Ingérence étrangère : les demi-mesures du Groenland

Publié le 4 février 2025 | Temps de lecture : 6 minutes

L’ingérence des États-Unis

Pour étendre ou consolider leur hégémonie, les États-Unis pratiquent depuis des décennies l’ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.

En Amérique latine

Dans les années 1960, la CIA avait couvert l’Amérique latine de dictateurs d’extrême droite, n’hésitant pas à faire assassiner Salvador Allende, pourtant élu démocratiquement à la présidence du Chili.

À Cuba, les États-Unis ont tenté 638 fois d’assassiner Fidel Castro en plus d’échouer en 1961 à le renverser par une invasion de mercenaires à la baie des Cochons.

Dans les années 1980, la CIA finançait les Contras dont le mandat était de susciter, par des actes terroristes, le mécontentement de la population contre le gouvernement du Nicaragua.

En Ukraine

Plus près de nous, les États-Unis ont secrètement orchestré en 2014 le massacre de la place de l’Indépendance de Kyiv afin de faire basculer définitivement l’Ukraine dans le camp occidental.

En Géorgie

Depuis trois mois, les États-Unis et leurs alliés alimentent le climat insurrectionnel en Géorgie en répétant faussement que les dernières élections législatives y auraient été l’objet d’une fraude massive.

En Roumanie

Le mois dernier, l’élection présidentielle en Roumanie a été annulée parce que les électeurs y ont voté pour un candidat critique de l’Union européenne et de l’Otan.

Les dirigeants pro-occidentaux du pays ont pris cette décision inusitée parce que, selon eux, le peuple roumain s’est trop laissé influencé par la propagande russe sur les médias sociaux.

En Slovaquie

Robert Fico, premier ministre de la Slovaquie, est reconnu pour son opposition à l’aide à l’Ukraine, pays situé immédiatement à l’Est du sien.

Après avoir échappé à une tentative d’assassinat le 15 mai 2024, il affronte ces jours-ci d’immenses protestations déclenchées par sa rencontre avec Poutine, le 22 décembre dernier, au sujet de l’approvisionnement slovaque en gaz fossile russe.

Selon les services de renseignement slovaque, environ le tiers des protestataires sont des personnes transportées gratuitement par autobus et par train à partir de l’ouest de l’Ukraine, fief des groupes néonazis de ce pays.

Puisque l’État ukrainien est en faillite depuis des années, on voit mal qui pourrait financer cette couteuse opération sinon, indirectement, les États-Unis.

On comprendra donc la nervosité des dirigeants du Groenland à l’approche de leurs élections législatives, prévues le 6 avril prochain.

La nouvelle loi groenlandaise

Le 16 janvier dernier, le site Euractiv rapportait que des influenceurs pro-Trump sont arrivés des États-Unis par avion dans la capitale groenlandaise, distribuant des billets de 100 dollars et des casquettes MAGA à la sortie des supermarchés.

Dans cette ville de vingt-mille habitants, leur venue n’est pas passée inaperçue.

Plus tôt aujourd’hui, le gouvernement provincial du Groenland a adopté une nouvelle loi sur le financement politique afin de se prémunir contre l’ingérence ‘étrangère’ (lisez : américaine).

Exception faite du Québec, le financement politique en Occident est de la corruption légalisée.

Chez nous, seuls les citoyens du Québec peuvent verser de l’argent à une formation politique. Cela est donc interdit aux syndicats, aux ONG et aux entreprises, qu’elles soient ‘québécoises’ ou non.

Au Québec, la contribution individuelle maximale est de 100 $ par année en temps normal. Un maximum porté à 200 $ les années où se tiennent des élections. De plus, la moindre contribution doit être déclarée.

En tant que Québécois, on est ahuri en voyant les sommes colossales qui peuvent être versées secrètement et en toute légalité à une formation politique en Europe et aux États-Unis puisque la déclaration n’y est obligatoire que lorsque la contribution politique dépasse un seuil élevé.

Alors quelles sont les règles dont le Groenland s’est doté ?

Dorénavant, les politiciens groenlandais ne pourront plus accepter des contributions ‘étrangères’ ou anonymes. Sont étrangers, les donateurs qui résident ou sont domiciliés en dehors du Groenland.

Les formations politiques devront tenir un registre où sera inscrit chaque versement par une association, une ONG, une entreprise, etc.

