L’inflation et la réponse enfantine du fédéral

18 septembre 2023

Introduction

Accusé de laxisme depuis des mois par le chef de l’opposition conservatrice, le gouvernement libéral s’est trouvé un bouc émissaire; les grandes chaines d’épicerie.

Celles-ci ont été sommées de se présenter à Ottawa aujourd’hui pour expliquer la hausse marquée du panier d’épicerie des Canadiens.

Signalons qu’en juin dernier, sous la pression du gouvernement français, les transformateurs et distributeurs alimentaires ont consenti volontairement à un gel de prix sur certains aliments.

Deux mois plus tard, le taux d’inflation du prix des aliments en France était encore le double du taux d’inflation pour l’ensemble de l’économie de ce pays. On a donc renforcé cette mesure en l’étendant à environ cinq-mille articles.

L’inflation au Canada et dans le monde
 

Dans un rapport sénatorial publié l’an dernier (et dont le graphique ci-dessus est tiré), les auteurs écrivent qu’un nombre relativement faible d’éléments — notamment l’énergie et les couts de l’habitation — explique en grande partie la hausse des prix moyens à la consommation.

Mais l’inflation n’est pas limitée au Canada; elle est mondiale.
 

 
Depuis trois ans, l’inflation a connu deux phases consécutives qui se sont superposées au point de créer, en apparence, une seule ‘vague’.

La première phase est apparue lors de la reprise économique consécutive à la levée des mesures sanitaires. La brutale augmentation de la demande qui en a résulté a provoqué la rupture temporaire des chaines d’approvisionnement avec l’Asie et l’engorgement des ports américains qui donnent sur l’océan Pacifique.

À cette inflation d’environ 3 %, s’est ajouté depuis l’effet des sanctions occidentales contre la Russie. Celles-ci ont provoqué une rupture permanente de milliers de chaines d’approvisionnement.

Obligées de s’approvisionner ailleurs, les entreprises ont dû, en catastrophe, rompre des contrats à long terme qui leur garantissaient un approvisionnement stable et économique, pour se tourner vers le marché libre où elles ont dû payer le gros prix pour obtenir la même chose.

Dans certains cas, ‘la même chose’ doit s’interpréter littéralement. C’est ainsi que les pays d’Europe occidentale achètent autant (sinon plus) d’hydrocarbures russes. Mais au lieu d’effectuer leurs achats directement de la Russie, ces pays achètent du pétrole russe une fois raffiné dans des pays intermédiaires.

D’autre part, afin d’éviter de pénaliser ses agriculteurs, Washington a pris soin d’exclure les engrais russes de la liste des produits interdits.

Mais Ottawa — sous l’influence de la vice-première ministre Chrystia Freeland (de descendance ukrainienne) — a interdit l’importation d’engrais russes. Ce qui a obligé les agriculteurs québécois à se tourner vers d’autres fournisseurs et à payer plus cher. Ce qui a contribué à hausser le prix des aliments au Canada.

Les taux d’intérêt

Les États-Unis ayant décidé de hausser substantiellement leurs taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, le Canada a été obligé de suivre.

Obligé parce que sans une hausse similaire de ce côté-ci de la frontière, les gestionnaires de capitaux auraient boudé les obligations canadiennes et se seraient tournés massivement vers le marché obligataire américain, plus rentable. Et cette fuite des capitaux aurait provoqué une dépréciation de la devise canadienne.

Fondamentalement, toute hausse des taux d’intérêt diminue l’inflation en réduisant la demande de biens et services. En d’autres mots, en provoquant un ralentissement économique, voire une récession.

Les sanctions économiques contre la Russie s’étant avérées inefficaces, la solution de dernier recours est la récession économique.

En entrainant une diminution de la consommation mondiale des hydrocarbures, celle-ci provoquerait une chute des revenus d’exportation de la Russie et une diminution du financement de sa guerre en Ukraine.

Ici et ailleurs, les politiciens promettent diverses mesures pour faire face à l’inflation. On adopte ainsi des mesures de mitigation qui rendent nécessaires des hausses encore plus importantes des taux d’intérêt.

Conclusion

Plutôt que de laisser les peuples occidentaux assumer les conséquences des sanctions économiques qu’ils réclamaient hier à grands cris (et qu’ils appuient toujours), on infantilise la population en lui faisant croire qu’on peut indirectement faire la guerre sans en éprouver le moindre inconvénient.

La hausse du prix des hydrocarbures augmente le prix de tout ce qui est transporté sur de longues distances. Et cette hausse augmente également le prix des engrais puisque ceux-ci sont produits à partir de gaz fossile.

Donc la principale composante de l’inflation canadienne — la hausse du prix de l’énergie — est liée aux décisions géopolitiques d’Ottawa.

Et parce que cette inflation est intolérable aux yeux des banques centrales, celles-ci haussent leurs taux d’intérêt. Ce qui entrave l’accès à la propriété, aggrave la crise du logement, et pousse les loyers à la hausse.

Voilà l’origine de la deuxième composante de l’inflation canadienne en ordre d’importance.

Bref, le ‘show de boucane’ auquel Ottawa s’apprête à procéder aujourd’hui est un vieux truc qui fonctionne très souvent. Il consiste à faire d’un bouc émissaire le responsable de ses choix politiques.

Références :
Derrière les chiffres : ce qui cause la hausse des prix des aliments
France announces more food price caps, takes aim at multinational firms
La hausse (et le recul?) de l’inflation au Canada : une analyse détaillée de son évolution post-pandémie
Les baisses d’impôts, l’inflation et la guerre
Les PDG des grandes chaînes d’alimentation convoqués à Ottawa

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Mise au point du premier vaccin chinois à ARN messager

22 mars 2023

Le 2 mars dernier, l’Institut australien de politique stratégique publiait une étude effectuée sur plus d’un an et qui concluait que la recherche chinoise était en avance dans 37 des 44 technologies de pointe étudiées.

De leur côté, les États-Unis demeuraient en avance dans sept secteurs, dont la mise au point des vaccins.

Puisqu’une étude comparative aussi vaste que celle-ci exige des mois de préparation, il ne faut pas se surprendre que peu de temps après sa publication, cela ne soit déjà plus vrai.

La pharmaceutique CSPC Pharmaceutical Group — établie dans la capitale de la province du Hebei (à environ 275 km au sud-ouest de Beijing) — est une des 500 plus importantes entreprises chinoises.

L’édition de ce matin du quotidien Shanghai Daily nous apprend que son vaccin contre le Covid-19 vient d’être homologué par les autorités règlementaires du pays.

C’est le premier vaccin anticovidien basé sur la technologie de l’ARN messager. Comme le sont les vaccins de Pfizer/BioNTech et de Moderna.

Du coup, la Chine possède dorénavant une arme probablement plus efficace que les vaccins dont elle disposait jusqu’à maintenant pour protéger sa population contre la pandémie.

Cette maitrise de la technologie des vaccins à ARN messager permet à la Chine d’entrer dans le club sélect des pays capables de mettre au point des vaccins efficaces envers toute une série de maladies infectieuses contre lesquels notre arsenal thérapeutique était jusqu’ici d’une efficacité limitée. Pensons, par exemple, à la tuberculose, au paludisme, à la maladie à virus Ebola, etc.

La course technologue à ce sujet est déjà bien entamée en Occident, où BioNTech et Moderna ont une longueur d’avance sur la Chine.

Il est toutefois à prévoir que dans les domaines très précis où la Chine sera la première à mettre au point un vaccin, celui-ci sera utilisé comme outil du ‘soft power’ chinois afin de séduire de nombreux pays en voie de développement et accroitre l’influence diplomatique de la Chine sur la scène internationale.

