Les débuts chaotiques de la diplomatie ukrainienne en Afrique

Publié le 20 août 2024 | Temps de lecture : 10 minutes
Pays (en vert) qui n’ont pas adopté de sanctions économiques contre la Russie

Un effort diplomatique remarquable

Depuis son indépendance en 1991, l’Ukraine a ouvert huit ambassades dans les pays africains suivants : en Algérie, en Angola, en Égypte, en Éthiopie, au Kenya, au Nigeria, au Sénégal et en Afrique du Sud.

Kyiv annonçait dernièrement sa décision de faire passer à vingt le nombre de ses ambassades africaines.

C’est ainsi que le 12 avril dernier, l’Ukraine aménageait sa nouvelle ambassade en Côte d’Ivoire dans une maison cossue de 1 200 m² située à deux pas de l’ambassade de la Russie (selon les précisions de la BBC).

L’Ukraine veut ainsi être en mesure de faire plus efficacement la promotion de ses intérêts auprès d’une vingtaine de pays africains sur les 53 pays que compte le continent. À titre de comparaison, on trouve des ambassades et des consulats canadiens dans 35 pays africains.

Dans les faits, le travail quotidien de ces délégations à l’Étranger sera d’informer et de délivrer des visas aux personnes de ces pays qui voudront voyager en Ukraine et d’autre part, aider les Ukrainiens sur place qui auront perdu leur passeport ou qui se seront fait voler leurs effets personnels.

En aout 2022, deux des plus importantes agences de notation financière — S&P Global Ratings et Fitch Ratings — ont rétrogradé les finances de l’Ukraine au niveau de l’avant-dernier échelon de leur grille; en défaut de paiement sélectif. En somme, l’Ukraine est presque en faillite.

Longtemps deuxième pays le plus pauvre d’Europe, l’Ukraine n’a jamais eu les moyens de se doter d’un corps diplomatique important. On s’étonne que, dans l’état actuel de ses finances, l’Ukraine ait décidé maintenant de corriger cette lacune.

L’éléphant dans la pièce

Ces jours-ci, dans le petit monde de la diplomatie internationale, l’Ukraine se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Quelques jours après le début de la guerre russo-ukrainienne, sur la page Facebook officielle de son ambassade au Sénégal, l’Ukraine avait fait paraitre une offre d’emploi pour des volontaires prêts à s’enrôler dans son armée.

Aussitôt, le gouvernement sénégalais ordonnait à l’Ukraine de cesser tout recrutement de mercenaires à partir de son territoire.

Le 27 juillet dernier, aidés par l’Ukraine, des rebelles maliens ont tendu un guet-apens aux mercenaires russes de l’Africa Corps (le nouveau nom du Groupe Wagner).

Au cours de cette embuscade qui a duré deux ou trois jours, 84 Russes ont été tués. C’est la pire défaite de cette milice depuis son déploiement dans ce pays, en 2022.

Deux jours plus tard, le porte-parole du Service de renseignement militaire de l’Ukraine révélait à la télévision nationale que la victoire des rebelles avait été facilitée par l’Ukraine.

Pour l’instant, on ignore la nature de cette collaboration. Certaines informations suggèrent que les forces spéciales ukrainiennes auraient formé les séparatistes à l’utilisation de drones d’attaque. Une expertise qui leur aurait été précieuse dans ce cas-ci.

À la suite de la confirmation — par l’ambassadeur ukrainien au Sénégal — selon laquelle l’Ukraine était effectivement impliquée dans cette attaque, le Mali a rompu ses relations diplomatiques avec l’Ukraine le 4 aout.

Il faut savoir que l’attaque dont il s’agit visait un convoi de l’armée malienne accompagné de mercenaires de l’Africa Corps. Au cours de cette bataille, 47 soldats maliens ont également perdu la vie.

Le communiqué émis par le gouvernement malien ne laisse aucun doute quant à sa vive contrariété : « [Le Mali] adhère totalement au diagnostic établi par la [Russie] qui a pourtant mis en garde le monde, depuis des années, sur la nature néonazie […] des autorités ukrainiennes, aujourd’hui alliées au terrorisme international, loin des aspirations de paix et stabilité du peuple ukrainien.»

Voisin oriental du Mali, le Niger a lui aussi rompu ses relations diplomatiques avec l’Ukraine.

Sans aller jusque là, le Sénégal (situé à l’ouest du Mali), a déclaré :

« [Le Sénégal…] ne saurait accepter sur son territoire […] des propos et gestes allant dans le sens de l’apologie du terrorisme, surtout lorsque ce dernier vise à déstabiliser un pays frère comme le Mali

Situé au sud du Mali, le Burkina Faso a rappelé le principe sacro-saint de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain (le Mali) et s’est contenté de rappeler les responsabilités de la communauté internationale « face au choix opéré par l’Ukraine de soutenir le terrorisme dans un contexte mondial où l’unanimité est faite sur l’impératif de combattre ce fléau.»

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, habituellement très critique à l’égard de la junte militaire malienne, a néanmoins déclaré qu’elle « désapprouve et condamne fermement toute ingérence extérieure dans la région […] et toute tentative visant à entrainer la région dans les confrontations géopolitiques actuelles.»

En d’autres mots, les pays africains jugent que la guerre russo-ukrainienne est un conflit qui ne les concerne pas et refusent d’être les pions d’une guerre hégémonique en Europe. Par-dessus tout, ils s’opposent à ce que leur pays devienne une extension territoriale de ce conflit.

