienne), le Canada refusa en juin 2022 de laisser partir les turbines remises à neuf au Canada, à la surprise des dirigeants allemands, soudainement conscients du piège qui se refermait sur eux.

Même si le Canada permit finalement en juillet 2022 aux turbines de quitter le pays vers l’Allemagne, il fut impossible de les acheminer en Russie.

Cette dernière exigeait que l’Allemagne, le Canada et la Grande-Bretagne lui garantissent que les turbines réparées au Canada ne seraient pas sabotées au cours de leur transit en Pologne et dans deux républiques baltes.

L’Allemagne échec et mat

En six mois, tout cela provoqua l’interruption de la fourniture directe du gaz fossile russe en Allemagne.

Par le jeu des vases communicants — celui du réseau de gazoducs qui sillonnent l’Eurasie — on estime qu’une bonne partie du gaz fossile que reçoit actuellement l’Europe est du gaz russe réacheminé par le biais de fournisseurs asiatiques.

Pour Washington, le sevrage imposé à l’Allemagne ne suffisait pas; il fallait qu’il soit irréversible.

La planification du sabotage

De mars à décembre 2021, Washington prétendait officiellement que l’armada que la Russie amassait aux frontières de l’Ukraine n’était qu’un bluff de Poutine.

Mais en décembre, l’administration Biden avait acquis la conviction que l’invasion de l’Ukraine par la Russie était imminente.

Au cours d’une réunion secrète tenue ce mois-là dans un édifice à proximité de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, conseiller du président à la Sécurité nationale présenta un plan de destruction des gazoducs Nord Steam. Et ce, afin de donner suite à la volonté présidentielle exprimée secrètement bien avant la déclaration publique dont nous avons parlé plus tôt.

Toutefois, il était essentiel de tout mettre en œuvre pour que ce casus belli ne laisse aucune trace qui pourrait le relier aux États-Unis.

Le problème, c’est que cette partie de la mer Baltique est l’objet d’une surveillance étroite de la part de la marine russe en raison de son importance géostratégique

Ce sont les Suédois qui eurent la solution à ce problème.

Annuellement depuis 21 ans, l’Otan mène en juin un exercice militaire de grande envergure en mer Baltique.

Afin d’éviter un incident militaire qui pourrait dégénérer, il est coutumier pour l’armée russe de se tasser pour laisser la place aux armées occidentales. D’où l’idée de servir de cet exercice comme paravent à l’opération secrète de sabotage.

Conséquemment, du 5 au 17 juin 2022, un commando de plongeurs de la marine américaine a planté des explosifs à retardement qui, trois mois plus tard, allaient détruire les gazoducs Nord Stream.

Au cours des premiers mois de 2022, l’entrainement de ce commando eut lieu à Panama City.

Panama City est une ville américaine située au nord-ouest de la Floride. L’armée américaine y possède la deuxième plus vaste piscine interne du continent américain, après celle du spectacle ‘O’ du Cirque du Soleil.

C’est là qu’elle entraine ses plongeurs en vue de sauvetages en mer ou d’opérations de sabotage.

Les réactions au sabotage

Le 26 septembre 2022 eut lieu finalement le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, scellant le sevrage officiel et définitif de l’Allemagne au gaz fossile russe.

En principe, le sabotage délibéré d’un oléoduc est un casus belli, c’est-à-dire un acte considéré comme justifiant une déclaration de guerre.

Mais l’Allemagne est gouvernée par une coalition politique de trois partis minée par des dissensions internes.

Incapable de s’entendre à ce sujet, la coalition au pouvoir n’a pas osé protester, préférant encaisser la gifle plutôt que de menacer de guerre un coupable (encore inconnu) qui pourrait s’avérer être le pays responsable de sa sécurité militaire.

Dès l’annonce du sabotage, les États-Unis et l’Otan ont tenté de faire diversion en accusant la Russie d’en être responsable. En réalité, on voit mal pourquoi la Russie se serait donné la peine de saboter ses propres gazoducs quand il lui suffit de fermer de chez elle les robinets qui les approvisionnent.

Conclusion

Indépendamment de savoir si la thèse du journaliste Seymour Hersh est exacte, il est certain que ce sabotage a été commis par les États-Unis.

Ce pays est le seul qui, à la fois, avait intérêt à ce sabotage, possédait les moyens d’une opération d’une telle envergure, et avait le pouvoir de s’assurer que l’enquête suédo-danoise n’aboutisse à rien.

