Droit international et géopolitique (deuxième partie)

2 février 2024

Le droit des pays à la légitime défense

L’article 51 de la Charte des Nations Unies établit “…[le] droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée.”

Aucun autre article de cette charte ne vient nuancer l’article 51. Est-ce à dire que ce droit est absolu ?

Plus précisément, peut-on invoquer la légitime défense pour massacrer tous les hommes d’un village après que l’un d’entre eux ait fait dérailler un des trains qui ravitaillent l’armée d’occupation ? En corolaire, peut-on dire que tous les films glorifiant la Résistance française font l’apologie du terrorisme ?

Les résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies font aussi partie du Droit international. Elles ont le même poids juridique que les articles de la Charte de l’Onu.

En 1960, l’Onu a adopté sans opposition la résolution 1514. Intitulée ‘Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux’, cette résolution s’adresse à tous les peuples colonisés ou subissant une occupation militaire.

Entre autres, cette résolution déclare :

Des mesures immédiates [doivent être] prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires […] conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés […] afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes.

Dix ans plus tard, la résolution 2621 est adoptée. Celle-ci stipule :

[L’assemblée générale de l’Onu] réaffirme le droit inhérent des peuples coloniaux de lutter, par tous les moyens nécessaires dont ils peuvent disposer, contre les puissances qui répriment leur aspiration à la liberté et à l’indépendance.

Ce qui signifie que l’utilisation de la violence armée est légitime et conforme au Droit international lorsqu’elle sert à lutter contre l’oppression d’une puissance étrangère. Du moment que cette lutte respecte les règles humanitaires du droit de la guerre.

Du strict point de vue du Droit international, le droit de se défendre appartient aux peuples opprimés et non à leurs oppresseurs. Sinon, cela équivaudrait à interdire toute opposition à la prédation des puissances colonisatrices.

Celles-ci peuvent bien répliquer aux attaques qu’elles subissent, mais elles ne peuvent le faire en invoquant le Droit international.

Les résolutions ci-dessus rejoignent, avec plus de 150 ans de retard, la Déclaration des droits de la personne et du citoyen de 1798, adoptée à la Révolution française. Son article 2 proclame le droit à la résistance à l’oppression.

Références :
Charte des Nations Unies
Israël et ses alliés au mépris du droit des peuples
Résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations unies
Résolution 2021 de l’Assemblée générale des Nations unies

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Droit international et géopolitique (première partie)

23 janvier 2024

La portée limitée du droit international

Ce qui fait que les lois adoptées par nos gouvernements sont généralement respectées, c’est que l’État possède un certain nombre de pouvoirs répressifs — la police, les tribunaux et les prisons — destinés à punir les contrevenants.

Sans le recours à ces moyens répressifs, ce serait l’anarchie.

Mais à la différence de nos gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral, aucune instance supranationale ne possède de moyen répressif destiné à faire respecter sa volonté.

Jusqu’à la création de la Cour pénale internationale (CPI), les crimes de guerre étaient jugés à l’issue du conflit par des tribunaux temporaires mis sur pied par les vainqueurs.

La CPI est née en 2002 de la ratification d’un traité appelé Statut de Rome. Ce tribunal ne juge pas les pays ni les gouvernements; seuls des dirigeants politiques ou militaires sont sommés d’y apparaitre.

Étendue de l’autorité de la Cour pénale internationale

Pour être inculpé, l’accusé doit remplir l’une ou l’autre des conditions suivantes :
• être citoyen d’un État qui a ratifié le traité, ou
• avoir commis son crime sur le territoire d’un État membre, ou
• avoir été référé par le Conseil de sécurité de l’Onu (où les États-Unis et la Russie ont droit de véto).

De plus, la CPI fonctionne sur le principe de la complémentarité. Si un État signataire s’acquitte de sa responsabilité de punir lui-même ses ressortissants coupables de crimes de guerre, la CPI ne s’en mêle pas.

Le cas des crimes de guerre commis dans le Sud global

Quand un pays a été le théâtre d’une guerre civile, par exemple, il est rare que ce pays ait envie de raviver de vieilles plaies en inculpant ceux qui l’ont perdue.

En effet, la réconciliation nationale passe plus souvent par le pardon que par la justice vengeresse.

Voilà pourquoi, dans le cas de chefs d’État, ceux-ci ne sont convoqués devant la CPI qu’après avoir perdu le pouvoir et lorsque leurs successeurs ont profité d’un mandat international pour se débarrasser d’eux.

Voilà pourquoi, la CPI n’a condamné que du menu fretin jusqu’ici.

Le cas américain

Les deux plus importants crimes de guerre de toute l’histoire de l’Humanité ont été commis par les États-Unis à Hiroshima et à Nagasaki. Puisque le but de ces deux bombardements était de tuer le maximum de civils japonais.

Mais ces deux crimes de guerre — à mon avis justifiés — n’ont jamais été sanctionnés par la CPI parce qu’antérieurs à sa création.

À la prison de Guantánano, quand les États-Unis ont décidé de violer la Convention contre la torture, ni G.W. Bush ni Donald Rumsfeld n’ont été inculpés à titre de criminels de guerre parce qu’ils sont citoyens d’un pays qui n’a pas ratifié le Statut de Rome et que leurs crimes ont été commis dans une prison en territoire américain (même si elle est située sur l’ile de Cuba).

Le cas russe

L’Ukraine a ratifié le Statut de Rome. Ce qui signifie que même si la Russie ne l’a pas fait, les gestes posés par l’armée russe en Ukraine relèvent de l’autorité de la CPI.

Malgré un mandat d’arrêt émis en mars 2023 par la CPI contre Vladimir Poutine, ce dernier n’a pas été arrêté dans son pays parce que, pour ce faire, il aurait fallu sa collaboration.

D’autre part, il n’a pas été arrêté non plus lors de son voyage au Moyen-Orient en décembre dernier parce qu’il n’a mis les pieds que dans des pays qui ne reconnaissent pas l’autorité de la CPI.

De plus, son avion était escorté par quatre bombardiers Su-35 afin d’éviter qu’il soit intercepté et détourné par l’Otan.

Quant à l’idée d’abattre son avion en vol, personne à l’Otan ne peut certifier que le successeur du président russe serait plus acceptable aux yeux des pays occidentaux que Poutine.

Le cas israélien

L’initiative sud-africaine d’accuser Israël pour crimes de guerre commis dans la bande de Gaza sera intéressante à suivre. Toutefois, il est à noter que cette plainte a été portée devant la Cour internationale de justice (CIJ) et non la Cour pénale internationale (CPI).

La première est un tribunal de l’Onu (donc financée par elle), alors que la CPI est un tribunal indépendant de l’Onu qui est financé par les États membres du Statut de Rome.

De plus, la CIJ s’adresse aux États (ou aux entités étatiques comme l’Autorité palestinienne). Son but est de régler pacifiquement des différends internationaux par le moyen, entre autres, de la négociation, de la médiation, de la conciliation, et de l’arbitrage.

Pour sa part, la CPI mène enquête et juge des personnes accusées d’avoir commis des crimes internationaux tels que génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes d’agression. Son but est d’empêcher l’impunité des auteurs de ces crimes afin que ceux-ci ne soient plus jamais commis.

Les États-Unis ont le pouvoir de facto de bloquer autant la CIJ que la CPI.

Rappelons qu’en septembre 2020, sous la présidence de Donald Trump, la procureure de la CPI et l’un de ses subordonnés ont été inscrits sur une liste noire américaine bloquant leurs avoirs et leur interdisant l’entrée sur le territoire américain (sauf pour New York qui dispose d’un statut spécial en raison de la présence des Nations Unies dans cette ville).

De plus, on ne voit pas comment la CIJ pourrait enquêter dans la bande Gaza si Israël interdit à ses procureurs d’y entrer.

Jusqu’ici, 83 journalistes et artisans des médias ont été tués dans la bande de Gaza. Vingt-cinq autres ont été emprisonnés. Ce n’est pas pour rien que l’armée israélienne a systématiquement assassiné les journalistes qui y œuvraient; c’est pour les empêcher de documenter comment elle y a guerroyé.

Un droit ‘facultatif’

En 2004, la CIJ a eu à se prononcer sur la légalité de l’édification d’un mur entre Israël et la Cisjordanie. Le long de ses 700 km, ce mur empiète à 80 % dans le territoire cisjordanien. Et ce, afin d’englober des colonies juives (ce qui n’est pas le cas du mur qui encercle la bande de Gaza).

Dans le cas du mur en Cisjordanie, la CIJ en est venue à la conclusion que la construction du mur, en raison de son tracé, était contraire au droit international.

Ce qui n’a pas empêché Israël d’ignorer ce jugement et de poursuite la construction de ce mur pendant plus d’une décennie sans en modifier substantiellement le tracé prévu, sinon pour englober de nouvelles colonies israéliennes.

Dans les faits, la soumission au droit international est facultative; on le respecte lorsque cela fait son affaire et on le viole lorsqu’il ne convient plus (comme le prouve également l’exemple américain au sujet du traité contre la torture).

Toutefois, lorsqu’un pays viole ce droit ‘facultatif’, il court un risque; celui qu’un pays beaucoup plus puissant saisisse le prétexte de cette violation pour faire adopter par l’Onu une résolution qui l’autorise à utiliser la force contre le pays contrevenant.

Mais qu’arrive-t-il quand l’Assemblée générale de l’Onu refuse d’autoriser une guerre punitive ?

Pour répondre à cette question, prenons le cas de la guerre en Irak.

En 2003, Washington aurait préféré obtenir de l’Onu une résolution habilitante pour justifier son invasion de ce pays.