Ceci étant dit, un petit détail est intrigant; tous ces pays accusent l’Ukraine de ‘terrorisme’ alors que nos médias sont muets à ce sujet. Au contraire, chez nous, on se réjouit plutôt de voir l’Ukraine infliger une défaite à la Russie en aidant des rebelles à lutter contre la dictature militaire de leur pays.

Qu’en est-il vraiment ?

Le contexte malien

Pour comprendre la situation actuelle au Mali, il faut remonter à 2011.

Cette année-là, l’Onu ordonnait un embargo sur la fourniture, la vente et le transfert d’armements aux belligérants qui s’affrontaient alors en Libye, un pays situé au nord du Mali.

Puisque le droit international est de facto facultatif, l’Otan n’a pas hésité à violer la résolution de l’Onu en livrant une quantité considérable d’armements aux rebelles en Libye et à tous les habitants de la région qui acceptaient de devenir mercenaires contre le régime libyen de Mouammar Kadfafi.

Après son assassinat, ces derniers sont retournés à leurs occupations habituelles. Dans un grand nombre de cas, les armes puissantes qu’ils avaient reçues étaient beaucoup trop encombrantes pour leur être utiles.

Conséquemment, ces ex-belligérants se sont départis des armes les plus puissantes et les plus lourdes, vendues aux seules personnes que cela pouvait intéresser, soit les milices terroristes qui œuvraient dans la région subsaharienne, notamment au Mali.

Depuis ce temps, ce pays est aux prises avec une révolte de djihadistes qui combattent le gouvernement central malien afin d’établir une république islamiste dans la moitié nord du pays (appelée Azawad) et d’y imposer la charia, voire d’y créer un califat.

Bref, les armes déversées massivement par l’Otan en Libye ont finalement contribué à la puissance militaire des rebelles du Mali et à l’instabilité politique de ce pays.

Le 6 avril 2012, les Touaregs du MNLA (le Mouvement national de libération de l’Azawad) proclamaient l’indépendance de la moitié nord du Mali. Cette proclamation fut condamnée par le Mali, l’Union africaine et la communauté internationale.

Incapable d’imposer l’ordre, le Mali a d’abord fait appel au Tchad, puis peu après à la France, dont les opérations militaires au Mali se succédèrent de 2014 à 2022 sans parvenir à éradiquer la menace djihadiste.

À la suite du coup d’État de 2021, les nouvelles autorités maliennes se sont montrées de plus en plus critiques, publiquement, à l’égard de l’armée française dans le pays. Ce qui a contribué à généraliser son impopularité au sein de la population malienne.

Dès l’année suivante, la France prétextait l’annulation des élections au Mali pour se retirer du pays.

Celui-ci s’est tourné vers le Groupe Wagner d’Evgueni Prigojine, renommé depuis Africa Corps.

Le mois dernier, aveuglées par leur désir d’infliger une défaite à la Russie, les autorités ukrainiennes ne semblent pas avoir réalisé qu’elles aidaient des terroristes à déstabiliser un pays africain.

En dépit de l’ouverture de ses ambassades, l’Ukraine a rendu toxiques les relations qu’elle comptait tisser avec les pays du continent africain.

Conclusion

En septembre 2023, au parlement canadien, l’ovation d’un sympathisant nazi d’origine ukrainienne en présence de Volodymyr Zelensky a éclaboussé la réputation internationale du Canada et fait le jeu de la Russie, heureuse de souligner le passé pro-nazi de l’Ukraine.

Cet incident s’est produit en raison de la profonde méconnaissance de l’histoire que possède notre classe politique puisque personne, apparemment, ne s’est rendu compte de ce qu’il faisait.

Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, tous les journaux du Québec — imprégnés du néo-maccarthisme ambiant — ont rapporté positivement (voire triomphalement) l’embuscade tendue à l’Africa Corps par l’Ukraine et ses alliés.

Malheureusement, aucun de nos journalistes ne semble avoir soupçonné que l’Ukraine se faisait ainsi complice de djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à Daech. Des salafistes qui mettent la moitié du Mali à feu et à sang depuis une décennie.

Il était à prévoir qu’un jour, les groupes terroristes apprendraient comment utiliser des drones non seulement pour glaner des renseignements mais également pour commettre des attentats.

Si les informations partielles que nous possédons sont exactes, nous assistons ici à un transfert technologique du pays le plus expérimenté au monde à ce sujet vers des groupes indésirables. Et ce, sous les applaudissement niais de nos journalistes.

Et pendant que tout ce beau monde se tarde d’inclusion et de diversité, personne ne s’est donné la peine de chercher sur l’internet pour savoir ce que les Africains eux-mêmes en pensaient.

Triste époque…

Références :
Au lendemain de la mort de Mouammar Kadhafi, l’Otan a annoncé la fin de sa mission libyenne le 31 octobre
Azawad
10 nouvelles ambassades ukrainiennes en Afrique: quels sont les enjeux ?
La désinformation au sujet de la Division SS Galicie
Le Burkina Faso invite l’Ukraine à ne pas se tromper de combat
La nostalgie nazie en Ukraine
Le rôle de l’Ukraine dans la défaite de l’Africa Corps russe pourrait-il se retourner contre elle ?
L’Occident ne veut pas payer pour reconstruire l’Ukraine
L’Ukraine frappe la Russie en Afrique
L’Ukraine sous le respirateur artificiel américain
Maccarthysme
Mali
Mali cuts diplomatic ties with Ukraine over Wagner attack controversy
Niger’s junta cuts diplomatic ties with Ukraine
Résolution de l’ONU No 1970 (2011)

Parus depuis :
Burkina, Mali et Niger appellent l’ONU à «prendre des mesures» face au «soutien de l’Ukraine au terrorisme» (2023-08-21)
La méthode Wagner, au service des ambitions russes en Afrique (2023-08-22)

Complément de lecture : Ukrainian Trained, Turkish Sponsored Syrian Rebels Lead Assault on Aleppo (2024-12-01)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Guerre en Ukraine : amener les Allemands à la raison

Publié le 16 août 2024 | Temps de lecture : 6 minutes

L’Allemagne est le deuxième plus important fournisseur d’armes à l’Ukraine (loin derrière les États-Unis, mais devant la Grande-Bretagne et la Pologne). Ce pays est actuellement dirigé par une coalition tripartite qui n’a de cesse que de s’entredéchirer sur à peu près tous les sujets.

