La régression finlandaise

Publié le 21 avril 2025 | Temps de lecture : 11 minutes
Vue d’Helsinki

Introduction

L’adhésion de la Finlande à l’Otan complète un basculement géostratégique majeur débuté trois décennies plus tôt.

Jusqu’à la réunification de l’Allemagne, la mer Baltique était de facto une mer intérieure soviétique dont seule l’embouchure occidentale était contrôlée par trois membres de l’Otan; l’Allemagne de l’Ouest, le Danemark et la Norvège.

Les autres pays riverains étaient soit des pays neutres (au nord), ou des membres du Pacte Varsovie (de l’Allemagne de l’Est à la Russie).

La réunification de l’Allemagne en 1990, puis l’adhésion des pays baltes à l’Otan en 1999 et enfin celle des deux derniers pays scandinaves qui n’en faisaient pas partie (la Finlande et la Suède), ont fait en sorte que la mer Baltique est maintenant une mer otanienne à laquelle la Russie n’a accès qu’au fond du golfe de Finlande et par l’enclave de Kaliningrad.

En somme, la seule véritable défaite de la Russie occasionnée par la guerre russo-ukrainienne ne s’est pas produite quelque part en Ukraine, mais dans le nord-est de l’Europe, en mer Baltique.

Tout cela est une victoire incontestable pour l’Otan. Mais qu’en est-il des Finlandais ?

Avant 1945

De l’indépendance à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Finlande a entretenu des relations amicales avec l’Allemagne et conflictuelles avec la Russie.

La naissance de la République finlandaise

Au XIXe siècle, la Finlande était un duché russe. Après des années de lutte autonomiste contre le pouvoir impérial, la Finlande profita du renversement du tsar Nicolas II en mars 1917 pour obtenir son indépendance le 6 décembre de la même année.

Aussitôt, une guerre civile éclata en Finlande. Celle-ci dura quatre mois, de janvier à mai 1918.

Tout comme la Révolution russe opposa les Russes blancs (tsaristes) aux les Russes rouges (communistes), la guerre civile finlandaise opposa les Finlandais blancs aux Finlandais rouges.

La partie nouvellement industrialisée de la Finlande, soit l’extrémité sud du pays, fut le fief des Rouges. La population rurale (très majoritaire à l’époque) et la bourgeoisie conservatrice soutinrent les Blancs.

Appuyés par un corps expéditionnaire allemand, les Blancs triomphèrent des Rouges. À l’issue de ce conflit, les Blancs instaurèrent brièvement une monarchie dirigée par un membre de la noblesse allemande (le beau-frère de l’Empereur Guillaume-II).

À la fin de la Première Guerre mondiale, l’effondrement de l’Empire allemand et l’abdication de la dynastie des Hohenzollern entrainèrent la fin du Royaume de Finlande, un mois après sa création.

Si bien que la Finlande adopta finalement un régime républicain, plus acceptable aux yeux des vainqueurs de la Première Guerre mondiale. En dépit de cela, la nouvelle république finlandaise demeura essentiellement pro-allemande, par crainte des tendances hégémoniques de son puissant voisin.

La Deuxième Guerre mondiale

Aussi longtemps que la Finlande faisait partie de l’Empire russe, la proximité de sa frontière, à trente kilomètres de Saint-Pétersbourg, ne causait pas de souci.

Mais après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne en septembre 1939, Staline prend conscience que la proximité de frontière de la Finlande (sympathique à l’Allemagne) représente un risque sécuritaire pour Leningrad (le nom de Saint-Pétersbourg à l’époque).

Il tente alors de négocier le recul des frontières finlandaises par le moyen d’un échange de territoire.

Devant l’échec de cette négociation, Staline déclenche une guerre qui durera trois mois et à l’issue de laquelle la Finlande acceptera, par le Traité de Moscou du 12 mars 1940, des clauses de paix qui étaient presque identiques à celles exigées par Staline dès l’origine.

Même si, techniquement, la Finlande avait dû capituler à la Russie, cette guerre avait révélé les faiblesses de l’armée russe.

Cette dernière possédait du matériel militaire neuf et abondant. Mais les purges staliniennes avaient décimé plus de 80 % des officiers supérieurs, remplacés par des incompétents menés par des ‘commissaires politiques’ fidèles à Staline.

Bref, le fait qu’un petit pays comme la Finlande avait pu résister à l’envahissement russe, cela avait révélé la faiblesse de l’Armée rouge. Ce qui incita Hitler à violer son acte de non-agression avec la Russie et à l’envahir plus tôt qu’il l’avait imaginé.