Le silence de la Suède était facile à obtenir. Pour adhérer à l’Otan, ce pays a besoin de la bénédiction des États-Unis. Si ces derniers lui ont demandé de confier l’enquête à des inspecteurs dont le quotient intellectuel est en deçà du seuil de détection, comment pouvait-elle refuser cette faveur à un si bon ami…

Références :
Baisse des livraisons de gaz russe en transit via l’Ukraine
BALTOPS
Électricité en Allemagne
How America Took Out The Nord Stream Pipeline
La guerre russo-ukrainienne et la vassalisation de l’Europe
L’Allemagne suspend la procédure de certification du gazoduc Nord Stream 2
Liste des pays par production de gaz naturel
Nord Stream : des explosions équivalant « à des centaines de kilos » de TNT
Nord Stream : une 4e fuite, l’OTAN dénonce des sabotages « irresponsables »
Poutine menace de couper le gaz si l’Europe ne paye pas en roubles
Renvoi de turbines en Allemagne : des ministres convoqués par un comité parlementaire
Sabotage des gazoducs Nord Stream
Si la Russie envahit l’Ukraine, “il n’y aura plus” de gazoduc Nord Stream 2
United States Navy Experimental Diving Unit
Yamal-Europe

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

Un commentaire

| Économie, Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Guerre russo-ukrainienne et neutralité du tiers-monde

5 février 2023


 
Environ 85 % de la population mondiale vit dans des pays qui n’ont pas adopté de sanctions contre la Russie et qui refusent de s’impliquer (en vert sur la carte). Non pas que ces peuples approuvent l’invasion russe, mais ils croient que c’est une guerre qui ne les concerne pas.

Un sondage de la firme Pew effectué du 18 au 24 janvier 2023 révèle qu’aux États-Unis, de mars 2022 à janvier 2023, la proportion des électeurs républicains qui estiment que leur pays en fait trop pour l’Ukraine est passée de 9 à 40 % alors que chez les électeurs démocrates, elle est passée de 5 à 15 %. Dans l’ensemble du pays, le changement est de 7 à 26 %.

Plus intéressante est l’appréciation de la dangerosité de cette guerre.

En mars 2022, la moitié seulement des adultes américains — peu importe leur allégeance politique — percevaient cette invasion comme un danger majeur pour les intérêts de leur pays.

Le mois dernier, l’opinion des Démocrates avait un peu diminué, passant de 50 à 43 % alors que chez les Républicains, elle chutait de 51 à 29 %.

Dans l’ensemble de la population américaine, ce pourcentage est passé de 50 à 35 %. Pour un nombre croissant d’Américains, la difficulté rencontrée par l’armée de la Russie à faire la conquête de l’Ukraine suggère qu’on a peut-être exagéré la dangerosité militaire de ce pays pour l’Occident.

Depuis son accession au pouvoir en 1999, la popularité de Vladimir Poutine a varié grandement, surtout au début de son régime. Mais depuis 2000, elle fluctue entre 61 et 84 %, avec, actuellement, un des sommets de popularité, soit 81 % en décembre dernier.

Au XXe siècle, une bonne partie de la population des pays en voie de développement reprochait aux pays occidentaux leur passé colonial et leur gestion brutale des affaires mondiales tout au cours de ce siècle.

Vue comme allié des classes populaires, la Russie jouissait d’un préjugé favorable. Toutefois, ces populations étaient rebutées par les valeurs russes, que ce soit sa laïcité ou le droit des femmes d’exercer des métiers non conventionnels.

Depuis quelques décennies, les valeurs morales de l’Occident — la défense des droits des minorités sexuelles, le respect de l’identité de genre indépendante de l’identité sexuelle — font en sorte que la grande majorité des pays en voie de développement ne voient plus l’Occident comme un modèle à imiter.

Par exemple, la décision de l’armée canadienne de permettre aux soldats non binaires de sexe masculin de se maquiller, de porter des faux cils, du vernis à ongles et une jupe, suscite la risée.

On apprécie donc la technologie occidentale, mais on estime que l’insistance des pays riches à faire changer les lois qu’ils jugent arriérées comme une nouvelle forme de colonialisme.

Depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, la Russie affiche un conservatisme à la fois religieux et moral — notamment par son homophobie et son machisme — qui rejoint les valeurs traditionnelles des pays du tiers-monde.

Puisque les mentalités évoluent beaucoup plus lentement que les lois, ces pays ont beau se soumettre aux dictats américains, leur population résiste à ces changements et refuse d’endosser la propagande occidentale contre la Russie, un pays qui leur semble plus respectueux de leur culture et de leurs traditions.

Références :
As Russian invasion nears one-year mark, partisans grow further apart on U.S. support for Ukraine
Do you approve of the activities of Vladimir Putin as the president (prime minister) of Russia?
L’inclusion et la diversité au fédéral

Paru depuis :
Pourquoi les pays du Sud sont ambivalents face à la guerre en Ukraine (2023-04-29)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

3 commentaires

| Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


La fourniture de chars d’assaut lourds à l’Ukraine

30 janvier 2023

Il y a cinq jours, l’Allemagne a finalement autorisé les pays qui disposent de ses chars Leopard 2 à en acheminer vers l’Ukraine.

Pourquoi ces pays doivent-ils obtenir sa permission ?

L’Allemagne interdit la revente du matériel militaire de pointe qu’elle fabrique afin d’éviter l’éventualité que ce matériel se retrouve entre les mains d’un pays entré en guerre contre elle.