Références :
China approves 1st domestic mRNA vaccine for COVID-19
China leading US in technology race in all but a few fields, thinktank finds

Compléments de lecture :
China bans US chipmaker Micron from vital infrastructure projects (2023-05-22)
China overtakes US in contributions to nature and science journals (2023-05-24)
Les défis de la filière des véhicules électriques (2023-05-30)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


France : la réforme des retraites finance l’augmentation des dépenses militaires

18 mars 2023

Le président de la République française a justifié le recours au bâillon pour court-circuiter l’Assemblée nationale et forcer l’adoption de sa réforme des retraites en ces termes : « Je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands.»

Son ministre délégué aux comptes publics a été plus explicite :
« C’est la réforme ou la faillite ! »

Tout comme les entreprises, l’État doit avoir en tout temps les liquidités qui lui sont nécessaires pour respecter ses engagements.

Or l’essentiel de la dette des États est constitué de bons du Trésor.
Lorsqu’ils viennent à échéance, le pays émetteur peut alors les payer (s’il en a les moyens) ou pelleter vers l’avant cette dette en émettant de nouveaux bons du Trésor pour payer les anciens.

Il y a quelques mois, l’ambitieux programme de réduction de taxes pour les riches (qui devait accroitre substantiellement la dette britannique) a été abandonné par Londres quand les bons du Trésor nouvellement émis n’ont pas trouvé preneurs.

Ce qui a entrainé la démission de la première ministre britannique.

D’abord estimé sommairement à 43 milliards de livres sterling, cette réforme devait finalement couter entre 100 et 200 milliards de livres.

Dans le même ordre d’idée, la France a dernièrement annoncé une augmentation de son budget militaire de 413 milliards d’euros en sept ans.

Par crainte de la sanction des milieux financiers, la France doit sabrer son filet de protection sociale. D’où la réforme des retraites.

Puisque le compte n’y est pas, on peut donc anticiper — lorsque la grogne populaire sera passée — d’autres compressions budgétaires reflétant les nouvelles orientations de l’Élysée.

Références :
Crise de la dette : S&P dégrade la perspective du Royaume-Uni
La Banque d’Angleterre intervient en urgence pour empêcher le naufrage de la dette britannique
L’armée française manque de munitions pour la haute intensité
Pourquoi la Banque d’Angleterre est-elle intervenue sur le marché obligataire?
Réforme des retraites : Macron justifie le 49.3 en invoquant des « risques financiers trop grands »
Retraites : la réforme pourrait rapporter 18 milliards d’euros d’ici à 2030, le gouvernement fait l’impasse sur les surcoûts

Paru depuis :
Le gouvernement [français] veut faire 10 milliards d’euros d’économies (2023-06-19)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’invasion de Taïwan par la Chine continentale

12 mars 2023

Deux républiques, un pays

L’Onu a été créée le 24 octobre 1945 à la suite de la ratification de sa Charte par un certain nombre de pays, dont la Chine.

À l’époque, ce pays était en proie à une guerre civile qui durait depuis des décennies. Celle-ci opposait d’une part le gouvernement du Kuomintang, soutenu par les États-Unis et dirigé par Tchang Kaï-check, et d’autre part, le Parti communiste chinois dirigé par Mao Zedong.

En 1949, lorsque le Parti communiste victorieux proclame la République populaire de Chine, Tchang Kaï-check et ses soldats se réfugient sur l’ile chinoise de Taïwan où ils fondent la République de Chine.

Chacune de ces deux républiques revendique alors la pleine et légitime souveraineté sur la totalité du territoire chinois (Chine continentale et Taïwan).

Toutefois, à l’Onu, c’est le gouvernement militaire de Tchang Kaï-check — le signataire de la Charte de l’Onu — qui représente l’ensemble de la population chinoise.

Lorsque finalement la Chine de Mao Zedong fait son entrée à l’Onu en 1971, c’est à la condition que Taïwan en soit expulsé et que Beijing soit seul à parler au nom de la nation chinoise.

Bref, en vertu du droit international, Taïwan fait toujours partie de la Chine.

Qu’il s’agisse de Taïwan et des (anciennes) régions autonomes de Hong Kong ou de Macao, la politique de la Chine a toujours reposé sur la conviction que le temps jouait en sa faveur. En somme, il suffisait d’attendre pour que, comme des fruits murs, ces territoires tombent d’eux-mêmes dans le giron chinois.

Ce fut le cas de Hong Kong et de Macao, rétrocédés à la Chine en 1997 et en 1999.

Reste Taïwan.

L’indépendance de Taïwan, un tabou

En 1947, avant la victoire du Parti communiste, l’ile de Taïwan était gouvernée de Nanjing (en Chine continentale) par le gouvernement de Tchang Kaï-check.

Or cette année-là, l’ile connut des épidémies de peste et de choléra, de même que des pénuries alimentaires. Tout cela provoqua des émeutes dont la répression par le Kuomintang fit trente-mille morts.

Deux ans plus tard, lorsque le gouvernement de Tchang Kaï-check s’exile à Taïwan, l’ile est peuplée de différents peuples hostiles pour qui les troupes de Tchang Kaï-check sont des envahisseurs.

Pendant les 38 ans qui suivirent — une période connue sous le nom de Terreur Blanche — l’ile fut placée sous le régime de la loi martiale. Aux yeux des Taïwanais, les régimes totalitaires du Kuomintang et celui de Mao Zedong semblaient bonnet blanc et blanc bonnet.

En 1986 eut lieu la première élection présidentielle au suffrage universel. En 2000, le Kuomintang perd le pouvoir et le nouveau président entreprend la consolidation de l’identité taïwanaise.

Quelques élections plus tard, Mme Tsai Ing-wen est élue à la présidence à partir d’un programme politique où transpire l’aspiration à la sécession avec Beijing.

Après une gestion autoritaire de la pandémie — moins contraignante toutefois que la politique Zéro Covid de Beijing — Taïwan leva presque toutes les restrictions sanitaires en mai 2022.

Cette liberté retrouvée fut soulignée par les dirigeants taïwanais comme un avantage d’être citoyen d’un pays libre.

Pour tous ceux qui n’ont jamais connu la dictature de Tchang Kaï-check, qui ont accès librement à la technologie occidentale et qui passent quotidiennement des heures sur les médias sociaux, il est inconcevable que leur ile puisse un jour être dirigée par le Parti communiste chinois.

Pour Beijing, il n’est plus certain que le temps joue en sa faveur.

Toutefois, un peu à l’image du Québec, l’opinion des Taïwanais est ambivalente. S’ils rejettent massivement la réunification politique de la Chine, ils rejettent aussi majoritairement son contraire, soit une indépendance qu’ils jugent imprudente dans la mesure où ils craignent qu’elle provoque l’invasion de l’ile par l’armée chinoise.

Pour une majorité de Taïwanais, l’idéal est un statuquo dont la durée serait indéfinie.

En 2022, 28,7 % des Taïwanais souhaitaient le maintien de statuquo avec la possibilité d’en décider autrement plus tard, 28,5 % voulaient le prolongement indéfini du statuquo, et 25,4 % souhaitaient le maintien du statuquo pour l’instant, mais tout en travaillant à une indépendance éventuelle.

Des relations commerciales protectrices

Dans les années qui suivirent l’avènement des microordinateurs personnels, les clones d’IBM-PC étaient tous fabriqués à Taïwan.

Peu à peu, lorsque Taïwan a perdu ce monopole, l’ile s’est recyclée dans la fabrication des semi-conducteurs.

En 2021, la production mondiale des semi-conducteurs se répartissait comme suit :
• Taïwan 65 %,
• Corée du Sud 15 %,
• États-Unis 7 %,
• Chine 6 %, et
• autres 7 %.

Or ceux-ci sont des composants essentiels de tout produit de consommation dit ‘intelligent’, du réfrigérateur haut de gamme, au téléviseur branché, en passant par l’auto électrique, etc.