Profitant de l’invasion allemande en Russie à partir du 22 juin 1941, la Finlande lui déclare à son tour la guerre dans l’espoir de reprendre les territoires qu’elle lui avait cédés un an plus tôt.

À la fin de la guerre, la Finlande consentit définitivement aux pertes territoriales du Traité de Moscou, mais préserva l’essentiel; son indépendance en contrepartie de sa finlandisation.

L’amitié russo-finlandaise : un mariage de raison

Le 6 avril 1948, la Finlande et la Russie signent l’Accord d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle. Ce traité est à l’origine du concept de ‘finlandisation’.

En vertu de ce traité, la Russie s’engageait à respecter l’indépendance de la Finlande, sa démocratie parlementaire et son économie de marché.

En contrepartie, la Finlande s’engageait, en cas de conflit entre l’Occident et l’URSS, à défendre son territoire et son espace aérien des intrusions occidentales.

Pour la Russie, c’était une aubaine. Au lieu d’utiliser des ressources militaires à défendre un territoire — soit une Finlande qui aurait été annexé à l’empire soviétique — la Russie obtenait le même résultat puisque la Finlande s’occupait elle-même de défendre son propre territoire et devenait un État tampon.

La fin des amitiés

De 1948 à 1971, la neutralité militaire de la Finlande a fait en sorte que le pays n’a dépensé presque rien pour sa défense militaire. Ce qui lui a permis d’allouer des sommes considérables à la construction de son filet de protection sociale.

Dans les années 1980, la croissance économique de la Finlande fut parmi les plus élevées des pays industrialisés. Toutefois, en tant que fournisseur de matières premières à la Russie, le pays dépendait encore beaucoup du commerce avec l’URSS. Quand cette dernière s’effondre le 26 décembre 1991, cela entraine une crise économique en Finlande.

L’autre conséquence de cet effondrement, c’est que la Finlande a estimé qu’elle n’était plus liée par le traité d’amitié signé en 1948 puisque, juridiquement, celui-ci avait été conclu avec l’URSS et non avec la Russie.

La Finlande amorce alors une coopération croissante avec l’Otan qui mènera à son adhésion formelle à l’Alliance le 4 avril 2023.


 
Le résultat de cette évolution est que les dépenses militaires annuelles de la Finlande (en dollars américains) sont passées de 178 millions en 1971, à 2,2 milliards en 1991, à 4,8 milliards en 2022, et à 7,3 milliards en 2023.

Plutôt que de hausser les taxes ou de sabrer le filet de protection sociale — ce qui aurait rendu impopulaire l’augmentation des dépenses militaires — les gouvernements finlandais ont préféré s’endetter.

Depuis 1976, l’endettement de la Finlande s’est creusé à quatre occasions :
• de 1991 à 1997, à la suite de l’effondrement de l’URSS,
• à la suite de la Grande Récession de 2007-2008,
• en 2020, lors du confinement sanitaire, et
• à partir de 2023, à la suite de son adhésion à l’Otan.

Chaque fois, la dette finlandaise a fait un saut d’environ dix pour cent. Faisant passer le ratio dette/PIB de 42,4 % en 2000 à 80,5 % en 2024

Ce qui est inférieur à la moyenne européenne. Mais ce qui représente un abandon de la rigueur budgétaire qui a toujours caractérisé les pays de tradition luthérienne, notamment les pays scandinaves.

La paranoïa due à la guerre russo-ukrainienne

En février 2023, la Finlande commençait la construction d’une clôture métallique de trois mètres de hauteur, surmonté de barbelés. Elle s’étirera le long d’un tronçon de 200 km, soit le septième de la frontière qu’elle partage avec la Russie (longue de 1 340 km).

Selon la BBC, cette clôture n’est pas destinée à arrêter l’Armée rouge, mais à empêcher les Russes qui voudraient fuir la conscription dans leur pays. Le tout sera terminé en 2026 ou en 2027.

Si la guerre russo-ukrainienne prend fin d’ici là, cette clôture pourra toujours servir un jour. Qui sait ?

Par crainte d’une invasion russe, le 18 mars dernier, la Lituanie a quitté la convention d’Oslo interdisant les bombes à sous-munitions. De la même manière, la Pologne et les trois pays baltes ont annoncé vouloir se retirer de la convention bannissant les mines antipersonnelles.

Moins de deux semaines plus tard, ces quatre pays ont été suivis par la Finlande.

Une fois balancés dans la nature, les mines antipersonnelles sont des instruments persistants de terreur qui ne font aucune distinction entre civils et militaires, entre les enfants et les adultes, et qui tuent ou handicapent longtemps après que des belligérants ont déposé les armes.