Au parlement allemand, tout comme au parlement européen, ce sont les Verts — ironiquement qualifiés de ‘Verts kaki’ par leurs adversaires politiques — qui battent le plus vivement le tambour de la guerre contre la Russie. Même au prix, paradoxalement, d’un cout environnemental colossal.

Prédite sur ce blogue dès 2022, la récession économique qui frappe actuellement l’Allemagne oblige ce pays à réduire l’importance de l’aide militaire qu’elle comptait accorder à l’Ukraine, faisant chuter cette aide de 8 à 4 milliards d’euros cette année.

Cette réduction fait controverse.

La droite américaine fait circuler la rumeur selon laquelle l’Ukraine serait au cœur du sabotage des gazoducs Nord Stream afin d’amener l’opinion publique allemande ‘à la raison’.

Ces oléoducs servaient à approvisionner directement l’Allemagne en gaz fossile russe. En court-circuitant les gazoducs qui passent par le territoire ukrainien — et qui permettaient à l’Ukraine de prélever deux-milliards de dollars de redevances — l’Allemagne abaissait ses couts de production et améliorait ainsi la compétitivité de ses produits industriels.

Il faut savoir que couper sciemment l’approvisionnement énergétique d’un autre pays est un casus belli, c’est-à-dire un acte justifiant une déclaration de guerre.

Selon l’article publié dans le Wall Street Journal (un quotidien financier d’allégeance républicaine), quelques hauts gradés de l’armée ukrainienne auraient planifié en mai 2022 une opération de sabotage contre les gazoducs Nord Stream. Au cout de 300 000$, l’opération aurait été financée par un ou plusieurs oligarques ukrainiens.

Dans un premier temps, l’opération aurait été approuvée par le président ukrainien. Mais celui-ci serait revenu sur sa décision après en avoir été dissuadé par la CIA.

Toutefois, selon certains journaux américains, l’ordre d’arrêter le tout aurait été ignoré par le commandant de l’opération, le général Valerii Zaluzhyi, promu depuis à titre d’ambassadeur plénipotentiaire de l’Ukraine à Londres par Zelensky.

Tout ceci est cousu de fils blancs.

La mer Baltique est une des régions les plus surveillées au monde en raison de son importance géostratégique. S’imaginer que six Ukrainiens (comprenant des plongeurs professionnels) louent un navire de plaisance afin de planter des explosifs au nez et à la barbe de la Russie, de l’Allemagne, de la Pologne, du Danemark et de la Suède, est un scénario totalement invraisemblable.

Beaucoup plus plausible est l’enquête du journaliste Seymour Hersh, traduite et résumée l’an dernier sur ce blogue et qui accusait les États-Unis d’avoir mené cet acte de sabotage.

Par contre, l’article du Wall Street Journal (visant l’Ukraine) se résume à accuser ce pays de terrorisme à l’égard de son principal fournisseur européen d’armement.

Ceci étant dit, le gouvernement fédéral allemand a intérêt à faire semblant de croire à cette accusation afin de faire accepter la réduction controversée de son aide militaire à l’Ukraine.

Toutefois, à quelques semaines des élections régionales au Brandebourg, en Saxe et en Thuringe, cette nouvelle apporte de l’eau au moulin de deux partis d’opposition, l’AfD et la BSW.

Opposée à l’aide militaire à l’Ukraine, la première est un parti d’extrême droite qui est en tête des sondages dans ces trois Lands. De son côté, la BSW est un nouveau parti d’extrême gauche opposé à l’Otan qui, selon le Land, occupe présentement la deuxième ou la troisième position dans les intentions de vote.

Le message ‘subliminal’ de la nouvelle du Wall Street Journal est clair : verser des milliards d’euros allemands pour aider l’Ukraine, c’est récompenser des militaires prêts à saboter l’économie allemande pour parvenir à leurs fins.

D’autre part, la nouvelle américaine brouille l’Allemagne contre la Pologne; cette dernière a laissé un des coupables présumés traverser son territoire pour se réfugier en Ukraine en dépit d’un mandat d’arrestation émis par l’Allemagne.

Bref, on ne se lasse jamais de l’ingéniosité américaine à semer la bisbille partout où ils passent.