Parmi les fabricants mondiaux de semi-conducteurs, c’est à Taïwan qu’on trouve TSMC (au 3e rang mondial) et MediaTek (au 9e rang). Au-delà de ce palmarès, c’est à Taïwan qu’on fabrique les puces les plus avancées du monde.

Signalons que TSMC est le fabricant exclusif des processeurs des iPhone, iPad et ordinateurs Macintosh.

Taïwan vend ses semi-conducteurs à tous ceux qui veulent en acheter.

En raison de l’importance industrielle des semi-conducteurs, toute menace à l’approvisionnement américaine en semi-conducteurs taïwanais devient une menace aux intérêts géostratégiques des États-Unis. Taïwan croit s’assurer ainsi de la protection militaire américaine en cas d’invasion chinoise.

Par contre, en étant également un fournisseur stratégique de la Chine, toute invasion de l’ile par cette dernière pourrait s’avérer catastrophique pour l’industrie chinoise si Taïwan pratiquait une politique de terre brulée — c’est-à-dire le sabotage de ses propres usines — dès le début d’une invasion chinoise.

En contrepartie, Taïwan dépend totalement des terres rares importées de Chine continentale pour la fabrication de ses semi-conducteurs.

C’est donc par le biais de cette dépendance réciproque que Taïwan espère vivre en paix avec son puissant voisin.

L’envers du décor

Afin de se préparer à toutes les éventualités, le Pentagone se livre périodiquement à des simulations de conflits armés. Deux équipes de généraux américains se font alors la guerre avec les forces dont les belligérants disposeraient si elles devaient s’affronter.

Or à l’issue de toutes les simulations d’une invasion hypothétique de l’armée chinoise à Taïwan, Washington perdait la guerre.

Convaincus que l’ile est indéfendable, les États-Unis ont commencé à se sevrer de leur dépendance en semi-conducteurs taïwanais.

En juillet 2022, le Congrès américain a adopté le CHIPS and Science Act. Celui-ci prévoit 39 milliards$ de prêts industriels et 13,2 milliards$ d’investissements publics dans la recherche relative aux semi-conducteurs.

De plus, Washington accorde un crédit d’impôt de 25 % afin de favoriser l’augmentation de la capacité manufacturière à ce sujet en sol américain (qui répondait à 37 % des besoins du pays en 1990, mais à seulement 12 % de nos jours).

Depuis l’adoption de cette loi, Micron Technology a annoncé un investissement de 40 milliards$ aux États-Unis.

Qualcomm et GlobalFoundries ont annoncé une augmentation de la capacité industrielle de leur usine de l’État de New York, au cout de 4,2 milliards$.

Parallèlement, le département du Commerce américain a ordonné l’an dernier un blocus technologique contre la Chine.

Ce blocus interdit l’exportation en Chine :
• de puces électroniques puissantes, notamment celles qui servent à l’intelligence artificielle,
• du matériel robotisé nécessaire à leur fabrication,
• des ingrédients qui entrent dans leur composition, et
• des logiciels nécessaires à leur conception.

Au départ, le blocus concernait uniquement l’exportation par des entreprises américaines. Mais depuis janvier dernier, les États-Unis ont conclu des accords avec le Japon et les Pays-Bas qui calfeutrent les fuites possibles vers la Chine de puces fabriquées dans ces deux pays.

Taïwan ne participe pas à ce blocus technologique qui n’est ni dans son intérêt commercial ni son intérêt sécuritaire.

Mais au cas, où les dirigeants taïwanais en décideraient autrement par aveuglement idéologique, la Chine a entrepris d’effectuer sa propre recherche de pointe dans ce secteur.

Le 2 mars dernier, l’Institut australien de politique stratégique publiait une étude effectuée sur plus d’un an et qui conclut que la recherche chinoise était en avance dans 37 des 44 technologies de pointe étudiées.

De leur côté, les États-Unis demeuraient en avance dans des secteurs comme les vaccins, l’informatique quantique et les systèmes de lancement de vaisseaux spatiaux.

Dans le cas de certains domaines de haute technologie, les dix meilleurs instituts de recherche au monde sont situés en Chine et produisent collectivement neuf fois plus d’études scientifiques que le deuxième leadeur mondial (souvent, les États-Unis).

En somme, il y eut une époque où la Chine était une puissance manufacturière qui se contentait de pirater des brevets occidentaux. Cette époque est révolue depuis longtemps; au cours de la dernière décennie, la Chine est lentement devenue un chef de file technologique devançant les États-Unis dans la majorité des domaines.

Inciter la Chine à s’armer

Depuis des années, des groupes de réflexion américains discutent de l’opportunité d’une guerre ‘préventive’ contre la Chine. Comme celle que la France a déclarée (et perdue) contre la Prusse en 1870.

Même si rien n’indique que Washington y songe sérieusement, la rhétorique belliqueuse de Washington à l’égard de la Chine a tout pour inquiéter cette dernière.

Jamais n’a-t-on vu deux partenaires économiques aussi intimement liés entretenir de si mauvaises relations.

Prenons trois exemples récents.

Les dangereux ballons-espions chinois

L’armée américaine a dernièrement abattu quatre ‘ballons-espions’ chinois qui, dit-on, voulaient cartographier des bases stratégiques de lancements de missiles intercontinentaux.

Si la Chine voulait réellement obtenir une vue aérienne de ces bases, elle n’avait qu’à utiliser Google Earth. Cela aurait été plus rapide et plus économique.

D’ailleurs, elle possède 260 satellites-espions qui épient la surface du globe et photographient déjà toutes les bases américaines.

Le danger de Tik Tok

Interdire à des fonctionnaires d’utiliser cette application, c’est l’équivalent de leur interdire de jouer aux cartes durant leurs heures de travail. Comment se fait-il qu’on ne l’ait pas fait avant ?

Mais pour ce qui est des dangers d’espionnage pour vous et moi, Tik Tok ne peut pas nous espionner plus que ce que font déjà les médias sociaux américains, c’est-à-dire le maximum que leur permet le système d’exploitation de nos ordinateurs et de nos appareils mobiles.

Si j’étais un utilisateur de Tik Tok, le Parti communiste chinois — et peut-être Xi Jinping en personne — saurait déjà que je m’appelle Louis-Philippe Demers (c’est mon pseudonyme sur les médias sociaux) et que je suis né le 27 mars 1975 (ce qui n’est pas le cas).

Et ce sont les États-Unis — qui, selon Edward Snowden, épient tous les courriels, tous les textos et tous les appels téléphoniques sur Terre — qui accusent la Chine d’espionnage…

La Chine a causé la pandémie au Covid-19

Voilà que Washington sort maintenant des boules à mites cette vieille accusation trumpienne selon laquelle la pandémie au Covid-19 aurait été causée par une fuite d’un laboratoire virologique de Wuhan.

Tenez-vous bien; l’accusation est portée non pas par un institut renommé de recherche scientifique, mais par le département… de l’Énergie. Elle est aussitôt relayée, non pas par la CIA, mais par le FBI (dont ce n’est pas le champ d’expertise).

Sans surprise, tous les médias occidentaux se sont empressés de répéter la ‘nouvelle’ comme des perroquets.

Doit-on s’étonner qu’il y a une semaine, la Chine ait annoncé la plus importante hausse de ses dépenses militaires depuis 2019. Si les États-Unis voulaient inciter la Chine à s’armer et la pousser dans les bras de la Russie, ils n’agiraient pas autrement.

Ces jours-ci, le message de Washington à la Chine est simple; nous vous interdisons de vendre des armes à la Russie, mais dès qu’on en aura fini avec elle, on vous arrangera le portrait.

Comme c’est subtil…

Au-delà de l’Ukraine

En recourant à la totalité des sanctions économiques et financières dont ils sont capables contre la Russie, les États-Unis ont informé involontairement la Chine des moyens contre lesquels celle-ci doit se prémunir en cas d’invasion de Taïwan.