Il existe plus de deux-mille chars Leopard 2 dans le monde. L’Allemagne en possède 212 opérationnels, en plus d’une centaine de chars Leopard d’un autre modèle.

Le Canada possède 82 Leopard 2, dont quatre seront donnés à l’Ukraine.

En comparaison, la France disposait de 1 500 chars lourds au début des années 1990. Mais ces chars, comme les voitures, ne sont pas faits pour durer.

Ses meilleurs chars lourds, les Leclerc, ne sont plus fabriqués depuis 2008. La France en possède encore 226, dont seulement les deux tiers sont opérationnels.

Au total, les pays occidentaux comptent livrer de 143 à 177 chars lourds à l’Ukraine, dont 98 à 132 chars Leopard 2.

Cela ne correspond pas à une nouvelle escalade dans le conflit puisque dès avril ou mai 2022, la Pologne livrait plus de 200 chars T-72 de fabrication soviétique à l’armée ukrainienne.

Depuis le début du conflit, l’armée russe a perdu 1 642 chars. L’Ukraine en a perdu 449 (dont la totalité des chars T-72 livrés par la Pologne).

Puisque les chars Abrams M1 américains ont une logistique d’approvisionnement en carburant et en pièces de rechange plus compliquée que celle des Leopard 2, ces derniers seront livrés en premier à l’Ukraine, soit dès mai 2023.

Technologiquement, les Abrams M1 et les Leopard 2 sont nettement supérieurs aux chars T-72 soviétiques. Mais leurs poids sont respectivement de 68, de 64 et de 45 tonnes. Ce qui rend ces derniers un peu moins susceptibles de s’enliser dans les sols boueux des plaines ukrainiennes au printemps.

Qu’en sera-t-il dans la vraie vie ? C’est ce que nous verrons bientôt; la guerre en Ukraine est un laboratoire où les belligérants testent l’efficacité et la fiabilité de leur matériel militaire dans les conditions réelles d’un conflit armé.

Dans le cas des pays occidentaux, ils procèdent à cette vérification sans risque pour leurs soldats puisque l’Ukraine est heureuse d’accomplir cette tâche en contrepartie de la fourniture gratuite de ce qui lui faut pour se défendre.

Mais cette guerre de haute intensité met à mal les stocks d’armements. À l’été 2022, au plus fort des combats, soixante-mille obus russes et vingt-mille obus ukrainiens étaient tirés quotidiennement.

Avec le résultat que le Pentagone, principal fournisseur de l’Ukraine, lui a livré en neuf mois trois-mille drones et près d’un million d’obus de 155 mm, de même que 50 000 missiles sol-sol et 1 600 missiles sol-air. C’est le tiers des stocks américains de missiles.

À ce rythme, les États-Unis assisteraient impuissants à l’invasion de Taïwan par la Chine si cette dernière le décidait dans deux ans.

Du coup, la course aux armements déclenchée en 2014 par l’Otan à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie s’avère déjà insuffisante.

Un pays comme le Canada, endetté à hauteur d’environ 40 % de son PIB, peut se permettre de refiler ses achats militaires au service de la dette.

Celle-ci est constituée de bons du Trésor qui viennent périodiquement à échéance. Le pays émetteur peut alors les payer (s’il en a les moyens) ou pelleter vers l’avant cette dette en émettant de nouveaux bons du Trésor pour payer les anciens.

L’ambitieux programme de réduction de taxes pour les riches (qui devait accroitre substantiellement la dette britannique) a été abandonné par Londres quand les bons du Trésor nouvellement émis n’ont pas trouvé preneurs.

Dans le même ordre d’idée, la France a dernièrement annoncé une augmentation de son budget militaire de 413 milliards d’euros en sept ans. C’est considérable.

Par crainte de la sanction des milieux financiers, la France — déjà endettée à hauteur de 120 % de son PIB (comparativement à 20 % pour la Russie) — doit sabrer son filet de protection sociale, provoquant déjà la grogne de millions de Français.

Dans tous les pays démocratiques, la fabrication du consentement populaire est indispensable à la croissance colossale des dépenses militaires. Sinon, des partis pacifistes prendront le pouvoir.

Voilà pourquoi tous nos médias répètent cette nouvelle théorie des dominos (sur laquelle je reviendrai) qui consiste à dire que toute victoire russe en Ukraine provoquerait un effondrement de l’ordre mondial et le retour à l’âge des cavernes…

Certes, la guerre russo-ukrainienne a été déclenchée par la Russie. Mais la cause profonde de ce conflit est l’expansionnisme toxique de l’Otan, c’est-à-dire son obsession à encercler militairement la Russie au plus près.

La Russie ne peut pas accepter qu’on installe des ogives nucléaires dans sa cour arrière. Pas plus que les États-Unis ne pouvaient tolérer qu’on fasse pareil à Cuba en 1962.

Et n’oublions pas que l’armée américaine s’est rendue à l’autre bout du monde pour envahir l’Irak sous le prétexte fallacieux que ce pays possédait des armes de destruction massive.