Références :
Aide à l’Ukraine et réarmement de l’armée… La bascule militariste de l’Allemagne est-elle tenable ?
Européennes 2024 en Allemagne : vers un nouveau « Mur de Berlin » ?
Guerre en Ukraine : la coalition au pouvoir en Allemagne se déchire sur l’envoi de missiles Taurus à l’Ukraine
Guerre Russie – Ukraine : l’Allemagne “fatiguée” de soutenir l’Ukraine ?
Guerre russo-ukrainienne et désindustrialisation de l’Europe
How did divers manage to blow up the Nord Stream pipeline? We went down to the spot to find out
Le chancelier allemand Olaf Scholz s’inquiète de l’évolution de l’opinion publique sur le soutien à l’Ukraine
Le cout environnemental de la guerre
Le début de la délocalisation industrielle de l’Allemagne
Le sabotage de Nord Stream validé au plus haut niveau ukrainien
L’UE doit-elle continuer à soutenir l’Ukraine ? Notre sondage révèle que les Européens y sont favorables
L’énorme coût environnemental de la guerre en Ukraine
Ukraine et Russie : l’échec cuisant de Victoria Nuland
Ukraine’s top general disobeyed Zelenskyy and blew up the Nord Stream pipeline without permission, report says
Valeur estimée des livraisons d’armes à l’Ukraine de janvier à novembre 2022, par pays

Parus depuis :
En Allemagne, les élections locales pèsent sur l’aide à l’Ukraine (2024-08-19)
Allemagne : l’inquiétante montée de l’extrême droite (2024-09-02)
Social Democrats fend off AfD in crucial German state election, initial results show (2024-09-22)
Émoi en Allemagne après un soutien appuyé d’Elon Musk à l’extrême droite (2024-12-20)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’Occident ne veut pas payer pour reconstruire l’Ukraine

Publié le 9 juillet 2024 | Temps de lecture : 9 minutes


 
La conférence de Londres

Avant le début de l’invasion russe, l’Ukraine était le deuxième pays le plus pauvre d’Europe (devant la Moldavie). Or depuis, plus de 30 % de l’économie ukrainienne a été détruite.

De nos jours, l’État ukrainien vit sous le respirateur artificiel de l’Occident. Sans les sommes qui lui sont versées, Kyiv serait incapable de payer la solde des soldats, les salaires des professeurs, des médecins, des fonctionnaires, de même que la pension des retraités.

Selon Alain Juillet (de 16:45 à 17:50 dans le vidéo à la fin du texte), l’aide américaine serait exclusivement constituée de prêts accordés à l’Ukraine en contrepartie du contrôle américain sur la reconstruction à venir du pays.

À la conférence de Londres, tenu en juin 2023, une soixantaine de pays se sont entendus sur le financement de la reconstruction de l’Ukraine après la guerre. On estime que cette reconstruction coutera entre 410 et 750 milliards$, soit entre 230 % et 419 % de son PIB.

Si l’Ukraine devait assumer seule une telle reconstruction, elle deviendrait, de très loin, le pays le plus endetté au monde. Et les intérêts qu’elle aurait à payer sur sa dette la condamneraient à la ruine perpétuelle.

C’est Anthony Blinken, secrétaire d’État américain (soit l’équivalent de ministre des Affaires étrangères des États-Unis) qui a le mieux résumé le consensus auquel sont parvenus les pays représentés à la Conférence de Londres :

« Soyons clairs : la Russie est à l’origine de la destruction de l’Ukraine. Et la Russie finira par payer le cout de la reconstruction de l’Ukraine.»

Si on lit entre les lignes, cela veut dire « Ce n’est pas à nous, les États-Unis, de payer pour ça.»

En Afghanistan, les Américains n’ont rien dépensé pour la reconstruction du pays. En Irak, la reconstruction promise s’est limitée à réparer les routes et les ponts menant à la ‘zone verte’ (là où étaient stationnés les soldats américains à Bagdad). En Syrie, le pays est toujours en ruine. Quant à la Libye, après avoir renversé le régime de Kadhafi, on livré le pays au chaos et à l’anarchie.

Les États-Unis ont utilisé l’Ukraine pour affaiblir l’armée russe et tester le matériel de guerre américain dans les conditions réelles d’un conflit armé.

Maintenant que la Finlande a rejoint l’Otan, Washington n’a plus besoin de l’Ukraine pour y déployer ses missiles nucléaires au voisinage de la Russie.

Bref, l’Ukraine n’est plus utile aux États-Unis. Si bien qu’un nombre croissant d’experts trouvent que la poursuite de cette guerre n’en vaut pas la peine et qu’on devrait même fermer définitivement la porte de l’Otan à l’Ukraine pour avoir la paix.

Les États-Unis trouvent d’autant plus légitime de se désintéresser militairement de l’Ukraine que se propage en Europe la Nouvelle théorie des dominos.

En vertu de cette théorie, les soldats ukrainiens ne font pas que défendre leur pays attaqué par la Russie; ils se battent pour protéger le monde libre. Si l’Ukraine capitule, l’Europe tout entière tombera à son tour entre les mains de Vladimir Poutine.

En réalité, la Russie peine à faire la conquête d’un pays de 44 millions d’habitants, soit l’Ukraine avant la guerre. On voit mal comment elle pourrait guerroyer avec succès contre l’Occident qui totalise 880 millions d’habitants, soit vingt fois plus.

À preuve, c’est précisément parce que la Russie en a plein les bras en Ukraine qu’elle n’a rien fait, en septembre 2023, pour empêcher l’Azeibaïdjan d’annexer le Haut-Karabagh aux dépends de l’Arménie (son alliée).

La dette ukrainienne

Les pays créditeurs et le Fond monétaire international se sont entendus pour laisser à l’Ukraine jusqu’en 2027 pour payer ce qu’elle leur doit. Toutefois, il en est autrement des créditeurs privés.

On appelle moratorium tout délai accordé par la loi pour s’acquitter d’une dette. Depuis deux ans, l’Ukraine bénéficie d’un moratorium qui vient à échéance le 1er aout prochain.