Dans le cas de la Russie (dont le PIB est intermédiaire entre celui de l’Italie et de l’Espagne), le grand capital international a relevé — en quelques mois, mais au prix d’une inflation importante — le défi d’une ‘remondialisation’ rendu nécessaire par la rupture de dizaines de milliers de liens commerciaux directs avec la Russie et la création de milliers de liens indirects (par le biais de revendeurs situés dans des pays tiers).

Toutefois, ajoutez à cela une rupture de tous les liens commerciaux directs avec la Chine — la deuxième puissance économique mondiale — et vous créez un choc qui serait probablement suffisant pour provoquer l’effondrement de l’économie mondiale.

Par exemple, un blocus économique immédiat contre la Chine ferait en sorte que toutes les tablettes des quincailleries américaines se videraient d’outils en moins d’un mois. Et les compagnies américaines qui voudraient prendre la relève en seraient incapables en raison de la pénurie de main-d’œuvre consécutive à la pandémie de Covid-19 (un million de morts aux États-Unis).

Bref, un blocus économique et financier draconien contre la Chine est imprudent à brève ou à moyenne échéance.

En cas d’invasion, ce que feront les États-Unis, c’est de faire semblant d’être surpris et de condamner sévèrement la ‘traitrise chinoise’. Ce qui, toutefois, est encore hypothétique. Comme nous le verrons plus bas.

La seule chose qui ferait mal à la Chine serait la saisie de ses avoirs en Occident, notamment les bons du Trésor américain qu’elle possède.

En 2011, la Chine détenait à elle seule 12 % de la dette du gouvernement américain. Une décennie plus tard, au début de la guerre en Ukraine, elle en détenait trois fois moins.

Depuis la saisie des avoirs russes par de nombreux pays occidentaux, la Chine a accéléré sa vente de bons du Trésor américain. Ses avoirs ont baissé de 1 040 milliards$ au début de 2022 à 867 milliards$ un an plus tard.

En vendant des actifs qui rapportent des taux d’intérêt très faibles, la Chine se donne ainsi les moyens financiers de stimuler la demande intérieure chinoise dans l’éventualité d’un blocus économique occidental consécutive à une invasion taïwanaise.

De plus, en y allant à fond de train dans la fourniture d’armes à l’Ukraine, les pays occidentaux ont abondamment pigé dans leur arsenal militaire.

À l’exception des chasseurs-bombardiers (que l’Occident hésite encore à fournir à l’Ukraine), on estime que l’arsenal militaire occidental a fondu du tiers depuis le début de cette guerre par procuration.

Ce qui en laisse moins pour aider Taïwan dans le cas d’une invasion décidée par Beijing.

Et puisque la fabrication d’armement de pointe est extrêmement lente, on pourrait penser que c’est le temps idéal pour la Chine d’agir.

Mais c’est mal connaitre ce pays.

Dans toute son histoire, la Chine n’a jamais gagné une seule guerre. Et à l’exception de l’époque de Mao Zedong, elle n’a jamais cherché à imposer aux autres pays son modèle de gouvernement basé sur la méritocratie.

Le but de la Chine est d’arriver à ses fins avec le moins d’effort possible.

Le discours autonomiste du parti taïwanais au pouvoir inquiète Beijing. Mais compte tenu de l’opinion encore nuancée des Taïwanais, la Chine possède d’autres cartes dans son jeu.

Le mois dernier, les dirigeants du Kuomintang — le principal parti d’opposition à Taïwan — ont effectué un voyage de neuf jours en Chine continentale en vue de pourparlers avec leurs anciens ennemis communistes.

Ces parlementaires taïwanais souhaitent rassurer une partie de leur électorat qui craint que Taïwan subisse le même sort que l’Ukraine en se dressant comme un ennemi militaire de son puissant voisin.

De son côté, Beijing veut offrir à ce parti des arguments qui favoriseraient sa prise du pouvoir aux élections de janvier 2024 et du coup, qui prolongerait une stabilité rassurante autant pour les Chinois de Taïwan que pour ceux de Chine continentale.

Si cette stratégie échoue, la possibilité d’une invasion chinoise à Taïwan montera d’un cran.

Références :
Biden’s hugely consequential high-tech export ban on China, explained by an expert
China leading US in technology race in all but a few fields, thinktank finds
CHIPS and Science Act Will Lower Costs
En 2022, Taïwan exporte toujours plus de semi-conducteurs
Incident 228
La Chine détient de moins en moins de dette américaine et voilà pourquoi ça ne changera pas grand chose pour les Etats-Unis
La Chine augmente son budget de la Défense
L’armée française manque de munitions pour la haute intensité
La COVID-19 résulterait d’une fuite de laboratoire, selon un rapport américain
Les réserves de change de la Chine ont diminué de 51 milliards de dollars en février
Taïwan
Taiwan Independence vs. Unification with the Mainland
Taiwan’s KMT hopes for elections boost after China trip
Why Chinese AI and semiconductors could fall decades behind under US chip ban ‘blitz’
Why is unification so unpopular in Taiwan? It’s the PRC political system, not just culture

Parus depuis :
Former Taiwan president to visit China in unprecedented trip (2023-03-20)
Semi-conducteurs : « C’est bien une guerre industrielle et commerciale qui se joue dans le camp occidental » (2023-03-31)
China bans US chipmaker Micron from vital infrastructure projects (2023-05-22)
China overtakes US in contributions to nature and science journals (2023-05-24)
Qui finance la dette des États-Unis ? (2023-06-24)
China beats US in top global scientific ‘hot papers’ ranking: report (2023-09-21)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Victoire éclatante des États-Unis dans la Guerre des ballons chinois

19 février 2023

Introduction

Il y a quelques jours, les États-Unis et le Canada ont utilisé des missiles AIM-9X Sidewinder (au cout unitaire de 400 000 dollars) pour abattre quatre ballons à la dérive au-dessus de l’Amérique du Nord.

Depuis le 2 février, les États-Unis et la Chine se renvoyaient la balle, sinon le ballon; les premiers accusant la seconde d’utiliser ces ballons pour l’espionner alors que cette dernière accusait l’autre d’hystérie au sujet, disait-elle, de simples aérostats météorologiques déviés leur course par des courants atmosphériques.

L’espionnage

Depuis des siècles, les grandes puissances s’épient mutuellement.

Les premières utilisations de l’espace à des fins d’espionnage militaire sont survenues dès la naissance de la conquête de l’espace, à la fin des années 1950.

De nos jours, les grandes puissances de ce monde (dont la Chine) utilisent des centaines de satellites-espions qui épient la planète.

Pourquoi la Chine utiliserait-elle des ballons soumis aux caprices du vent pour espionner (comme on le faisait au XVIIIe siècle) alors que ses 260 satellites-espions peuvent effectuer des trajectoires précises au-dessus de bases militaires ennemies ?

En 2013, Edward Snowden révélait que les cinq pays à majorité anglo-saxonne — les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande — avaient mis sur pied un vaste réseau satellitaire qui enregistre et sauvegarde tous nos textos, tous nos courriels et tous nos appels téléphoniques.

La banalité des ballons

Le journaliste Normand Lester publiait mercredi dernier un article où il recensait l’utilisation des ballons atmosphériques.

Chaque année, plus de cinquante-mille ballons sont lâchés dans la stratosphère (au-delà de 50 km d’altitude) par la National Weather Service des États-Unis.

L’Agence spatiale canadienne permet à des étudiants universitaires d’effectuer des expériences scientifiques à l’aide de ballons stratosphériques géants. En 2021, des étudiants de Polytechnique et de l’université Queen’s ont obtenu cette permission.

Au Texas, la Columbia Scientific Balloon Facility lance à 36,5 km d’altitude des ballons de 120 mètres de diamètre, également à des fins de recherche.

La raison invoquée pour abattre les ballons chinois est qu’ils comportaient un risque de collision pour les avions commerciaux. Ceux-ci circulent à une altitude inférieure à 12 km. Ce qui était le cas du quatrième ballon abattu; il voyageait à environ 6 km d’altitude. Les autres à plus de 12 km.