Elles frappent surtout les paysans qui n’ont d’autre choix que de cultiver leur terre dans les zones contaminées. Ou ceux qui s’aventurent dans les bois dans l’espoir de se ressourcer ou d’y admirer la nature.

Bref, elles sont en contradiction avec les principes du droit international humanitaire

Conclusion

À partir du moment où la Russie et la Finlande ont signé l’Accord d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle en 1948, Russes et Finlandais ont vécu en paix pendant plus de 75 ans.

Si la Russie avait voulu violer ce traité, elle l’aurait déjà fait, particulièrement à l’époque où la Finlande était littéralement sans défense.

Selon la nouvelle Théorie des dominos, l’Ukraine est le rempart de la Démocratie en Europe; si elle devait capituler à la Russie, cette dernière refera d’abord ses forces, puis se lancera aussitôt à la conquête du reste de l’Europe.

Cela ne s’est pas produit à la suite de la victoire russe en Tchétchénie ni en Georgie. Mais après l’Ukraine, ce serait différent. Sans qu’on sache exactement pourquoi.

Une des leçons de la guerre russo-ukrainienne, c’est que la Russie n’a pas la puissance nécessaire pour conquérir l’ensemble du territoire ukrainien, malgré trois ans d’efforts et la perte de dizaines (ou de centaines) de milliers de soldats.

Et on veut nous faire croire qu’elle pourrait se lancer à la conquête de l’Occident, plus vaste et plus peuplé.

C’est que les Finlandais ont cru.

Peu importe les murs de barbelés, les mines antipersonnelles, et tout l’armement que pourra se payer la Finlande avant d’être endettée jusqu’au cou, la Russie sera encore son pays voisin dans mille ans.

Par le biais des agences de presse qui propagent sa propagande paranoïaque, l’Otan a fait croire aux Finlandais qu’ils pourraient très bien être les prochaines victimes de la Russie s’ils ne s’empressaient pas de rejoindre l’Alliance.

Et c’est ainsi que les Finlandais ont mis fin à des décennies de relations harmonieuses avec la Russie.

Quel gâchis…

Références :
Budget de la dette en Finlande
Économie de la Finlande
Finlandisation
Finland’s colossal underground bunkers a model for anxious Europe
Finland : Military Spending
Finland joins other Russian neighbours exiting from landmine treaty
Finland starts construction of Russia border fence
Grande Trêve
Guerre civile finlandaise
Guerre d’Hiver
Histoire de la Finlande
La corruption de la presse occidentale par Washington
La nouvelle Théorie des dominos
La peur de la guerre pousse plusieurs pays voisins de la Russie à se retirer de deux traités de désarmement
Mines antipersonnel : « Le risque d’un terrible retour en arrière »
Royaume de Finlande (1918)
Traité de Moscou (1940)
Traité finlando-soviétique de 1948

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le mythe du néonazisme russe

Publié le 15 mars 2025 | Temps de lecture : 6 minutes


 
Introduction

Un tribunal finlandais de première instance condamnait hier le Russe Vojislav Torden (né Ian Petrovski) pour des faits survenus en Ukraine le 5 septembre 2014, c’est-à-dire il a plus d’une décennie.

Ce qui a attiré mon attention, ce sont les titres des articles publiés par des quotidiens francophones — mais, en réalité, écrits par l’Agence France-Presse (AFP) — qui, unanimement, qualifient de ‘néonazis’ l’accusé, de même que la milice Roussitch qu’il dirigeait à l’époque.

En réalité, Roussitch fait partie des milices armées hypernationalistes (et non néonazies) qui servaient de supplétifs à l’armée russe. En Ukraine, ces milices ont commis des crimes de guerre. Comme tous les belligérants dans ce conflit.

Nationalisme russe vs néonazisme

La différence fondamentale entre le nationalisme russe et le néonazisme, c’est que le premier glorifie la Russie (de même que sa culture) et s’oppose aux pays qui la menacent, alors que le second est une idéologie haineuse à l’égard de ‘races’ ou de groupes ethniques.

Autrefois dans l’URSS et aujourd’hui dans la Fédération de Russie, la haine interethnique est une menace à la cohésion sociale. Voilà pourquoi elle y est combattue.

D’où le fait qu’à l’éclatement de l’URSS, une multitude de conflits ethniques (longtemps réprimés) ont éclaté en ex-Yougoslavie, en Ukraine et en Géorgie.

La diabolisation du néonazisme en Russie

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, entre 22 et 27 millions de Russes ont perdu la vie, soit entre treize et seize pour cent de la population du pays.