Avant que l’Otan accueille en son sein une bonne partie des anciennes républiques soviétiques, c’est en Turquie (à environ deux-mille kilomètres de Moscou) que les États-Unis entreposaient leur plus grand stock d’ogives nucléaires hors du territoire américain.

Une décennie après l’adhésion de la Roumanie à l’Otan, les États-Unis ont déplacé une partie de leurs ogives nucléaires dans ce pays, à environ 1 500 km de Moscou.

Et si l’Ukraine et la Finlande rejoignent l’Otan, l’armée américaine sera en mesure de rapprocher ses missiles respectivement à 500 km de Moscou et à 125 km de Saint-Pétersbourg.

Non seulement elle pourrait le faire, mais elle le fera.

Pour Poutine (ou n’importe quel dirigeant russe compétent), cela est totalement inacceptable.

De plus, en prolongeant cette guerre au-delà de ce qui est nécessaire pour amener le peuple ukrainien à la raison, l’Otan pousse la Russie à recourir à l’arme nucléaire.

Comme les États-Unis l’ont fait en 1945 au Japon pour briser l’aveuglement du peuple japonais à croire que leur empereur était un demi-dieu.

À ce jour, les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki constituent les deux plus importants ‘crimes de guerre’ de l’histoire de l’Humanité.

Espérons que ce triste record américain ne sera pas battu.

Références :
Bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki
Crise des missiles de Cuba
La fabrication du consentement politique : un exemple américain
La guerre en Ukraine met les stocks d’armes occidentaux sous pression
La Pologne serait en train de livrer 200 chars T-72 aux forces ukrainiennes
La première ministre britannique Liz Truss démissionne
Les chars occidentaux marqueront-ils un tournant dans la guerre en Ukraine?
L’expansionnisme toxique de l’Otan
Loi de programmation militaire : un budget colossal mais des choix drastiques
Pourquoi la France hésite à livrer des chars Leclerc à l’Ukraine

Parus depuis :
L’armée française manque de munitions pour la haute intensité (2023-02-18)
Réforme des retraites : Macron justifie le 49.3 en invoquant des « risques financiers trop grands » (2023-03-16)

Compléments de lecture :
L’engrenage ukrainien
L’épouvantail russe

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

2 commentaires

| Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Le plafonnement du prix du pétrole russe

8 décembre 2022

Ursula von der Leyden, la tigresse de papier

Comme le lapin des piles Energizer, la présidente de la Commission européenne bat vaillamment le tambour de la guerre économique contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine.

Le fiasco des sanctions économiques entreprises jusqu’ici — qui se sont retournées contre les pays membres de l’Union européenne — n’a pas ralenti son ardeur.

Sa dernière trouvaille est le plafonnement du prix du pétrole russe.

Le résultat est connu d’avance; imaginez des milliers d’acheteurs potentiels d’un spectacle de Taylor Swift — la chanteuse la plus populaire du moment — qui décideraient qu’ils ne paieraient pas plus de 25$ du billet. Eh bien, les stades s’empliraient sans eux.

Tant que la demande mondiale de pétrole dépasse l’offre, ce sont les producteurs de pétrole qui ont le gros bout du bâton.

L’effet du plafonnement

Le pétrole brut distribué par pipeline

Le principal mode de distribution du pétrole brut russe est par pipeline. Or, depuis leur embargo de mai 2022, les pays membres de la Communauté européenne en achètent presque plus.

En payant une fortune pour du pétrole autre que russe destiné aux pays en voie de développement — qu’ils détournent afin d’assurer leurs propres besoins — les pays européens ont créé ailleurs dans le monde un vide que le pétrole russe s’est empressé de combler.

Si bien que la valeur des exportations de pétrole russe a augmenté substantiellement depuis le début de la guerre en Ukraine.

Or cette nouvelle sanction ne s’applique pas au brut que la Russie exporte par pipeline ailleurs qu’en Europe.

Le pétrole brut distribué par pétrolier

L’autre mode de transport du brut est par pétrolier. Le plafonnement s’applique donc uniquement aux pétroliers qui tenteront de décharger leur cargaison à des ports européens.

Les pétroliers qui approvisionnent en brut la Turquie, l’Inde ou la Chine échappent aux sanctions européennes… en théorie (nous y reviendrons).

Le pétrole de chaque pays producteur porte sa signature chimique. Selon sa teneur en souffre, notamment, la Communauté européenne peut savoir d’où il vient et sanctionner ses membres qui auront acheté par bateau du brut russe au-delà du prix maximal qu’elle a décrété.

Le pétrole brut distribué par train ou camion-citerne

La nouvelle sanction européenne ne s’applique pas non plus au mazout (appelé également fioul), au diésel, ou à l’essence automobile puisqu’une fois raffinée, l’essence de pétrole perd la signature chimique du brut d’origine.

Une fois raffinée, l’essence est transportée par camion-citerne ou par train.

Si du pétrole albertain peut parcourir 3 000 km pour être acheminé à Montréal, du pétrole russe raffiné en Turquie peut parcourir 2 500 km pour être livré à Berlin.