La paranoïa, arme politique

La paranoïa médiatique entourant ces incidents tire sa source dans la polarisation de la politique américaine; depuis deux semaines, les élus républicains et les médias qui relaient leur propagande ont utilisé cet incident pour tenter de dépeindre Joe Biden comme un président faible face à la menace chinoise.

Vue du Canada, cette bulle médiatique devrait nous paraitre risible. Pourtant, nos médias nous en ont parlé comme si nous étions effectivement au bord d’un affrontement cataclysmique entre les États-Unis et la Chine.

À défaut de correspondants à l’Étranger (sauf pour Radio-Canada), nos médias comptent sur les dépêches émises par des agences de presse pour s’approvisionner en nouvelles internationales. Or toutes ces agences répètent de la propagande américaine.

Résultat : insupportable aux yeux de la Chine, l’humeur belliqueuse des États-Unis motive encore plus celle-ci à aider secrètement la Russie en Ukraine.

La nouvelle théorie des dominos

Que ce soit la cybercriminalité russe, la guerre en Ukraine, les lacunes de nos défenses nordiques, la menace d’une invasion chinoise à Taïwan, toutes ces nouvelles ont une chose en commun; le message selon lequel nous sommes menacés de toutes parts.

Depuis un an, nous sommes passés de la confiance triomphaliste — « Nous jetterons l’économie russe par terre.» — à la plus vive inquiétude; « Si l’Ukraine tombe, l’Europe tombera tout entière aux mains de la Russie et l’ordre mondial s’effondrera

Entre les deux, la peur de manquer d’énergie aura convaincu les Européens de leur vulnérabilité.

En faisant flèche de tout bois et en exagérant la puissance militaire de la Russie — qui, rappelons-le, peine à conquérir l’Ukraine — le message subliminal qui nous est répété quotidiennement est le suivant : il est essentiel de consentir à acheter beaucoup plus d’armement américain.

Ce qui signifie qu’il faudra réduire notre ambition à verdir notre économie, à corriger les lacunes béantes de notre système de santé et de notre système scolaire, à investir dans le logement social et le transport en commun, etc.

Voilà comment s’amorce la fabrication du consentement politique en faveur d’un investissement massif en dépenses militaires.

Références :
Ballon abattu : Pékin a refusé un appel téléphonique avec le chef du Pentagone
Des ballons, en veux-tu? En v’là!
Edward Snowden
Incident des ballons chinois de 2023
La fabrication du consentement politique : un exemple américain
Le ballon-espion chinois a profité des « angles morts radar », indique le NORAD
Plouf, le missile à 400.000 dollars: comment les Américains ont traqué les “objets” volants

Parus depuis :
Le FBI espionne encore régulièrement les communications d’Américains (2023-05-19)
Protection de données : une amende de 1,75 milliards $ pour Meta, un record en Europe (2023-05-22)
Le ballon chinois ayant survolé les États-Unis n’aurait pas récolté d’informations (2023-06-29)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le sabotage des gazoducs Nord Stream par les États-Unis

14 février 2023

Avant-propos

Gagnant de plusieurs distinctions, dont le prix Pulitzer en 1970, le journaliste d’investigation Seymour Hersh a publié le 8 février un article qui explique comment les États-Unis auraient procédé, selon lui, pour obliger l’Allemagne à se sevrer de manière irréversible au gaz fossile russe.

Le texte qui suit résume sa thèse et en présente le contexte.

L’adoption du gaz fossile russe par l’Allemagne

En 2010, le nucléaire comptait pour environ le quart de la production électrique totale de l’Allemagne. À la suite de la catastrophe japonaise de Fukushima l’année suivante, l’Allemagne s’était donné une décennie pour fermer ses centrales.

Ses engagements internationaux en matière de réduction des gaz à effet de serre l’empêchaient de compenser cela par le recours accru au charbon comme combustible. L’Allemagne a donc investi massivement dans l’éolien et le solaire.

En raison de l’instabilité de la production électrique obtenue à partir de ces moyens, le pays adopta le gaz fossile comme moyen de stabiliser sa production électrique et comme source d’énergie privilégiée pour son industrie lourde.

À cette fin, l’Allemagne s’est tournée vers la Russie, deuxième producteur mondial, en raison de sa proximité et du prix de vente très bas de ses hydrocarbures (ce qui donnait à l’industrie lourde allemande un avantage compétitif).

Les États-Unis et Nord Stream 2

Le marché allemand étant convoité par les États-Unis (premier producteur mondial de gaz fossile), ces derniers ont exprimé leur opposition à la construction d’un premier gazoduc (Nord Stream 1) reliant directement la Russie à l’Allemagne.

Puis, dès novembre 2021, ils ont fait pression sur cette dernière pour qu’elle retarde le processus de certification du gazoduc Nord Stream 2.

Reliant lui aussi la Russie à l’Allemagne par le golfe de Finlande et la mer Baltique, ce gazoduc était destiné à accroitre l’approvisionnement de l’Allemagne en gaz fossile russe, sans toutefois être strictement nécessaire dans l’immédiat.

Deux semaines avant le début de l’invasion russe en Ukraine, le président américain déclarait :

« Si la Russie envahit [l’Ukraine], alors il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin. […] Je vous le promets; nous serons en mesure de le faire.»

Au déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, la certification de ce gazoduc fut refusée le 22 février 2022.

Dans un premier temps, ce refus n’empêcha pas l’Allemagne de continuer d’être approvisionnée par d’autres moyens, notamment par le gazoduc maritime Nord Stream 1, et par des gazoducs terrestres traversant la Pologne et l’Ukraine.

Pour les États-Unis, le sevrage allemand aux hydrocarbures russes était une pièce maitresse de la stratégie qu’ils entendaient déployer dans leur guerre économique et militaire contre la Russie.

En effet, tant que l’Allemagne dépendait du gaz russe, Washington craignait que ce pays hésite à adopter des sanctions économiques contre la Russie et à livrer des armes à l’Ukraine.

Le 1er mars 2022, une des premières sanctions américaines fut d’empêcher l’accès de la Russie au système SWIFT. Celui-ci facilite les flux financiers qui permettent, entre autres, aux banques russes d’encaisser le paiement des achats d’hydrocarbures par l’Europe (libellés en euros).

Le but de ce blocus financier était de faire en sorte que la Russie coupe l’approvisionnement en gaz à l’Allemagne pour non-paiement. Évidemment, d’autres pays européens étaient affectés, mais la cible américaine était principalement l’Allemagne.

Pour contourner ce blocus, Poutine décréta le 23 mars que le gaz russe se paierait dorénavant en roubles. Ce que l’Allemagne accepta quatre jours plus tard.

La Pologne, elle, refusa. Puisque la consommation de gaz russe se paie mensuellement, la Russie ferma le 26 avril le robinet du gazoduc Yamal-Europe qui approvisionnait la Pologne, privant indirectement l’Allemagne de ses approvisionnements par le biais de ce gazoduc.

Comble de malchance, le gaz russe destiné à l’Europe qui transitait par l’Ukraine fut détourné le mois suivant par l’armée d’occupation russe pour desservir les régions séparatistes de l’Est de l’Ukraine.

Les États-Unis et Nord Stream 1

Pour l’Allemagne, il restait heureusement Nord Stream 1. Mais les États-Unis avaient une autre carte dans leur jeu.

Les turbines et les compresseurs de tous les gazoducs au monde font périodiquement l’objet de maintenance et de réparations.

Or, pour des raisons inconnues, le conglomérat allemand Siemens avait décidé de confier imprudemment l’entretien des turbines de Nord Stream 1 à sa filiale canadienne.