Depuis ce temps, le nazisme est diabolisé en Russie. Et toute personne qui se réclamerait de cette idéologie y serait aussitôt considérée comme un traitre et arrêtée.

Le contexte ukrainien en 2014

Le 23 février 2014, le parlement ukrainien annonçait son intention de retirer au russe son statut de langue officielle dans les régions du pays où les Ukrainiens russophones étaient majoritaires.

Si le gouvernement canadien avait le pouvoir de retirer au français son statut de langue officielle au Québec, il provoquerait l’indépendance du Québec.

Pour écraser la révolte dans l’Est de l’Ukraine, Kyiv a secrètement payé des milices néonazies œuvrant dans l’ouest de l’Ukraine pour qu’elles viennent massacrer les insurgés russophones à l’autre extrémité du pays.

Voilà pourquoi, entre 2014 et 2022, cette guerre civile a fait entre quatorze et seize-mille morts, très majoritairement parmi la population russophone de l’Est du pays.

L’accusation contre Vojislav Torden

Le 5 septembre 2014, la milice Roussitch a pris en embuscade un convoi transportant des soldats du bataillon néonazi Aïdar, incorporé dans les forces de défense ukrainienne.

À cette occasion, vingt-deux miliciens sont morts et quatre ont été blessés.

Vojislav Torden a été condamné hier pour avoir exécuté un des prisonniers, fait mutiler un autre (mort depuis de ses blessures), et fait publier sur les médias sociaux des photos sur lesquelles ses miliciens posaient fièrement devant le cadavre d’un de leurs prisonniers (ce qui est interdit par la Convention de Genève).

Une compétence extraterritoriale ?

En Droit international, seule la Cour pénale internationale (située à La Haye, aux Pays-Bas) a autorité pour juger les personnes responsables de crimes de guerre.

Vojislav Torden n’était pas visé par un mandat international de cette cour et les crimes pour lesquels il a été condamné en Finlande n’ont pas été commis dans ce pays. De plus, l’accusé n’est pas Finlandais, et ses victimes ne le sont pas non plus.

Si ce jugement est présenté contre une grande victoire contre l’impunité des criminels de guerre, c’est surtout un précédent en vertu duquel le système judiciaire de n’importe quel pays peut prétendre à l’extraterritorialité de la compétence de ses tribunaux.

Conclusion

Pour justifier la présence avérée de milices néonazies en Ukraine, la propagande occidentale essaie depuis plus de dix ans de nous faire croire que le néonazisme existerait aussi en Russie.

Le message implicite est le suivant : pourquoi la Russie se plaint-elle de la présence de milices néonazies en Ukraine quand elle-même les tolère sur son propre territoire ?

Ce qui étonne, c’est l’unanimité de la presse occidentale — notamment les grands quotidiens alimentés par l’Agence France-Presse (AFP) — à répéter le mensonge grossier qui consiste à confonde le nationalisme russe à du néonazisme alors que les deux sont complètement différents.

Références :
Alexeï Miltchakov
Droit international et géopolitique (première partie)
En Ukraine, la milice russe néo-nazie Rusich encourage la torture des prisonniers ukrainiens
Finnish Verdict Due for Russian Accused of Ukraine War Crimes
Finlande : un néonazi russe condamné à la pérpétuité pour des crimes de guerre en Ukraine
Guerre en Ukraine : Qui est ce néonazi russe condamné en Finlande pour crimes de guerre ?
Guerre en Ukraine : un néonazi russe condamné à perpétuité, « une étape-clé dans la lutte contre l’impunité »
Johann Chapoutot, historien : « Ce sont les libéraux autoritaires qui ont porté les nazis au pouvoir »
Groupe Roussitch
Un néonazi russe condamné à la pérpétuité en Finlande pour des crimes de guerre en Ukraine
La condamnation d’un néonazi russe en Finlande pour des crimes de guerre commis en Ukraine, un procès qui pourrait faire jurisprudence
La nostalgie nazie en Ukraine
Pertes humaines pendant la Seconde Guerre mondiale
Russian Neo-Nazi Leader Receives Life Sentence in Finland for War Crimes in Ukraine
Ukraine : la Finlande soupçonne un néonazi russe de crime de guerre en 2014
Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan
Un néonazi russe condamné à la pérpétuité en Finlande pour des crimes de guerre en Ukraine (L’Express)
Un néonazi russe condamné à la pérpétuité en Finlande pour des crimes de guerre en Ukraine (TV5 Monde)
Un paramilitaire néonazi russe condamné à la perpétuité en Finlande pour des crimes de guerre en Ukraine
24e bataillon d’assaut « Aidar »

Compléments de lecture :
La corruption de la presse occidentale par Washington
Communistes = Nazis ? Entretien et débunk avec Johann Chapoutot, historien (vidéo)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La Finlande et la Suède se préparent à une Troisième Guerre mondiale

Publié le 20 novembre 2024 | Temps de lecture : 5 minutes
Port d’Helsinki

Au cours des deux prochaines semaines, la Suède expédiera cinq-millions d’exemplaires d’une brochure de 32 pages destinée à préparer ses citoyens à la guerre ou à des catastrophes naturelles.