Ce pays doit 24 milliards $US à des firmes privés d’investissements. Ce qui représente douze pour cent de son PIB.

Évidemment, en pleine guerre, l’Ukraine est incapable de payer cette somme. Elle leur propose une décote de 60 % — c’est-à-dire de les rembourser à hauteur de 40 cents par dollar de dette — alors que ceux-ci ne veulent pas accepter une décote supérieure à 22 cents (c’est-à-dire descendre en dessous de 78 cents par dollar de dette).

À défaut d’une entente, l’Ukraine se retrouverait en défaut de paiement. Ce qui ouvre la porte à des poursuites devant les tribunaux.

Ce qu’on craint, c’est que ces fonds d’investissement vendent leurs bons du Trésor ukrainien à des fonds spéculatifs (hedge funds) qui, tels des chiens pitbulls, s’acharneraient sur ce pays jusqu’au paiement de la totalité de ce qu’elle leur doit.

Le mirage de la confiscation

Depuis des mois, certains pays occidentaux font miroiter la possibilité de confisquer les biens russes détenus en Occident pour aider l’Ukraine à payer ses dettes. Cette idée s’apparente à un bluff.

Déposséder les oligarques russes

Dans les pays occidentaux, le droit de propriété est sacré.

Si quelqu’un a commis un crime, les tribunaux peuvent le condamner à une amende, voire à être dépouillé de ses biens (en partie ou en totalité). Mais être ami avec quelqu’un qu’on déteste ne constitue pas un crime punissable de quoi que ce soit.

Henry Ford était un admirateur d’Hitler. Au moment de son embauche, chaque employé dans les usines Ford en Allemagne recevait une copie de Mein Kampf, écrit par Hitler. De plus à chaque anniversaire du führer, Ford lui versait un cadeau personnel de 50 000$ (ce qui équivaut aujourd’hui à un million de dollars).

À la fin de la guerre, le carrossier General Motor a eu l’audace de poursuivre le gouvernement américain pour les dommages subis à ses installations allemandes, celles qui participaient à l’effort de guerre de l’Allemagne nazie.

En 1967, GM a reçu 33 millions$ de dédommagement de la part du gouvernement américain.

Ce qui prouve bien que le caractère sacré du droit de propriété dans les pays capitalistes.

Conscient de cela, le Canada s’est vanté d’avoir saisi les biens d’oligarques russes, mais est incapable d’en fournir un seul exemple. Probablement parce qu’il sait qu’il n’a aucune base juridique pour ce faire.

S’emparer des réserves monétaires de la Banque de Russie

Reste à savoir si les pays occidentaux peuvent saisir les devises que la Banque centrale de Russie possède à l’Étranger.

En temps de guerre, les pays peuvent geler les avoirs d’un pays ennemi : certains pays peuvent même les confisquer.

La différence entre les deux, c’est que le détenteur d’un bien ne peut en jouir tant que ce bien est gelé. Mais en demeure propriétaire. Dans le deuxième cas, il en perd la propriété.

Ceci est vrai en temps de guerre. Mais officiellement, les pays occidentaux ne sont pas en guerre contre la Russie. Ils nient même être co-belligérants.

Pour les créanciers étatiques de l’Ukraine, le plus grand risque n’est pas la capitulation de l’Ukraine puisqu’en soi, cela ne change rien à ses obligations.

Le risque viendrait d’un changement de statut juridique du pays.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la Finlande et l’URSS ont conclu un traité d’amitié en vertu duquel la Finlande s’engageait respecter une stricte neutralité militaire. Ce qui a permis à ces deux voisins de vivre en paix depuis.

Mais après l’effondrement de l’URSS en 1991, la Finlande a estimé ne plus être liée par ce traité puisqu’il a été conclu avec l’URSS (qui n’existe plus) et non avec la Fédération de Russie (qui lui a succédé).

Le corolaire de cette logique (un peu mince, à mon avis) entraine que si l’Ukraine, amputée du cinquième de son territoire, devenait une république membre de la Fédération de Russie, elle échapperait à ses créanciers occidentaux puisqu’ils ont fait affaire avec un pays qui n’existerait plus.

Le meilleur moyen d’éviter ce risque, aussi léger soit-il, est que les États-Unis aient le contrôle des négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie. De manière à s’assurer que l’effort de reconstruction repose entre leurs mains.

Pour ce faire, ils devront faire échouer toute tentative de paix qui ne viendrait pas d’eux.

Le résumé de géopolitique concernant l’Ukraine

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Pour terminer, je vous invite à écouter une conférence qu’Alain Juillet prononçait le 17 juin dernier et qui résume assez bien les enjeux géopolitiques qui concernent l’Ukraine.

Références :
Conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine
Conflit au Haut-Karabakh : comment l’Azerbaïdjan a fait plier l’Arménie
Divergences occidentales sur une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN
Ford Motor Company Sued the US Government for Bombing Its Factories in Nazi Germany
General Motors : mark of excellence
Henry Ford
La délicate restructuration de la dette ukrainienne
La nouvelle Théorie des dominos
La saisie fictive des avoirs d’oligarques russes au Canada
Les alliés veulent faire payer la Russie pour la reconstruction
L’Ukraine, sous la menace du défaut de paiement, bataille avec ses créanciers privés
Reconstruire l’Ukraine coûtera au moins 750 milliards de dollars, dit Kiev
The Nato alliance should not invite Ukraine to become a member – Open letter
Ukraine eyes debt deal before deadline, seeks to add GDP warrants, sources say
Ukraine : un détournement de 40 millions de dollars destinés à l’achat d’armes révélé
UK urged to protect Ukraine from legal action over private debt default

Paru depuis : L’agence S&P abaisse la note de l’Ukraine, à un cran désormais du défaut de paiement (2024-08-03)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Ukraine : des dizaines de milliers de morts de trop

Publié le 26 février 2024 | Temps de lecture : 4 minutes

Le président Zelensky déclarait hier qu’en deux ans de guerre, 31 000 soldats ukrainiens étaient morts au combat. Cela ne comprend pas les pertes civiles. Ni les blessés.