Mais après l’échec du secrétaire américain à la Défense (Colin Powell) à convaincre les pays membres de l’Onu que ce pays possédait des armes de destruction massive, les États-Unis ont fait à leur tête; ils ont envahi illégalement l’Irak… pour finalement avouer qu’ils étaient incapables de trouver les armes de destruction massive qui justifiaient leur invasion.

Selon Wikipédia, cette guerre aurait fait entre cent-mille et deux-millions de morts.

En réalité, celle-ci n’était qu’un prétexte visant à renverser le régime de Saddam Hussain et ainsi permettre au pétrole irakien (jusque-là sous embargo) de couler librement sur les marchés internationaux afin d’en réduire le prix.

À suivre…

Références :
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
Cour internationale de justice, Cour pénale internationale… comment fonctionne la justice internationale ?
Cour pénale internationale
Journalist casualties in the Israel-Gaza war
Guantánamo : dix ans de honte
La torture par les États-Unis : un crime de guerre impuni
Poutine escorté par des Su-35 : son voyage dans le Golfe, une démonstration de force

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Garçon de 10 ans : trois mois de probation pour avoir uriné dans un stationnement

15 décembre 2023
Me Carlos Moore, le ‘malfaiteur’ et sa mère

Senatobia est une ville de 8 165 habitants située au Mississippi.

Les deux principaux groupes ethniques y sont les ‘Blancs’ (qui forment 53,5 % de la population) et les personnes à la peau naturellement très pigmentée (qui forment 40,3 % des Sénatobiens).

Le 10 aout 2023 fut une journée ensoleillée et chaude (sans être caniculaire). Ce jour-là, Mme LaTonya Eason avait rendez-vous avec son avocat.

Plutôt que demander à son fils de patienter dans la salle d’attente de ce professionnel (où il se serait royalement ennuyé), Mme Eason lui a plutôt demandé de l’attendre dans la voiture avec ordre de ne pas s’en éloigner.

Alors que l’envie d’uriner lui prend, l’enfant décide de faire pipi à côté de la voiture, derrière sa porte entrouverte.

Mais dans cette ville (tout comme à Montréal), il est défendu d’uriner sur la voie publique. À Senatobia, ce méfait est passible d’une amende de 500$US ou, dans le cas d’un adulte, d’une peine d’emprisonnement maximal de six mois.

Il n’existe probablement aucune personne de sexe masculin au monde qui n’ait, au moins une fois dans sa vie, uriné ailleurs que dans un cabinet d’aisances.

Lorsque le législateur interdit un méfait commis occasionnellement par tout le monde, il s’en remet au bon jugement des policiers pour ne sévir qu’à l’égard de ceux qui ont satisfait leurs besoins naturels d’une manière qui est socialement inacceptable (à la limite de la grossière indécence, par exemple).

Dans ce cas-ci, une policière avait aperçu l’enfant, s’était approchée de lui pour le gronder et s’apprêtait à quitter les lieux sans sévir quand quatre patrouilleurs sont arrivés en renfort.

Or ces derniers ont plutôt décidé de procéder à l’arrestation de l’enfant (sans le menotter) et, une fois arrivés au poste, de l’emprisonner brièvement.

Précisions que parmi les quatre policiers arrivés en renfort, celui qui a pris la décision d’arrêter l’enfant a depuis été congédié par le service de police de Senatobia.

Accusé en Cour juvénile, le garçon a été condamné hier (par un juge ‘Blanc’) à trois mois de probation. Ce qui lui évite d’avoir un casier judiciaire.

Références :
A 10-Year-Old Mississippi Boy Was Arrested for Urinating in Public. His Lawyer Says Race Played a Role
Pipi en public en attendant sa mère: un jeune garçon s’évite un casier judiciaire
Senatobia
What Happened to a 10-Year-Old Black Boy Arrested for Urinating in a Parking Lot?

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Bilinguisme des magistrats : la capitulation du ministre Simon Jolin-Barrette

9 décembre 2023

Introduction

De 2016 à tout récemment, Me Julie Rondeau était juge en chef de la Cour du Québec. À ce titre, c’est elle qui coordonnait et répartissait le travail des juges en plus de voir à l’allocation des ressources afin d’assurer la bonne marche de la justice sous son autorité.

En janvier 2022, elle ordonnait une grève du zèle des magistrats en chambre criminelle, c’est-à-dire des juges qui président aux procès intentés en vertu du Code criminel canadien.

Jusque là, ceux-ci siégeaient deux jours sur trois, l’autre étant consacré à la rédaction de leurs décisions. La directive de la juge Rondeau, c’était de ne siéger que la moitié du temps, une mesure destinée à accentuer la thrombose judiciaire actuelle.

Signalons qu’ailleurs au Canada, les juges des Cours criminelles siègent 80 % du temps.

La juge Rondeau voulait ainsi forcer le gouvernement de la CAQ à nommer davantage de juges bilingues.

Dans un premier temps, le ministre de la Justice et la juge Rondeau en sont arrivés à une entente provisoire où les juges siégeaient un peu plus souvent en contrepartie de quelques juges bilingues de plus.

L’aplatissement du ministre

Plus tôt cette semaine, on apprenait que le ministre de la Justice et le nouveau juge en chef de la Cour du Québec avaient résolu définitivement leur conflit quant à l’exigence du bilinguisme chez les candidats à la fonction de juge.

À sa sortie de l’Assemblée nationale, le ministre déclarait triomphalement :

[Cette entente] vient garantir que n’importe quel avocat ou notaire qui va accéder à la magistrature n’est pas obligé de maitriser la langue anglaise. Donc, la langue anglaise ne constitue pas une barrière pour être juge.

Vraiment ?

En l’an 2000, dans tout le Québec, un seul appel de candidature au poste de magistrat exigeait la connaissance de l’anglais. Un seul dans tout le Québec.

De manière générale, l’exigence du bilinguisme était rare avant l’accession au pouvoir du gouvernement libéral de Jean Charest en 2003. Cette exigence s’est généralisée avec le retour de ce parti au pouvoir en 2014 sous la direction de Philippe Couillard.

Si bien que de nos jours, la proportion de juges bilingues au Québec atteint 87,9 %.

En vertu de cette nouvelle entente, 90 % des juges devront obligatoirement maitriser la langue de Shakespeare dans tous les tribunaux montréalais relevant de la Cour du Québec, tant en chambre criminelle et pénale qu’en chambre de la jeunesse et en chambre civile.
 

 
Cette entente est une capitulation du ministre puisqu’elle pérennise définitivement la bilinguisation à outrance du système judiciaire québécois instaurée par le Parti libéral du Québec.

En plus de la région métropolitaine, les régions les plus nordiques du Québec faisaient partie du litige. Dans ces régions, les Inuits (autrefois connus sous l’appellation d’Eskimos) ont l’anglais comme langue seconde puisqu’ils n’ont connu que la colonisation anglaise.

Ce que les peuples autochtones réclament, ce n’est pas qu’on leur accorde l’immense privilège de pouvoir s’adresser à la Cour dans la langue de leur colonisateur anglais, mais le droit de témoigner dans leur langue maternelle. Ce qui permettrait aux enfants (généralement unilingues) d’être entendus.

À défaut de nommer des avocats autochtones à la magistrature, la solution de rechange la plus appropriée est de permettre aux Inuits de s’adresser à la Cour par l’intermédiaire d’un traducteur. C’est probablement ce qui se fait déjà.

Conséquemment, la langue du juge n’a pas d’importance. Ce qui compte, ce sont les langues parlées par les traducteurs.

Or parmi les centaines de Québécois qui travaillent dans ces régions, il est impossible qu’il n’y en ait aucun qui soit apte à traduire du français à l’inuktitut (la langue des Inuits) et vice-versa.

L’objectif des juges ultra-fédéralistes de la Cour du Québec, ce n’est pas de faciliter l’accès des Inuits à la Justice, mais de poursuivre l’assimilation anglaise des Autochtones à laquelle Ottawa travaille depuis le milieu du XIXe siècle.

Une violation de l’esprit de la Loi 101

La bilinguisation mur-à-mur des milieux de travail sous le prétexte que cela est plus simple pour les gestionnaires de personnel est précisément ce que voulait interdire la version originelle de la Loi 101, celle adoptée par le Parti Québécois.

Il est difficile d’imaginer que le ministre de la Justice, avocat de formation, ait pu s’entendre avec le juge en chef de la Cour du Québec pour violer le texte de la Loi 101.

On doit donc présumer que leur accord est compatible avec ce qui reste de la Loi 101 (adoptée en 1977), après que des pans entiers eurent été invalidés par la Canadian Constitution (adoptée en 1982 justement en réaction à la Loi 101).

La langue des procédures criminelles

Les deux branches du droit canadien sont le droit civil et le droit criminel. Le premier vise à régler des conflits entre des particuliers alors que le second vise à punir des comportements antisociaux.

C’est le parlement canadien qui légifère en matière criminelle alors que c’est l’Assemblée nationale du Québec qui légifère en matière civile.

L’article 133 du British North America Act (adopté par Londres en 1867) autorise les témoins, les avocats et les juges à s’exprimer dans la langue de leur choix au cours des procès criminels qui se déroulent au Québec.

La version anglaise de cet article (la seule version officielle) se lit comme suit :

Either the English or the French language […] may be used by any person or in any pleading or process in or issuing from […] any of the courts of Quebec.

Une des règles d’interprétation des lois est que le législateur ne parle pas pour rien. Donc même si, strictement parlant, l’article 133 consacre le droit du juge de parler sa langue à lui, puisque cet article permet à l’accusé de s’exprimer dans une autre langue, il va de soi que le juge doit être capable de comprendre ce qu’il dit. Directement ou par le biais d’un interprète.