Intitulé « En cas de crise ou de guerre », ce document offre des conseils pratiques tels que la constitution de réserves de denrées alimentaires et d’eau, où trouver un abri en cas d’attaque aérienne, ce qu’il faut emporter en cas d’évacuation, et quoi laisser à la maison aux animaux domestiques puisqu’ils ne sont pas admis dans les abris.

S’adressant à tous les résidents de Suède, son introduction fait appel à l’unité du pays contre la menace :

Nous vivons une époque incertaine. Des conflits armés font actuellement rage dans notre coin du monde. Le terrorisme, les cyberattaques et les campagnes de désinformation sont utilisés pour nous affaiblir et nous influencer.

Pour résister à ces menaces, nous devons rester unis. Si la Suède est attaquée, chacun doit faire sa part pour défendre l’indépendance de la Suède – et notre démocratie.

Nous renforçons notre résilience chaque jour, avec nos proches, nos collègues, nos amis et nos voisins.

Dans cette brochure, vous apprenez comment vous préparer et agir en cas de crise ou de guerre.

Vous faites partie de la préparation globale aux urgences de la Suède.

C’est la cinquième fois depuis la Deuxième Guerre mondiale que la Suède procède à la distribution d’un tel document, aujourd’hui actualisé.

La Finlande a lancé un site web avec des conseils similaires.

Le quotidien Le Parisien affirme que cette campagne d’information se justifie par l’imminence d’une guerre avec la Russie.

Selon l’avis de millions d’Européens, une capitulation de l’Ukraine serait catastrophique puisqu’aussitôt (ou dès qu’elle s’en sera remise), une Russie vengeresse et assoiffée de sang se lancera à la conquête du reste de l’Europe. Ce qui déclencherait une Troisième Guerre mondiale.

Est-ce un scénario probable à brève ou à moyenne échéance ?

Au cours de la guerre russo-ukrainienne, l’armée russe a éprouvé de la difficulté à faire la conquête d’un pays de 38 millions de personnes. Elle y travaille depuis mille jours sans y être parvenue.

Et on prétend que, victorieuse sur l’Ukraine, la Russie lancerait ses troupes contre l’Occident, peuplé de 880 millions de personnes.

Une des différences fondamentales entre la Russie et les États-Unis, c’est que la Russie fait la guerre à ses frontières (Tchétchénie, Géorgie, Ukraine) alors que les États-Unis guerroient partout à travers le monde (Vietnam, Afghanistan, Irak, Syrie, Kosovo, etc.).

Ce qui est normal puisque les États-Unis se veulent les gardiens de l’ordre mondial (qui consacre leur hégémonie), alors que la Russie n’a pas cette prétention.

Quelles sont donc les raisons véritables de cette campagne de peur ?

Avant même son adhésion à l’Otan, la Suède possédait une armée compétente à laquelle elle consacrait 1,5 % de son PIB en 2023. Le gouvernement suédois veut faire passer ce pourcentage à 2,4 % en 2025.

Quant à la Finlande, déjà bien armée, elle compte augmenter de beaucoup son budget militaire d’ici 2026. Il en était déjà à 2,5 % du PIB en 2023.

Toutefois, la guerre russo-ukrainienne révèle que même 2 % du PIB est insuffisant. Une guerre de haute intensité, comme celles menées par la Russie en Tchétchénie et en Ukraine, nécessite une quantité d’obus et d’ogives considérable, bien au-delà de ce qu’on croyait nécessaire jusqu’ici.

En raison de la rigueur budgétaire qui les caractérise, il est douteux que les gouvernements de ces deux pays scandinaves choisissent de s’endetter pour financer l’augmentation substantielle de leurs dépenses militaires.

Pour y parvenir, il leur faudra sabrer leur filet de protection sociale. Une protection à laquelle les Finlandais et les Suédois sont très attachés et qui constituait jusqu’ici le dividende de la paix.

Pour qu’ils consentent à des sacrifices jugés nécessaires, il faut créer et entretenir la peur d’une guerre improbable… à moins, évidemment, qu’elle soit provoquée par l’Occident.