Normalement, en temps de guerre, on évite de préciser le cout humain du conflit afin de ne pas nuire au moral de la population.

Le président ukrainien l’a probablement fait pour atténuer le jusqu’au-boutisme qui prévaut dans les régions les moins affectées par la guerre et pour préparer la population du pays à des choix difficiles.

De nos jours, un nombre croissant d’Occidentaux croient que les milliards de dollars donnés à l’Ukraine ne font que prolonger les souffrances de son peuple.

La réalité crue est évidente; la Russie gagnera la guerre.

En mars 2022, quelques semaines après le début du conflit, les pourparlers entrepris à l’initiative de la Turquie étaient sur le point d’aboutir; les négociateurs russes et ukrainiens en étaient venus à une entente.

Dès que la rumeur s’est répandue, Boris Johnson (alors premier ministre britannique) s’était précipité à Kyiv pour convaincre le cabinet de Zelensky de ne pas signer cet accord, que grâce à l’appui de la machine de guerre occidentale, l’Ukraine serait victorieuse et qu’auréolé de gloire, ce pays serait accueilli triomphalement dans l’Otan.

Des dizaines de milliers de morts plus tard, les États-Unis réalisent qu’ils n’ont plus besoin de l’Ukraine.

Ils ont affaibli l’armée russe en versant le sang des autres.

Ils ont eu deux ans pour faire tester leur armement dans les conditions réelles d’une guerre et découvert l’usage qu’on peut en faire des nouvelles technologiques (les drones et les données de géolocalisation).

L’Allemagne s’est sevrée des hydrocarbures russes et conséquemment, a perdu son plus important avantage concurrentiel face aux États-Unis. Elle a même consenti (stupidement) à la destruction des gazoducs Nord Stream I et II. Ce qui consomme le divorce économique russo-européen.

De plus, Washington n’a plus besoin de l’Ukraine pour y déployer au plus près ses missiles nucléaires contre la Russie puisque cela est maintenant possible à partir de la Finlande (depuis son adhésion récente à l’Otan).

À moins qu’ils soient chassés du pouvoir à l’occasion des élections prévues cette année, les gouvernements européens sont actuellement convaincus d’une nouvelle version de la théorie des dominos.

En vertu de cette théorie, si l’Ukraine tombe, la Russie victorieuse se lancera aussitôt (ou dans quelques années) à la conquête du reste de l’Europe. Et le monde libre tombera alors entre les ‘griffes du communisme’.

Après que la Russie ait péniblement gagné la guerre contre un pays d’environ 44 millions d’habitants, on veut nous faire croire qu’elle lancerait ses troupes contre l’Occident, peuplé de 880 millions d’habitants (vingt fois plus).

Du coup, on voit l’Europe se précipiter pour acheter de l’armement américain pendant que nous, en Amérique du Nord, accueillons à bras ouverts la délocalisation de son industrie lourde.

Grâce au narratif des agences de presse inféodées à Washington, les Européens ont consentis à la plus vaste opération de pillage industriel depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Pendant ce temps, l’Ukraine compte ses morts.

Bref, à l’heure où les peuples d’Europe, appauvris par la pandémie au Covid-19 et le cout des sanctions contre la Russie, prennent conscience de leur appauvrissement, on tente de leur faire croire qu’il leur faut maintenant se serrer la ceinture et consentir à des investissements colossaux en matière de défense…

En 2011, j’ai écrit que l’Humanité était entrée dans l’Âge des révoltes. Il est douteux que les années qui viennent fassent la démonstration du contraire…

Références :
Guerre en Ukraine : environ 31 000 soldats ukrainiens sont morts depuis le début de la guerre, déclare Volodymyr Zelensky
Guerre russo-ukrainienne et désindustrialisation de l’Europe
La guerre russo-ukrainienne et la vassalisation de l’Europe
Le sabotage des gazoducs Nord Stream par les États-Unis

Complément de lecture : L’engrenage ukrainien

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’Ukraine doit s’inspirer du Canada

Publié le 22 avril 2022 | Temps de lecture : 3 minutes

Depuis la nuit des temps, le sort de tout pays faible qui voisine un pays puissant, c’est d’être son vassal.

C’est le rôle qu’assume pleinement le Canada.

Quand le président américain dit que Vladimir Poutine est un tyran, Justin Trudeau répète que Vladimir Poutine est un tyran.

Quand Joe Biden déclare que la Russie commet des crimes de guerre, Trudeau accuse la Russie de commettre des crimes de guerre.

Quand Biden accuse la Russie de génocide, notre ministre des Affaires étrangères dit la même chose.

Rappelez-vous quand le président de la République française, Jacques Chirac, avait refusé de croire les accusations américaines selon lesquelles l’Irak possédait des armes de destruction massive.

Souvenez-vous du tollé que cela avait provoqué. Les Américains avaient boycotté les vins français. Au Capitole américain, on avait renommé les frites (qui se disent French fries en anglais) à Freedom fries. Etc.

Notre pays est trop dépendant du marché américain pour se permettre d’indisposer notre puissant voisin.