Dans son domaine de compétence constitutionnelle, le gouvernement canadien a accordé en 1985 à chaque personne accusée en vertu du droit criminel (peu importe la province), le droit d’être jugé par un magistrat qui parle sa langue (s’il s’agit d’une des deux langues officielles du pays).

Contrairement à ce qu’on dit souvent, l’article 530 du Code criminel canadien n’oblige pas le plaidoyer des avocats ni la décision du tribunal d’être dans la langue de l’accusé : tout ce qui est exigé, c’est que dans les causes criminelles, le juge ‘parle’ la langue de l’accusé. Rien n’exige de lui qu’il ait une connaissance avancée de cette langue. Il n’est même pas nécessaire qu’il sache l’écrire.

À part le Nouveau-Brunswick (qui est un cas particulier), aucune province anglophone n’a cru bon bilinguiser sa magistrature mur-à-mur au cas où un accusé francophone se pointerait quelque part à demander un procès dans sa langue.

Au Canada anglais, si l’accusé exprime sa préférence d’être jugé en français au moment de sa comparution, le magistrat qui reçoit cette demande réfère la cause à un collègue qui en est capable si lui ne le peut pas.

Au Québec, la juge en chef de la Cour du Québec (de qui dépendent, entre autres, toutes les chambres criminelles) a préféré exiger le bilinguisme de tous les juges sous son autorité. Ce qui est plus simple pour elle car cela lui permet d’attribuer paresseusement les causes au hasard puisque tous ses magistrats possèdent les compétences requises, tant en anglais qu’en français.

Malheureusement, cela est contraire à l’esprit de la Loi 101. Pour la Charte de la langue française, l’exigence du bilinguisme ne se justifie que lorsque cela est nécessaire. Et non quand c’est simplement plus commode pour l’employeur.

La langue des procédures civiles

Contrairement à ce qu’on pense, dans les causes civiles (et non criminelles), il n’existe pas au Canada de droit constitutionnel d’être jugé dans sa langue ailleurs qu’au Nouveau-Brunswick.

En 2013, la Cour suprême du Canada a reconnu le droit des tribunaux de Colombie-Britannique d’exiger la traduction anglaise de tous les documents en français qui leur sont soumis à titre de preuves.

Dans son jugement, le plus haut tribunal du pays écrit :

La Charte [canadienne des droits et libertés] n’oblige aucune province, sauf le Nouveau-Brunswick, à assurer le déroulement des instances judiciaires dans les deux langues officielles. Elle reconnait l’importance non seulement des droits linguistiques, mais aussi du respect des pouvoirs constitutionnels des provinces.
[…]
[Or] les provinces ont le pouvoir constitutionnel de légiférer sur la langue utilisée devant leurs tribunaux, un pouvoir qui découle de leur compétence en matière d’administration de la justice.

La législature de la Colombie-Britannique a exercé ce pouvoir [en prescrivant] le déroulement des procès civils en anglais, [ce qui vaut] aussi pour les pièces jointes aux affidavits déposés dans le cadre de ces instances.
[…]
Il n’est donc pas contraire à la Charte [canadienne des droits et libertés] que la législature de la Colombie-Britannique décide que les instances judiciaires se déroulent uniquement en langue anglaise dans cette province.

En effet, les rédacteurs de la constitution canadienne auraient pu décider de consacrer explicitement le droit fondamental d’être jugé dans sa langue, même dans les causes civiles. Ils ont préféré s’en abstenir, s’en remettant plutôt au pouvoir discrétionnaire des provinces.

C’est ainsi que depuis son accession à la magistrature québécoise (grâce à Ottawa), la juge fédérale Karen Kear-Jodoin rend presque tous ses jugements dans sa langue maternelle, l’anglais.

Elle le fait même dans les causes où tous les avocats et tous les témoins se sont exprimés en français, et lorsque tous les documents soumis en preuve sont rédigés dans la langue de Molière.

Étant donné qu’il est légal au Québec de rendre justice en anglais dans des causes où l’accusé est unilingue français — l’inverse ferait scandale au Canada anglais — et puisque même la Loi 101 n’y peut rien, il faut recourir à des moyens plus efficaces pour s’opposer à la bilinguisation à outrance de la Justice québécoise.

La solution ultime

Pour aller au-delà de la Loi 101 — qui est déjà en elle-même une loi supra-législative — il faut que le législateur précise sa volonté dans la Constitution du Québec.

Contrairement à la Canadian Constitution de 1982, celle du Québec peut être amendée par un vote des deux tiers des députés de l’Assemblée nationale, ce qui lui confère une faculté d’adaptation face à l’avenir dont la Canadian constitution de 1982 est incapable.

Notre constitution devrait statuer que dans toutes les causes civiles, la Justice devrait être rendue au Québec en français. Comme elle l’est en anglais dans toutes les autres provinces du pays (sauf le Nouveau-Brunswick).

Ce qui signifie qu’elle doit accorder aux juges le pouvoir d’exiger la traduction française de tout document soumis dans une autre langue. Comme la Colombie-Britannique exige déjà la traduction anglaise des documents soumis à ses tribunaux.

De plus, à l’issue des causes civiles, tous les jugements devraient être rendus en français (sauf évidemment les passages où sont citées des lois ou de la jurisprudence en anglais). Pourquoi ? Grâce à l’Intelligence artificielle, la traduction effectuée par Google Translation dépassera bientôt en qualité et en exactitude celle de n’importe quel traducteur professionnel.

Et surtout, le Québec devrait étendre le droit de témoigner dans sa langue à chacun des onze peuples autochtones du Québec… quand il s’agit d’une cause civile. Pour ce faire, il suffira à l’accusé, au moment de sa comparution, d’exprimer sa préférence et le système judiciaire fera appel à sa banque de traducteurs pour assurer à l’accusé le droit de témoigner dans sa langue et de comprendre ce qui se passe grâce à la ‘traduction simultanée’ qui lui est offerte.

Conclusion politique

Puisque l’immigration massive voulue par Ottawa au cours des prochaines années représente un péril mortel pour le Québec, on peut s’étonner que seuls 19 % d’entre nous jugent que François Legault devrait s’attaquer en priorité au déclin du français.

En réalité, c’est beaucoup.

Quand la majorité des Québécois peinent à boucler leur budget, quand un Québécois sur dix fréquente les banques alimentaires, quand des millions de locataires craignent d’être victimes d’une rénoviction, quand un nombre record de dix-mille sans-abris (dont trois-mille femmes) couchent çà et là dans nos villes, quand le tambour de la guerre résonne partout, il est extraordinaire qu’il y ait encore des gens pour se soucier du péril abstrait que représente l’extinction du peuple francoQuébécois.

Toutefois, ce modeste 19 % pourrait faire la différence entre la réélection de la CAQ et l’élection d’un nouveau gouvernement péquiste.

Si le premier ministre veut un troisième mandat, il faudra qu’il nous donne des raisons de voter pour lui. Or personne ne pouvait prévoir la capitulation honteuse de celui qui était perçu jusque-là comme le chef de l’aile nationaliste de la CAQ.

L’entente intervenue entre le ministre Simon Jolin-Barrette et le juge en chef de la Cour du Québec est en dessous de tout; cette entente pérennise la bilinguisation à outrance de l’appareil judiciaire québécois voulue par le régime hyperfédéraliste de Philippe Couillard.

Dans le contexte actuel, le message de la CAQ est le suivant; ne comptez pas sur nous pour assurer la survie du français au Québec. Si cette survie vous préoccupe, votez péquiste !

Références :
Bilinguisme chez les juges : le ministre de la Justice et la Cour du Québec s’entendent
Bilinguisme chez les juges: Québec essuie un nouveau revers face à la juge Rondeau
Être condamné dans une langue qu’on ne comprend pas
La juge en chef remporte la première manche contre Québec
L’esprit de caste de la juge Lucie Rondeau
Multiplication des postes de juges bilingues depuis 15 ans au Québec
Réforme de la juge Rondeau : 9000 causes criminelles en péril, selon Québec

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La judiciarisation extrême

29 août 2023

Introduction

Pour qu’un ‘crime’ le soit au sens juridique, il faut qu’il constitue une infraction au Code criminel. Or c’est le législateur qui en décide. Pas le Conseil des ministres. Pas le gouvernement. Mais plutôt le parlement lorsqu’il se transforme en législateur en adoptant des lois.

Et ce sont les pouvoirs répressifs de l’État — les forces de l’ordre, les tribunaux et les prisons — qui sont chargés de faire respecter la volonté du législateur.

Il n’y a pas que les meurtres qui sont des infractions au Code criminel; la possession simple de cannabis, par exemple, était une offense criminelle… jusqu’à ce qu’elle soit décriminalisée par le parlement canadien.

N’importe qui peut s’adresser aux tribunaux civils. Toutefois, le pouvoir d’entamer des poursuites criminelles appartient exclusivement à la DPCP (la Direction des poursuites criminelles et pénales) au Québec et à un organisme similaire au fédéral.

Jouissant d’une totale autonomie, la DPCP est composée d’avocats. Son rôle est de recevoir les preuves jugées irréfutables par la police et d’estimer s’il est approprié de saisir les tribunaux à ce sujet.

Mais dans l’exercice de ses fonctions, il arrive que la DPCP manque grossièrement de jugement. En voici un exemple.

Le cas

On appelle ‘voie de fait’, toute violence légère commise à l’encontre d’une personne sans provoquer de lésion corporelle. Elle désigne un comportement ou un acte portant atteinte aux droits de la personne.