Dans le cas des particuliers, c’est différent. L’inscription au registre sera obligatoire pour les dons individuels qui dépassent mille couronnes danoises (soit 134 € ou 200 $Can). En deçà de cette somme, la contribution pourra demeurer secrète.

Dans tous les cas, la contribution politique d’un citoyen ne pourra pas dépasser vingt-mille couronnes (soit 2 680 € ou 4 000 $Can).

Selon le quotidien Le Monde, « aucune formation ne sera autorisée à recevoir plus de 200 000 couronnes (27 000 euros) de donateurs privés, dans la limite de 20 000 couronnes par contributeur.»

Ce qui suggère qu’il n’y a pas de limite quant aux versements des entreprises. Du moment qu’elles ne sont pas ‘étrangères’. Ce qui n’empêche pas, par exemple, une association ou une ONG authentiquement groenlandaise de servir de paravent à du financement politique étranger.

Le maximum québécois, limité à 100 ou 200 $, a été fixé très bas afin d’éviter les prête-noms. C’est une précaution que le Groenland n’a pas prise.

Imaginons qu’un candidat reçoive une liste de noms de donateurs accompagnée d’une enveloppe brune pleine de billets de banque.

Pourquoi ce candidat prendrait-il l’initiative de s’assurer que ces gens ne sont pas des prête-noms quand la loi ne lui impose aucune obligation à ce sujet et que, de toute manière, leur contribution peut demeurer secrète puisqu’aucun d’entre eux n’a versé plus de mille couronnes selon la liste fournie ?

En conclusion, la nouvelle loi groenlandaise au sujet du financement politique demeure une passoire, mais dont les trous sont plus petits qu’avant.

Références :
Ces 638 fois où la CIA a voulu se débarrasser de Fidel Castro
Contras
Débarquement de la baie des Cochons
En direct de Nuuk : les YouTubeurs et les casquettes MAGA envahissent le Groenland
La Géorgie sur la voie d’un coup d’État (1re partie)
Le Groenland se mobilise contre les risques d’ingérences étrangères
L’Ukraine sous le respirateur artificiel américain
Manifestations massives en Slovaquie contre la position de Fico envers la Fédération de Russie
Poutine s’entretient avec Fico, lors d’une rare visite à Moscou d’un dirigeant de l’UE
Roumanie : des milliers de personnes protestent contre l’annulation de l’élection présidentielle
Tentative d’assassinat de Robert Fico
Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan

Paru depuis : Olaf Scholz critique l’ingérence des Américains, après le discours de J. D. Vance (2025-02-15)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La tentation groenlandaise de Trump

Publié le 1 février 2025 | Temps de lecture : 7 minutes
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Introduction

Contrairement à ce qu’on pense généralement, Charles Chaplin n’était pas juif.

À l’époque du tournage du Great Dictator (ci-dessus), ses amis l’avaient supplié : « Ne fais pas un film qui se moque d’Hitler: c’est sur nous, les Juifs, qu’il se vengera

La réaction européenne

Depuis que Donald Trump a fait savoir qu’il veut annexer une partie du royaume de Danemark, on aurait pu s’attendre à ce que l’Europe se dresse contre le président américain.

Après tout, l’Union européenne (UE) s’est mobilisée quand la Russie a envahi l’Ukraine (qui n’est pas membre de l’Union). Comment justifierait-elle son indifférence face à une invasion du royaume de Danemark qui, lui, est membre de l’UE ?

Après une conversation téléphonique orageuse (et demeurée secrète) avec Trump, la présidente danoise a entrepris une brève tournée des capitales européennes.

De manière générale, les dirigeants européens se partagent en deux camps.

Il y a ceux qui en appellent au respect des frontières sans oser préciser ce qu’ils feraient si Trump passait à l’acte.

Et il y a ceux qui refusent de croire que Trump est sérieux. Ceux-ci préfèrent donc faire le mort en attendant que les envies de Trump lui passent.

Techniquement, les dirigeants de l’Union européenne (UE) pourraient invoquer que si le Danemark ‘continental’ est membre de l’Union — et, conséquemment, a le droit d’être protégé par elle — ce n’est pas le cas du Groenland qui s’est retiré de l’UE en février 1982.