Références :
« Courir, se cacher… » : Suède et Finlande préparent leurs habitants à une possible guerre contre la Russie
Finlande: Évolution de la dette en pourcentage du PIB
In case of crisis or war
How you can play your part in Norway’s emergency preparedness
La Finlande va augmenter de 40% son budget de la défense d’ici 2026
La nouvelle Théorie des dominos
La Suède porte son budget défense à plus de 2% de son PIB
Les dépenses militaires des pays de l’Union européenne
Suède: Évolution de la dette en pourcentage du PIB

Paru depuis : « Il est temps de passer à un état d’esprit de temps de guerre », plaide le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte (2024-12-13)

Détails techniques de la photo : Olympus OM-D e-m5 mark II + objectif M.Zuiko 12-40mm F/2,8 — 1/5000 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 22 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’Occident ne veut pas payer pour reconstruire l’Ukraine

Publié le 9 juillet 2024 | Temps de lecture : 9 minutes


 
La conférence de Londres

Avant le début de l’invasion russe, l’Ukraine était le deuxième pays le plus pauvre d’Europe (devant la Moldavie). Or depuis, plus de 30 % de l’économie ukrainienne a été détruite.

De nos jours, l’État ukrainien vit sous le respirateur artificiel de l’Occident. Sans les sommes qui lui sont versées, Kyiv serait incapable de payer la solde des soldats, les salaires des professeurs, des médecins, des fonctionnaires, de même que la pension des retraités.

Selon Alain Juillet (de 16:45 à 17:50 dans le vidéo à la fin du texte), l’aide américaine serait exclusivement constituée de prêts accordés à l’Ukraine en contrepartie du contrôle américain sur la reconstruction à venir du pays.

À la conférence de Londres, tenu en juin 2023, une soixantaine de pays se sont entendus sur le financement de la reconstruction de l’Ukraine après la guerre. On estime que cette reconstruction coutera entre 410 et 750 milliards$, soit entre 230 % et 419 % de son PIB.

Si l’Ukraine devait assumer seule une telle reconstruction, elle deviendrait, de très loin, le pays le plus endetté au monde. Et les intérêts qu’elle aurait à payer sur sa dette la condamneraient à la ruine perpétuelle.

C’est Anthony Blinken, secrétaire d’État américain (soit l’équivalent de ministre des Affaires étrangères des États-Unis) qui a le mieux résumé le consensus auquel sont parvenus les pays représentés à la Conférence de Londres :

« Soyons clairs : la Russie est à l’origine de la destruction de l’Ukraine. Et la Russie finira par payer le cout de la reconstruction de l’Ukraine.»

Si on lit entre les lignes, cela veut dire « Ce n’est pas à nous, les États-Unis, de payer pour ça.»

En Afghanistan, les Américains n’ont rien dépensé pour la reconstruction du pays. En Irak, la reconstruction promise s’est limitée à réparer les routes et les ponts menant à la ‘zone verte’ (là où étaient stationnés les soldats américains à Bagdad). En Syrie, le pays est toujours en ruine. Quant à la Libye, après avoir renversé le régime de Kadhafi, on livré le pays au chaos et à l’anarchie.

Les États-Unis ont utilisé l’Ukraine pour affaiblir l’armée russe et tester le matériel de guerre américain dans les conditions réelles d’un conflit armé.

Maintenant que la Finlande a rejoint l’Otan, Washington n’a plus besoin de l’Ukraine pour y déployer ses missiles nucléaires au voisinage de la Russie.

Bref, l’Ukraine n’est plus utile aux États-Unis. Si bien qu’un nombre croissant d’experts trouvent que la poursuite de cette guerre n’en vaut pas la peine et qu’on devrait même fermer définitivement la porte de l’Otan à l’Ukraine pour avoir la paix.

Les États-Unis trouvent d’autant plus légitime de se désintéresser militairement de l’Ukraine que se propage en Europe la Nouvelle théorie des dominos.

En vertu de cette théorie, les soldats ukrainiens ne font pas que défendre leur pays attaqué par la Russie; ils se battent pour protéger le monde libre. Si l’Ukraine capitule, l’Europe tout entière tombera à son tour entre les mains de Vladimir Poutine.

En réalité, la Russie peine à faire la conquête d’un pays de 44 millions d’habitants, soit l’Ukraine avant la guerre. On voit mal comment elle pourrait guerroyer avec succès contre l’Occident qui totalise 880 millions d’habitants, soit vingt fois plus.