Le 14 juin dernier, un garçon de 12 ans a été acquitté de l’accusation de voie de fait portée contre lui par la DPCP parce qu’il avait chatouillé sa demi-sœur alors qu’ils regardaient un film.

Cet acquittement est connu du grand public deux mois et demi plus tard grâce à une révélation du quotidien La Presse.

La preuve soumise à la Cour a démontré que la fillette de 11 ans n’avait pas consenti à être chatouillée par son demi-frère âgé d’un an de plus et donc, techniquement, que ce dernier avait utilisé sa force enfantine pour prévaloir.

Le fond de l’histoire est simple. Nés d’un même père, les deux enfants sont de mères différentes. Or les deux femmes se détestent.

Six semaines après le ‘crime’, la mère de la fillette a convaincu cette dernière de porter plainte auprès de la police.

Invoquant la violence et l’absence de consentement, la mère a harcelé les policiers jusqu’à ce que ceux-ci, de guerre lasse, finissent par porter plainte auprès de la DPCP.

Le monopole dont jouit la DPCP vise à protéger le système judiciaire des plaintes futiles susceptibles de monopoliser les ressources limitées des tribunaux et de les paralyser.

Parce que les procureurs de la DPCP et les avocats pigistes à qui ils délèguent certains de leurs dossiers gagnent plus de 200$ de l’heure, on s’attend à ce que ces professionnels fassent preuve de discernement.

Pour justifier sa décision d’aller de l’avant, l’avocate de la DPCP invoque le fait que la preuve était irréfutable.

Effectivement, le garçon admettait lui-même avoir donné des petits coups avec ses mains sur les cuisses de sa demi-sœur assise à côté de lui même après que celle-ci lui ait demandé d’arrêter.

Selon certaines études féministes, regarder avec insistance une femme ou l’inviter au restaurant une deuxième fois après avoir essuyé un refus, cela constitue de la violence sexuelle.

À plus forte raison, selon l’avocate de la DPCP, lorsqu’un enfant de 12 ans touche les cuisses de sa demi-sœur de 11 ans sans son consentement, cela constitue une violence inacceptable qui justifie une accusation criminelle.

On reste donc sans voix devant la décision stupide de l’avocate Béatrice Fecteau de judiciariser, au nom de la DPCP, les taquineries (c’est le mot utilisé par la magistrate) entre les deux enfants.

De plus, même je suis entièrement d’accord avec la juge Geneviève Marchand — la seule adulte sensée dans cette affaire — je ne m’explique pas pourquoi cette magistrate n’a pas rendu sa décision séance tenante. En d’autres mots, pourquoi a-t-elle cru bon prendre cette cause en délibéré afin de rédiger son jugement de six pages ?

Conclusion

Je suis exaspéré de voir qu’on abandonne les causes contre des assassins qui n’ont pas eu leur procès dans des délais raisonnables, alors :
• que la DPCP gaspille notre argent à tenter de criminaliser les taquineries enfantines,
• que les avocats s’en mettent plein les poches en multipliant les requêtes dilatoires,
• que les juges prennent des causes en délibéré alors qu’ils devraient rendre jugement séance tenante, et
• que la juge en chef de la Cour du Québec ordonne aux magistrats des causes criminelles de ne siéger qu’un jour sur deux alors qu’au Canada anglais, ils siègent quatre jours sur cinq.

Dans la constitution d’un Québec indépendant, on prendra soin de pallier les abus de monopole de la profession juridique en retirant à celle-ci le pouvoir de se sanctionner elle-même.

Références :
Décision de la juge Geneviève Marchand
Devant la justice à 12 ans pour avoir « achalé » sa demi-sœur
Doit-on fermer l’université Laval ?
L’esprit de caste de la juge Lucie Rondeau
Réforme de la juge Rondeau : 9000 causes criminelles en péril, selon Québec
Un garçon de 12 ans acquitté d’avoir « taquiné » sa demi-sœur

Compléments de lecture :
Les abus de procédure du ministère des Transports
Les familles Caïn et Abel
Les tribunaux et la vieille au déambulateur
MMA : Maudite justice de merde !

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les familles Caïn et Abel

18 mars 2023

Préambule

Voici l’histoire de deux familles voisines que nous appellerons les Caïn et les Abel.

La famille Caïn

À la fin des années 1980, lorsque les Caïn s’épousèrent, leur rêve était de s’aimer à jamais et de finir leurs jours entourés de la multitude de leurs petits enfants.

Le sort en décida autrement.

Leurs deux fils, de solides gaillards dotés d’un sale caractère, ne trouvèrent jamais de femmes capables de les endurer. Si bien que, devenus trentenaires, les fils Caïn vivent encore avec leurs parents.

Cliquez sur l’image pour l’agrandir

Il s’agit d’une maison unifamiliale à deux paliers (à gauche sur la photo) construite sur une rue paisible bordée d’une douzaine de maisons et située près de l’extrémité ouest de l’ile de Montréal.

Contrairement à la plupart de ses maisons voisines, celle-ci n’est pas dotée d’une piscine à l’arrière. Toutefois, elle est entourée de beaux arbres matures qui apportent une fraicheur bienvenue par temps de canicule.

Des douze maisons qui bordent la rue, neuf abritent des enfants. Ceux-ci se connaissent tous, s’invitent les uns les autres à des ‘pizza parties’ ou à se baigner dans la piscine.

La rue est tellement peu fréquentée que la municipalité n’a pas jugé bon la border de trottoirs.

Deux écoles primaires, une garderie et un parc se trouvent à proximité.

Pour le père Caïn et son épouse, il est impossible de prendre l’auto sans croiser des parents qui se rendent à l’école en tenant leur enfant par la main, d’autres qui, dans leur bras, amènent leur tout-petit à la garderie quand ce n’est pas ceux qui s’amusent avec les leurs au parc.

Chaque fois, il s’agit pour les parents Caïn d’un douloureux rappel que leur lignée s’éteindra un jour.

Plus jamais, la mère Caïn ne respirera l’odeur de la peau de bébé qu’on sort du bain. Plus jamais elle ne fera oublier un cauchemar à un enfant en blottissant son petit corps chaud et humide contre le sien. Plus jamais en le chatouillant, elle le fera cabrer vers l’arrière en riant.

En somme, pour les parents Caïn, jamais ils ne réaliseront leur rêve d’être entourés de leurs petits enfants émerveillés les jours de fête ou de les avoir à eux seuls lorsque les parents veulent prendre un peu de répit.

Un proverbe ancien veut que le bonheur des uns soit toujours offensant aux yeux des malheureux.

C’est ainsi qu’au fil des jours, des mois et des années, les rires et les cris des enfants du voisinage sont devenus de plus en plus insupportables aux oreilles des Caïn.

Le pire fut à l’occasion du confinement décrété au début de la pandémie au Covid-19.

Privés d’école, les enfants du coin jouaient du matin ou soir dans la rue sous l’œil bienveillant de leurs parents, bien installés dans leurs chaises pliantes.

Depuis, les Caïn n’ont pas cessé de porter plainte à la police pour les nuisances qu’ils subissaient. Ces cris d’enfants qui les empêchaient de faire la sieste l’après-midi. Ces enfants qui violaient le Code de la route en jouant dans la rue. Etc.

Et puisque la police ne faisait rien, les Caïn ont décidé de prendre les grands moyens et de documenter leur cause; ils ont fait installer huit caméras de surveillance.

En mars et mai 2021, un des fils Caïn, Michael, en a installé quatre pour surveiller devant la maison familiale. Puis une autre sur le tableau de bord de chacune des voitures des parents Caïn. Une septième qui filme au travers de la vitre arrière de la voiture du père Caïn. Et la dernière, à haute résolution, sur son casque de moto.

De plus, Michael Caïn maintenait à jour un registre dans lequel il compilait les microagressions dont sa famille était victime. Chaque incident répertorié était complété de commentaires et d’opinions au sujet des voisins qui les persécutaient.

Quand les cris devenaient insupportables, les parents Caïn fermaient leurs fenêtres et démarraient le climatiseur… à défaut de passer l’aspirateur. Lorsqu’il était dans sa chambre à l’étage, un des fils Caïn haussait le son de la musique heavy métal pour se calmer…

De tout le voisinage, le plus détestable était monsieur Abel. Marié au début de la trentaine, ce professeur aimait se promener par temps doux accompagné de ses deux fillettes, âgées respectivement de 2 et de 4 ans.

Leurs cheveux tombaient sur leurs épaules en d’amples boucles blondes qui faisaient penser aux volutes de fumée blanche qui s’élevaient vers le ciel quand Abel (le personnage biblique) offrait des sacrifices à Dieu.

Puisque la cadette de ses filles se fatiguait vide, au lieu d’aller au parc, la famille Abel préférait déambuler sur leur rue, devant leur maison et celle des Caïn. Comme pour le faire par exprès.

Évidemment, de la fenêtre en saillie de leur grande maison, madame Caïn pouvait toujours détourner le regard. Mais pour voir quoi ? Ses deux fils mal rasés effoirés devant le téléviseur du salon ?

La fête du 25 mars 2021


 
De tous les jours de mars 2021, le 25 fut le plus beau.

Mais pour les Caïn, ce fut le plus pénible. Un véritable enfer.

Dans son témoignage assermenté, Michael Caïn décrit le chaos et l’anarchie qui régnait ce jour-là. Les voisins avaient décidé de tenir une grosse fête d’enfants en pleine rue. Les jouets trainaient partout. Et les parents bloquaient la circulation.

Toutefois, les clips vidéos qu’il a soumis au tribunal montrent autre chose.