À l’Otan, la présidente danoise s’est fait dire que l’Alliance atlantique s’en lave les mains.

En juillet 1974, la Turquiye (membre de l’Otan) s’est emparée de 38 % de l’ile méditerranéenne de Chypre qui, jusque-là, appartenait en totalité à la Grèce (également membre). L’Otan ne s’en est pas mêlée.

Ici la victime ne pouvait pas menacer de quitter l’Otan puisqu’en pareil cas, l’agresseur aurait toute l’Otan de son côté. Donc la Grèce a rongé son frein.

Le Danemark ferait de même s’il était attaqué par les États-Unis.

Une occasion unique

Du premier mandat de Donald Trump, au-delà des déclarations incendiaires, il reste peu de chose. Exception faite de la mise au point des vaccins à ARN messager, de la remise en question des droits des femmes et des minorités, et du pivotement de la politique étrangère américaine vers le Pacifique.

Même si son second mandat devait être une suite de conflits commerciaux stériles, Donald Trump passera à l’histoire s’il annexe (ou achète) le Danemark.

La superficie de son pays passerait alors de 9 631 419 km² à 11 797 505 km², soit une augmentation de 22,5 %.

Or Donald Trump est dans une situation idéale pour ce faire.

En temps normal, les pays européens n’ont déjà pas la puissance militaire pour s’opposer à une invasion américaine au Groenland.

À l’occasion de la guerre en Ukraine, ils ont épuisé une bonne partie de leurs réserves d’armement en approvisionnant généreusement Kyiv.

Pour les remplacer, les armes sophistiquées qu’ils achètent proviennent à 80 % des États-Unis : c’est de l’armement que le Pentagone peut inactiver à distance lorsque des pays clients décident de s’en servir contre ses soldats.

Bref, les pays de l’UE sont faits comme des rats.

Arrivant à peine à s’approvisionner cet hiver en hydrocarbures, ils ne peuvent se permettre d’indisposer un fournisseur comme les États-Unis. Un fournisseur qui a l’audace de les menacer de sanctions s’ils ne consentent pas à accroitre leur vassalisation.

L’eldorado groenlandais

Toutes les puissances hégémoniques salivent à l’idée d’annexer n’importe quel territoire qu’ils croient plein de richesses.

Contrairement à ce qu’on dit partout, le potentiel minier du Groenland est largement inconnu. Mais avec ses 2 166 086 km², le territoire de l’ile doit nécessairement receler plusieurs filons intéressants.

Sur une année, la moyenne des températures est de +5°C en Alaska et de -21°C au Groenland. Annexé par Trump, le Groenland deviendrait le meilleur endroit aux États-Unis pour installer des fermes de minage de cryptomonnaie, des centres de données et des serveurs dédiés à l’intelligence artificielle.

Parce que la puissance de calcul des ordinateurs augmente lorsque la température baisse.

La population du Groenland est composée à 98 % d’Inuits. Ceux-ci sont très majoritairement hostiles à l’annexion de leur pays aux États-Unis.

Mais les États-Unis n’ont pas eu besoin de la permission des Canadiens pour nous envahir en 1812 (et d’échouer à nous conquérir).

Ils n’ont pas eu besoin non plus de la permission des Cubains pour envahir l’ile en 1898; il a suffi de la mystérieuse explosion d’un navire américain dans le port de La Havane pour qu’ils invoquent leur droit à la légitime défense.

Or, qui sait la perfidie dont les Groenlandais seraient capables pour provoquer la colère de Trump…

Contrer une menace surfaite


 
Parmi les arguments invoqués par Donald Trump pour annexer le Groenland, il y a la nécessité de protéger le monde libre contre la présence croissante de la Russie et de la Chine dans l’Arctique.

Ce que les agences de presse pro-occidentales négligent de dire, c’est que cette présence accrue est limitée à l’Arctique russe, habituellement le long de la rive arctique de la Fédération de Russie.

Une proportion appréciable du territoire de celle-ci se trouve au-delà du cercle polaire. Le développement économique de cette région nécessite des injections de capitaux. Ce qui, en soi, n’a rien de répréhensible.

Quant à elle, la Chine cherche à améliorer les installations portuaires russes qui sont susceptibles d’accueillir sa marine marchande le long de la Route polaire de la soie.