À preuve, c’est précisément parce que la Russie en a plein les bras en Ukraine qu’elle n’a rien fait, en septembre 2023, pour empêcher l’Azeibaïdjan d’annexer le Haut-Karabagh aux dépends de l’Arménie (son alliée).

La dette ukrainienne

Les pays créditeurs et le Fond monétaire international se sont entendus pour laisser à l’Ukraine jusqu’en 2027 pour payer ce qu’elle leur doit. Toutefois, il en est autrement des créditeurs privés.

On appelle moratorium tout délai accordé par la loi pour s’acquitter d’une dette. Depuis deux ans, l’Ukraine bénéficie d’un moratorium qui vient à échéance le 1er aout prochain.

Ce pays doit 24 milliards $US à des firmes privés d’investissements. Ce qui représente douze pour cent de son PIB.

Évidemment, en pleine guerre, l’Ukraine est incapable de payer cette somme. Elle leur propose une décote de 60 % — c’est-à-dire de les rembourser à hauteur de 40 cents par dollar de dette — alors que ceux-ci ne veulent pas accepter une décote supérieure à 22 cents (c’est-à-dire descendre en dessous de 78 cents par dollar de dette).

À défaut d’une entente, l’Ukraine se retrouverait en défaut de paiement. Ce qui ouvre la porte à des poursuites devant les tribunaux.

Ce qu’on craint, c’est que ces fonds d’investissement vendent leurs bons du Trésor ukrainien à des fonds spéculatifs (hedge funds) qui, tels des chiens pitbulls, s’acharneraient sur ce pays jusqu’au paiement de la totalité de ce qu’elle leur doit.

Le mirage de la confiscation

Depuis des mois, certains pays occidentaux font miroiter la possibilité de confisquer les biens russes détenus en Occident pour aider l’Ukraine à payer ses dettes. Cette idée s’apparente à un bluff.

Déposséder les oligarques russes

Dans les pays occidentaux, le droit de propriété est sacré.

Si quelqu’un a commis un crime, les tribunaux peuvent le condamner à une amende, voire à être dépouillé de ses biens (en partie ou en totalité). Mais être ami avec quelqu’un qu’on déteste ne constitue pas un crime punissable de quoi que ce soit.

Henry Ford était un admirateur d’Hitler. Au moment de son embauche, chaque employé dans les usines Ford en Allemagne recevait une copie de Mein Kampf, écrit par Hitler. De plus à chaque anniversaire du führer, Ford lui versait un cadeau personnel de 50 000$ (ce qui équivaut aujourd’hui à un million de dollars).

À la fin de la guerre, le carrossier General Motor a eu l’audace de poursuivre le gouvernement américain pour les dommages subis à ses installations allemandes, celles qui participaient à l’effort de guerre de l’Allemagne nazie.

En 1967, GM a reçu 33 millions$ de dédommagement de la part du gouvernement américain.

Ce qui prouve bien que le caractère sacré du droit de propriété dans les pays capitalistes.

Conscient de cela, le Canada s’est vanté d’avoir saisi les biens d’oligarques russes, mais est incapable d’en fournir un seul exemple. Probablement parce qu’il sait qu’il n’a aucune base juridique pour ce faire.

S’emparer des réserves monétaires de la Banque de Russie

Reste à savoir si les pays occidentaux peuvent saisir les devises que la Banque centrale de Russie possède à l’Étranger.

En temps de guerre, les pays peuvent geler les avoirs d’un pays ennemi : certains pays peuvent même les confisquer.

La différence entre les deux, c’est que le détenteur d’un bien ne peut en jouir tant que ce bien est gelé. Mais en demeure propriétaire. Dans le deuxième cas, il en perd la propriété.

Ceci est vrai en temps de guerre. Mais officiellement, les pays occidentaux ne sont pas en guerre contre la Russie. Ils nient même être co-belligérants.

Pour les créanciers étatiques de l’Ukraine, le plus grand risque n’est pas la capitulation de l’Ukraine puisqu’en soi, cela ne change rien à ses obligations.

Le risque viendrait d’un changement de statut juridique du pays.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la Finlande et l’URSS ont conclu un traité d’amitié en vertu duquel la Finlande s’engageait respecter une stricte neutralité militaire. Ce qui a permis à ces deux voisins de vivre en paix depuis.

Mais après l’effondrement de l’URSS en 1991, la Finlande a estimé ne plus être liée par ce traité puisqu’il a été conclu avec l’URSS (qui n’existe plus) et non avec la Fédération de Russie (qui lui a succédé).