En présence de mazout turc, même si on devait se douter que c’est du pétrole russe ‘déguisé’, personne en Allemagne ou en France préfèrera greloter cet hiver plutôt que s’en servir.

Bref, au premier abord, cette nouvelle sanction est une plaisanterie ‘vonderLeydienne’. Ce n’est pas tout à fait le cas.

L’assurance

Le véritable but de la nouvelle mesure européenne concerne l’assurance maritime du transport pétrolier.

Lorsque la cargaison d’un pétrolier est détruite, son propriétaire (l’armateur ou son client) peut être remboursé par sa compagnie d’assurance.

Or 90 % du fret maritime est protégé par des compagnies d’assurances occidentales, principalement anglaises ou anglo-américaines.

Cela signifie que si un pétrolier transportant du brut russe sombre mystérieusement en mer — comme les gazoducs Nord Stream I et II ont mystérieusement été sabotés — l’assuré ne recevra qu’un prix maximal de 60 $US du baril.

De la même manière qu’il était prévisible que la fermeture des succursales russes de sociétés occidentales allait entrainer une russification de l’économie de la Russie, on peut prévoir que le refus d’assurer à 100 % la cargaison de pétroliers grecs transportant du brut russe les incitera à s’assurer ailleurs.

En d’autres mots, ce sera une occasion en or pour des puissances émergentes comme l’Inde ou la Chine de développer leur secteur financier.

Toutefois, en voulant échapper à cette nouvelle sanction européenne, même si un armateur s’assurait auprès d’une compagnie qui n’est pas occidentale, il faut savoir que toutes les compagnies d’assurances au monde sont protégées à leur tour par un ‘super-assureur’ qu’est la Lloyds of London.

Par le biais de cette dernière, les pays européens et le G7 espèrent rendre risqué le transport maritime du brut russe et du coup, décourager l’achat de cet hydrocarbure.

Mais il suffit que la Russie garantisse secrètement de payer la différence si jamais un malheur devait frapper un pétrolier transportant son pétrole pour que cette nouvelle sanction européenne ne s’avère qu’un vœu pieux…

Si bien que les principales victimes de cette nouvelle sanction européenne risquent d’être les grands assureurs londoniens.

Conclusion

Dans la chanson V’là le bon vent, v’là le joli vent, il est dit : “Visa le noir, tua le blanc. Ô fils du roi, tu es méchant.”

Dans le cas de cette nouvelle sanction, en visant l’or noir russe, la présidente de la Commission européenne fait de la blanche Albion — c’est le surnom de la Grande-Bretagne — sa victime collatérale… ce qui est une manière insidieuse de lui faire payer le prix du Brexit.

Références :
Le pétrole russe plafonné à 60 dollars après l’accord du G7 et de l’Australie
McDonald’s et la culture du bannissement
Prix du pétrole russe : le baril plafonné à 60 dollars par le G7 et l’UE

Compléments de lecture :
L’engrenage ukrainien
L’épouvantail russe

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

Laissez un commentaire »

| Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne, Politique internationale | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Le début de la délocalisation industrielle de l’Allemagne

26 novembre 2022

BASF est le plus important groupe chimique au monde.

En juillet dernier, alors que le ministère allemand de l’Industrie effectuait des consultations pour déterminer quels secteurs industriels seraient autorisés à fonctionner cet hiver en cas de pénurie énergétique, le Conseil d’administration de BASF décidait, devant cette incertitude, d’effectuer à l’Étranger le plus important investissement de l’histoire de cette compagnie.

Dix-milliards d’euros : c’est la somme que BASF a décidé d’investir d’ici 2028 à son complexe industriel de Zhanjiang, une ville portuaire située dans le sud de la Chine.

Moins de deux mois plus tard, on procédait déjà à l’inauguration de la première usine de ce complexe. Celle-ci produira annuellement 60 000 tonnes métriques de matières plastiques à des fins électroniques ou destinées à l’industrie automobile.

BASF a choisi d’investir en Chine parce que la main-d’œuvre y est relativement économique, que les droits des travailleurs sont presque inexistants et surtout parce que ce pays s’assure de l’approvisionnement énergétique des entreprises sur son territoire (au contraire de l’Allemagne).

À l’occasion de la guerre en Ukraine, le harakiri économique des pays d’Europe occidentale accélère le déplacement du centre de gravité du développement économique mondial vers la région indopacifique (que vise justement à alimenter le complexe de Zhanjiang).

Références :
BASF inaugurates the first plant of its new Zhanjiang Verbund site
Germany Plans for a Winter Without Gas from Russia

Parus depuis :
Germany confronts a broken business model (2022-12-06)
Ford to cut 3,200 jobs in Europe and move some work to US (2023-01-24)
En Allemagne, l’angoisse monte face à la vague d’investissements industriels aux Etats-Unis et en Chine (2023-05-05)
L’entreprise allemande Duravit ouvrira une usine de céramique carboneutre à Matane (2023-07-13)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

Laissez un commentaire »

| Économie, Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne | Mots-clés : , , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


L’Âge des Révoltes-II

25 novembre 2022

La levée du couvercle

Il y a une décennie, d’importantes émeutes avaient éclaté à Londres à la suite des mesures d’austérité décrétées pour renflouer The City — le district financier de la capitale britannique — à la suite de l’éclatement de la bulle spéculative des actifs adossés à des créances immobilières douteuses.