Cette route maritime est importante pour la Chine puisque c’est la seule qui ne soit pas contrôlée par les États-Unis.

Aux yeux de Washington, il est intolérable que la Chine puisse tenter d’échapper à sa domination. D’où l’idée de menacer la Route polaire de la soie en construisant de nouvelles bases militaires au nord du Groenland.

Une menace à la paix

Indépendamment du fait que l’annexion américaine légitimerait l’expansionniste d’autres puissances, cela menacerait la paix mondiale.

Une des grandes leçons de l’Histoire, c’est qu’il faut éviter que des pays ennemis soient voisins. Comme il est imprudent, au réveillon du temps des Fêtes, de placer côte à côte deux beaux-frères qui se détestent.

Dans le cas des pays ennemis, il est toujours préférable qu’ils soient séparés par des pays-tampons lorsque cela est possible.

C’est une leçon que Washington a ignorée en manipulant le peuple ukrainien de manière à lui faire croire qu’il était dans son intérêt de devenir un ennemi militaire de son redoutable voisin. Avec les conséquences qu’on sait.

C’est une erreur que les États-Unis veulent répéter au Groenland. En agrandissant leur territoire au plus près de la Russie, ils augmentent le risque d’une guerre mondiale.

Références :
Acquisitions territoriales des États-Unis
«Grave et potentiellement très dangereux» : entretien «houleux» entre le Danemark et Donald Trump, qui veut racheter le Groenland
Guerre canado-américaine de 1812-1815
Invasion turque de Chypre
La nouvelle Théorie des dominos
La géopolitique de l’Arctique
Le climat à Alaska, États-Unis
Le climat à Groenland
Occupation américaine de Cuba

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’engouement pour la géopolitique

Publié le 28 janvier 2025 | Temps de lecture : 4 minutes

Introduction

Depuis toujours, on sait que la géographie détermine l’histoire des peuples. Voilà pourquoi la Suisse, pays enclavé, n’est jamais devenue une puissance maritime puisqu’elle n’a pas accès à la mer.

De la même manière, on peut dire que si Montréal est une ville presque deux fois plus populeuse qu’Amsterdam, c’est en raison de sa proximité avec le marché américain. Une proximité qui lui permet de générer une activité économique suffisante pour nourrir 1,8 million de personnes.

Toutefois, la géopolitique dépasse le cadre étroit du déterminisme géographique.

De nos jours, la géopolitique est une discipline académique à cheval entre la géographie, les sciences politiques et la stratégie militaire.

La compréhension du réel

On devrait s’attendre à ce que la lecture méticuleuse des nouvelles internationales suffise à la compréhension ce qui se passe à travers le monde.

Ce n’est pas le cas.

Au cours des dernières décennies, pendant que les médias traditionnels perdaient une bonne partie de leurs revenus publicitaires au profit des géants du Web, la première chose qu’ils ont sacrifiée, ce sont leurs journalistes et leurs correspondants à l’Étranger.

Dépêche de l’Agence France-Presse (AFP)

Et pour compenser cette perte, ils se sont abonnés à des agences de presse couvrant l’actualité internationale. Malheureusement, depuis toujours, celles-ci sont ces entreprises opaques qui véhiculent de la propagande.

En Occident, l’Agence France-Presse, Associated Press et Reuters (entre autres) véhiculent de la propagande occidentale. L’Agence Tass et Sputnik véhiculent de la propagande russe. Et ainsi de suite.

Cela ne veut pas dire que ce qu’elles écrivent est faux. La plupart du temps, leurs dépêches ne font que présenter la partie de la vérité qui correspond au narratif occidental. Mais parfois, ce qu’elles propagent est totalement faux.

L’exemple du ‘pogrome’ d’Amsterdam

Pour s’en convaincre, on peut prendre un exemple récent qui ne devrait pas être de nature à susciter la controverse; le fameux ‘pogrome’ d’Amsterdam

Pour qu’il y ait pogrome, il faut qu’au moins un Juif soit tué.

Je ne dis pas qu’il est regrettable qu’aucun Juif n’ai été tué à Amsterdam. Je dis : pas de Juif tué, pas de pogrome.

De plus, comparer les émeutes d’Amsterdam à la Nuit de Cristal survenue les 9 et 10 novembre 1938 est une grossière exagération : il y a 86 ans, des centaines de Juifs ont été tués, 267 synagogues furent réduites en cendres, et sept-mille commerces juifs ont été pillés ou détruits.

