Guerre en Ukraine : amener les Allemands à la raison

Publié le 16 août 2024 | Temps de lecture : 6 minutes

L’Allemagne est le deuxième plus important fournisseur d’armes à l’Ukraine (loin derrière les États-Unis, mais devant la Grande-Bretagne et la Pologne). Ce pays est actuellement dirigé par une coalition tripartite qui n’a de cesse que de s’entredéchirer sur à peu près tous les sujets.

Au parlement allemand, tout comme au parlement européen, ce sont les Verts — ironiquement qualifiés de ‘Verts kaki’ par leurs adversaires politiques — qui battent le plus vivement le tambour de la guerre contre la Russie. Même au prix, paradoxalement, d’un cout environnemental colossal.

Prédite sur ce blogue dès 2022, la récession économique qui frappe actuellement l’Allemagne oblige ce pays à réduire l’importance de l’aide militaire qu’elle comptait accorder à l’Ukraine, faisant chuter cette aide de 8 à 4 milliards d’euros cette année.

Cette réduction fait controverse.

La droite américaine fait circuler la rumeur selon laquelle l’Ukraine serait au cœur du sabotage des gazoducs Nord Stream afin d’amener l’opinion publique allemande ‘à la raison’.

Ces oléoducs servaient à approvisionner directement l’Allemagne en gaz fossile russe. En court-circuitant les gazoducs qui passent par le territoire ukrainien — et qui permettaient à l’Ukraine de prélever deux-milliards de dollars de redevances — l’Allemagne abaissait ses couts de production et améliorait ainsi la compétitivité de ses produits industriels.

Il faut savoir que couper sciemment l’approvisionnement énergétique d’un autre pays est un casus belli, c’est-à-dire un acte justifiant une déclaration de guerre.

Selon l’article publié dans le Wall Street Journal (un quotidien financier d’allégeance républicaine), quelques hauts gradés de l’armée ukrainienne auraient planifié en mai 2022 une opération de sabotage contre les gazoducs Nord Stream. Au cout de 300 000$, l’opération aurait été financée par un ou plusieurs oligarques ukrainiens.

Dans un premier temps, l’opération aurait été approuvée par le président ukrainien. Mais celui-ci serait revenu sur sa décision après en avoir été dissuadé par la CIA.

Toutefois, selon certains journaux américains, l’ordre d’arrêter le tout aurait été ignoré par le commandant de l’opération, le général Valerii Zaluzhyi, promu depuis à titre d’ambassadeur plénipotentiaire de l’Ukraine à Londres par Zelensky.

Tout ceci est cousu de fils blancs.

La mer Baltique est une des régions les plus surveillées au monde en raison de son importance géostratégique. S’imaginer que six Ukrainiens (comprenant des plongeurs professionnels) louent un navire de plaisance afin de planter des explosifs au nez et à la barbe de la Russie, de l’Allemagne, de la Pologne, du Danemark et de la Suède, est un scénario totalement invraisemblable.

Beaucoup plus plausible est l’enquête du journaliste Seymour Hersh, traduite et résumée l’an dernier sur ce blogue et qui accusait les États-Unis d’avoir mené cet acte de sabotage.

Par contre, l’article du Wall Street Journal (visant l’Ukraine) se résume à accuser ce pays de terrorisme à l’égard de son principal fournisseur européen d’armement.

Ceci étant dit, le gouvernement fédéral allemand a intérêt à faire semblant de croire à cette accusation afin de faire accepter la réduction controversée de son aide militaire à l’Ukraine.

Toutefois, à quelques semaines des élections régionales au Brandebourg, en Saxe et en Thuringe, cette nouvelle apporte de l’eau au moulin de deux partis d’opposition, l’AfD et la BSW.

Opposée à l’aide militaire à l’Ukraine, la première est un parti d’extrême droite qui est en tête des sondages dans ces trois Lands. De son côté, la BSW est un nouveau parti d’extrême gauche opposé à l’Otan qui, selon le Land, occupe présentement la deuxième ou la troisième position dans les intentions de vote.

Le message ‘subliminal’ de la nouvelle du Wall Street Journal est clair : verser des milliards d’euros allemands pour aider l’Ukraine, c’est récompenser des militaires prêts à saboter l’économie allemande pour parvenir à leurs fins.

D’autre part, la nouvelle américaine brouille l’Allemagne contre la Pologne; cette dernière a laissé un des coupables présumés traverser son territoire pour se réfugier en Ukraine en dépit d’un mandat d’arrestation émis par l’Allemagne.

Bref, on ne se lasse jamais de l’ingéniosité américaine à semer la bisbille partout où ils passent.

Références :
Aide à l’Ukraine et réarmement de l’armée… La bascule militariste de l’Allemagne est-elle tenable ?
Européennes 2024 en Allemagne : vers un nouveau « Mur de Berlin » ?
Guerre en Ukraine : la coalition au pouvoir en Allemagne se déchire sur l’envoi de missiles Taurus à l’Ukraine
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Le début de la délocalisation industrielle de l’Allemagne
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Parus depuis :
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Allemagne : l’inquiétante montée de l’extrême droite (2024-09-02)
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Écrit par Jean-Pierre Martel