Sous l’influence de la vice-première ministre canadienne (de descendance ukrainienne), le Canada refusa en juin 2022 de laisser partir les turbines remises à neuf au Canada, à la surprise des dirigeants allemands, soudainement conscients du piège qui se refermait sur eux.

Même si le Canada permit finalement en juillet 2022 aux turbines de quitter le pays vers l’Allemagne, il fut impossible de les acheminer en Russie.

Cette dernière exigeait que l’Allemagne, le Canada et la Grande-Bretagne lui garantissent que les turbines réparées au Canada ne seraient pas sabotées au cours de leur transit en Pologne et dans deux républiques baltes.

L’Allemagne échec et mat

En six mois, tout cela provoqua l’interruption de la fourniture directe du gaz fossile russe en Allemagne.

Par le jeu des vases communicants — celui du réseau de gazoducs qui sillonnent l’Eurasie — on estime qu’une bonne partie du gaz fossile que reçoit actuellement l’Europe est du gaz russe réacheminé par le biais de fournisseurs asiatiques.

Pour Washington, le sevrage imposé à l’Allemagne ne suffisait pas; il fallait qu’il soit irréversible.

La planification du sabotage

De mars à décembre 2021, Washington prétendait officiellement que l’armada que la Russie amassait aux frontières de l’Ukraine n’était qu’un bluff de Poutine.

Mais en décembre, l’administration Biden avait acquis la conviction que l’invasion de l’Ukraine par la Russie était imminente.

Au cours d’une réunion secrète tenue ce mois-là dans un édifice à proximité de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, conseiller du président à la Sécurité nationale présenta un plan de destruction des gazoducs Nord Steam. Et ce, afin de donner suite à la volonté présidentielle exprimée secrètement bien avant la déclaration publique dont nous avons parlé plus tôt.

Toutefois, il était essentiel de tout mettre en œuvre pour que ce casus belli ne laisse aucune trace qui pourrait le relier aux États-Unis.

Le problème, c’est que cette partie de la mer Baltique est l’objet d’une surveillance étroite de la part de la marine russe en raison de son importance géostratégique

Ce sont les Suédois qui eurent la solution à ce problème.

Annuellement depuis 21 ans, l’Otan mène en juin un exercice militaire de grande envergure en mer Baltique.

Afin d’éviter un incident militaire qui pourrait dégénérer, il est coutumier pour l’armée russe de se tasser pour laisser la place aux armées occidentales. D’où l’idée de servir de cet exercice comme paravent à l’opération secrète de sabotage.

Conséquemment, du 5 au 17 juin 2022, un commando de plongeurs de la marine américaine a planté des explosifs à retardement qui, trois mois plus tard, allaient détruire les gazoducs Nord Stream.

Au cours des premiers mois de 2022, l’entrainement de ce commando eut lieu à Panama City.

Panama City est une ville américaine située au nord-ouest de la Floride. L’armée américaine y possède la deuxième plus vaste piscine interne du continent américain, après celle du spectacle ‘O’ du Cirque du Soleil.

C’est là qu’elle entraine ses plongeurs en vue de sauvetages en mer ou d’opérations de sabotage.

Les réactions au sabotage

Le 26 septembre 2022 eut lieu finalement le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, scellant le sevrage officiel et définitif de l’Allemagne au gaz fossile russe.

En principe, le sabotage délibéré d’un oléoduc est un casus belli, c’est-à-dire un acte considéré comme justifiant une déclaration de guerre.

Mais l’Allemagne est gouvernée par une coalition politique de trois partis minée par des dissensions internes.

Incapable de s’entendre à ce sujet, la coalition au pouvoir n’a pas osé protester, préférant encaisser la gifle plutôt que de menacer de guerre un coupable (encore inconnu) qui pourrait s’avérer être le pays responsable de sa sécurité militaire.

Dès l’annonce du sabotage, les États-Unis et l’Otan ont tenté de faire diversion en accusant la Russie d’en être responsable. En réalité, on voit mal pourquoi la Russie se serait donné la peine de saboter ses propres gazoducs quand il lui suffit de fermer de chez elle les robinets qui les approvisionnent.

Conclusion

Indépendamment de savoir si la thèse du journaliste Seymour Hersh est exacte, il est certain que ce sabotage a été commis par les États-Unis.

Ce pays est le seul qui, à la fois, avait intérêt à ce sabotage, possédait les moyens d’une opération d’une telle envergure, et avait le pouvoir de s’assurer que l’enquête suédo-danoise n’aboutisse à rien.

Le silence de la Suède était facile à obtenir. Pour adhérer à l’Otan, ce pays a besoin de la bénédiction des États-Unis. Si ces derniers lui ont demandé de confier l’enquête à des inspecteurs dont le quotient intellectuel est en deçà du seuil de détection, comment pouvait-elle refuser cette faveur à un si bon ami…

Références :
Baisse des livraisons de gaz russe en transit via l’Ukraine
BALTOPS
Électricité en Allemagne
How America Took Out The Nord Stream Pipeline
La guerre russo-ukrainienne et la vassalisation de l’Europe
L’Allemagne suspend la procédure de certification du gazoduc Nord Stream 2
Liste des pays par production de gaz naturel
Nord Stream : des explosions équivalant « à des centaines de kilos » de TNT
Nord Stream : une 4e fuite, l’OTAN dénonce des sabotages « irresponsables »
Poutine menace de couper le gaz si l’Europe ne paye pas en roubles
Renvoi de turbines en Allemagne : des ministres convoqués par un comité parlementaire
Sabotage des gazoducs Nord Stream
Si la Russie envahit l’Ukraine, “il n’y aura plus” de gazoduc Nord Stream 2
United States Navy Experimental Diving Unit
Yamal-Europe

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les relations sino-saoudiennes

12 février 2023


 
Le 7 décembre dernier, les plateaux de France24 accueillaient quatre panellistes qui profitaient de la visite de trois jours du président chinois en Arabie saoudite pour discuter plus spécifiquement des liens économiques entre ces deux pays, et plus généralement de la perte d’influence de l’Occident dans cette partie du monde.

Étaient réunis :
• Jean-Joseph Boillot, économiste spécialiste des BRICS et auteur du livre “Utopies made in Monde”
• Jean-Paul Tchang, économiste et cofondateur de la Lettre de Chine,
• Clarence Rodriguez, consultante et seule reporter permanente accréditée en Arabie saoudite de 2005 à 2017,
• David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques et chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique.

En résumé :
• l’Arabie saoudite veut montrer qu’elle est menée par ses propres intérêts,
• la guerre russo-ukrainienne ayant perturbé le transport ferroviaire entre l’Europe et la Chine, celle-ci veut solidifier sa ‘Route de la soie’ vers le Moyen-Orient (dans le but de faciliter l’importation des matières premières dont elle a besoin). Rappelons que par un nouveau pipeline passant par la Birmanie, la Chine importe de 20 % à 25 % de son pétrole d’Arabie saoudite et 52 % de son pétrole des pays arabes,
• les deux pays jettent les bases de discussions en vue d’un éventuel traité de libre-échange,
• la trentaine d’accords signés (30 milliards$) visent à vendre des équipements chinois en Arabie saoudite et notamment des technologies essentielles à l’industrialisation du monde arabe alors que les États-Unis n’investissent rien dans la région,
• ces accords sont partiellement des échanges culturels destinés à faire la promotion en Chine de la civilisation arabe et de l’influence positive de l’Islam, répondant ainsi au désir de considération de l’Arabie saoudite,
• le projet le plus cher à Mohammed ben Salmane est la construction de la ville futuriste Neom en plein désert, au cout de 500 millards$. Or ce projet suscite l’indifférence en Occident, mais l’intérêt (feint ou non) de la Chine.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Guerre russo-ukrainienne et neutralité du tiers-monde

5 février 2023


 
Environ 85 % de la population mondiale vit dans des pays qui n’ont pas adopté de sanctions contre la Russie et qui refusent de s’impliquer (en vert sur la carte). Non pas que ces peuples approuvent l’invasion russe, mais ils croient que c’est une guerre qui ne les concerne pas.