Il n’y a pas eu l’ombre de tout cela à Amsterdam en novembre dernier.

Pourtant, toutes les agences de presse occidentales (et conséquemment, tous les médias qui publient leurs dépêches) ont relayé comme un fait avéré l’accusation du gouvernement israélien selon laquelle, les Pays-Bas ont été complices d’un ‘pogrome’ en novembre dernier.

Bref, tous nos journaux nous ont menti.

Nouvelles internationales et géopolitique

L’intérêt de la géopolitique, c’est qu’elle permet de comprendre le fond des choses. En plus de s’appuyer sur les faits, elle vise à expliquer le pourquoi et le comment.

Voilà pourquoi cette disciple est à ce point populaire, notamment sur YouTube.

Mais comme tout ce qui s’avère à la mode sur les médias électroniques, elle est aussitôt contaminée par des propagandistes.

Comment reconnaitre les imposteurs ? Par leur usage de l’adjectif.

L’analyse objective n’a pas besoin d’une abondance d’adjectifs. Par contre, si on veut susciter l’indignation et la haine, l’exagération et l’abus de l’adjectif sont indispensables.

De plus, si un texte est un plaidoyer en faveur de la supériorité morale d’une partie des protagonistes d’un conflit, c’est que ce texte substitue la foi à la vérité.

Référence : Un ‘pogrome’ à Amsterdam : vraiment ?

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Violence coloniale actuelle en Cisjordanie

Publié le 26 janvier 2025 | Temps de lecture : 2 minutes
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La Palestine est cette partie du Proche-Orient qui comprend l’État d’Israël et les territoires palestiniens occupés par celui-ci.

Les territoires palestiniens se trouvent de part et d’autre d’Israël. Ils comprennent la bande de Gaza (au sud-ouest, mesurant 365 km²) et la Cisjordanie (à l’est, d’une superficie de 5 860 km²).

Le présent texte concerne le plus étendu des territoires palestiniens, soit la Cisjordanie.

Plus tôt cette semaine, une douzaine de colons israéliens — protégés par l’armée — ont incendié plusieurs véhicules et endommagé des propriétés en Cisjordanie, blessant par la même occasion vingt-et-un Palestiniens.

Il s’agit d’un incident parmi une multitude.

Depuis l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (BCAH) a répertorié 1 860 incidents violents commis entre cette date et le 31 décembre 2024 par des colons israéliens en Cisjordanie.

Elles ont provoqué la mort de 870 Palestiniens (dont 177 enfants), en plus d’en blesser 6 700 autres. En outre, 13 572 Palestiniens de Cisjordanie (dont des enfants) ont été arrêtés et 2 168 structures (immeubles, viaducs, ponts, etc.) ont été détruites.

En se protégeant, des Palestiniens ont tué une trentaine de leurs agresseurs, perpétuant ce cycle sans fin d’attaques, de représailles et de vengeance de part et d’autre depuis le début de la guerre coloniale que livre Israël en Palestine.

Depuis 1967, de 600 000 à 750 000 Israéliens se sont établis en Cisjordanie, attirés par les mesures gouvernementales destinées à favoriser le peuplement des 250 colonies et avant-postes implantés illégalement en Palestine.

En effet, la quatrième Convention de Genève interdit à une puissante occupante de transférer une partie de sa population dans les territoires qu’elle occupe.

Références :
Alarmante escalade israélienne en Cisjordanie
Cisjordanie
Mapping 1,800 Israeli settler attacks in the West Bank since October 2023
Quatrième convention de Genève

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Géorgie : le pays aux grands rêves

Publié le 19 janvier 2025 | Temps de lecture : 5 minutes
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Introduction

Depuis son indépendance en 1991, le peuple géorgien n’a cessé d’espérer que leur pays adhère à l’Union européenne (UE). À tel point que la poursuite de cet objectif est exigée par l’article 78 de la constitution du pays.

Malheureusement, cela est impossible tant que la Russie ou la Turquiye n’aura pas préalablement été admise à l’UE. Voyons pourquoi.

L’agrandissement de l’Union européenne

La Règle de la contigüité

Une des règles non écrites de l’Union européenne (UE) est que seul un pays contigu ou voisin du territoire de l’union peut y adhérer.