On pigeait alors dans la poche des travailleurs pour sortir les riches financiers londoniens du pétrin dans lequel ils s’étaient mis.

Au même moment, le Québec vivait son Printemps érable, lui-même consécutif au Printemps arabe déclenché en Tunisie.

Ont suivi des révoltes en Bolivie et au Liban, de même que celle des Gilets jaunes en France.

Puis est arrivé le Grand confinement planétaire destiné à limiter la progression de la plus redoutable pandémie depuis un siècle. Financé par la planche à billets des États, ce confinement a eu pour effet de mettre le couvercle sur la marmite des révoltes sociales.

Le monde s’en va chez le diable

La promesse du néolibéralisme, c’est que libérées de taxes et d’impôts, les entreprises auraient toute la liberté de créer des emplois et de la richesse pour tous. Du coup, l’avènement de ce monde promis par le néolibéralisme devait coïncider avec une période d’aisance et de prospérité inégalée dans l’histoire de l’humanité.

Effectivement, jamais la misère dans le monde n’a autant reculé qu’au cours des dernières décennies.

Toutefois, dans les pays riches, le cycle sans fin des réductions de taxes et d’impôts (lorsque les gouvernements disposent de surplus budgétaires) suivies d’une réduction des dépenses publiques (lorsque le ciel s’assombrit) a considérablement handicapé l’aptitude des États à s’acquitter de leurs responsabilités.

Avec comme résultat :
• les urgences des hôpitaux débordent,
• l’attente pour certaines interventions chirurgicales se compte en années,
• les écoles manquent d’enseignants,
• aucun projet majeur de logement social n’a vu le jour depuis des décennies,
• les rues sont cicatrisées de crevasses mal calfeutrées,
• les usines d’épuration arrivent à leur fin de vie,
• les douaniers peinent à empêcher le trafic transfrontalier des armes,
• les poursuites contre des criminels sont abandonnées en raison des délais excessifs à les juger,
• des dizaines de milliers de requérants au statut d’immigrant attendent l’examen de leur dossier,
• l’informatisation du système de paie des fonctionnaires fédéraux est un désastre, et
• les tablettes de nos pharmaciens se vident de certains médicaments essentiels (rappelant les pénuries en Europe de l’Est avant la chute du communisme).

Y a-t-il une seule personne au monde qui estime que tout cela est normal ?

Le creux du creux, ce sont ces semaines où le Canada s’est transformé en grande prison à ciel ouvert alors que des milliers de ses citoyens ne pouvaient plus quitter le pays, faute de passeports.

Il aurait suffi d’aviser les compagnies aériennes et les douaniers aux frontières que la date d’échéance des passeports émis était prolongée jusqu’à la fin de l’année — et de prioriser l’émission des passeports à ceux qui n’en ont jamais eu — pour que cette crise se résolve du jour au lendemain.

Mais apparemment, aucun des crétins qui nous dirigent à Ottawa n’y a pensé…

La rupture d’un contrat social

Toutes les assurances reposent sur la répartition du risque. L’assuré auquel aucun incident ne justifie une réclamation paie pour le malchanceux auquel un malheur est arrivé. En contrepartie, le premier des deux devient bénéficiaire de son assurance le jour où c’est lui qui est frappé par la malheur.

Pendant toute leur vie, des millions de Québécois en bonne santé ont payé pour les soins médicaux et hospitaliers prodigués aux malades.

Mais devenus vieux, beaucoup d’entre eux sont incapables d’obtenir ce retour d’ascenseur promis. En effet, 160 000 patients sont en attente d’une chirurgie au Québec. Les listes d’attente sont telles que certains d’entre eux risquent de décéder avant d’avoir reçu les soins que leur promettait le régime public d’assurance-maladie.

Si l’État était une compagnie privée, elle serait sujette à une condamnation par les tribunaux pour rupture de contrat et serait obligée de rembourser les primes annuelles payées inutilement depuis des décennies.

En privant les citoyens du filet de protection sociale auquel ils ont droit, l’État fait office de fraudeur contre lequel la colère populaire est justifiée.

Favoriser la mortalité du Covid-19

Pendant la première année de la pandémie au Covid-19, alors que des vaccins n’étaient pas encore disponibles, la Santé publique du Québec a favorisé la contamination de la population en faisant campagne contre le port du masque et, dans le cas précis de nos hospices, en menaçant de sanction les employés qui le portaient. Et ce, bien après la fin des pénuries à leur sujet.

Ce faisant, l’État québécois porte une lourde responsabilité au sujet des milliers de morts prématurées survenus dans nos hospices.