Un sondage de la firme Pew effectué du 18 au 24 janvier 2023 révèle qu’aux États-Unis, de mars 2022 à janvier 2023, la proportion des électeurs républicains qui estiment que leur pays en fait trop pour l’Ukraine est passée de 9 à 40 % alors que chez les électeurs démocrates, elle est passée de 5 à 15 %. Dans l’ensemble du pays, le changement est de 7 à 26 %.

Plus intéressante est l’appréciation de la dangerosité de cette guerre.

En mars 2022, la moitié seulement des adultes américains — peu importe leur allégeance politique — percevaient cette invasion comme un danger majeur pour les intérêts de leur pays.

Le mois dernier, l’opinion des Démocrates avait un peu diminué, passant de 50 à 43 % alors que chez les Républicains, elle chutait de 51 à 29 %.

Dans l’ensemble de la population américaine, ce pourcentage est passé de 50 à 35 %. Pour un nombre croissant d’Américains, la difficulté rencontrée par l’armée de la Russie à faire la conquête de l’Ukraine suggère qu’on a peut-être exagéré la dangerosité militaire de ce pays pour l’Occident.

Depuis son accession au pouvoir en 1999, la popularité de Vladimir Poutine a varié grandement, surtout au début de son régime. Mais depuis 2000, elle fluctue entre 61 et 84 %, avec, actuellement, un des sommets de popularité, soit 81 % en décembre dernier.

Au XXe siècle, une bonne partie de la population des pays en voie de développement reprochait aux pays occidentaux leur passé colonial et leur gestion brutale des affaires mondiales tout au cours de ce siècle.

Vue comme allié des classes populaires, la Russie jouissait d’un préjugé favorable. Toutefois, ces populations étaient rebutées par les valeurs russes, que ce soit sa laïcité ou le droit des femmes d’exercer des métiers non conventionnels.

Depuis quelques décennies, les valeurs morales de l’Occident — la défense des droits des minorités sexuelles, le respect de l’identité de genre indépendante de l’identité sexuelle — font en sorte que la grande majorité des pays en voie de développement ne voient plus l’Occident comme un modèle à imiter.

Par exemple, la décision de l’armée canadienne de permettre aux soldats non binaires de sexe masculin de se maquiller, de porter des faux cils, du vernis à ongles et une jupe, suscite la risée.

On apprécie donc la technologie occidentale, mais on estime que l’insistance des pays riches à faire changer les lois qu’ils jugent arriérées comme une nouvelle forme de colonialisme.

Depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, la Russie affiche un conservatisme à la fois religieux et moral — notamment par son homophobie et son machisme — qui rejoint les valeurs traditionnelles des pays du tiers-monde.

Puisque les mentalités évoluent beaucoup plus lentement que les lois, ces pays ont beau se soumettre aux dictats américains, leur population résiste à ces changements et refuse d’endosser la propagande occidentale contre la Russie, un pays qui leur semble plus respectueux de leur culture et de leurs traditions.

Références :
As Russian invasion nears one-year mark, partisans grow further apart on U.S. support for Ukraine
Do you approve of the activities of Vladimir Putin as the president (prime minister) of Russia?
L’inclusion et la diversité au fédéral

Paru depuis :
Pourquoi les pays du Sud sont ambivalents face à la guerre en Ukraine (2023-04-29)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La fourniture de chars d’assaut lourds à l’Ukraine

30 janvier 2023

Il y a cinq jours, l’Allemagne a finalement autorisé les pays qui disposent de ses chars Leopard 2 à en acheminer vers l’Ukraine.

Pourquoi ces pays doivent-ils obtenir sa permission ?

L’Allemagne interdit la revente du matériel militaire de pointe qu’elle fabrique afin d’éviter l’éventualité que ce matériel se retrouve entre les mains d’un pays entré en guerre contre elle.

Il existe plus de deux-mille chars Leopard 2 dans le monde. L’Allemagne en possède 212 opérationnels, en plus d’une centaine de chars Leopard d’un autre modèle.

Le Canada possède 82 Leopard 2, dont quatre seront donnés à l’Ukraine.

En comparaison, la France disposait de 1 500 chars lourds au début des années 1990. Mais ces chars, comme les voitures, ne sont pas faits pour durer.

Ses meilleurs chars lourds, les Leclerc, ne sont plus fabriqués depuis 2008. La France en possède encore 226, dont seulement les deux tiers sont opérationnels.

Au total, les pays occidentaux comptent livrer de 143 à 177 chars lourds à l’Ukraine, dont 98 à 132 chars Leopard 2.

Cela ne correspond pas à une nouvelle escalade dans le conflit puisque dès avril ou mai 2022, la Pologne livrait plus de 200 chars T-72 de fabrication soviétique à l’armée ukrainienne.

Depuis le début du conflit, l’armée russe a perdu 1 642 chars. L’Ukraine en a perdu 449 (dont la totalité des chars T-72 livrés par la Pologne).

Puisque les chars Abrams M1 américains ont une logistique d’approvisionnement en carburant et en pièces de rechange plus compliquée que celle des Leopard 2, ces derniers seront livrés en premier à l’Ukraine, soit dès mai 2023.

Technologiquement, les Abrams M1 et les Leopard 2 sont nettement supérieurs aux chars T-72 soviétiques. Mais leurs poids sont respectivement de 68, de 64 et de 45 tonnes. Ce qui rend ces derniers un peu moins susceptibles de s’enliser dans les sols boueux des plaines ukrainiennes au printemps.

Qu’en sera-t-il dans la vraie vie ? C’est ce que nous verrons bientôt; la guerre en Ukraine est un laboratoire où les belligérants testent l’efficacité et la fiabilité de leur matériel militaire dans les conditions réelles d’un conflit armé.

Dans le cas des pays occidentaux, ils procèdent à cette vérification sans risque pour leurs soldats puisque l’Ukraine est heureuse d’accomplir cette tâche en contrepartie de la fourniture gratuite de ce qui lui faut pour se défendre.

Mais cette guerre de haute intensité met à mal les stocks d’armements. À l’été 2022, au plus fort des combats, soixante-mille obus russes et vingt-mille obus ukrainiens étaient tirés quotidiennement.

Avec le résultat que le Pentagone, principal fournisseur de l’Ukraine, lui a livré en neuf mois trois-mille drones et près d’un million d’obus de 155 mm, de même que 50 000 missiles sol-sol et 1 600 missiles sol-air. C’est le tiers des stocks américains de missiles.

À ce rythme, les États-Unis assisteraient impuissants à l’invasion de Taïwan par la Chine si cette dernière le décidait dans deux ans.

Du coup, la course aux armements déclenchée en 2014 par l’Otan à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie s’avère déjà insuffisante.

Un pays comme le Canada, endetté à hauteur d’environ 40 % de son PIB, peut se permettre de refiler ses achats militaires au service de la dette.

Celle-ci est constituée de bons du Trésor qui viennent périodiquement à échéance. Le pays émetteur peut alors les payer (s’il en a les moyens) ou pelleter vers l’avant cette dette en émettant de nouveaux bons du Trésor pour payer les anciens.

L’ambitieux programme de réduction de taxes pour les riches (qui devait accroitre substantiellement la dette britannique) a été abandonné par Londres quand les bons du Trésor nouvellement émis n’ont pas trouvé preneurs.

Dans le même ordre d’idée, la France a dernièrement annoncé une augmentation de son budget militaire de 413 milliards d’euros en sept ans. C’est considérable.

Par crainte de la sanction des milieux financiers, la France — déjà endettée à hauteur de 120 % de son PIB (comparativement à 20 % pour la Russie) — doit sabrer son filet de protection sociale, provoquant déjà la grogne de millions de Français.