Le corolaire de cette logique (un peu mince, à mon avis) entraine que si l’Ukraine, amputée du cinquième de son territoire, devenait une république membre de la Fédération de Russie, elle échapperait à ses créanciers occidentaux puisqu’ils ont fait affaire avec un pays qui n’existerait plus.

Le meilleur moyen d’éviter ce risque, aussi léger soit-il, est que les États-Unis aient le contrôle des négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie. De manière à s’assurer que l’effort de reconstruction repose entre leurs mains.

Pour ce faire, ils devront faire échouer toute tentative de paix qui ne viendrait pas d’eux.

Le résumé de géopolitique concernant l’Ukraine

Veuillez cliquer pour démarrer

Pour terminer, je vous invite à écouter une conférence qu’Alain Juillet prononçait le 17 juin dernier et qui résume assez bien les enjeux géopolitiques qui concernent l’Ukraine.

Références :
Conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine
Conflit au Haut-Karabakh : comment l’Azerbaïdjan a fait plier l’Arménie
Divergences occidentales sur une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN
Ford Motor Company Sued the US Government for Bombing Its Factories in Nazi Germany
General Motors : mark of excellence
Henry Ford
La délicate restructuration de la dette ukrainienne
La nouvelle Théorie des dominos
La saisie fictive des avoirs d’oligarques russes au Canada
Les alliés veulent faire payer la Russie pour la reconstruction
L’Ukraine, sous la menace du défaut de paiement, bataille avec ses créanciers privés
Reconstruire l’Ukraine coûtera au moins 750 milliards de dollars, dit Kiev
The Nato alliance should not invite Ukraine to become a member – Open letter
Ukraine eyes debt deal before deadline, seeks to add GDP warrants, sources say
Ukraine : un détournement de 40 millions de dollars destinés à l’achat d’armes révélé
UK urged to protect Ukraine from legal action over private debt default

Paru depuis : L’agence S&P abaisse la note de l’Ukraine, à un cran désormais du défaut de paiement (2024-08-03)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le plaisir de vivre en Scandinavie

Publié le 16 mars 2018 | Temps de lecture : 3 minutes

Selon l’ONU, les Finlandais sont devenus cette année le peuple le plus heureux sur Terre.

Dans le palmarès onusien, les sept premières places sont occupées par :
• la Finlande
• la Norvège
• le Danemark
• l’Islande
• la Suisse
• les Pays-Bas
• le Canada

Si la Russie n’était pas au 59e rang, on aurait pu croire que le froid fait le bonheur.

Pour les curieux, précisions que l’Allemagne est au 15e rang, les États-Unis au 18e, le Royaume-Uni au 19e, la France au 23e, et l’Italie au 47e.

En Finlande, la capitale est située dans la partie la plus au sud et la plus chaude du pays. En dépit de cela, il y fait une température maximale moyenne de 23°C au mois de juillet (avec des nuits fraiches à 14°C).

L’ensoleillement est bien meilleur que le suggère la situation géographique du pays. Dans les deux tiers les plus nordiques, l’ensoleillement s’apparente à celui de la Belgique et du nord de la France. Dans le reste de la Finlande, c’est comme le centre de la France. Exceptionnellement, la capitale jouit d’un microclimat aussi lumineux que celui du midi de la France (la température en moins).

86% de la Finlande est recouvert de forêt l’été et 100% du pays est recouvert de neige l’hiver. Une biodiversité moindre qu’en Europe centrale. Il y a peu de sols arables à cultiver.

Il y a exactement 150 ans, c’est dans ce pays que survint la dernière grande famine ayant des causes naturelles en Europe (plus d’une décennie après celle en Irlande).

D’où la question : qu’est-ce qui rend les Finlandais si joyeux ?

Selon l’ONU et d’autres organismes qui ont analysé la Finlande, les critères qui ont propulsé ce pays au premier rang mondial sont :
• le revenu familial
• l’espérance de vie en santé
• le filet de protection sociale
• des inégalités de revenus plus faibles qu’ailleurs
• la confiance dans le système juridique et dans la police
• la liberté et l’indépendance individuelles
• la générosité des uns envers les autres, et
• l’absence presque totale de criminalité organisée.

Selon l’ONU, la Finlande est le pays le plus stable, le plus sécuritaire et le mieux gouverné sur Terre.

Le taux d’alphabétisation y est très élevé et l’enseignement universitaire y est gratuit.

C’est un des pays les plus taxés au monde mais où les contribuables sont les plus convaincus d’en avoir pour leur argent.

Références :
Famine en Finlande de 1866-1868
Finlande
Finland is the happiest country in the world, says UN report
Safe, happy and free: does Finland have all the answers?
World Happiness Report 2018

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