La trahison des élites européennes

En 2003, le président français Jacques Chirac avait provoqué la colère des États-Unis en refusant de cautionner la guerre que ce pays s’apprêtait à livrer en Irak. Les Américains s’étaient alors déchainés contre les intérêts français.

Par crainte des représailles américaines, plus tôt cette année, les dirigeants d’Europe de l’Ouest ont adopté une série de sanctions économiques contre la Russie, parmi lesquelles l’interruption volontaire de leurs approvisionnements en hydrocarbures en provenance de ce pays.

Ce faisant, ils ont forcé leurs industries lourdes à se sevrer brutalement d’une ressource à bon marché qui leur conférait un avantage compétitif face à leurs concurrents américains.

La perte de cet avantage est une incitation à délocaliser leur production vers les pays où les ressources énergétiques sont abondantes et peu couteuses. Soit parce que ces pays sont des producteurs d’énergie, ou soit parce que leurs dirigeants ont eu la sagesse de résister aux pressions américaines et, au contraire, de sécuriser leur approvisionnement.

Le résultat, c’est que des millions de travailleurs européens perdront leur emploi au cours des cinq prochaines années.

Le jeu de dominos

La Russie est un des principaux exportateurs mondiaux d’acier, d’aluminium, d’ammoniac, de fer, de nickel, de néon brut, de palladium, de céréales et d’engrais chimiques.

En brisant des milliers de chaines d’approvisionnement, le boycottage de la Russie par les pays occidentaux provoque une couteuse remondialisation qui se répercute auprès du consommateur sous forme de hausses de prix.

Et pour combattre l’inflation qu’ils ont causée, ces pays haussent leurs taux d’intérêt.

Même s’ils s’en défendent, il y a lieu de croire que cette hausse vise également à provoquer une récession économique qui diminuera la consommation mondiale d’hydrocarbures. Ce qui devrait entrainer une baisse des cours mondiaux et ainsi priver la Russie des revenus dont elle a besoin pour financer sa guerre en Ukraine.

Tant que la croisade occidentale contre Moscou n’entrainait pas d’inconvénients pour nous, elle suscitait l’adhésion de l’immense majorité des Occidentaux.

Mais après des décennies où on a cultivé la recherche du plaisir, valorisé l’amour-propre, et incité les adeptes des médias sociaux à mettre en scène leur bonheur (réel ou factice), faire appel à l’esprit de sacrifice ne suscite pas un enthousiasme généralisé…

Ceux qui refusaient hier de se sacrifier à porter un masque pour protéger ceux chez qui le Covid-19 est mortel sont ceux qui aujourd’hui refusent de se sacrifier pour punir ce méchant Poutine qui persécute les gentils Ukrainiens.

Déjà, le 3 septembre dernier, des dizaines de milliers de personnes protestaient à Prague contre l’inflation, contre l’Union européenne et contre l’Otan dont on critique l’expansionnisme toxique.

Depuis, la hausse substantielle des couts du chauffage hivernal a provoqué des manifestations en Allemagne et dans plusieurs pays d’Europe centrale (en Autriche, en République tchèque et en Slovaquie, notamment).

Le reste est prévisible; au fur et à mesure que le déclin économique de l’Europe se fera sentir, les pays d’Europe occidentale — déjà très endettés — devront pratiquer une rigueur budgétaire qui, selon sa sévérité, suscitera la grogne, les protestations ou la révolte.

Références :
BASF inaugurates the first plant of its new Zhanjiang Verbund site
Gaz, armes, céréales, Otan… Les Etats-Unis, grands gagnants de la guerre en Ukraine
L’expansionnisme toxique de l’Otan
Vaste manifestation à Prague contre l’inflation, l’UE et l’Otan

Paru depuis :
Le Royaume-Uni dans l’impasse (2022-12-17)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

Laissez un commentaire »

| Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Transferts technologiques militaires vers l’Iran

13 novembre 2022

Introduction

Les États-Unis et la Grande-Bretagne fabriquent les missiles autopropulsés les plus précis au monde.

Ceux qu’ils livrent à l’Ukraine sont des missiles dont la distance maximale est limitée à quelques dizaines de kilomètres et donc, qui ne pourraient pas frapper Moscou, par exemple.

À l’exclusion de la taille de leur réserve de carburant solide, ces missiles sont dotés des mêmes technologies que celles qu’on retrouve dans les missiles les plus sophistiqués de l’arsenal occidental.
 

 
De son côté, l’Iran fabrique des missiles capables d’atteindre une cible située à 2 000 km… mais qui la rate habituellement à cause de leur imprécision.

Cette lacune est en voie d’être corrigée.

Le cadeau technologique russe

Afin de détruire les infrastructures électriques ukrainiennes, l’armée russe a utilisé, entre autres, des drones Shahed-136 iraniens. Cent-soixante d’entre eux ont été livrés à la Russie cet été.

Le cout d’un drone Shahed-136 est estimé à environ vingt-mille dollars. C’est beaucoup moins que les missiles occidentaux dont se sert l’armée ukrainienne pour les abattre (et qui réussissent dans la grande majorité des cas).