Il est donc du devoir de Justin Trudeau et de ses ministres d’être les perroquets de Washington.

Justin Trudeau n’est pas obligé de penser ce qu’il dit; s’il n’est pas d’accord, il doit simplement faire semblant. On ne lui en demande pas plus.

Or il le fait admirablement bien.

Au petit déjeuner, quand l’ambassadeur américain lit les manchettes des journaux canadiens, il est heureux. Et quand il est heureux, l’administration américaine est heureuse. Et quand celle-ci est heureuse, nos entreprises sont rassurées.

Tout comme le Canada, l’Ukraine doit réaliser que sa vassalisation à son puissant voisin est dans son intérêt.

Malheureusement, depuis 2004, les organisations non gouvernementales américaines (financées par Washington) ont dépensé cinq-milliards de dollars pour convaincre le peuple ukrainien qu’il était dans son intérêt de devenir, au contraire, un ennemi militaire de la Russie.

De la même manière que la crise des missiles à Cuba en 1962 a été provoquée par l’intention de La Havane d’acheter des missiles russes menaçant les États-Unis, la décision de l’Ukraine de rejoindre l’Otan est à l’origine de la guerre russo-ukrainienne.

Plus vite l’Ukraine renoncera à cette idée, plus vite cesseront les destructions dans ce pays.

Si Paris n’a pas été détruite en 1940, c’est parce que la France a capitulé cette année-là. Sinon, on admirerait aujourd’hui la copie de la tour Eiffel ou de l’Arc de Triomphe, l’une et l’autre reconstruits à l’identique.

De nos jours, en Occident, la guerre russo-ukrainienne est un sujet d’indignation. Mais c’est aussi un divertissement télévisuel d’autant plus captivant qu’il est vrai.

Le courage des Ukrainiens est salué comme on admirait celui des Chrétiens dévorés par les lions dans les arènes romaines.

Le meilleur service qu’on peut rendre au peuple ukrainien, c’est de lui envoyer du matériel médical (des pansements et des médicaments) et non des armes qui ne feront que prolonger ses souffrances.

Paru depuis : Guerre en Ukraine : des centaines de millions de dollars d’équipement militaire pour Kiev (2022-04-23)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les malheurs de l’Ukraine

Publié le 11 décembre 2021 | Temps de lecture : 8 minutes

Depuis des décennies, Ukrainiens et Russes entretiennent une relation conflictuelle.

De tous les évènements qui ont jalonné l’histoire de ces deux peuples, le fiasco des politiques agraires sous Staline a marqué la rupture définitive entre eux, une rupture qui est demeurée clandestine jusqu’à l’éclatement de l’Union soviétique.

Au cours de l’Holodomor — c’est le nom d’une série de famines qui ont frappé l’Union soviétique de 1931 à 1933 — entre 2,6 et 5 millions de personnes sont mortes de faim, principalement en Ukraine.

Même si Moscou a toujours prétendu que cette famine a touché l’ensemble les régions agricoles de l’URSS (dont la principale était l’Ukraine), dans l’imaginaire collectif ukrainien, il s’agissait d’une tentative délibérée d’extermination massive dirigée contre eux.

Ce préjugé (fondé ou non) a été intensifié par les exécutions et les déportations de nationalistes ukrainiens au cours des purges staliniennes de 1937-1939.

Depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991, l’Ukraine et la Russie sont politiquement hostiles, mais économiquement liées.

Sans le gaz naturel russe, l’économie ukrainienne ne peut fonctionner. Mais comme le gazoduc alimentant l’Ukraine alimente également l’Europe occidentale, la Russie a préféré construire un gazoduc court-circuitant l’Ukraine afin de se donner les moyens de fermer le plus ancien si elle devait juger cela opportun.

La Russie est le principal partenaire commercial de l’Ukraine; 21 % des biens importés viennent de Russie et 12 % des exportations y sont destinées.

Le conflit ouvert entre les deux pays a fait chuter le PIB ukrainien des deux tiers depuis l’indépendance.

Pour tenter de sortir du marasme économique, l’Ukraine a tenté en vain d’adhérer à l’Union européenne. Ce qui a échoué, entre autres en raison de la corruption généralisée qui y règne.

En 2014, l’annonce par l’Ukraine de son intention (qui n’aura pas le temps de se réaliser) de retirer au russe son statut de langue officielle en Crimée (peuplée à 65,3 % de russophones) a aussitôt provoqué l’indépendance de celle-ci et son rattachement à la Russie.

En réaction à l’annexion russe de la Crimée, l’Ukraine a adopté en septembre 2020 une nouvelle stratégie de sécurité nationale qui prévoit le développement d’un partenariat en vue de l’adhésion de ce pays à l’Otan.

Pour la Russie, cela est totalement inacceptable.

En tant que pays souverain, l’Ukraine est libre d’adhérer à n’importe quelle organisation internationale. Tout comme Cuba, tout aussi souverain, était libre d’acheter des missiles russes en 1962.

Ce qui n’a pas empêché le président Kennedy d’imposer un blocus maritime à Cuba et de menacer la Russie de faire sombrer tout navire qui s’approcherait des côtes cubaines. Ce à quoi la Russie finira par renoncer.

Les États-Unis ne pouvaient pas accepter qu’on installe des missiles ennemis dans leur cour arrière. C’est pareil pour la Russie; d’autant plus que les frontières ukrainiennes sont à 458 km de Moscou alors que Cuba est à 1 860 km de Washington.