Ce jour-là, on célébrait l’anniversaire d’un des enfants du voisinage. Sur la chaussée, des jeunes avaient dessiné à la craie un gâteau orné du texte “Joyeux 5e anniversaire”.

Sur une table dressée devant une maison parée de ballons et de décorations brillantes, on avait disposé à volonté des croustilles, des biscuits, des petits gâteaux, des jus et de l’eau.

Un peu plus loin, une fillette de quatre ans s’amusait sur sa trottinette sous la surveillance de ses parents assis sur l’allée de leur entrée de garage. Une allée que la fillette avait décorée de dessins à la craie.

À quelques mètres, neuf enfants souriants, âgés de 2 à 8 ans, chevauchaient leurs vélos ou leurs trottinettes. Tous casqués.

Sous la surveillance de leurs parents, d’autres enfants déambulaient ou se tiraillaient amicalement en profitant de l’air frais de la banlieue.

Ici et là sur les terrains, les derniers tas de neige fondaient au soleil.

L’assaut du 25 mars 2021

Quand madame Caïn rentre chez elle ce jour-là au volant de sa voiture, il est 17h41. Au moment de tourner à l’embouchure de la rue dont il question jusqu’ici, une fillette a commencé à la traverser en trottinette.

La mère Caïn klaxonne et emprunte la rue sans ralentir.

Dès qu’elle avait vu la voiture tourner, la fillette s’était empressée en titubant de se déplacer pour la laisser passer. Ce qui ne l’a pas empêchée d’être frôlée de justesse par celle-ci.

Dans un monde mou où plus personne ne respecte rien, les Caïn se voyaient comme des promoteurs de la loi et de l’ordre. Incompris et persécutés par leur entourage.

C’est ainsi que lorsqu’ils quittent ou reviennent à leur domicile, les Caïn klaxonnent pour que ces petits mal élevés se tassent du chemin (qui n’est pas fait pour eux) et afin qu’ils aillent jouer sur leurs propriétés respectives (où ils seraient plus en sécurité).

Et pour motiver les parents à s’occuper de leur marmaille, ils rasent leurs enfants sans ralentir à la vitesse maximale permise.

En dépit des conflits, l’enseignement des Caïn porte ses fruits.

Ce jour-là, par exemple, les vidéos montrent les parents qui s’empressent d’ôter leurs enfants du chemin.

Une heure plus tard, le père Caïn arrive en voiture. À cette heure (18h46), il ne reste plus que quatre enfants et trois pères sur la rue.

Immédiatement, tous se déplacent pour le laisser passer.

Pendant qu’il les frôle à vitesse maximale, il est au téléphone avec son épouse. « Regarde-moi ça. Regarde-moi ça. Encore tous au milieu de la route !», peste-t-il.

Dès qu’il débarque de sa voiture, deux des pères se dirigent vers lui pour lui signifier de ralentir lorsqu’il passe près de leurs enfants.

Le père Caïn, rouge de colère, pointe un doigt accusateur vers monsieur Abel (qu’il a frôlé quelques secondes plus tôt). Ce dernier lui tend une main ouverte pour lui signifier de se calmer.

Le père Caïn lui crie : “La prochaine fois, je vais les frapper” et poursuit en affirmant que si jamais cela arrive, ce sera la faute des parents qui laissent leurs enfants jouer n’importe où.

Arrivé sur les lieux, l’autre fils Caïn pousse brusquement monsieur Abel. Ce dernier s’éloigne plutôt que de répliquer.

Pendant ce temps, l’autre frère Caïn (Michael) est dans la maison, en train d’appeler la police. Arrivés sur les lieux, les policiers ne procèdent à aucune arrestation et ne déposeront aucune plainte.

La menace de mort du 18 mai 2021

Entre le 25 mars et le 18 mai, les relations entre les Caïn et les Abel — qui n’ont jamais été bonnes — se sont détériorées.

Alors que monsieur Abel déambule devant la maison des Caïn, Michael Caïn effectue des réparations sur le perron. Dès que ce dernier aperçoit monsieur Abel, il l’insulte et, levant son marteau-piqueur comme s’il s’agissait d’une mitraillette, lui dit : “T’es un homme mort.”

Ce à quoi monsieur Abel répond : “Va te faire…”, tout en lui adressant un doigt d’honneur de main droite. À la suite de quoi, il déplace ce doigt d’honneur horizontalement vers sa droite d’un air méprisant. Comme pour dire : “Dégage !

Ce que confirme le clip vidéo soumis en preuve.

Mais Michael Caïn voit dans ce dernier geste un signe qui signifie ‘Je vais te trancher la gorge’. Il porte aussitôt plainte à la police pour menace de mort.

À l’issue de sa promenade, quand monsieur Abel entre chez lui, il est attendu par les policiers qui procèdent à son arrestation.

Prologue

En vertu du droit criminel, la Direction des poursuites criminelles et pénales (la DPCP) possède le pouvoir exclusif d’entreprendre des poursuites criminelles devant les tribunaux.

Elle le fait après avoir pris connaissance d’un rapport d’enquête accompagné d’une déclaration assermentée d’un policier affirmant qu’il a acquis la conviction profonde que la personne qu’il accuse est coupable du crime reproché.

Dans ce cas-ci, les policiers n’ont pas entendu la version contradictoire de monsieur Abel. Ils se sont basés exclusivement sur les accusations de Michael Caïn.

En réalité, les Caïn sont des ‘pisseux de vinaigre’ qui empoisonnent depuis des années l’existence des policiers du quartier par leurs plaintes répétées contre leurs voisins.

Entamer une cause à partir de leur témoignage sans trop chercher plus loin était une manière d’acheter la paix.

Évidemment, dans un monde parfait, ils ne devraient pas faire cela. Mais nous vivons dans un monde imparfait.

Lorsqu’ils transmettent une enquête bâclée à la DPCP, l’avocat chargé du dossier doit avoir suffisamment de discernement pour demander un supplément d’enquête. Ce qui ne fut pas fait.

Au tribunal, dès que Me Isabelle Major, procureure de la poursuite, entend le témoignage irréfutable de monsieur Abel, elle décide de ne pas le contre-interroger et invite elle-même le tribunal à l’acquitter de l’accusation qu’elle a portée contre lui.

Autrefois, n’importe quel juge aurait prononcé un non-lieu sur le banc et l’affaire se serait arrêtée là.

Mais, ces jours-ci, les juges s’ennuient.

En janvier 2022, Me Lucie Rondeau, juge en chef de la Cour du Québec, a donné l’ordre aux juges de n’entendre les causes qu’un jour sur deux, l’autre devant être consacré à la rédaction de leurs décisions.

En Ontario et en Colombie-Britannique, les juges en Chambre criminelle consacrent en moyenne une journée sur cinq à la rédaction de leurs jugements.

En somme, le juge Rondeau veut que les juges sous son autorité consacrent 50 % de leur temps à écrire leurs jugements, plutôt que 20 % comme c’est le cas ailleurs.

Par le moyen d’une thrombose judiciaire provoquée artificiellement, la juge Rondeau veut forcer le ministre de la Justice du Québec à nommer des juges bilingues, même lorsque la connaissance de l’anglais n’est pas justifiée.

Voilà pourquoi elle a décrété une grève du zèle.

Pour meubler son temps, l’honorable Dennis Galiatsatos a décidé de prendre cette cause en délibéré et de rédiger un document de 26 pages pour justifier un non-lieu. Du jamais-vu.

Alors évidemment, dans cette longue dissertation aussi intéressante qu’inutile, on peut y voir ce qu’on veut.

Piétons Québec y a vu une reconnaissance juridique du droit des enfants de jouer dans la rue. Ah bon.

Soulignant l’absence de condamnation du professeur Abel pour avoir adressé un doigt d’honneur — ce dont il n’était même pas accusé — un grand nombre de quotidiens à travers le monde ont vu dans cette décision une légalisation du droit d’offenser.

Et un auteur de blogue y a vu une occasion de parler des grandeurs et des misères de la vie de banlieue…

Références :
Décision du tribunal
Giving the middle finger is a ‘God-given right’, Canadian judge rules
L’esprit de caste de la juge Lucie Rondeau
Un doigt d’honneur mérité
Un juge défend le droit des enfants de jouer dans la rue

Paru depuis : Accusé après un doigt d’honneur: il réclame 117 000$ aux autorités et à son voisin (2023-08-29)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les abus de procédure du ministère des Transports

13 mars 2023

À plusieurs reprises sur ce bloque, j’ai accusé les avocats d’avoir transformé le système judiciaire en machine à sous au service de leur caste sociale.

Le quotidien La Presse nous en présente un exemple dans son édition d’aujourd’hui

Le 4 mars 2022, Brittany Ménard est au volant de sa Volkswagen neuve, achetée quelques heures plus tôt.

Mais voilà que sur l’autoroute 15, près de Saint-Jérôme, elle n’a pas le temps d’éviter un gros nid-de-poule aperçu au dernier instant alors qu’aucune signalisation ne prévient les automobilistes de sa présence.

L’impact est tel qu’un des pneus se fend, obligeant la conductrice à appeler une remorqueuse.

Le 16 février, soit seize jours plus tôt, un premier automobiliste avait prévenu le ministère des Transports de la présence du trou qui commençait à se former dans la chaussée.

Ce premier signalement n’a donné lieu à aucune mesure correctrice.

Le 28 mars, un deuxième automobiliste s’était plaint au ministère que sa voiture avait été endommagée lorsque le côté passager de sa voiture était tombé dans cette cavité.

Cette plainte n’a donné lieu, elle non plus, à aucune mesure correctrice.

Le 1er mars, sans avoir subi de dommage, un troisième conducteur signalait au ministère ce trou dangereux.

La veille de l’accident de Brittany Ménard, un quatrième conducteur avait communiqué avec le ministère pour rapporter que deux de ses pneus avaient crevé précisément à cet endroit.

Lorsqu’on consulte l’historique météorologique de la région montréalaise, on constate qu’il n’est tombé que 4,4 cm de neige durant tout le mois de février 2022.

Ce n’est donc pas comme si, entre le 16 février et le 4 mars, la région avait connu une succession de blizzards qui avaient empêché les ouvriers du ministère de combler de gravier le trou béant afin de réduire l’impact des chocs, à défaut de réparer la chaussée.

On n’a même pas jugé bon installer une signalisation destinée à avertir les conducteurs et prévenir les dommages sur leurs voitures.

Ce que le ministère économise en ouvriers, il préfère le dépenser en frais d’avocats pour contester les réclamations qu’il reçoit.

Dans un premier temps, la cour de première instance a condamné le ministère des Transports à rembourser à Brittany Ménard les frais de 449,55$ pour la réparation de son pneu.

À cette étape, les contribuables ont déjà payé le magistrat qui a entendu cette cause : celui-ci est payé environ un quart de million de dollars par année.

De son côté, l’avocat du ministère a été grassement payé pour préparer son argumentation (qui a échoué à convaincre le tribunal), pour aller en cour et pour plaider.

Mais plutôt que de respecter cette condamnation, les avocats du ministère ont préféré porter la cause en appel.

À la Cour du Québec, la juge Chantale Massé a refusé la demande de l’avocat du Ministère de reporter l’audience de la cause.

Il faut savoir que les nombreux moyens juridiques qui permettent aux avocats de faire trainer une cause en longueur sont autant d’occasions d’enrichissement pour leur caste sociale puisqu’à chaque fois où ils se déplacent inutilement, les juges et les avocats sont payés pareil.

À juste titre, la magistrate a estimé que le contentieux du ministère des Transports possédait suffisamment d’avocats pour qu’un collègue soit capable de prendre la relève, même à la dernière minute, compte tenu de l’absence de complexité de cette cause.

Jusqu’ici, les contribuables ont probablement dépensé des dizaines de milliers de dollars en frais juridiques pour rémunérer deux juges, des greffiers, les sténodactylos qui transcrivent tout ce qui se dit au tribunal et des gardes de sécurité qui y assurent l’ordre.

Mais ce n’est pas assez; on peut toujours extraire quelques gouttes de plus d’un citron pressé.

Plutôt de que payer les 449,55$ que mérite amplement la plaignante, voilà que les avocats du ministère ont décidé de porter en appel cette deuxième condamnation sous le prétexte que la deuxième juge a osé refuser leur demande frivole de reporter la cause.

Comme s’ils ignoraient que les tribunaux sont déjà engorgés.

À quand des tribunaux populaires présidés par des citoyens élus, des tribunaux qui auraient le pouvoir de régler des conflits mineurs et imposer des petites amendes ?

Références :
Le MTQ heurte un nid-de-poule
Repenser les tribunaux

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le briquet et l’essence

16 février 2023

L’affaire Tigana Mbidi Kiata

Le 14 octobre 2020, peu après 16h30, une ainée de 82 ans effectuait sa promenade quotidienne quand elle fut heurtée mortellement par une voiture qui roulait à environ 80 km/h sur le trottoir.

L’accident est survenu dans l’arrondissement de Saint-Léonard, plus précisément dans une zone de 30 km/h en raison de la proximité d’une école primaire.

La voiture a d’abord frôlé deux piétons, puis est montée sur le trottoir pour ensuite percuter la victime et finalement s’écraser contre un arbre.

Même si son véhicule est une perte totale, le chauffard n’a pas été blessé en raison de sa ceinture de sécurité et de son sac gonflable.

Défendu par l’aide juridique, le chauffard a été accusé de conduite dangereuse ayant causé la mort.

L’accusé travaillait cinquante heures par semaine. L’accident est survenu après une journée de douze heures commencée à 4h du matin.

Après l’accident, l’accusé s’est endormi sur le siège arrière de la voiture de police qui le conduisait au poste pour interrogation.

Lors de son témoignage, l’accusé a affirmé n’avoir conservé aucun souvenir des instants qui ont précédé la collision.

À l’issue récente du procès, la juge Dominique-B. Joly de la Cour du Québec a estimé qu’elle était en présence d’un cas de perte momentanée de contrôle inexpliquée. Du coup, elle a déclaré l’accusé non coupable.

La clé de l’énigme

L’explication de cette perte de contrôle se trouve dans le témoignage des policiers; l’accusé s’est endormi sur le siège arrière de leur autopatrouille.

Même si l’accusé a témoigné sous serment qu’il n’était pas fatigué du tout pendant qu’il conduisait, on doit se poser la question suivante : comment un assisté social (puisqu’il avait droit à l’aide juridique) peut-il s’endormir après avoir subi la perte totale de sa voiture et après avoir tué quelqu’un ?

La réponse est simple; parce qu’il était épuisé. Et parce qu’épuisé, il s’est endormi au volant.

La médiocrité des juges libéraux

L’avocate Dominique-B. Joly a accédé à la magistrature en 2005 alors qu’elle fut nommée juge à la Cour municipale de la ville de Montréal par le gouvernement libéral de Jean Charest.

À l’époque, selon la Commission Bastarache, le critère premier pour être nommé juge, ce n’était pas la compétence; c’était d’avoir contribué à la caisse du Parti libéral du Québec.

En 2014, elle fut promue à la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec par le gouvernement libéral de Philippe Couillard.

En huit ans à la Chambre criminelle, on peut présumer qu’elle a déjà entendu des témoins se parjurer.

Pourtant, lorsqu’un accusé affirme sous serment qu’il n’était pas du tout fatigué après son quart de travail, la magistrate le croit dur comme fer.

Ce serait donc les yeux grands ouverts que le chauffard aurait passé proche de tuer deux piétons, aurait dévié sa course sur le trottoir pour y heurter mortellement sa victime et se précipiter sur un arbre.

Tout s’est passé tellement rapidement, écrit la juge Joly, qu’il n’est pas étonnant que l’accusé ait peu de souvenirs des évènements.

Parions que si, au cours du procès, le policier qui assurait la sécurité des lieux avait soudainement dégainé son arme et tiré en direction de la juge Joly, celle-ci conserverait de ce bref moment un souvenir indélébile…

Meurtre ou conduite dangereuse ?

Selon le Code criminel, on ne peut condamner un accusé pour meurtre que s’il n’existe aucun doute quant à sa culpabilité. Et dans le cas précis d’une accusation de meurtre au premier degré, on doit prouver la préméditation et l’intention coupable.

Dans l’accusation de conduite dangereuse ayant causé la mort, il faut, hors de tout doute raisonnable, prouver seulement deux choses. Premièrement, que la conduite était dangereuse; or rouler en voiture à 80 km/h sur un trottoir est clairement une conduite dangereuse. Et deuxièmement, que cette conduite dangereuse ait causé la mort de quelqu’un; or l’ainée est réellement morte d’avoir été happée par le véhicule conduit par l’accusé.

Prouver l’intention coupable n’est pas nécessaire. Pourtant, dans son jugement, la juge Dominique-B. Joly écrit :

« Il n’y a aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un danger pour les autres usagers de la route. Il y a perte momentanée de contrôle inexpliquée. Tout ce qui a précédé semble toutefois s’inscrire dans le comportement usuel de tout conducteur automobile.»

Il n’est pas exclu de penser qu’en plus de la personne happée, cet accident de la route ait fait une deuxième victime; le conducteur lui-même, exploité par un employeur qui l’oblige à travailler indument, et dont le véhicule est une voiture de fonction.

Serait-ce par pitié que la juge Dominique-B. Joly a innocenté l’accusé ?

On en trouve peut-être des indices dans le texte de la magistrate, un document dont je n’ai pu obtenir de copie malgré mes très nombreuses démarches.

En dépit de cela, instaurer une jurisprudence selon laquelle tout automobiliste peut tuer un piéton du moment qu’il ne le fait pas par exprès est une connerie.

Les conséquences

Le 24 octobre 2021 dans un village de trois-mille habitants situé à 50 km à l’est de Montréal, un adolescent de 15 ans roulant en scooter était tué par le conducteur d’un véhicule utilitaire qui avait dévié de sa route.

La preuve recueillie par les policiers démontrait que le chauffard était en train d’utiliser son téléphone avant et pendant l’impact mortel. Ce que le conducteur a lui-même reconnu aux policiers lorsque ces derniers sont arrivés sur les lieux.

Le 13 février dernier — soit deux semaines après le jugement dans l’affaire Tigana Mbidi Kiata — l’avocat de la Direction des poursuites criminelles et pénales (la DPCP) annonçait sa décision d’abandonner ses accusations dans ce cas-ci.

Pour expliquer cette décision, la porte-parole de la DPCP a déclaré : « À la suite d’une analyse complète du dossier d’enquête, la DPCP a conclu qu’aucune accusation ne pouvait être portée relativement à cet évènement tragique, n’ayant pas la conviction d’une perspective raisonnable de condamnation.»

En d’autres mots, puisque la jurisprudence établie récemment par la juge Dominique-B. Joly exige qu’on prouve hors de tout doute raisonnable l’intention coupable d’un chauffard lorsqu’il happe mortellement un piéton, un cycliste ou un motocycliste, nous abandonnons la cause puisque nous n’avons pas la preuve qu’il l’a fait par exprès.

La plainte privée

Lorsque la DPCP refuse de porter plainte, les citoyens peuvent recourir à un processus rarement utilisé, soit la plainte privée.

Michel Gauvin est le père de Caroline, grièvement blessée dans un accident d’auto impliquant des tracteurs de déneigement en 2013.

Après que la DPCP eut refusé de poursuive les responsables de l’accident, M. Gauvin a décidé de donner une seconde chance au système judiciaire en déposant une plainte privée.

Mais devant les tribunaux criminels, seule la DPCP est habilitée à porter plainte. Mais si la DPCP avait remporté cette cause privée, elle aurait démontré sa faute à intenter d’elle-même les poursuites contre les coupables.

Après une préenquête bâclée, la DPCP a ordonné un arrêt de procédure pour insuffisance de preuve. Or il ne peut y avoir de procès sans plaignant. On peut avoir tous les témoins qu’on veut, pas de plaignant, pas de procès.

Au lieu d’acquiescer sommairement à la demande de la DPCP, le juge a néanmoins décidé de justifier une décision qu’il rendait à contrecœur.

Inconduite flagrante, partialité évidente, conduite répréhensible. Voilà les mots utilisés par le magistrat pour blâmer la DPCP d’avoir commis un abus de procédure en nuisant à un père de famille en quête de justice pour sa fille.

Les tribunaux civils

Lorsque les tribunaux criminels refusent de jouer leur rôle, les conjoints et les enfants endeuillés peuvent se tourner vers les tribunaux civils afin d’obtenir justice.

Se pose alors le problème de l’accessibilité économique au système judiciaire.

Dans une cause criminelle, c’est l’État (par le biais de la DPCP) qui se charge de punir les conducteurs fautifs d’avoir causé la mort d’un autre utilisateur de la voie publique.

Toutefois, dans une cause civile, les proches de la victime, en plus d’assumer leur deuil, doivent se choisir un avocat et entreprendre à leurs frais de longues et couteuses démarches juridiques en vue d’obtenir réparation. Ce qui peut prendre des années.

Dans les faits, les personnes aisées sont les seules qui peuvent se permettre le luxe d’entreprendre de telles procédures.

Pour l’assisté social, le travailleur à faible revenu et même le travailleur moyen — bref, pour la grande majorité de la population — la seule voie qui reste, c’est de se faire justice soi-même.

Quand l’État refuse d’assumer ses responsabilités, les citoyens doivent se tourner vers le privé. Or dans une cause criminelle, le privé, c’est le briquet et l’essence.

Se sortir de la faillite de l’État canadien

L’ordre professionnel des avocats du Québec (appelé le Barreau) déposait en 2018 une requête (financée en sous-main par Ottawa) qui était destinée à faire invalider toutes les lois du Québec. Cette entreprise insensée fut arrêtée par un vote obtenu de justesse lors d’une assemblée générale spéciale des membres du Barreau.

D’autre part, plus récemment, Julie Rondeau, juge en chef de la Cour du Québec, a ordonné une grève du zèle de tous les magistrats sous son autorité en leur demandant de ne siéger qu’un jour sur deux alors qu’en Ontario et en Colombie-Britannique, les juges en Chambre criminelle consacrent deux fois et demie plus de temps à entendre les causes qui leur sont soumises.

En favorisant une thrombose judiciaire, la juge Rondeau veut forcer le ministre de la Justice du Québec à instaurer une discrimination à l’embauche contre tous les avocats québécois qui ne sont pas parfaitement bilingues alors qu’un avocat unilingue anglais peut librement accéder à la magistrature au Canada anglais.

Bref, la profession juridique est minée de l’intérieur par un cancer que sont tous ces juges incompétents nommés par le fédéral ou par le Parti libéral du Québec.

Le seul moyen de s’en débarrasser est de faire table rase de cette monarchie constitutionnelle sclérosée qu’est le Canada et de repartir à neuf en créant un nouveau pays, digne du XXIe siècle, où le système judiciaire sera au service du peuple.

Références :
Acquitté après avoir fauché une piétonne en roulant sur le trottoir à 80 km/h
Adolescent happé mortellement en scooter: le conducteur distrait par son téléphone ne sera pas accusé
Aînée happée mortellement : «Le véhicule s’en venait rapidement»
L’esprit de caste de la juge Lucie Rondeau
Ottawa finance la demande d’invalidation de toutes les lois du Québec
L’utilité de la Commission Bastarache
Un chauffard tue une aînée dans une zone de 30 km/h
Un procureur du DPCP malmené par un juge

Postscriptum : Pendant que ce texte était l’objet d’une révision de dernière minute, Paul-Jean Charest, conseiller en communications de la Cour du Québec, nous expédiait une copie de la décision de la juge Dominique-B. Joly. À sa lecture, ce jugement ne remet pas en question le texte publié.

Ceci étant dit, nous remercions M. Charest pour son aimable collaboration.

Référence : Décision de l’honorable Dominique-B. Joly

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les droits linguistiques à géométrie variable

29 août 2022

Avant-propos

On appelle personne morale tout groupement d’individus auquel la loi reconnait une existence juridique. La personne morale se distingue donc d’un particulier.

Ce peut être une compagnie, un club sportif, une association, etc.

Introduction

Le 12 aout dernier, l’honorable juge Chantal Corriveau — nommée par Ottawa à la Cour supérieure du Québec en 2005 — invalidait deux articles de la loi 96 (qui vise à protéger le français au Québec).

Ces deux articles exigent que tout document juridique rédigé en anglais émanant d’une personne morale doive être accompagné d’une version française certifiée provenant d’un traducteur agréé afin d’en permettre le dépôt au tribunal.

Selon la juge Corriveau, les couts supplémentaires et les délais pour obtenir une telle traduction créent un obstacle à l’accès à la Justice.

La barrière économique

La magistrate semble ignorer que ce sont les frais d’avocats qui sont le principal obstacle à l’accessibilité économique aux tribunaux canadiens.

Comment peut-on faire du chichi pour des frais de 12 à 40 cents du mot — le tarif demandé par un traducteur agréé — quand l’avocat qui représentera cette personne morale anglophone la saignera à blanc à raison de 400$ à 1 000$ de l’heure…

Les délais

De manière générale, ce qui allonge les causes, ce sont les requêtes, les motions, les mandamus, les brefs d’évocation et toute la panoplie des moyens juridiques que les avocats utilisent pour étirer les procès et faire gonfler leurs honoraires.

Mais il est vrai que dans le cas d’une demande d’injonction, par exemple, l’obligation de traduire une demande rédigée en anglais crée un délai qui peut être incompatible avec l’urgence de la situation.

Dans La Presse du 8 aout dernier, les avocats Guillaume Rousseau et Étienne-Alexis Boucher écrivent :

[Avant la loi 96], il n’était pas rare qu’une entreprise poursuivant des francophones déposât ses actes de procédure en anglais, rendant la défense de ces derniers plus compliquée. […] On voit mal en quoi l’accès à la justice de quelques entreprises refusant de traduire leurs actes de procédure en français serait davantage entravé aujourd’hui que l’accès à la justice de millions de […] francophones avant l’adoption de la loi 96.

De toute manière, l’argument du délai-qui-fait-obstacle-à-la-Justice n’est vrai que si l’avocat de la compagnie choisit de soumettre sa demande d’injonction en anglais sachant très bien que cela l’obligera à la faire traduire.

En réalité, rien n’empêche cet avocat de soumettre dans l’urgence sa requête en français, puis de prendre le temps qu’il faut pour la traduire en anglais pour sa société cliente.

Quand l’apartheid canadien sert de prétexte

Dans n’importe quel hôpital du Québec, on n’a pas besoin d’une autorisation pour admettre à l’urgence un patient non autochtone.

Le paragraphe 50 du jugement de l’honorable Chantal Corriveau nous apprend que le Kateri Memorial Hospital de Kahnawa:ke est obligé de soumettre à Québec une demande d’autorisation de soins avant de les prodiguer, une mesure qui vise à s’assurer qu’Ottawa en remboursera le cout au gouvernement québécois.

Parce qu’Ottawa a toujours refusé que les ‘Indiens’ (au sens de la loi) soient couverts par les programmes provinciaux d’assurance médicaments et d’assurance maladie. C’est le fédéral qui rembourse aux provinces les soins qui répondent à ses critères tatillons.

Au lieu de réclamer l’abolition des tracasseries administratives dues au racisme systémique d’Ottawa — tracasseries qui mettent en danger, selon la magistrate, les personnes concernées — cette dernière préfère trouver des puces à la loi 96.

À l’autre bout du Canada

Contrairement à ce qu’on pense, dans les causes civiles (et non criminelles), il n’existe pas au Canada de droit constitutionnel d’être jugé dans sa langue ailleurs qu’au Nouveau-Brunswick.

En 2013, la Cour suprême du Canada a reconnu le droit des tribunaux de Colombie-Britannique d’exiger la traduction anglaise de tous les documents en français qui leur sont soumis à titre de preuves.

Pour convaincre le plus haut tribunal du pays, l’avocat représentant le gouvernement de cette province a sorti de sa manche une loi adoptée par Londres en 1731 qui imposait l’usage exclusif de l’anglais devant les tribunaux.

En d’autres mots, cette loi interdisait d’y être jugé dans une autre langue que l’anglais.

La Cour suprême écrit que les provinces ont le pouvoir constitutionnel de légiférer sur la langue utilisée devant les tribunaux. Puisque le parlement de cette province n’a pas senti le besoin de légiférer autrement, la loi de 1731 s’applique toujours.

Textuellement, dans son jugement de 2013, le plus haut tribunal du pays écrit :

La Charte [canadienne des droits et libertés] n’oblige aucune province, sauf le Nouveau-Brunswick, à assurer le déroulement des instances judiciaires dans les deux langues officielles. Elle reconnait l’importance non seulement des droits linguistiques, mais aussi du respect des pouvoirs constitutionnels des provinces.
[…]
[Or] les provinces ont le pouvoir constitutionnel de légiférer sur la langue utilisée devant leurs tribunaux, un pouvoir qui découle de leur compétence en matière d’administration de la justice.

La législature de la Colombie-Britannique a exercé ce pouvoir pour règlementer la langue des instances judiciaires dans la province par l’adoption de deux règles législatives différentes qui prescrivent le déroulement des procès civils en anglais, des règles qui valent aussi pour les pièces jointes aux affidavits déposés dans le cadre de ces instances.

Les rédacteurs de la constitution canadienne auraient pu décider de consacrer explicitement le droit fondamental d’être jugé dans sa langue. Ils ont préféré s’en abstenir, s’en remettant plutôt au pouvoir discrétionnaire des provinces.

L’article 133 de la Canadian constitution de 1982 ne fait que permette aux personnes qui témoignent ou qui plaident devant un tribunal du Québec, de s’exprimer dans la langue officielle de leur choix. Mais elle me garantit pas à la personne accusée d’avoir un procès dans sa langue puisque la poursuite et le tribunal sont libres d’utiliser une langue qu’elle ne comprend pas.

Puisque l’article 133 est sujet au pouvoir dérogatoire des provinces, le Québec peut — comme le fait déjà la Colombie-Britannique — imposer l’unilinguisme à son système judiciaire, sauf en ce qui concerne les procès au criminel qui, eux, relèvent du fédéral.

Personnellement, je serais totalement opposé à une telle mesure si le Québec l’adoptait. Mais Québec en a le pouvoir.

Alors que la loi 96 invoque expressément la clause dérogatoire de la constitution de 1982, la Cour supérieure invalide deux articles qui exigent des personnes morales du Québec une toute petite partie de ce que la Colombie-Britannique exige de tous ses citoyens depuis des siècles.

Conclusion

Plus tôt nous nous affranchirons du régime colonial canadian, plus tôt nous pourrons défendre notre langue et notre culture sans avoir à obtenir l’assentiment des juges à la solde d’Ottawa.

Ceux-ci trouvent toujours les prétextes les plus tordus pour invalider les moyens légitimes qu’on prend pour défendre notre langue et à interdire au Québec d’imiter ce que les autres provinces sont libres de faire.

Références :
À la défense du français devant les tribunaux
Être condamné dans une langue qu’on ne comprend pas
Jugement au sujet des documents en français présentés en Cour
Jugement au sujet des documents en anglais présentés en Cour
La Cour supérieure tranche: la réforme de la loi 101 suspendue en partie
Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français
Une juge suspend deux articles de la loi 96 sur la langue française au Québec

Parus depuis :
Italian government seeks to penalize the use of English words (2023-04-01)
« It’s very english » sur la voie maritime du Saint-Laurent (2023-05-19)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Quand la Cour du Québec viole la Loi 101

7 février 2022

Introduction

L’article 46 de la Charte de la langue française (ou Loi 101) se lit comme suit :

Il est interdit à un employeur d’exiger pour l’accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que [le français], à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance.

Selon un jugement rendu le 2 février par le juge Christian Immer, la Cour du Québec aurait le droit de violer cette loi.

Selon ce magistrat (nommé par Ottawa), le ministre de la Justice du Québec — qui est également responsable de l’application de la Loi 101 — n’aurait pas le pouvoir de s’opposer à l’exigence du bilinguisme à grande échelle chez les candidats à la magistrature.

Note : Dans le texte qui suit, les numéros placés entre des crochets (ex.: [NN]) réfèrent aux numéros des alinéas (ou paragraphes) de ce jugement.

Résumé du conflit

Il y a plus d’un an, Me Lucie Rondeau, à titre de juge en chef de la Cour du Québec, s’est adressée au ministre de la Justice pour qu’il publie des appels de candidatures à la magistrature dans plusieurs régions du Québec.

Dans une bonne partie des cas, la juge Rondeau exigeait que les avocats désirant être nommés juges soient bilingues. [10]

Le 1er septembre 2020, elle justifie cette demande à partir de considérations générales relativement à l’administration du système judiciaire. En deux mots, le bilinguisme mur-à-mur rendrait sa tâche plus simple. [239]

Pourtant l’article 46 — qui est rédigé au singulier — exige que le bilinguisme soit justifié pour chaque emploi.

Un des principes qui guident l’interprétation des lois, c’est que Le législateur ne parle pas pour rien. Si un employeur n’a qu’à dire que le bilinguisme simplifie sa gestion du personnel pour se soustraire à l’article 46, le législateur a adopté cet article inutilement.

Afin d’éviter que le ministère de la Justice soit complice d’une violation de la Loi 101, le ministre a préféré rendre ces appels de candidatures conformes à la loi en supprimant l’exigence du bilinguisme. [240]

D’autant plus que les données du ministère démontraient que les régions concernées possédaient déjà suffisamment de juges bilingues pour répondre au droit constitutionnel des angloQuébécois d’y être jugés dans leur langue. [176]

L’exigence injustifiée du bilinguisme constituait donc une discrimination à l’embauche envers les avocats francophones qui possèdent une connaissance limitée de l’anglais. Une discrimination à laquelle le ministre responsable de la Loi 101 ne pouvait pas souscrire. [237]

Signalons que quatre-millions de Québécois — soit la moitié de la population — sont unilingues français selon le Recensement de 2016.

Le jugement de l’honorable Christian Immer

Après que le ministre eut ordonné que les appels de candidatures soient modifiés de manière à respecter la Loi 101, la juge en chef de la Cour du Québec a tenté à postériori de justifier leur exigence du bilinguisme.

Me Lucie Rondeau a effectué un sondage auprès de tous les magistrats sous son autorité pour leur demander s’ils ont besoin ne serait-ce qu’une seule fois par jour de connaitre l’anglais. [242]

Pourtant, au cours d’un procès, un juge qui ne maitrise pas l’anglais peut faire appel à un interprète. [173]

De plus, s’il doit prendre connaissance d’un texte électronique (preuve, lettre ou courriel) en anglais, il suffit d’utiliser Google Translation pour en obtenir une traduction d’assez bonne qualité.

Dans les appels téléphoniques qu’il reçoit dans son cabinet, le juge peut demander à une secrétaire bilingue de lui servir d’interprète.

Bref, il n’arrive jamais qu’un angloQuébécois soit condamné en français.

À l’opposé, contrairement au beau principe que l’honorable Christian Immer présente à [48], certains juges nommés par le fédéral connaissent si peu notre langue qu’ils rendent jugement en anglais dans des causes où l’accusé est un francoQuébécois unilingue. Ce qui est le comble du mépris.

Et lorsque l’avocat de ce dernier proteste au nom de son client, cet avocat est condamné par le Barreau du Québec pour défaut de soutenir l’autorité des tribunaux.

Dans sa tâche de répartir les causes entre les magistrats, la juge en chef pourrait consulter les avocats afin de savoir dans quelle langue ils entendent plaider, celle des témoins qu’ils veulent faire entendre et des preuves qu’ils soumettront.

Ce pourrait être un simple formulaire constitué de cases à cocher.

Mais il est plus simple d’exiger le bilinguisme de tous les juges… au cas où. C’est la solution de facilité retenue par la juge en chef de la Cour du Québec.

Le juge Christian Immer justifie cela en invoquant l’indépendance administrative du système judiciaire. Celle-ci découle d’un principe constitutionnel non écrit. [197]

Comme argument, c’est aussi faible qu’invoquer une clause non écrite d’un contrat. Surtout lorsqu’il s’agit de justifier la violation d’une loi supra-législative comme la Charte de la langue française.

Conclusion

La décision du juge Christian Immer est de nature à perpétuer le marasme dans lequel se trouve le système judiciaire.

Selon lui, le ministre de la Justice n’a aucun pouvoir quant à la rédaction des appels de candidatures.

Selon le juge Immer, le ministre ne pourrait même pas s’opposer à leur publication, dussent-ils être illégaux, nuls et invalides. [205-206]

En somme, son ministère doit se contenter de les publier aveuglément et d’enclencher le lourd processus de sélection des juges. Un processus au cours duquel des juges et des avocats se graissent généreusement la patte.

Et une fois qu’il reçoit la liste des candidats retenus, le ministre n’a plus d’autres choix que de suggérer au Conseil des ministres de refuser leur nomination afin que la juge en chef recommence tout le processus, cette fois en respectant la Loi 101.

Depuis le mois dernier, celle-ci orchestre une grève du zèle de ses magistrats en leur ordonnant de ne siéger qu’un jour sur deux (plutôt que deux jours sur trois). Et ce, afin d’engorger le système judiciaire dans le but de forcer le ministre à nommer au plus tôt ses juges bilingues.

Que de mesquinerie de la part d’une juge en chef. Une mesquinerie dont les contribuables font les frais.

À quand une révolution du système judiciaire afin d’obliger celui-ci à être au service du peuple ?

Références :
Charte de la langue française
Décision du juge Christian Immer
Doit-on interdire l’accès à la magistrature aux avocats québécois unilingues français ?
Être condamné dans une langue qu’on ne comprend pas
Le ministre de la Justice n’a « aucun mot à dire »
L’esprit de caste de la juge Lucie Rondeau
Ottawa finance la demande d’annulation de toutes les lois du Québec
Quatre-millions de Québécois victimes de discrimination à l’embauche
Repenser les tribunaux

Paru depuis :
Multiplication des postes de juges bilingues depuis 15 ans au Québec (2022-03-02)

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