Dans tous les pays démocratiques, la fabrication du consentement populaire est indispensable à la croissance colossale des dépenses militaires. Sinon, des partis pacifistes prendront le pouvoir.

Voilà pourquoi tous nos médias répètent cette nouvelle théorie des dominos (sur laquelle je reviendrai) qui consiste à dire que toute victoire russe en Ukraine provoquerait un effondrement de l’ordre mondial et le retour à l’âge des cavernes…

Certes, la guerre russo-ukrainienne a été déclenchée par la Russie. Mais la cause profonde de ce conflit est l’expansionnisme toxique de l’Otan, c’est-à-dire son obsession à encercler militairement la Russie au plus près.

La Russie ne peut pas accepter qu’on installe des ogives nucléaires dans sa cour arrière. Pas plus que les États-Unis ne pouvaient tolérer qu’on fasse pareil à Cuba en 1962.

Et n’oublions pas que l’armée américaine s’est rendue à l’autre bout du monde pour envahir l’Irak sous le prétexte fallacieux que ce pays possédait des armes de destruction massive.

Avant que l’Otan accueille en son sein une bonne partie des anciennes républiques soviétiques, c’est en Turquie (à environ deux-mille kilomètres de Moscou) que les États-Unis entreposaient leur plus grand stock d’ogives nucléaires hors du territoire américain.

Une décennie après l’adhésion de la Roumanie à l’Otan, les États-Unis ont déplacé une partie de leurs ogives nucléaires dans ce pays, à environ 1 500 km de Moscou.

Et si l’Ukraine et la Finlande rejoignent l’Otan, l’armée américaine sera en mesure de rapprocher ses missiles respectivement à 500 km de Moscou et à 125 km de Saint-Pétersbourg.

Non seulement elle pourrait le faire, mais elle le fera.

Pour Poutine (ou n’importe quel dirigeant russe compétent), cela est totalement inacceptable.

De plus, en prolongeant cette guerre au-delà de ce qui est nécessaire pour amener le peuple ukrainien à la raison, l’Otan pousse la Russie à recourir à l’arme nucléaire.

Comme les États-Unis l’ont fait en 1945 au Japon pour briser l’aveuglement du peuple japonais à croire que leur empereur était un demi-dieu.

À ce jour, les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki constituent les deux plus importants ‘crimes de guerre’ de l’histoire de l’Humanité.

Espérons que ce triste record américain ne sera pas battu.

Références :
Bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki
Crise des missiles de Cuba
La fabrication du consentement politique : un exemple américain
La guerre en Ukraine met les stocks d’armes occidentaux sous pression
La Pologne serait en train de livrer 200 chars T-72 aux forces ukrainiennes
La première ministre britannique Liz Truss démissionne
Les chars occidentaux marqueront-ils un tournant dans la guerre en Ukraine?
L’expansionnisme toxique de l’Otan
Loi de programmation militaire : un budget colossal mais des choix drastiques
Pourquoi la France hésite à livrer des chars Leclerc à l’Ukraine

Parus depuis :
L’armée française manque de munitions pour la haute intensité (2023-02-18)
Réforme des retraites : Macron justifie le 49.3 en invoquant des « risques financiers trop grands » (2023-03-16)

Compléments de lecture :
L’engrenage ukrainien
L’épouvantail russe

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le rapatriement des terroristes canadiens de Syrie

23 janvier 2023
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Introduction

On apprend aujourd’hui qu’à l’instar de plusieurs pays occidentaux, le Canada devrait rapatrier prochainement 23 prisonniers détenus dans les prisons kurdes de Syrie : quatre hommes, six femmes et treize enfants.

Il s’agit de quatre djihadistes canadiens et “d’épouses” (c’est-à-dire d’esclaves sexuelles) de Canadiens morts depuis pour l’État islamique. Ces dernières ne sont pas des citoyennes canadiennes puisque la citoyenneté à notre pays ne se transferre pas par le sperme. Quant aux enfants, dix d’entre eux sont nés en Syrie de mères étrangères et de djihadistes canadiens tués là-bas.

L’avocat canadien de vingt-deux de ces prisonniers, Me Lawrence Greenspon, estime que ce rapatriement était inévitable en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

Celui-ci croit également que les poursuites criminelles qui pourraient être intentées contre eux se dérouleraient dans un contexte plus juste au Canada que si leur procès avait lieu en Syrie.

Selon l’ONG américaine Human Rights Watch, une partie des gens concernés auraient été victimes de traite de personnes et se seraient retrouvés malgré eux dans les rangs de l’État islamique.

Le procès ‘juste’

Afin de déposer des accusations criminelles, les enquêteurs canadiens devront d’abord faire enquête. Ce qui signifie recueillir les témoignages des complices potentiels et des victimes demeurées sur place.

Pour ce faire, ils auront besoin de la collaboration du gouvernement de Syrie. Or non seulement le Canada a rompu ses relations diplomatiques avec ce pays, mais il a cherché à abattre le régime de Bachar al-Assad et procédé à des bombardements ‘humanitaires’ (sic) contre sa population.

En supposant que ce régime collabore à ce sujet, il faudra également qu’il accepte, une fois les accusations portées, d’homologuer les citations à comparaitre émis par les tribunaux canadiens afin que les personnes concernées témoignent par vidéoconférence.

Pour Bachar al-Assad, le meilleur moyen de se venger de l’agression militaire canadienne contre son pays, c’est de se trainer les pieds de manière à ce que tous ces procès s’éternisent et avortent en vertu de l’arrêt Jordan.

Si par bonheur, certains de ces terroristes acceptaient de plaider coupables, leur longue détention dans les prisons syriennes sera soustraite de la sanction imposée par les tribunaux canadiens. Bref, ils seront probablement remis en liberté peu de temps après leur condamnation.

Voilà ce que signifie un procès ‘juste’ dans ce contexte.

La pseudo traite de personnes

Sans exception, tous les Canadiens qui ont accepté de combattre dans les rangs de l’État islamique l’ont fait de leur plein gré.

Ils se sont d’abord renseignés au sujet des moyens pour se rendre en Syrie et ont obtenu les coordonnées des passeurs qui leur ont permis de traverser la frontière turco-syrienne. Ils ont demandé un passeport, acheté leurs billets d’avion, menti aux douaniers quant aux motifs de leur voyage en Turquie, se sont rendus clandestinement aux lieux de passage frontaliers, etc.

Bref, l’idée du jeune adulte qui s’endort le soir au Canada et se réveille le lendemain en Syrie dans les rangs d’une organisation terroriste a peu de chance de devenir un scénario de film tellement tout cela est invraisemblable.

Conclusion

La seule manière d’assurer aux terroristes canadiens un procès juste et équitable, c’est qu’ils soient jugés dans le pays où auraient été commis les méfaits dont on les accuse. En effet, c’est là que se trouvent ceux qui pourraient leur fournir un alibi ou témoigner en leur faveur.

La guerre en Syrie a fait plus de 350 000 morts, dont 175 000 femmes. Les survivants d’actes terroristes dans ce pays ont droit de connaitre la vérité eux aussi.

C’est seulement après leur procès en Syrie qu’il sera opportun de les rapatrier au pays. Quitte à leur permettre, une fois les témoignages entendus et consignés là-bas, de faire appel au Canada de leur condamnation syrienne, le cas échéant.

Au sujet des djihadistes canadiens, plaider leur rapatriement est une manière détournée d’obtenir leur libération à l’issue d’un procès canadien bâclé où on n’aura ni la preuve de leur culpabilité ni la preuve de leur innocence.

Or un seul djihadiste canadien qui rentre au pays pour y commettre un attentat terroriste est un djihadiste de trop.

Parus depuis :
Qui sont les Canadiens détenus dans des camps en Syrie? (2023-01-24)
La Cour d’appel casse la décision exigeant le rapatriement de Canadiens en Syrie (2023-05-31)

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Écrit par Jean-Pierre Martel