Les prédécesseurs de Vladimir Poutine n’ont rien fait pour empêcher la politique d’encerclement de la Russie à laquelle l’Otan procède depuis l’effondrement de l’Union soviétique.

Presque toutes les anciennes républiques soviétiques d’Europe sont maintenant membres de l’Otan; les pays baltes (Estonie, Lettonie, et Lituanie), de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie, de la Slovénie, de la Roumanie, de la Bulgarie et de l’Albanie.

Pendant un demi-siècle, ces pays ont vécu dans la crainte d’une invasion soviétique. Elles se sont donc empressées de se mettre sous la protection de l’Otan dès que cela fut possible.

L’Ukraine veut faire de même.

Toutefois, une Ukraine militairement inoffensive correspond à un impératif stratégique pour la Russie. Et toutes les sanctions occidentales appliquées dès le lendemain d’une invasion russe ne sont rien en comparaison avec la possibilité d’un anéantissement nucléaire de la Russie par des missiles de l’Otan une fois que celle-ci les aura déployés en Ukraine.

Si Poutine laisse l’Ukraine adhérer officiellement à l’Otan, ce sera trop tard; toute agression militaire russe contre ce pays déclencherait automatiquement une guerre mondiale. Car le principe fondamental de l’Otan, c’est tous pour un, un pour tous (à la manière des Trois mousquetaires).

Or les membres fondateurs de l’Otan (les États-Unis et l’Europe occidentale) sont eux-mêmes inquiets des automatismes prévus par le traité de l’Otan. Puisque ce sont des automatismes semblables qui ont déclenché la Première Guerre mondiale à la suite d’un fait divers; l’assassinat politique d’un hériter de la couronne autrichienne à Sarajevo.

Parlons franchement; une invasion russe en Ukraine n’a pas la même importance que l’invasion de l’Allemagne par la Russie. Mais pour le traité de l’Otan, c’est pareil.

En somme, la Russie doit agir avant l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan.

S’il est vrai que la puissance militaire russe est de 5 à 10 fois inférieure à celle des États-Unis, elle est amplement suffisante pour transformer l’Ukraine en champ de ruines.

L’administration Biden a intérêt elle-même à donner à Poutine les garanties qu’il exige. À défaut de quoi, les États-Unis risquent l’humiliation comme ce fut le cas quand l’intervention russe en Syrie a fait sortir le conflit de son enlisement, après des années de piétinement américain.

Pour les États-Unis, le pire moment pour entrer en guerre contre la Russie, c’est maintenant.

Non pas qu’il la perdrait, mais ils s’y enliseraient. Et ce, pour trois raisons majeures.

Premièrement, en nombres absolus, la force ouvrière américaine est celle qui a été la plus décimée par le Covid-19. De plus, la menace de l’apparition d’un variant exceptionnellement virulent qui échapperait à la protection des vaccins actuels fait en sorte que ce n’est pas le temps, actuellement, de faire la guerre.

Deuxièmement, pour encore quelques mois, les ports américains qui donnent sur la côte du Pacifique sont débordés. Les États-Unis éprouvent donc de sérieuses difficultés d’approvisionnement en temps de paix; imaginez en temps de guerre.

Et dernièrement, les États-Unis ont délocalisé en Chine une partie importante de leur capacité industrielle. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la Chine sera heureuse de soutenir l’effort de guerre américain (et russe) parce que plus les Américains s’épuisent à faire la guerre, plus vite elle accèdera au rang de première puissance mondiale.

Au-delà des capacités guerrières indéniables de leur pays, les Américains ont encore frais en mémoire leur défaite militaire en Afghanistan. L’idée de recommencer aujourd’hui en Ukraine devrait susciter très peu d’enthousiasme.

Tout cela, Poutine le sait; de tous les chefs d’État, c’est le plus expérimenté et le plus rusé.

Or il n’a pas besoin de déclencher une guerre avec l’Ukraine; il lui suffit de lui faire peur pour obtenir sa promesse de ne jamais adhérer à l’Otan.

Et si l’Ukraine refuse, Poutine n’a qu’à annexer les provinces russophones (et consentantes) de l’Ukraine. Une annexion que la population de ces provinces sera heureuse de valider par référendum. Comme la population de la Crimée l’a fait en 2014.

Et si l’Ukraine résiste toujours, Poutine n’a qu’à paralyser l’économie ukrainienne, totalement à sa merci.

Il n’a donc pas besoin d’y déclencher la guerre. Mais si l’Ukraine l’y oblige, Poutine fera en Ukraine ce qu’il a fait en Tchétchénie…

Or justement, avec la montée du prix des hydrocarbures, il en a les moyens.

Pourquoi ne l’a-t-il pas fait plus tôt ? Justement parce que c’est un chef d’État froid, dépourvu d’impulsivité, et qui choisit toujours d’obtenir ce qu’il veut avec le moins d’efforts.

Mais si on le pousse à bout, prenez garde…

L’Ukraine devra donc renoncer à son intention d’adhérer à l’Otan ou en subir les conséquences.

L’Ukraine ne doit pas se faire d’illusion; la stratégie américaine consiste à inciter la Russie à l’envahir afin d’effrayer les anciennes républiques soviétiques et de leur vendre des armes.

Références :
Annexions : Crimée vs Palestine
Crise des missiles de Cuba
Relations avec l’Ukraine
Résumé de géopolitique mondiale (1re partie)
Ukraine
What sanctions could the US hit Russia with if it invades Ukraine?

Paru depuis :
Plus grosse affaire d’achat d’armes de son histoire: La Pologne achète 250 chars américains (2022-04-05)

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