L’armée russe utilise donc des missiles iraniens de faible qualité dans le but de détruire les installations électriques sur lesquelles compte l’armée ukrainienne pour fonctionner. Mais également, la Russie s’en sert pour épuiser l’arsenal militaire défensif de l’Ukraine.

En contrepartie des drones iraniens, Moscou a expédié à l’Iran trois missiles occidentaux originellement destinés à l’Ukraine, mais qui ont été interceptés par ses soldats.

Il s’agit d’un missile sol-sol Javelin et d’un missile sol-air Stinger, tous deux de construction américaine. Le troisième était un missile sol-sol NLAW de fabrication britannique.

Le but est de permettre à l’Iran de copier la technologie occidentale et d’améliorer la précision de ses propres missiles.

Le salaire de la peur

Démanteler un engin explosif est toujours risqué.

De plus, les missiles occidentaux étant dotés d’un module de géolocalisation, dès qu’on démarre leur système d’exploitation, ces missiles transmettent leur position exacte aux satellites-espions américains (comme le fait chacun des téléphones multifonctionnels que nous utilisons).

Pour éviter que ses laboratoires deviennent des cibles militaires américaines ou israéliennes, l’Iran devra donc espionner le fonctionnement de ces missiles dans un lieu duquel aucune communication électronique ne peut s’échapper.

Pour pallier ces risques, l’avion-cargo qui acheminait les missiles occidentaux à l’Iran transportait également 140 millions d’euros en argent comptant (afin de contourner les sanctions occidentales).

Depuis 2019, les plus grosses coupures de monnaie européenne sont des billets de 200€. Cela signifie que l’avion en question transportait près de trois quarts de tonne de billets de banque.

Références :
Missiles iraniens : une dangerosité surfaite ?
Russia flew €140m in cash and captured Western weapons to Iran in return for deadly drones, source claims

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

Laissez un commentaire »

| Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Guerre russo-ukrainienne : Nissan jette l’éponge

23 octobre 2022

Introduction

Par analogie avec le monde de la boxe, l’expression ‘jeter l’éponge’ veut dire abandonner la partie. Au Québec, on dit plus souvent ‘jeter la serviette’, calque de l’anglais throw the towel.

La déconvenue de Nissan

En juin 2009, le constructeur automobile Nissan inaugurait sa première usine russe. Douze ans plus tard, celle-ci en produisait près de cent-mille (sa capacité maximale).

Mais dès le 14 mars dernier, Nissan interrompait sa production, invoquant des problèmes d’approvisionnement. Le constructeur aurait pu s’approvisionner ailleurs, mais il a préféré suspendre sa production par crainte de sanctions occidentales.

Entretemps, ses deux-mille salariés étaient payés quand même au cas où la production aurait eu à reprendre.

Puisque la guerre russo-ukrainienne se prolongeait, les dirigeants de la compagnie en sont venus à la conclusion qu’il était préférable de fermer l’usine, une décision annoncée le mois dernier.

Toutefois, le 11 octobre, l’usine et le centre de recherche de Nissan à Saint-Pétersbourg étaient achetés pour un euro par l’État russe.

C’est le même prix que pour l’achat de l’usine russe de Renault survenue il y a plusieurs mois. Dans un cas comme dans l’autre, c’est une perte d’environ un milliard de dollars canadiens pour la multinationale.

La production (sous un autre nom) devrait reprendre avec la participation d’un constructeur automobile chinois. Ce qui permettra à l’usine de s’approvisionner indirectement en semi-conducteurs taïwanais puisque la Russie ne peut pas les acheter directement.

Selon la législation russe, les employés licenciés d’une usine doivent continuer de recevoir leur salaire pendant les douze mois qui suivent sa fermeture… une mesure dont nos travailleurs à nous aimeraient sans doute profiter.

Le doute américain s’installe

Les pertes occasionnées par la fermeture de cette usine ne seront pas payées par la Russie; elles se répercuteront sur le prix que paieront les consommateurs ailleurs dans le monde pour les produits du constructeur japonais.

Après avoir appuyé massivement l’adoption de sanctions contre la Russie, les Américains en réalisent les conséquences.

Selon un sondage de la firme Pew réalisé entre le 13 et le 18 septembre dernier, 20 % des Américains estiment maintenant que leur pays s’est trop engagé à soutenir l’Ukraine. Six mois plus tôt, ce pourcentage n’était que de 7 %.

Actuellement, cette proportion atteint même près du tiers de l’électorat républicain.

Pendant ce temps, Donald Trump clame que tout ce gâchis ne serait pas arrivé s’il avait été au pouvoir…

Références :
Guerre russo-ukrainienne et désindustrialisation de l’Europe
McDonald’s et la culture du bannissement
Nissan inaugure sa première usine russe à St-Petersbourg
Nissan quitte le marché russe et vend son usine de Saint-Pétersbourg

Compléments de lecture :
L’engrenage ukrainien
L’épouvantail russe

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

2 commentaires

| Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel