La Géorgie (2e partie) : le sommet de Bucarest et la guerre

Publié le 17 juin 2024 | Temps de lecture : 12 minutes


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Mikheil Saakachvili, président de 2004 à 2013

Après la révolution des Roses (survenue en novembre 2003), l’avocat Mikheil Saakachvili fut élu à la présidence de la Géorgie le 4 janvier 2004. Son arrivée au pouvoir suscita de grands espoirs.

Qui était-il ?

Après l’effondrement de l’URSS en 1991, le personnel diplomatique américain stationné dans les anciennes républiques soviétiques avait pour mission de déceler les jeunes talents qui avaient les caractéristiques de futurs leadeurs pour leur pays.

On leur offrait alors des bourses d’études dans les meilleures universités américaines afin de les former.

Ces bourses n’avaient aucune contrepartie. Elles faisaient partie du soft power américain dans ce qu’il avait de mieux. Mikheil Saakachvili fut l’un de ces jeunes bénéficiaires.

Après des études en russe à l’Institut des relations internationales de Kyiv (où il se fit remarquer), il partit donc aux États-Unis où il obtient une maitrise en droit de l’université de Columbia (en 1994) et un doctorat en droit de l’université George-Washington (en 1995).

En plus du géorgien (sa langue maternelle), du russe, de l’ukrainien, de l’anglais, et du français, Mikheil Saakachvili parle l’abkhaze et l’ossète (deux langues minoritaires de Géorgie).

Lorsqu’il fut ministre de la Justice (sous son prédécesseur, Edouard Chevardnadze), il s’était mis à dos de nombreuses personnes en voulant combattre la corruption au sein de la police, de la magistrature et du système carcéral de Géorgie. Ses ennemis le poussèrent à la démission en 2001. Ce qui accrut sa réputation d’incorruptible.

Dès son accession au pouvoir en 2004, il fit adopter un nouveau drapeau national et un nouvel hymne géorgien (à partir de deux airs d’opéra composés en 1918 et en 1923, et de paroles réécrites en 2004 par son ex-collège ministre de la Culture sous Chevardnadze).

L’affaire du drapeau

La première crise qu’il eut à surmonter fut la ‘rébellion’ des dirigeants de la province d’Adjarie.

Celle-ci est une province semi-autonome située dans le sud-ouest de la Géorgie (voir la carte au début du texte).

Les raisons de cette crise sont obscures. Toutefois, on peut avancer l’hypothèse suivante.

En grec, le mot agriculture se prononce ‘guéhorguïa’. C’est de lui que vient la dénomination grecque (et française) du pays.

Christianisé dès le IVe siècle, le royaume d’Ibérie (qui couvrait une bonne partie de la Géorgie actuelle) avait choisi saint Georges comme patron national et adopté comme drapeau une croix de saint Georges rouge sur fond blanc (donc sans les quatre petites croix grecques dans les quartiers délimités par la croix principale).

À la suite de plusieurs conquêtes, le royaume de Géorgie fut fondé en 1010. Dans des documents maritimes du XIIIe ou XIVe siècle conservés à Paris, ce royaume était représenté par un drapeau identique à celui adopté en 2004 par le gouvernement de Mikheil Saakachvili.

Or la province d’Adjarie doit son autonomie gouvernementale non pas à des particularités ethniques — puisqu’elle est peuplée à 93,3 % de personnes de langue maternelle géorgienne — mais à des caractéristiques religieuses car on y trouve majoritairement des Musulmans sunnites (tout comme en Turquie voisine).

Dans cette partie du monde où la religion occupe un rôle central et dans un pays divisé depuis l’indépendance par de violents conflits linguistiques, les imams d’Adjarie et leurs fidèles avaient toutes les raisons de craindre que l’adoption d’un symbole national presque identique à la croix de Jérusalem puisse être le signe précurseur d’une guerre sainte contre les Musulmans du pays.

Cette inquiétude populaire fut récupérée à des fins politiques par les dirigeants pro-russes de la province, en lutte contre le pouvoir central pro-occidental de Géorgie.

Indépendamment de ce qui précède (et qui est hypothétique), ce qui est certain, c’est qu’au printemps de 2004, les relations sont tellement tendues entre les deux qu’une guerre civile semble poindre à l’horizon.

Accusé par Mikheil Saakachvili d’être un criminel et un trafiquant de drogue, le président d’Adjarie fait sauter le principal pont qui relie sa province au reste de la Géorgie.

En mai 2004, dans la capitale d’Adjarie, des manifestations monstres — organisées par des ONG financées par George Soros — poussent son président à la démission et mettent fin au conflit avec le gouvernement central.

Un néolibéralisme draconien

De 2004 à 2012, le gouvernement de Saakachvili abolit les postes de 30 000 agents de la circulation et de 60 000 fonctionnaires.

L’impôt sur les sociétés passe de 20 % à 15 % tandis que l’impôt progressif (c’est-à-dire croissant) sur le revenu des particuliers est remplacé par un impôt fixe de 20 %.

Le salaire minimum et les lois protégeant les travailleurs contre les licenciements sont abolis. Tout comme les règlementations en matière de santé et sécurité au travail.

En conséquence, le pays se retrouve au quatrième rang des pays les moins taxés au monde.

Les investissements étrangers passent de 450 millions$ en 2005 à 2 015 millions$ en 2007 (avant la Grande Récession) tandis que le taux de croissance du PIB passe de 5,8 % entre 1994 et 2004 à 9 % entre 2004 et 2008.

Mais cette richesse ne profite pas à la population, dont la moitié travaille sur de petites exploitations agricoles. Elle s’est concentrée dans des secteurs de l’économie peu demandeurs de main d’œuvre comme la finance, les télécommunications et l’hôtellerie.

Si bien que les salaires ont stagné (à environ 150$ par mois, en moyenne).

De plus, privé de revenus, l’État géorgien a connu de la difficulté à payer le salaire de ses fonctionnaires, de même que la pension de vieillesse de ses retraités (pourtant de seulement 7$ par mois).

La Grande Récession de 2007-2008 et la guerre éclair du pays avec la Russie ont eu raison de l’enthousiasme des investisseurs étrangers pour la Géorgie.

Contrairement à pérestroïka de Gorbatchev en Russie de 1985 à 1991, l’austérité draconienne de Mikheil Saakachvili n’a pas appauvri le pays, mais n’a donné que très peu de résultats tangibles pour la population géorgienne.

La rupture

L’imposition du géorgien comme seule langue de l’administration publique avait poussé la province d’Ossétie du Sud à déclarer son indépendance en 1992.

En représailles contre la reconnaissance de cette indépendance par la Russie, la Géorgie ordonna la fermeture des bases russes sur son territoire. Ce qui se concrétisa en juillet et aout 2005.

Alors que la Géorgie est confrontée à une vague de froid sans précédent, une explosion criminelle, le 22 janvier 2006, la prive de son approvisionnement en gaz fossile russe. Dès le rétablissement de l’approvisionnement, la société russe Gazprom annonce une augmentation importante de ses tarifs.

À l’été de 2006, Moscou interdit l’importation des vins et eaux minérales géorgiennes alors que 86 % y étaient exportés.

Mais la goutte qui fait déborder le vase est la demande officielle d’adhésion de la Géorgie à l’Otan, présentée au sommet de l’Alliance atlantique à Bucarest du 2 au 4 avril 2008.

On doit savoir qu’au cours des négociations en vue de la réunification de l’Allemagne en 1989, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France avaient garanti verbalement à Moscou que l’Otan n’en profiterait pas pour s’étendre vers l’Est.

On le sait parce qu’au fil des années, les négociateurs occidentaux l’ont reconnu dans leurs mémoires ou dans des entrevues.

Strictement parlant, il ne s’agissait pas d’une promesse de l’Alliance atlantique elle-même, mais de trois pays qui ont droit de véto sur l’adhésion de tout nouveau pays membre à cet organisme.

Vladimir Poutine prend le pouvoir en Russie le 9 aout 1999. Dix-sept jours plus tard éclate la Deuxième guerre de Tchétchénie au cours de laquelle son pays lutte contre des salafistes sunnites.

Deux ans plus tard, le 11 septembre 2001, quand les États-Unis sont eux aussi confrontés au terrorisme islamique, Poutine y voit une occasion pour la Russie de se joindre à l’Otan afin de combattre une menace commune.

L’Otan proposera donc à la Russie et aux anciennes républiques soviétiques différents partenariats qui leur font croire à une adhésion éventuelle.

Ce qui sera le cas pour une bonne partie de ces pays alors que l’Otan s’agrandit vers l’Est en deux vagues successives (en 1999 et en 2004).

Mais en 2008, au Sommet de l’Otan de Bucarest, quand l’Alliance accepte de recevoir la demande d’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, Vladimir Poutine réalise soudainement que les États-Unis se sont moqués de lui et que toutes les belles promesses qu’on lui a faites n’avaient que pour but de l’endormir pendant que l’Otan encerclait son pays d’ennemis militaires.

Ce sommet de l’Otan représente un cataclysme géopolitique. Il est à l’origine de la guerre russo-géorgienne (dont nous allons parler dans un instant), de la guerre russo-ukrainienne, du déclin économique actuel de l’Europe, de l’annexion définitive du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan, et des débuts de la dédollarisation de l’économie mondiale, Tout cela favorisant l’émergence de la Chine en tant que première puissance mondiale.

On ne peut que mépriser ces néoconservateurs américains (aveuglés par leur anticommunisme primaire) qui ont refusé de saisir la main que leur tendait Poutine il y a deux décennies.

La guerre russo-géorgienne

À partir de 2004, l’austérité draconienne imposée par Mikheil Saakachvili avait permis au pays d’augmenter substantiellement ses dépenses militaires puisque cette austérité ne s’appliquait pas au ministère de la Défense. En 2007, le quart de tous les revenus de l’État géorgien servait à acheter de l’armement américain, israélien, tchèque, ukrainien et turc.

À cela s’ajoutaient les 74 millions$ d’armes que le Pentagone lui avait fournies, notamment pour combattre des terroristes tchétchènes (affiliés, dit-on, à Al-Qaïda) qui s’entrainaient dans la vallée géorgienne de Pankissi.

Quatre mois après le Sommet de Bucarest, des escarmouches éclatent entre la Géorgie et ses provinces sécessionnistes.

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Surestimant sa puissance, Mikheil Saakachvili lance l’armée géorgienne à la conquête de la province sécessionniste d’Ossétie du Sud.

Toutefois, depuis 1992, celle-ci était de facto un protectorat russe. Conséquemment, dès l’entrée des forces géorgiennes en Ossétie du Sud, la Russie réplique. En neuf jours, l’initiative géorgienne tourne à la catastrophe.

La Géorgie perd 150 chars d’assaut — dont une centaine capturés intacts par la Russie — une soixantaine de véhicules militaires, cinq avions et quatre hélicoptères. Et dans la mesure où cette guerre éclair se déroule également sur les côtes de la province géorgienne d’Abkhazie, la Géorgie y perd onze navires en mer Noire.

De son côté, les pertes subies par la Russie (limitées essentiellement à six bombardiers) n’ont pas affecté substantiellement son arsenal militaire.

Pour la Géorgie, l’année 2008 se résume donc à quatre évènements majeurs :
• la réélection de Mikheil Saakachvili à la présidence le 5 janvier,
• la présentation de la demande d’adhésion à l’Otan de la Géorgie au sommet de Bucarest, tenu du 2 au 4 avril, et
• la guerre russo-géorgienne du 7 au 16 aout,
• la crise financière mondiale qui atteint la Géorgie en fin d’année.

Après la Grande Récession de 2008, le second mandat présidentiel de Mikheil Saakachvili coïncida avec une importante perte de sa popularité.

En octobre 2012, son parti politique perd les élections législatives. Au cours des mois qui suivent, la cohabitation entre le président Saakachvili et le nouveau premier ministre s’avère difficile; plusieurs personnalités du clan Saakachvili sont victimes d’une chasse aux sorcières et poursuivies par la justice.

En novembre 2013, dans un geste politique à la française, Saakachvili quitte la présidence avant d’avoir terminé son deuxième mandat… pour se réfugier aussitôt aux États-Unis.

Références :
Adjarie
Aslan Abachidze
Bataille des côtes d’Abkhazie
Bataille de Tskhinvali
Bidzina Ivanichvili
Court Finds ex-Defense Minister Guilty of ‘Organizing’ Torture, Sexual Abuse
Crise de la vallée de Pankissi
Crise des missiles de Cuba
Croix de Jérusalem
2002 en Géorgie
Économie de la Géorgie
Élections législatives géorgiennes de 2012
Géorgie (pays)
Géorgie : la cohabitation s’annonce difficile
Guerre russo-géorgienne
L’économie géorgienne : menaces au présent, poids du passé, incertitudes pour l’avenir
Le drapeau national de la Géorgie est le deuxième plus ancien au monde
L’expansionnisme toxique de l’Otan
Révolution des Roses
Saakachvili poussé à la démission
Tavisupleba

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La nitrocellulose et la guerre

Publié le 16 juin 2024 | Temps de lecture : 4 minutes


 
Inventée en Chine vers le IXe siècle, la poudre à canon était fabriquée autrefois à partir de trois ingrédients : du salpêtre (c’est-à-dire du nitrate de potassium), du soufre et du charbon de bois. C’est ce dernier qui donnait au mélange son nom de ‘poudre noire’.

De nos jours, la poudre à canon est de la nitrocellulose. Celle-ci s’obtient traitant des fibres de coton avec un mélange d’acides nitrique et sulfurique.

Tel qu’il est récolté, le coton est presque exclusivement de la cellulose à l’état pur.

L’industrie textile utilise préférablement du coton à fibres longues, plus facile à tisser.

Les fibres courtes, jugées de moindre qualité, servent à fabriquer de la nitrocellulose. Selon le procédé de fabrication, on en fait du collodion médicinal, des laques pour instruments à cordes, ou de la poudre à canon.

De loin, la Chine est le principal exportateur de ce coton à fibres courtes qui sert à fabriquer de la nitrocellulose explosive.

À 90 %, sa production est récoltée dans la province du Xinjiang (là où vivent la plupart des Ouïgours).

À la suite de l’adoption par Washington de la Uyghur Forced Labor Prevention Act, l’industrie textile a cherché à s’approvisionner en coton ailleurs qu’en Chine. Mais pour les fabricants de poudre à canon, il est difficile de se passer du coton chinois.

Dès le déclenchement des guerres à haute intensité que sont la guerre en Ukraine et celle dans la bande Gaza, toutes les usines de nitrocellulose explosive à travers le monde se mirent à fonctionner à plein rendement.

Or en 2023, la Chine rapportait une baisse de 6,1 % de sa production de coton à cause de mauvaises conditions météorologiques.

En raison de l’hostilité croissante des pays occidentaux à l’égard de la Chine, on soupçonne que celle-ci approvisionne prioritairement la Russie en coton à fibres courtes, puisque les fabricants européens de nitrocellulose ont de plus en plus de difficulté à en obtenir ou sont dans l’impossibilité d’en acheter davantage.

La situation est telle que la production de poudre à canon est devenue le goulot d’étranglement de la fabrication européenne d’obus et de missiles. D’où la difficulté à respecter les engagements militaires pris en faveur de l’Ukraine.

En dépit de cela, les usines militaires occidentales pouvaient toujours, à défaut d’importer du coton à nitrocellulose, acheter de la nitrocellulose explosive déjà toute faite.

Mais, comble de malheur, la deuxième plus importante usine chinoise de nitrocellulose — située dans la ville de Laohekou, dans la province chinoise d’Hubei — a explosé au début du mois de mai, tuant trois de ses ouvriers.

Aux États-Unis, on nie les difficultés de l’industrie militaire européenne.

Toutefois, celles-ci ont été reconnues par Emmanuel Macron : « Nous avons tous pris conscience de la nécessité de faire face à la rareté de certains composants, notamment de la poudre à canon. […] La poudre, c’est vraiment ce qui manque aujourd’hui.»

On en est rendu là : après s’être doté d’un arsenal nucléaire capable d’exterminer l’espèce humaine, de chasseurs-bombardiers rapides comme l’éclair, de chars puissants, de satellites-espions auxquels rien n’échappe, on manque de coton.

Sapristi qu’on fait dur.

Références :
Bannir le coton du Xinjiang est plus facile à dire qu’à faire
Chine : la production de coton atteint 5,618 millions de tonnes en 2023
Coton
Could China strangle Europe’s weapons output with cotton?
Europe battles gunpowder shortage amid Ukraine war
Macron veut mettre le feu aux poudres qu’il n’a pas car la Chine ne nous livre plus le « coton » nécessaire aux obus
Nitrocellulose
Poudre noire
Short Staple Cotton: The Difference vs Long Staple

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les risques sécuritaires d’Emmanuel Macron

Publié le 11 juin 2024 | Temps de lecture : 5 minutes

Introduction

Du 30 juin au 7 juillet prochain, se tiendront en France des élections législatives anticipées.

En temps normal, la sécurité de la classe politique française se limite à protéger les lieux de pouvoir de la capitale et — dans le cas des ministres et des députés de l’opposition de premier plan — à sécuriser leur pied-à-terre parisien et leurs déplacements de l’un à l’autre, de même qu’à protéger leur famille.

En période électorale, chaque assemblée politique est une activité à haut risque.

Rappelons-nous la tuerie, presque réussie, de ce terroriste fédéraliste à une assemblée de la nouvelle première ministre du Québec, Mme Pauline Marois, au club Métropolis de Montréal.

Avec des dizaines d’assemblées politiques similaires, chaque jour, partout en France, cela donne une idée de la tâche colossale qui attend les forces de l’ordre d’ici le 7 juillet.

Le fait qu’entre les pays de l’Union européenne, il n’y a plus de protection frontalière (sauf aux aéroports), cela signifie que dans les semaines qui précèderont les Jeux olympiques de Paris, la France sera une passoire.

Lorsqu’un pays accueille le monde, soit à l’occasion d’une exposition universelle ou de jeux olympiques, la coutume veut que le pays-hôte se montre accueillant.

J’ai moi-même profité de cette bienveillance lorsque j’ai visité la Chine l’année qui a suivi la tenue des Jeux olympiques de Beijing, et Shanghaï l’année même où cette ville tenait une exposition universelle. C’est ce qui m’a permis d’aller librement partout où je le voulais, en toute sécurité.

Macron, le va-t-en-guerre

Depuis deux ans, le gouvernement Macron tient un discours belliqueux envers la Russie et menaçant envers les pays qui lui permettent de pallier les sanctions occidentales contre elle.

Au cours de cette période, les pays occidentaux ont presque vidé de son sens la notion de ‘co-belligérance’.

Lors de la guerre de la Russie en Afghanistan, les États-Unis armaient les Moudjahidines (ancêtres des Talibans) qui combattaient leur envahisseur de l’époque. Mais Washington le faisait en leur fournissant des kalachnikovs achetées dans d’anciennes républiques soviétiques. De manière à cacher leur appui militaire. Évidemment, Moscou s’en doutait, mais n’en avait pas la preuve.

De nos jours, les pays occidentaux fournissent ouvertement à l’Ukraine des armes de plus en plus puissantes. Les États-Unis transmettent aux tireurs ukrainiens d’obus la géolocalisation précise des cibles russes à abattre.

Après avoir formé à l’Étranger les combattants ukrainiens dans le maniement de ces armes, ils envoient maintenant en Ukraine des formateurs qui, sur place, appuient presque sur le bouton pour déclencher les tirs.

De plus, Emmanuel Macron a pris la relève de l’ex-président de la Pologne comme défenseur de cette nouvelle théorie des dominos selon laquelle une Russie victorieuse en Ukraine s’empresserait d’envahir le reste de l’Europe.

D’où la nécessité, selon Macron, d’envoyer des troupes françaises en Ukraine pour appuyer leurs camarades ukrainiens en difficulté.

Bref, le président français donne à la Russie toutes les raisons de vouloir s’en prendre à son pays.

Le réveil olympique des cellules dormantes

Au cours des Jeux olympiques d’été de Paris, du 26 juillet au 11 aout prochain, n’importe quel terroriste qui aura réussi à s’infiltrer en France à la faveur de la campagne électorale, pourra massacrer à cœur joie les Parisiens et les touristes attablés aux terrasses des restaurants ou qui célèbreront des artistes sur scène.

Évidemment, si cela arrive, ce ne sera pas un Russe qui appuiera sur la gâchette; ce sera un paumé originaire d’un des nombreux pays dévastés par ces guerres menées ou provoquées par l’Occident.

Si Poutine devait vouloir inciter Macron à plus de prudence dans ses propos, il est trop intelligent pour frapper la France au cours de la campagne électorale.

S’il avait la mauvaise idée d’agir ainsi, il provoquerait la défaite des partis politiques qui veulent que la France cesse d’appuyer militairement l’Ukraine et rallierait le peuple français menacé derrière les députés macronistes.

Si la France doit être frappée, ce sera peu de temps après les élections législatives ou au cours des mois qui suivront.

Même si les chasseurs-bombardiers Mirage, les chars d’assaut Leclerc et des obus à 155 mm ne servent à rien contre des attentats terroristes, il sera facile de convaincre les parlementaires élus que les soldats de la république sont plus utiles à défendre le territoire de l’Hexagone qu’à participer au loin à une guerre perdue d’avance.

Parus depuis :
« Sabotage » sur le réseau TGV français : 800 000 voyageurs touchés (2023-07-26)
« Sabotages » en France : les réseaux de fibres optiques attaqués (2024-07-29)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La Géorgie : de l’indépendance à la révolution des Roses

Publié le 8 juin 2024 | Temps de lecture : 10 minutes
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La tentative d’épuration ethnique

Dans les années qui précédèrent l’effondrement de l’URSS (survenue le 26 décembre 1991), l’affaiblissement du pouvoir de Moscou coïncida avec une montée de sentiments nationalistes, voire xénophobes, dans les républiques soviétiques. Ce fut le cas en Géorgie.

Sans une langue commune, la Géorgie aurait été ingouvernable en raison de sa quarantaine de minorités ethniques qui, à l’écrit, utilisent six alphabets différents; arménien, cyrillique, géorgien, grec, latin, et syriaque.

Jusqu’en 1990, le russe était la langue de l’administration publique. Comme le latin l’était en France avant François Ier. La langue russe était même celle de l’enseignement universitaire.

Conséquemment, les minorités ethniques ne voyaient pas, jusque là, de raison d’apprendre le géorgien, pourtant langue maternelle de 70,7 % de la population; il était beaucoup plus utile pour ces minorités d’utiliser le russe comme langue seconde puisque même les locuteurs géorgiens la connaissaient.

En raison du caractère autoritaire du régime soviétique et des problèmes économiques (qui prévalaient partout dans l’URSS, ruinée par sa guerre en Afghanistan), de grandes manifestations furent organisées entre 1987 et 1990 par l’opposition en Géorgie.

L’une d’elles, organisée le 9 avril 1989, fut brutalement réprimée par le pouvoir soviétique. Ce qui lui fit perdre toute légitimité aux yeux d’une bonne partie de la population.

La première élection libre et démocratique du pays eut lieu le 28 octobre 1990. Le mois suivant, les députés nouvellement élus nommèrent à la présidence le champion de la cause indépendantiste.

Dès son accession au pouvoir, ce nouveau président donna libre cours à son ultranationalisme autoritaire.

En décembre 1990, son gouvernement décida de consolider l’identité nationale en décrétant que le géorgien devenait la seule langue officielle du pays, en remplacement donc du russe.

Du jour au lendemain, plus du quart de la population était incapable de comprendre les avis publics qui les concernaient.

La sécession ossète

L’imposition du géorgien ne se fit pas seulement au niveau du gouvernement central, mais également dans chacune des provinces du pays.

L’une d’elles est l’Ossétie du Sud. C’est là que vivait la minorité ossète, dernière descendante des grands peuples nomades d’origine iranienne.

Toujours en vertu de sa politique hypernationaliste, le gouvernement central décidait d’abolir la province de l’Ossétie du Sud (peuplée à 50,5 % d’Ossètes) en la fusionnant avec la province voisine (la Karthlie supérieure), beaucoup plus populeuse.

Résultat ? Les Ossètes ne formaient plus qu’environ quinze pour cent de la population de la Karthlie supérieure agrandie (où leur langue n’était plus enseignée). Ce qui provoqua leur rébellion.

Les affrontements avec l’armée géorgienne firent un nombre limité de morts. Le conflit se termina quand les séparatistes, appuyés par la Russie, proclamèrent leur indépendance, validée par voie référendaire en 1992. Une indépendance de facto reconnue par très peu de pays.

L’intervention de la Russie était motivée par le fait que l’Ossétie du Sud était peuplée de 33,9 % de Géorgiens russophones (une proportion qui a chuté depuis à moins de trois pour cent).

Pendant ce temps, Washington demeura les bras croisés. Ce qui constitua une douche froide pour le gouvernement géorgien qui présumait jusque-là qu’il lui suffisait d’afficher son hostilité à l’égard de la Russie pour obtenir automatiquement le soutien de Washington.

Effectivement, à l’époque, Washington est encore ambivalent au sujet de la Géorgie. Une ambivalence qui sera dissipée quelques années plus tard.

Entretemps en Géorgie

En mars 1991, le parlement géorgien organisa un référendum sur l’indépendance nationale qui fut plébiscité par 90,1 % des votes.

L’indépendance de la Géorgie fut proclamée le 9 avril 1991. Le mois suivant, une élection présidentielle au suffrage direct reporta au pouvoir le président sortant.

Toutefois, les années de lutte de ce président à l’époque où il dirigeait l’opposition avaient semé en lui les germes d’une paranoïa qui se manifesta au grand jour une fois à la tête du pays.

Son attitude autoritaire s’exerça non seulement à l’égard des minorités ethniques, mais à l’encontre de tous ceux qui s’opposaient à lui. Un à un, des anciens alliés devenaient ses ennemis.

Le mécontentement qu’il suscita provoqua un coup d’État du 22 décembre 1991 au 6 janvier 1992. En mars de cette année-ci, le pouvoir militaire nomme à la tête du pays Edouard Chevardnadze, un Géorgien qui fut ministre des Affaires étrangères de l’URSS de 1985 à 1990.

Mais son prédécesseur, d’abord réfugié à l’Étranger, revient dans la province d’Abkhazie (dans l’ouest du pays) où il comptait de nombreux partisans. Ce fut le début de la guerre civile géorgienne.

En aout 1992, les forces gouvernementales envahissent l’Abkhazie afin d’y écraser la rébellion.

Mais l’intervention de l’armée géorgienne y tourne à la catastrophe. L’affrontement fait vingt-mille morts. De plus, les rebelles, appuyés par la Russie, procèdent en septembre 1993 à un nettoyage ethnique; ils chassent de la région 260 000 personnes de langue maternelle géorgienne.

Edouard Chevardnadze est alors confronté à une dure réalité; il a besoin de la Russie pour pacifier son pays.

En octobre 1993, ce réalisme politique l’incite à demander que son pays rejoigne les rangs de la Communauté des États indépendants (formée d’anciennes républiques soviétiques demeurées fidèles à Moscou).

Son pari diplomatique porte partiellement ses fruits. La Russie modifie sa politique à l’égard de la Géorgie; elle continue de soutenir l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie mais cesse de financer la guerre civile géorgienne.

Celle-ci s’achève avec la mort (par suicide ?) de l’ancien président, le 31 décembre 1993.

La présidence d’Edouard Chevardnadze

Edouard Chevardnadze fut d’abord nommé président de Géorgie en 1992, puis en fut élu président au suffrage universel en 1995 et en 2000.

C’est lui qui obtint la reconnaissance officielle de la Géorgie et son admission à l’Onu en juillet 1992.

À la fin de la guerre civile, l’économie de la Géorgie est en ruine et ne s’en relèvera pas au cours de l’administration de Chevardnadze en raison de la corruption généralisée, de l’évasion fiscale et l’économie parallèle (60 % du PIB) qui empêcheront le gouvernement géorgien d’avoir les moyens de reconstruire l’économie du pays.

La seule amélioration est la chute de l’inflation (qui avait atteint 8 000 %).

Le 17 octobre 1995, le pays adoptait une constitution instaurant un régime présidentiel fort.

Le Code civil géorgien, adopté en 1997, facilitait la création d’organisations non gouvernementales. Trois ans plus tard, le pays en comptait près de quatre-mille. En soutenant la population démunie, ces ONG devinrent très populaires et conséquemment, très influentes. Nous y reviendrons.

Indicateurs économiques en 2000

Au début du millénaire, le Géorgie possédait un produit intérieur brut de 13,4 milliards$, (exprimé en parité du pouvoir d’achat). Le PIB par habitant était alors de 2 264$.

Essentiellement, son économie était alimentée par sa consommation intérieure.

La balance commerciale de la Géorgie était déficitaire de 314 millions$US en raison d’importations de 939 millions$US et d’exportations de 625 millions$US.

Dépourvue de ressources minières et énergétiques suffisantes, la Géorgie était dépendante, pour sa production industrielle, de son approvisionnement en hydrocarbures russes.

Ses importations provenaient à 33,7 % des pays de l’ancien bloc soviétique (URSS et Europe de l’Est), à 29,3 % de l’Europe de l’Ouest (ou, plus précisément, de l’Union européenne telle qu’elle était à l’époque) et de 13,0 % des États-Unis.

Ses principales exportations étaient destinées à l’Europe de l’Ouest (41,5 %), aux pays de l’ancien bloc soviétique (28,9 %), et à la Turquie voisine (14,5 %).

Avec un taux de chômage de 10,3 %, la moitié de la population vivait sous le seuil de la pauvreté. L’inflation y était de 4,7 %.

La révolution des Roses

Le 17 septembre 2001, quinze mois après sa réélection à la présidence, Edouard Chevardnadze abandonne la tête de sa formation politique, révélant la crise qui y couvait secrètement.

Deux jours plus tard, son incorruptible et hypertalentueux ministre de la Justice (Mikhaïl Saakachvili) claque les portes du Conseil des ministres.

En quelques semaines, le groupe parlementaire du président a perdu la moitié de ses membres. Même le dauphin de Chevardnadze rejoint les rangs de l’opposition.

Dès l’été 2002, les dirigeants des ONG géorgiennes les plus influentes (celles financées par George Soros) affirmaient qu’une révolution pacifique — provoquée selon les techniques de contestation proposées par le politicologue et théoricien Gene Sharp en 1993 — serait nécessaire pour sortir de la crise sociale et économique secouant le pays.

Aux élections régionales du 2 juin 2002, l’opposition remporte une victoire écrasante sur le parti du président.

À l’élection générale du 2 novembre 2003, les candidats pro-gouvernementaux sont déclarés élus, non seulement contre toute attente, mais également contre toute vraisemblance alors que le taux de popularité de Chevardnadze avoisinait 5 % des intentions de vote.

Les partis d’opposition appellent le peuple à la désobéissance civile; près de cent-mille protestataires défilent dans la capitale.

Le 22 novembre, alors que Chevardnadze prononce son discours d’investiture, la foule envahit l’édifice du parlement grâce à la passivité de l’armée.

Ce qui oblige le président à proclamer l’état d’urgence (ce qui ne donnera rien) et, le lendemain, à démissionner.

La location des autobus qui avaient conduit les protestataires dans la capitale, les roses qui leur furent distribuées à leur arrivée et les préparatifs qui s’étaient déroulés au cours des trois mois précédents ont représenté un déboursé de 42 millions$ pour George Soros.

À l’élection présidentielle anticipée qui suivit, le 4 janvier 2004, Mikhaïl Saakachvili, chef du parti d’opposition Mouvement national uni (financé principalement par George Soros) est élu.

Références :
Coup d’État de 1991-1992 en Géorgie
Crise diplomatique russo-géorgienne de 2008
Démographie de la Géorgie
Géorgie
Géorgie (pays)
Géorgie : Politique des minorités nationales
Géorgien
Guerre russo-géorgienne
L’OTAN s’implante en Géorgie
1992 en Géorgie
Ossétie du Sud
Première guerre d’Ossétie du Sud
Révolution des Roses
Russo-Georgian Conflict Originates With Soros Subversion
Salomé Zourabichvili
Zviad Gamsakhourdia (dans l’encyclopédie Universalis)
Zviad Gamsakhourdia (dans Wikipédia)

Pour consulter tous les textes de cette série consacrée à l’histoire récente de la Géorgie, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


146 pays membres de l’Onu reconnaissent l’existence d’un État palestinien

Publié le 22 mai 2024 | Temps de lecture : 1 minute
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Paru depuis : L’Arménie reconnaît l’Etat de Palestine, Israël promet « une réprimande sévère » à l’ambassadeur d’Erevan (2024-06-21)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


‘Antisémitisme’ et liberté d’expression

Publié le 22 mai 2024 | Temps de lecture : 8 minutes

La définition de l’IHRA

L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste — mieux connue sous son sigle anglais d’IHRA — est une organisation fondée en 1998. Elle regroupe des représentants de 35 pays membres.

Il existe déjà plusieurs définitions de l’antisémitisme. En 2016, l’IHRA a adopté la sienne, qui se lit comme suit :

L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte.

Telle quelle, cette définition qualifie d’antisémitisme toute manifestation rhétorique (ce qui veut dire toute opinion verbale ou écrite) qui critique une personne juive (ex.: Benjamin Netanyahu) ou une institution juive (ex.: l’armée israélienne).

Cette définition est accompagnée de onze exemples destinés à faciliter son interprétation.

L’endossement des gouvernements occidentaux


 
Depuis 2016, de nombreuses organisations juives ont fait pression sur leurs gouvernements respectifs pour qu’ils adoptent cette définition.

C’est ce qu’a fait la Grande-Bretagne. Dès l’adoption par la Chambre des Communes, le gouvernement britannique a demandé à ses ministères, à ses agences et aux organismes paragouvernementaux de tenir compte de cette définition dans leur interprétation de ce qui constitue l’antisémitisme.

La France dispose d’une institution, appelée Académie française, dont le rôle est précisément de définir le sens des mots. Mais cela ne suffit pas.

Conséquemment, à la suite du parlement européen, l’Assemblé nationale française a adopté elle aussi la définition de l’IHRA par un votre de 154 voix pour et de 72 voix contre.

Plus de 350 députés n’ont pas voulu participer au vote en raison de la controverse qu’elle a suscitée.

Même s’il s’agit d’une résolution non contraignante (c’est-à-dire qui n’a pas force de loi), cela ne veut pas dire qu’elle est sans effet.

Au sein de l’administration publique française, on a fait savoir que cette résolution a été adoptée « afin de soutenir les autorités judiciaires et répressives dans les efforts qu’elles déploient pour détecter et poursuivre les attaques antisémites.»

Ici même au Canada, le parlement canadien a adopté la définition de l’IHRA sans toutefois modifier le Code criminel en conséquence.

En juin 2021, une motion à ce sujet a été soumise à l’Assemblée nationale du Québec par le gouvernement Legault. Toutefois, pour être recevable et débattue, il fallait le consentement unanime des députés. Or Québec Solidaire s’y est opposé. Ce qui fait que le Québec n’a jamais adopté cette définition, contrairement à la plupart des autres provinces canadiennes.

Précisons que les États-Unis pourraient être le premier pays à inscrire la définition de l’IHRA dans sa législation.

L’an dernier, la Chambre des Représentants américaine a adopté le projet de loi intitulé Anti-Semitism Awareness Act of 2023 par un votre de 320 voix pour et 91 voix contre. Ce projet de loi vise à incorporer la définition de l’IHRA au chapitre VI de la Loi sur les Droits civiques de 1964.

Il reste encore à ce projet de loi de recevoir l’assentiment du Sénat et la signature présidentielle pour entrer en vigueur.

La liberté d’expression

Le 24 octobre 2023, le ministre français de l’Intérieur annonçait que des poursuites pénales seraient intentées contre ceux qui nient la décapitation des bébés au kibboutz de Kfar Aza par le Hamas, le 7 octobre dernier. Or il est maintenant admis qu’il s’agissait-là d’une nouvelle fallacieuse de la propagande israélienne.

Tous les journalistes qui ont travaillé à rétablir la vérité ont implicitement porté atteinte à la crédibilité de l’armée israélienne et sont donc coupables d’antisémitisme selon la définition de l’IHRA.

Le mois dernier, l’Allemagne a déployé 930 policiers afin d’interrompre la tenue d’un colloque pro-palestinien (notamment en coupant l’électricité et en confisquant les micros) après avoir interdit l’entrée sur le sol allemand des conférenciers étrangers invités.

D’autre part, puisque le sionisme milite pour que l’État d’Israël englobe toute la Palestine et donc, agrandisse ses frontières jusqu’au Jourdain, l’expression ‘Du fleuve à la mer’ — c’est-à-dire du Jourdain à la Méditerranée — pourrait être un slogan sioniste.

Mais de la bouche d’un manifestant pro-palestinien, cela devient de l’antisémitisme, tout comme le slogan ‘Free Palestine’ (ce qui signifie ‘Vive la Palestine libre’).

L’humoriste Guillaume Meurice est en attente de la décision d’un tribunal français après que plusieurs associations juives aient porté plainte contre lui pour avoir déclaré publiquement que Benjamin Netanyahu était ‘une sorte de nazi sans prépuce’.

À l’encontre de ceux qui campent sur le campus de l’université McGill, les manifestants pro-Israël ont raison de les accuser d’antisémitisme (selon la définition de l’IHRA) puisque toute critique de l’État d’Israël ou de son armée répond à cette définition.

L’envers du décor

Juriste américain réputé, Kenneth Stern est l’auteur principal de la définition de l’IHRA. Selon lui, cette définition a été adoptée exclusivement à des fins de recherche.

Sa formulation vague (“…une certaine perception des Juifs qui peut se manifester…”) est voulue. Elle permet aux chercheurs de quantifier les actes clairement antisémites et de voir dans quelle mesure un narratif qui ne l’est pas tout à fait peut évoluer avec le temps.

Depuis moins d’une décennie, par rectitude politique, les politiciens occidentaux ont cédé aux associations juives les plus militantes qui réclamaient l’adoption de la définition de l’IHRA, présentée comme le fruit d’un consensus international.

En réalité, pour ces associations, cette définition est une occasion en or. En multipliant les plaintes d’antisémitisme auprès des forces de l’ordre, on peut ainsi harceler en toute légalité ceux qui se montrent critiques envers les dirigeants israéliens.

Mais voilà qu’un conflit au Proche-Orient reverse l’opinion publique contre Israël alors qu’on assiste au premier génocide télévisé de l’Histoire.

En faisant fi des avertissements selon lesquels l’adoption de la définition de l’IHRA est liberticide, les gouvernements occidentaux se retrouvent aujourd’hui déconnectés de leur population, massivement antisémite selon leurs propres critères.

Cette déconnexion s’étend à l’ensemble de l’Humanité alors que s’élargit le gouffre idéologique entre le Sud Global et un Occident à la recherche de ses repères moraux.

Références :
Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste
Appel de 127 intellectuels juifs aux députés français : « Ne soutenez pas la proposition de résolution assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme »
Après avoir traité Netanyahu de « nazi sans prépuce », Guillaume Meurice défend sa liberté d’expression
Germany cancels pro-Palestine event, bars entry to Gaza war witness
Germany’s crackdown on criticism of Israel betrays European values
Kenneth Stern, juriste américain : « Notre définition de l’antisémitisme n’a pas été conçue comme un outil de régulation de l’expression »
La définition opérationnelle de l’antisémitisme
La résolution controversée sur la lutte contre l’antisémitisme adoptée par les députés
Le Canada adopte la définition de l’antisémitisme de l’IHRA
Left-wing Jewish Alliance Calls on Biden to Reject Antisemitism Definition That Includes anti-Zionism
Les «bébés de Kfar Aza» au cœur de la guerre de communication entre le Hamas et Israël
Les défenseurs des droits de la personne applaudissent le Québec pour avoir rejeté l’adoption de la définition de l’antisémitisme controversée de l’IHRA
Massacre de Kfar Aza
Montréal n’adopte pas la définition de l’antisémitisme de l’IHRA
« Quarante bébés décapités » : itinéraire d’une rumeur au cœur de la bataille de l’information entre Israël et le Hamas
Quebec hasn’t adopted IHRA definition of anti-Semitism despite vote
Will the US adopt IHRA’s anti-Semitism definition? What’s the controversy?

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La rivalité commerciale sino-américaine : le cas du port péruvien de Chancay

Publié le 16 mai 2024 | Temps de lecture : 4 minutes

La route de la soie

Depuis 2013, la Chine investit des sommes colossales afin de développer un réseau de voies ferroviaires et maritimes regroupées sous le vocable de ‘Nouvelle route de la soie’.

Dans le cas de l’ensemble des installations portuaires que la Chine achète ou construit à l’Étranger, il est à noter que des groupes de réflexion américains lui ont donné le nom spécifique de ‘Collier de perles’. Toutefois, cette expression ne fait pas partie du vocabulaire de l’État chinois.

Ce réseau terrestre et maritime est destiné à favoriser l’importation des matières premières dont l’économie chinoise a besoin et à faciliter l’exportation de ses produits finis.

Puisque le territoire chinois, pourtant vaste, est insuffisant à nourrir les 1,3 milliard de personnes que compte sa population, ce réseau servira également à assurer l’approvisionnement alimentaire de la Chine à partir des terres agricoles que ce pays a acquises à l’Étranger, notamment de ses palmeraies africaines.

Le port de Chancay


 
Une des ‘perles’ du collier chinois sera le port en eau profonde de Chancay. En construction depuis quelques années, il situé à 74 km de la capitale du Pérou. C’est le fruit d’un partenariat entre ce pays et la Chine.

Il s’agit un projet de 3,6 milliards$US destiné à faire de Chancay le ’Shanghai’ de l’Amérique du Sud. Il comprendra des quais, des entrepôts, des équipements de manutention et tout ce qui est nécessaire au fonctionnement du terminal.

Le traité intervenu entre la Chine et le Pérou prévoyait que la China Ocean Shipping Company (ou COSCO) aurait été l’opérateur exclusif du port.

COSCO est une entreprise de Hong Kong détenue par l’État chinois. Œuvrant dans 1 600 ports répartis dans 160 pays, elle est une des principales entreprises de transport maritime et de logistique au monde; sa flotte comprend des porte-conteneurs, des pétroliers, des navires de transport de véhicules ou de transport de marchandise en vrac, etc.

De plus, elle est impliquée dans la construction navale, le courtage maritime, les services de transport intermodal et, comme dans ce cas-ci, la gestion des terminaux portuaires.

L’ouverture officielle des premiers quais du port de Chancay est prévue lors d’une visite du président chinois à l’occasion du sommet de l’APEC, en novembre prochain.

Importance géostratégique

La mise en service de ce port devrait bouleverser le transport maritime en Amérique du Sud.

En 2023, la Chine importait pour 135 milliards$US de marchandises provenant des cinq pays suivants : la Colombie, l’Équateur, le Pérou, le Chili et le Brésil. Les importations chinoises concernaient du lithium, du soya, du maïs, des huiles végétales, du fer et du ciment.

À l’heure actuelle, l’Amérique du Sud compte déjà quatre ports en eau profonde donnant sur le Pacifique. Chancay deviendra donc le cinquième, mais le premier contrôlé par la Chine.

Même si la COSCO s’abstenait de concentrer ses opérations à Chancay (ce qui est douteux), celui-ci pourrait recevoir par train les marchandises que le Brésil destine à la Chine. Ce qui lui évitera le détour par le canal de Panama ou le contournement du redoutable Cap Horn.

Le monopole de COSCO sur Chancay ne signifie pas que seuls des navires chinois y auront accès, mais que les navires des autres pays seraient forcés de faire affaire avec l’entreprise chinoise.

Les États-Unis voient d’un très mauvais œil la construction de ce port puisque cela permettrait de contourner ou de rendre plus difficile un blocus maritime américain contre la Chine.

Déjà, sous pression de Washington, le parlement péruvien a adopté le mois dernier une nouvelle loi qui remet en question la parole donnée par le Pérou à la Chine.

D’où la menace chinoise de porter l’affaire devant les tribunaux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

C’est à suivre…

Références :
China vows ‘firm support’ for Peru as Foreign Minister Javier Gonzalez-Olaechea Franco visits Beijing
Le port de Chancay au Pérou : une pierre chinoise dans l’arrière-cour des Etats-Unis ?
Liste des ports Panamax
Nouvelle route de la soie
Stratégie du collier de perles
Why is the US uneasy about China’s troubled US$3.6 billion port project in Peru?

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le Congo et le verrou rwandais

Publié le 30 avril 2024 | Temps de lecture : 23 minutes
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Introduction

De nos jours, deux pays africains voisins portent le nom de ‘Congo’; la République du Congo (ancienne colonie française) et, à l’Est, la République démocratique du Congo (ancienne colonie belge), dix-huit fois plus peuplée et six fois plus grande.

Malgré le fait que ce dernier pays portait le nom de Zaïre au moment des faits relatés dans le texte qui suit, nous avons choisi de l’appeler Congo, comme l’a fait avant nous Hergé, dessinateur de ‘Tintin au Congo’.

Le Congo et le remodelage de la politique étrangère des États-Unis

Après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis se sont présentés comme les grands défenseurs du ‘monde libre’. En réalité, ce ‘monde libre’ était celui qui se définissait comme opposé au communisme.

Cette politique a amené les États-Unis à dépenser une fortune pour le plan Marshall. Celui-ci était destiné à redresser l’économie de l’Europe occidentale, ruinée par cette guerre, et ainsi faire obstacle à l’expansion du communisme vers l’ouest à partir de la Russie.

Paradoxalement, cette lutte pour la liberté ne les a pas empêchés de couvrir l’Amérique latine de dictateurs d’extrême droite et même de faire assassiner (parce que communiste) Salvador Allende, pourtant élu démocratiquement à la présidence du Chili.

De la même manière, la CIA américaine a suscité et financé de nombreux coups d’État ailleurs dans le monde afin d’assoir un certain nombre de ‘bons’ dictateurs à la tête de leur pays.

L’un d’eux était Joseph-Désiré Mobutu, maitre absolu du Congo depuis 1965 (et ce, jusqu’à sa chute en 1997).

Mais après un quart de siècle de bons et loyaux services rendus aux États-Unis, ceux-ci envisageaient de se passer de lui.

Avec l’effondrement de l’URSS en 1991, les États-Unis se retrouvaient sans cet épouvantail qui leur permettrait de rallier des pays autour d’eux.

Ils se sont donc reconvertis en défenseurs de la démocratie. Ce qui ne les a pas empêchés, encore une fois, de renverser des gouvernements qui ne leur convenaient pas, pourtant élus démocratiquement.

En vertu de cette nouvelle politique, un certain nombre de leurs vieux amis devenaient encombrants, dont le dictateur congolais. D’où l’idée de renverser son régime pour le remplacer par un autre, plus ‘vertueux’.

Conçu par des groupes de réflexion de droite, le plan américain s’inscrivait alors dans une grande stratégie de géopolitique en Afrique.

Maintenant aux mains des Démocrates, Washington voulait remodeler politiquement le cœur de l’Afrique subsaharienne (appelée alors Afrique noire). Même si, pour cela, il fallait bousculer la France dont la zone d’influence comprenait le Rwanda et le Congo.

Dans le cas précis du Congo, le remodelage américain débute en Ouganda.

Paul Kagame à la conquête du Rwanda

En 1990, Paul Kagame fait partie de l’armée ougandaise. Natif du Rwanda (un pays qu’il a quitté à l’âge de quatre ans), il occupe alors le poste de chef des services de renseignements militaires d’Ouganda.

Précédemment, il a fait partie des maquisards qui avaient aidé le président de ce pays à prendre le pouvoir en 1986. Pour le remercier, ce dernier l’avait nommé à ce poste.

En juillet 1990, lui et quelques collègues Tutsis de l’armée ougandaise sont envoyés à Fort Leavenworth (au Kansas) pour y recevoir une formation au sujet de la guerre insurrectionnelle.

À son retour des États-Unis, Paul Kagame et ses hommes quittent les rangs de l’armée ougandaise le premier octobre 1990 pour aller envahir leur pays d’origine (en jaune sur la carte). Ce qui y déclenche une guerre civile.

Le plan de ces rebelles ne se limitait pas à la simple prise du pouvoir au Rwanda — un pays relativement pauvre dont le pillage n’aurait pas rapporté grand-chose — mais à s’emparer également de la région congolaise du Kivu (en rouge sur la carte) dont les richesses minérales seraient exportées par le biais du Rwanda, assurant la prospérité de ce dernier et leur fortune personnelle.

À leurs yeux, cela se justifiait par le fait que les frontières de tous les pays africains sont des créations arbitraires des puissances coloniales datant du XIXe siècle et que rien n’empêchait des milices tutsies de créer de facto un ‘Tutsiland’ prospère dont le territoire chevaucherait plusieurs pays.

Contrairement à son sens littéral, ce ‘Tutsiland’ ne se définissait pas comme la terre occupée majoritairement par l’ethnie tutsie, mais plutôt comme un territoire où, malgré leur statut minoritaire, les Tutsis y règneraient en seigneurs.

Pour les États-Unis, l’idée était d’installer au Rwanda des dirigeants amis qui seraient en mesure d’envahir le Congo, pays voisin, et d’y contrôler l’accès aux ressources naturelles.

Paul Kagame et ses hommes mettront quatre ans à faire la conquête du Rwanda.

Le 6 avril 1994, quand un avion transportant les présidents du Rwanda et du Burundi est abattu par un missile, cet incident déclenche le massacre des Tutsis au Rwanda, accusés (à tort ou à raison) d’en être responsables.

Au cours des semaines qui suivent, les génocidaires Hutus avaient établi de nombreux barrages routiers afin d’empêcher les Tutsis d’échapper à leur sort.

Puisque l’offensive des rebelles Tutsis partait de l’Ouganda, leur avancée poussait d’abord la population qui fuyait les combats vers le centre du Rwanda, où se trouve la capitale.

Mais dès qu’ils eurent bouclé la frontière avec la Tanzanie (où 470 000 Rwandais s’étaient déjà réfugiés), puis celle avec le Burundi (où 255 000 personnes avaient fui), seul le Congo (à l’ouest) demeura accessible aux militaires Hutus en déroute et à la population civile en fuite.

Pour ce faire, les réfugiés devaient contourner le lac Kivu, large de 48 km et qui longe presque toute la frontière congo-rwandaise. La grande majorité d’entre eux trouvèrent refuge à proximité de la capitale régionale congolaise de Goma (au nord de ce lac).

Les cartes des services de renseignement de la CIA montrent que le déploiement des milices rebelles sur le territoire rwandais a systématiquement contraint les civils rwandais, toutes ethnies confondues, à fuir vers le Congo.

Le génocide des Tutsis n’a pas été voulu par les milices de Paul Kagame. Mais elle simplifiera leur tâche. À leur arrivée dans la capitale, il ne reste plus, de leur point de vue, que des ‘génocideurs’ puisque les Tutsis y ont été exterminés. Nul besoin de mettre des gants blancs; les rebelles y feront un carnage.

Le 15 juillet 1994 marque la fin officielle du génocide des Tutsis rwandais (débuté le 7 avril précédent).

Jusque-là, les États-Unis étaient demeurés sourds aux appels de l’ONU destinés à mettre fin aux hostilités. Rien n’aurait été plus contraire à leurs plans qu’un partage territorial à la coréenne ou à un beau plan de réconciliation nationale qui aurait entravé les ambitions congolaises de Paul Kagame.

Dès que ce dernier eut pris incontestablement le pouvoir au Rwanda, la première étape de la grande stratégie américaine prenait fin.

Restait alors à déstabiliser le Congo.

Le problème des réfugiés

Dès la prise du pouvoir par Paul Kagame, les États-Unis déclenchèrent une mission pseudo-humanitaire appelée Support Hope.

Au Rwanda, le but de cette mission était de sécuriser l’aéroport de la capitale. Et par cet appui officiel aux nouveaux maitres du pays, on voulait dissuader les opposants Hutus, réfugiés au Congo, de fomenter leur revanche.

Au Congo, les soldats américains devaient officiellement aider au rapatriement des Rwandais et prévenir ainsi une crise humanitaire dans la région du Kivu, accablée par l’arrivée de millions de réfugiés.

Pendant des mois, sous les auspices des États-Unis, le Rwanda et le Congo négocieront les modalités d’un retour des réfugiés dans leur pays natal. Ce que les présidents des deux pays souhaitent, mais ce dont Paul Kagame — l’homme fort du régime au Rwanda dont il n’est pas encore président — ne veut absolument pas entendre parler.

Pour continuer à jouir de l’appui des États-Unis, Paul Kagame sait très bien qu’éventuellement il aura à organiser des élections au Rwanda.

Plus grand est le nombre de Hutus à l’Étranger, plus grandes sont les chances que son régime se maintienne au pouvoir. Puisque ces réfugiés au Congo représentent à eux seuls, le tiers de la population rwandaise.

Donc les négociations en vue du retour au Rwanda des réfugiés trainent en longueur.

Le 2 juin 1995, Paul Kagame organise une conférence de presse dans laquelle il déclare que, selon des sources sures, les hauts responsables du génocide, réfugiés au Congo, sont en train de se réarmer pour attaquer le Rwanda. Il demande la levée de l’embargo sur la vente d’armes au Rwanda afin d’être en mesure de protéger la population de son pays.

Soutenue par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, sa requête est entérinée par l’Onu en aout 1995. Ce qui permettra à Paul Kagame de préparer son action militaire contre le Congo.

Réalisant soudainement la menace d’une invasion rwandaise, le Congo ordonne que tous les réfugiés sur son territoire quittent le pays avant le 31 décembre 1995.

Fidèle à ses principes, l’Onu condamne cette violation du droit des réfugiés. Le président du Congo s’empresse aussitôt d’infirmer la décision de son premier ministre.

En aout 1996, des prospecteurs sillonnent le sud de la région du Kivu pour analyser son potentiel de développement. En réalité, ce sont des militaires et des agents de renseignements du Rwanda qui viennent secrètement préparer l’offensive armée contre le président Mobutu.

Le 18 octobre 1996, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) nait dans la capitale rwandaise à l’initiative de Paul Kagame.

Ici, le qualificatif ‘démocratique’ est important parce que c’est lui qui donnera un vernis de respectabilité, aux yeux de l’Occident, à ces mercenaires qui sèmeront la mort et la désolation partout sur leur passage au Congo.

Au départ, l’AFDL comprend des miliciens rwandais, ougandais et angolais, auxquels s’ajoutera un certain nombre de Tutsis congolais recrutés lors de razzias effectuées au Congo par l’AFDL.

Il est à noter que les Tutsis congolais dont on parle ici ne sont pas les Tutsis rwandais réfugiés depuis peu au Congo, mais d’autres qui ont fui le Rwanda quelques décennies plus tôt et qui se sont intégrés au Congo depuis. Ils portent le nom distinctif de ‘Banyamulenge’. Pour faire simple, nous les appellerons ‘Tutsis congolais’.

Selon Laurent-Désiré Kabila — le porte-parole de l’AFDL qui deviendra plus tard président du Congo — son organisme représente l’opposition au dictateur Joseph-Désiré Mobutu. De plus, l’AFDL serait principalement composée de Tutsis congolais qui se révoltent parce qu’ils sont persécutés et dépossédés de leurs biens dans leur pays.

En novembre 1996, Paul Kagame fait bombarder à deux reprises les camps de réfugiés situés au sud du lac Kivu.

Pour les États-Unis, le Rwanda ne fait que réagir à la menace que font peser sur lui les ‘génocideurs’ rwandais réfugiés au Congo.

Ils reprochent donc au dictateur congolais (Mobutu) d’être le véritable responsable de cette violence en refusant de sévir contre les criminels réfugiés dans son pays et l’accusent faussement de livrer des armes à des indésirables qui ont complètement déstabilisé la région.

Le dictateur Mobutu n’est pas un enfant de chœur. Mais les démarcheurs de Paul Kagame à Washington l’accusent d’être un obstacle au retour des réfugiés rwandais dans leur pays (ce qui, en réalité, est la faute de Kagame), de susciter la révolte dans son propre pays et conséquemment, d’être un facteur d’instabilité pour toute la région.

Bref, plus tôt les États-Unis provoquent sa perte, mieux ce sera.

Dirigées par des troupes et des officiers rwandais, les forces armées hostiles à Mobutu envahissent le Congo le 24 octobre 1996, ce qui déclenche la Première guerre du Congo. Elle se termine par la conquête de la capitale de ce pays, le 17 mai 1997.

Bien que l’AFDL ait réussi à chasser Mobutu du pouvoir au terme de cette première guerre, cette alliance ne survécut pas aux tensions entre Laurent-Désiré Kabila et ses anciens alliés ougandais et rwandais. Ce qui déclenche la deuxième guerre du Congo le 2 aout 1998. Celle-ci se poursuivra jusqu’en juin 2003.

Elle sera suivie par la Guerre du Kivu, déclenchée en 2004. Celle-ci est toujours en cours.

Au total, ces trois guerres feront plus de dix-millions de morts. Dans l’indifférence presque totale de l’Occident.

Le verrou rwandais

Parmi les nombreuses ressources minérales du Congo se trouvent le cobalt et le coltan (ou colombite-tantalite).

Le coltan

Celui-ci est crucial dans la production des appareils électroniques; de faibles quantités sont essentielles à la fabrication des composants électroniques de tous les appareils dits ‘intelligents’.

Voilà pourquoi les systèmes de défense des puissances occidentales reposent, entre autres, sur le coltan.

Le Congo en est, de loin, le premier producteur. C’est plus précisément dans la région du Kivu que se trouvent 60 à 80 % des réserves mondiales de ce minerai.

On le rencontre sous forme de cailloux durs dans du calcaire aussi friable que du plâtre. Ce qui rend possible son extraction par des moyens extrêmement rudimentaires.

Des quatre-mille tonnes produites, une partie est exportée via le Rwanda alors que le reste l’est directement du Congo (à partir des mines sous protection de l’armée congolaise).

En janvier 2000, Paul Kagame avait explicitement déclaré au ministre français de la Coopération venu le visiter : « Cela fait cent-cinquante ans que les Blancs exploitent et pillent le Congo. C’est maintenant le temps des Noirs [sous entendu : de faire pareil].»

L’année suivante, l’Onu publiait son premier rapport sur le pillage des ressources congolaises.

Ses enquêteurs ont découvert que la plupart des sociétés responsables de ce pillage appartiennent soit au gouvernement rwandais, soit à des proches de Paul Kagame.

Les enquêteurs de l’Onu écrivent :

La plus grande partie [du coltan] exportée [du Kivu] est extraite sous la surveillance directe des superviseurs de l’[Armée patriotique rwandaise].
[…]
Dans [ces sites], divers régimes de travail forcé existent pour l’extraction, pour le transport et pour les tâches domestiques. Selon de nombreuses sources, il serait largement fait appel à des prisonniers importés du Rwanda […].

Nous avons mis la fin de cette citation en italiques. Dans la dernière partie du présent texte, on verra pourquoi.

Le cobalt

Le Rwanda est le principal pays exportateur de cobalt. Encore là, le territoire de ce pays n’en recèle pas : il ne fait qu’exporter les 120 000 tonnes de cobalt brut produites au Congo.

Le deuxième rapport des experts de l’Onu (publié à la fin de 2002) atteste que les rebelles associés aux armées du Rwanda et de l’Ouganda ont mis sur pied une économie de guerre qui s’autofinance à partir de l’exploitation des ressources minières du Kivu.

Dans les mines à ciel ouvert de cobalt, la production est artisanale. On estime que 250 000 Congolais — en bonne partie des enfants — y trient les pépites de cobalt.

De nos jours, les 260 groupes rebelles qui ravagent la région sont fédérés au sein du Mouvement du 23 mars (ou M23), appuyé par le Rwanda.

Pour se financer, chaque groupe armé prend d’abord le contrôle d’un site minier, puis impose des frais quotidiens aux mineurs (appelés ‘creuseurs’) pour y travailler.

Certains de ces combattants sont eux-mêmes d’anciens mineurs qui ont trouvé plus facile et plus payant de prendre le contrôle d’une mine et d’y rançonner le travail.

Des contrebandiers transportent ensuite le cobalt vers la ville congolaise de Goma, puis lui font traverser la frontière. Les importateurs rwandais s’acquittent alors d’une taxe officieuse à l’importation avant d’expédier le minerai brut vers l’Étranger (où il est raffiné).

Les revenus de cette taxe sont versés à la caisse du parti politique de Paul Kagame. Les sommes recueillies sont blanchies sous forme d’investissements de Crystal Ventures, la face respectable de cette caisse secrète.

Crystal Ventures

Créée en 1995 sous le nom de Tri-Star Investments, le fonds d’investissement Crystal Ventures porte ce nom depuis 2009. En réalité, c’est la caisse occulte du parti politique de Paul Kagame. Et c’est lui qui en assume la présidence.

Grâce aux contrats attribués par le gouvernement rwandais, cette entreprise a joué un rôle important dans la reconstruction du pays après le génocide des Tutsis.

Des routes construites par la firme d’ingénierie NPD-Cotraco (détenue par Crystal Ventures) à la principale entreprise agroalimentaire et plus gros producteur de lait du pays, Inyange Industries (également détenue par Crystal Ventures), ce fonds d’investissement fait rayonner l’esprit d’entreprise du chef d’État rwandais.

À ceux qui l’accusent de conflit d’intérêts et de favoritisme, celui-ci réplique qu’au lendemain du génocide, personne ne voulait investir au Rwanda. Mais grâce à lui, l’économie rwandaise s’est relevée de ses cendres.

On doit reconnaitre que lorsque le gouvernement dirigé par Paul Kagame accorde des contrats à des entreprises dirigées par lui, cette symbiose est le plus parfait exemple de partenariat public-privé…

En 2021, la valeur de Crystal Ventures était estimée à un demi-milliard de dollars américains. Toutefois, dans les articles consultés, on ne sait pas très bien s’il s’agit de sa valeur capitalisée (sa vraie valeur) ou de la somme totale des actifs qu’il gère (ce qui est très différent).

Ce qui est certain, c’est qu’avec ses douze-mille salariés, Crystal Ventures est le deuxième employeur du Rwanda (derrière l’État).

Très diversifiés, ses secteurs d’activité comprennent l’agroalimentaire, les mines, la sécurité, les télécommunications, les services financiers, et l’exécution de travaux publics.

Limité longtemps au marché rwandais, Crystal Ventures investit depuis 2020 dans la République centrafricaine et au Mozambique (deux pays où Paul Kagame déploie son armée), au Congo (où il possède des mines), au Bénin et au Mozambique.

La sous-traitance de l’immigration britannique

Le 23 avril dernier, le parlement britannique adoptait La loi sur la sureté du Rwanda. Celle-ci vise à déléguer au Rwanda la sous-traitance des demandes d’asile en Grande-Bretagne.

Puisque l’immigration est un pouvoir régalien, on peut s’étonner de voir un pays souverain (la Grande-Bretagne) déléguer ce pouvoir à un autre pays souverain.

En 2023, environ trente-mille personnes ont demandé asile au Royaume-Uni. Le Québec, dix fois moins peuplé, en a accueilli deux fois plus. Mais ne comparons pas des pommes et des oranges; pour Londres, c’est trop.

Aussi a-t-on décidé de les expulser au Rwanda.

Qu’ils soient Afghans, Syriens, Latino-Américains, Bulgares ou Africains, ils seront tous expulsés au Rwanda.

Pourquoi le Rwanda ?

C’est que le Rwanda est un pays sûr, disent les autorités anglaises. Mais sûr pour qui ?

En réalité, on veut dire que le Rwanda est un pays stable.

En effet, il est dirigé par le même dictateur depuis un quart de siècle. De plus, celui-ci est aimé de son peuple si on en juge par le fait que 99 % des Rwandais votent librement pour lui aux élections.

On ne risque pas de se tromper en affirmant que toutes les dictatures sont stables… jusqu’au jour où elles s’effondrent. Ce qui prend habituellement plus de temps qu’un gouvernement démocratique. Surtout s’il est minoritaire.

Donc oui, le Rwanda est stable.

En vertu du traité intervenu entre Londres et Kigali, c’est le Rwanda qui sera responsable de l’examen des demandes d’asile.

En contrepartie, Londres a déjà versé l’équivalent de 378 millions de dollars canadiens au Rwanda pour le remercier à l’avance de son hospitalité. Et lui versera 86 millions$ par année au cours des trois prochaines années. C’est sans compter 259 503$ pour les frais de traitement de chaque cas (dont un bonus de 206 millions$ au 330e expulsé).

Selon l’Onu, les demandes adressées à partir du Rwanda priveront les demandeurs de toute possibilité d’appel auprès des tribunaux britanniques. De plus, le texte de cette loi autorise expressément le gouvernement à ignorer tout recours provisoire intenté auprès de la Cour européenne des droits de la personne.

Mais qu’arrive-t-il lorsqu’une demande est rejetée par Londres ?

Compte tenu des antécédents de Paul Kagame, il est à parier que ces migrants pallieront le manque de main-d’œuvre dans les mines congolaises contrôlées par lui.

Ce qui permettra de remplacer les enfants qui y travaillent par des adultes : leur meilleure endurance permettra d’augmenter les rendements. De plus, on peut s’attendre à ce que leur rémunération soit minime en raison du cout de la vie si faible au Congo…

Quand éclatera le scandale de cet esclavagisme mis en place grâce à leur complicité, les autorités britanniques feront semblant d’être surprises…

Conclusion

De nos jours, les ‘creuseurs’ au Congo sont les équivalents modernes des cueilleurs de coton au XIXe siècle.

Au prix de millions de morts, les États-Unis soutiennent une élite guerrière au Rwanda qui pille les richesses congolaises et réinvestit les sommes obtenues dans l’économie du Rwanda et dans celles de pays d’Afrique subsaharienne.

Cette prédation est destinée à assurer à l’économie mondiale son approvisionnement en métaux stratégiques.

D’autre part, le Rwanda contribue à la stabilité des pays dans lesquels il investit en leur offrant des services de protection présidentielle, de formation professionnelle destinée à leurs armées, voire de lutte anti-insurrectionnelle (à l’instar du groupe russe Wagner).

Dans ce sens, le Rwanda aide les États-Unis à assurer l’ordre mondial : d’où l’impunité dont jouissent ses pillards au Congo.

Références :
Au Rwanda, les discrets atouts de la diplomatie économique de Paul Kagame
Comprendre la crise en République démocratique du Congo en 5 questions
Congo: la rwandaise Crystal Ventures annonce des investissements dans la Zone industrielle de Maloukou
Crystal Ventures, la face business du FPR de Kagame
Dans l’enfer des mines de cobalt
DR Congo: Civilians in the firing line as use of heavy weapons signals alarming new phase of armed conflict in the east
Entrevue de Charles Onana (par Stéphan Bureau) (vidéo)
En 2023, le Rwanda s’est classé premier exportateur mondial de coltan pour la 5e fois en 10 ans
Envoi des migrants par le Royaume-Uni au Rwanda : neuf questions pour comprendre
Expulsions de réfugiés au Rwanda : l’ONU appelle le Royaume-Uni à revenir sur sa loi
Guerre du Kivu
Onana, C. (2023). Holocauste au Congo. Éditions L’Artilleur. Paris. 504 p.
Le Québec a reçu 45 % de tous les demandeurs d’asile en 2023
Mouvement du 23 mars
Rapport à mi-parcours du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo
Rwanda : Inyange Industries Limited, la principale entreprise agroalimentaire du pays, prévoit de mettre en service une unité de traitement de lait en avril 2023
The ‘man who repairs women’ on rape as a weapon and how the world forgot the DRC

Parus depuis :
At least 12 killed in bomb attacks on eastern DR Congo displacement camps (2024-05-04)
Comment le régime du Rwanda assure sa tranquillité avec un système de soft power redoutablement efficace (2024-05-29)
Selon le Rwanda, « le HCR ment » au sujet de l’accord migratoire passé avec le Royaume-Uni (2024-06-13)
Le Rwanda parvient à torpiller la nomination du représentant de l’Union européenne pour la région des Grands Lacs (2024-06-24)
Comment l’armée rwandaise a conquis une partie de l’est de la RDC (2024-07-08)
Royaume-Uni : Expulser quatre migrants a coûté 1,2 milliard de dollars (2024-07-24)
RD Congo. Kamituga, ville minière et berceau du mpox (2024-09-11)
L’Union européenne débloque 20 millions d’euros pour les forces rwandaises au Mozambique (2024-11-19)
Children executed and women raped in front of their families as M23 militia unleashes fresh terror on DRC (2024-12-21)
L’entrée du M23 dans Goma, un tournant dans la guerre dans l’est de la RDC (2025-01-27)
Guerre RDC-Rwanda : désigner clairement les protagonistes (2025-01-28)
Rwandan troops ‘dying in large numbers in DRC’, despite official denials of role (2025-02-07)
Guerre en RDC : le Conseil de sécurité de l’ONU condamne pour la première fois directement le Rwanda pour son soutien au M23 (2025-02-22)
Guerre en RDC : l’Allemagne et le Canada suspendent leurs aides au Rwanda en raison de son soutien au M23 (2025-03-04)

Complément de lecture : ‘I cried, I cried. I had no one’: the brutal child kidnappings that shamed Belgian Congo (2024-12-01)

Postscriptum du 9 juillet 2024 : Le nouveau premier ministre travailliste, Keir Starmer, a confirmé dès le lendemain de son élection l’abandon du projet des conservateurs d’expulser au Rwanda des migrants arrivés illégalement sur les côtes anglaises.

Référence : Royaume-Uni : les recours de migrants menacés d’expulsion au Rwanda classés, après l’abandon de ce projet controversé (2024-07-09)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La leçon du fiasco occidental en Ukraine

Publié le 26 avril 2024 | Temps de lecture : 5 minutes

En janvier 2023, l’Allemagne hésitait à envoyer et à permettre aux autres pays d’envoyer des blindés Leopard, de fabrication allemande.

La raison officielle était que l’envoi de chars d’assaut risquait de rappeler aux Russes les souvenirs de l’invasion allemande au cours de la Deuxième Guerre mondiale, et de galvaniser l’armée de Vladimir Poutine.

Se croyant malin, le chancelier allemand avait toutefois ajouté qu’il consentirait à envoyer des chars Leopard si les États-Unis acceptaient d’envoyer eux aussi leurs chars les plus sophistiqués, soit les Abrams, pariant que les Américains ne le feraient pas.

Il fut pris de court quand les Américains ont annoncé leur intention d’envoyer les leurs. Pour beaucoup d’observateurs, il ne s’agissait que d’un bluff destiné à forcer la main aux Allemands.

Mais bientôt, on apprenait qu’une base militaire américaine en Allemagne (Grafenwoehr) avait reçu quelques-uns d’entre eux pour servir à la formation d’opérateurs ukrainiens.

C’est finalement en septembre 2023 que l’Ukraine a commencé à recevoir ces précieuses machines de guerre. Au total, 31 chars Abrams M1A1 ont été reçus.

Toutefois, on annonce aujourd’hui que déjà cinq d’entre eux ont été détruits par l’armée russe. Si bien que, de concert avec l’armée américaine, tous ces chars ont été retirés du front.

Dans leur cas, l’armée russe a copié l’ingéniosité ukrainienne, soit d’utiliser de simples drones pour anéantir des blindés.

Au début de cette guerre, la Pologne s’était débarrassée de ses vieux chars d’assaut datant de l’époque soviétique en les donnant à l’Ukraine. En quelques mois, l’armée russe les avait tous détruits.

On avait cru que les chars américains, mieux blindés, ne subiraient pas le même sort.

Ce n’est pas le cas.

De plus, les chars Abrams possèdent leurs propres vulnérabilités.

Premièrement, ils sont alimentés par du combustible d’avion. Ce qui nécessite des chaines d’approvisionnement différentes que pour les autres chars utilisés par l’armée ukrainienne.

Deuxièmement, ils sont très lourds. Les plus lourds au monde. Donc plus sujets à s’enliser dans les plaines boueuses d’Ukraine au printemps ou à l’automne.

Et troisièmement, après deux heures d’utilisation normale, chaque blindé nécessite huit heures de réparation, soit davantage que les chars ordinaires.

Quoiqu’il ne reste probablement plus aucun char soviétique dans l’arsenal de l’Ukraine (ce qui simplifie les choses), son armée doit quand même maintenir des chaines d’approvisionnement en pièces détachées pour chacun des modèles de char qu’elle utilise. Ce qui constitue un enfer logistique.

De son côté, l’armée ukrainienne a endommagé des milliers de chars de l’armée russe. Des centaines d’entre eux jonchent çà et là le paysage ukrainien.

Mais la plupart ont simplement été retirés à l’arrière du front, rafistolés tant bien que mal — puisque leur fabrication est plus rudimentaire — et renvoyés au front dès qu’ils sont en mesure de fonctionner.

Conclusion

Contre la guerre, l’arme la plus efficace demeure la dissuasion. Plus l’ennemi vous croit invulnérable, moins il osera vous attaquer.

Et malgré le prix élevé de la dissuasion — qui repose souvent sur la technologie ou sur des stocks faramineux d’armement — c’est encore moins cher qu’une vraie guerre comme celle qui se déroule en Ukraine.

En fournissant à ce pays nos armes les plus précieuses, celles qui devaient rendre son armée invulnérable, l’Occident compromet la dissuasion qui lui est indispensable pour maintenir son hégémonie.

L’Occident a tout à perdre en s’entêtant à soutenir une guerre perdue d’avance. Depuis très longtemps, le temps est à la négociation.

Si Boris Johnson (l’ancien premier ministre britannique) n’avait pas convaincu les dirigeants ukrainiens de renoncer à entériner l’entente intervenue à Ankara (en Turquie) entre les négociateurs ukrainiens et russes un mois après le déclenchement de cette guerre, que serait-il arrivé ?

Réponse : des dizaines de milliers de veuves et d’orphelins ne pleureraient pas leurs héros, d’innombrables gaillards ne seraient pas handicapés pour le reste de leur vie, et 40 % de l’économie ukrainienne n’aurait pas été détruite.

Plutôt que de répéter des messages creux par esprit de solidarité otanienne, quand un chef d’État occidental osera-t-il dire que ça suffit !

Références :
L’Allemagne accepte finalement d’envoyer des chars Leopard à l’Ukraine
Ukraine pulls Abrams tanks from front after losing 5 to Russian attacks: US officials
Ukraine war briefing: Kyiv pulls back Abrams tanks due to drone raids and losses, says US

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’enseignement universitaire dans la bande de Gaza

Publié le 23 avril 2024 | Temps de lecture : 3 minutes

Malgré la séparation territoriale entre la bande de Gaza et la Cisjordanie — la première gouvernée par le Hamas et la seconde par l’Autorité palestinienne — les étudiants universitaires palestiniens passent les mêmes examens, élaborés en Cisjordanie par le ministère de l’Éducation.

En raison de la situation dans la bande de Gaza, ce ministère a décidé cette année d’annuler la tenue des examens du baccalauréat dans toute la Palestine.

La population palestinienne est la plus instruite du Proche-Orient (en excluant Israël). Peuplée de 2,3 millions d’habitants, la bande de Gaza compte sept universités, dont une seule est publique. Les autres sont financées par des fonds privés.

Au sein de la population palestinienne, l’importance de l’éducation fait consensus; à leurs yeux, c’est la seule manière de sortir de la misère.

En économisant au maximum leurs faibles revenus, les parents palestiniens amassent les sommes considérables qui sont nécessaires pour faire instruire éventuellement leurs enfants. Par exemple, les sept années du cours de médecine représentent un déboursé total d’environ 90 000$, tout compris.

Motivés par leurs parents, plus des trois quarts des jeunes Palestiniens font des études universitaires. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, cela n’est pas réservé qu’aux jeunes hommes. Sur les campus, les universitaires sont à 52,5 % des hommes et à 47,5 %, des femmes.

Grâce aux contacts que possèdent les professeurs, l’étudiant talentueux a de bonnes chances de se voir proposer une bourse pour partir à l’Étranger.

Or les membres de la diaspora palestinienne, conscients des sacrifices consentis par leurs parents, n’hésitent pas à leur transférer de l’argent pour les remercier.

Ces transferts sont des millions de dollars investis dans l’économie de Gaza.

Malheureusement, à l’heure actuelle, la plupart des écoles et des universités de la bande de Gaza ont été partiellement ou entièrement détruites depuis la réplique israélienne à l’attaque du Hamas.

En principe, le bombardement d’une maison d’enseignement est un crime de guerre… sauf si la puissance ennemie possède des raisons sérieuses de croire que l’établissement scolaire sert de paravent à des activités militaires. Or justement, Israël prétend posséder de telles preuves.

Voilà pourquoi ce pays a rendu inopérantes toutes les maisons d’enseignement de la bande de Gaza.

C’est d’ailleurs pour cette même raison qu’Israël a également aplani au bulldozeur la moitié des cimetières gazaouis, mélangeant les ossements des uns et des autres, puisque le Hamas y cachait des centres de commandement militaire entre les tombes, parait-il…

Références :
« Comme tous les pouvoirs coloniaux, Israël ne veut pas d’une société éduquée »
Enquête vidéo : comment Israël détruit les cimetières de Gaza
Moins de diplômés universitaires au Québec qu’ailleurs au pays
The Palestinian Diaspora and the State-Building Process
Université en Palestine

Parus depuis :
‘The war has stolen our future’: Gaza children begin second school year without education (2024-09-15)
Israel war on Gaza live: Over 11,000 students killed in Gaza, West Bank (2024-09-17)

Complément de lecture :
« Je vais vous parler de notre vie sous la tente, et de celle des milliers de gens qui nous entourent » (2024-06-10)

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Écrit par Jean-Pierre Martel