C’est ainsi que les Pays-Bas sont membres, mais pas le Suriname (sa colonie d’Amérique du Sud) ni les Antilles néerlandaises.

Même chose pour la France, membre de l’UE, mais sans ses territoires d’outre-mer (St-Pierre-et-Miquelon, Polynésie française, etc.).

Avant le Brexit, la Grande-Bretagne était membre, de même que sa colonie de Gibraltar (contigu à l’Espagne). Mais pas ses territoires et colonies d’outre-mer.

Si, de nos jours, l’Irlande semble faire exception à cette règle, c’est qu’elle a adhéré à l’UE en même temps que la Grande-Bretagne en 1973. Or ces deux pays étaient, conjointement, voisins de l’UE à l’époque.

L’exception groenlandaise

Le caractère officieux de la ‘Règle de la contigüité’ s’explique peut-être par le fait que l’UE juge parfois avantageux d’y déroger.

Ce fut le cas lorsque le Danemark négocia son adhésion à l’UE. À l’insistance de ses négociateurs, ce pays avait obtenu que l’ensemble du royaume de Danemark (ce qui inclut le Groenland) adhère à l’Union. Or le Groenland est à deux-mille kilomètres du plus proche pays membre de l’Union.

Cette anomalie fut éventuellement corrigée.

Au référendum danois de 1972 (portant justement sur l’adhésion à l’UE), les Groenlandais avaient voté contre à 70,8 %. Pourquoi ? Essentiellement en raison de l’impérialisme culturel du parlement européen.

L’UE exigeait que les Autochtones du Groenland abandonnent leur principale source de revenus, soit la vente de la fourrure d’animaux marins. C’est en 1985 que les Groenlandais obtinrent finalement le retrait de leur territoire de l’UE.

La suppression de l’exception groenlandaise renforça la Règle de la contigüité.

Et la Géorgie ?

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Au-delà de la mer Noire, à mille kilomètres de la Roumanie, la Géorgie (en rouge sur la carte) est complètement séparée de l’UE.

Si cette dernière acceptait la Géorgie parmi ses membres, ce serait le seul pays où la libre circulation des biens et des services serait impossible avec le reste de l’Union.

En effet, aucune route terrestre et aucune voie ferroviaire ne relie la Géorgie à l’UE sans passer par la Fédération de Russie.

Ce qui signifie que les pays voisins, par le biais de tarifs douaniers, pourraient détourner à leur avantage une partie des bienfaits économiques d’une adhésion de la Géorgie à l’UE.

En vertu de la Règle de la contigüité, la Géorgie devra attendre l’adhésion préalable à l’UE de la Turquiye (au sud) ou celles de la Russie et de l’Ukraine (au nord) avant de pouvoir y adhérer à son tour.

Ce qui n’est pas pour demain.

Alors pourquoi l’UE alimente-t-elle les espoirs vains des Géorgiens ?

Le Soft Power européen

Périodiquement, l’UE doit affronter des forces centrifuges, c’est-à-dire des forces qui militent pour la sortie d’un pays de l’UE.

Quel meilleur argument pour contrer leurs efforts que de soutenir (avec un peu d’exagération) que des millions de personnes sont prêtes à mourir pour que leur pays adhère à l’Union.

De plus, en maintenant l’espoir d’une adhésion (sans cesse repoussé à plus tard), l’UE favorise l’occidentalisation des pays qui veulent y adhérer.

Grâce aux subsides qu’elle accorde aux candidats à l’adhésion, l’UE exige qu’ils modifient leurs lois (afin de les rendre conformes au Droit européen), qu’ils assurent l’indépendance de leur système judiciaire, qu’ils évitent le protectionniste dans l’attribution des contrats gouvernementaux, qu’ils combattent la corruption, etc.

Et quand toutes ces règles sont respectées, on en trouve de nouvelles qui repoussent plus loin l’adhésion.

Après quelques décennies à essayer, la Turquiye a fini par comprendre le message ; l’UE ne veut pas d’un pays de 85 millions de Musulmans.

Dans le cas de la Géorgie, ce que veulent Washington, l’UE et l’Otan, c’est de provoquer un changement de régime afin que le pays soit dirigé par un gouvernement aveuglément voué aux intérêts occidentaux, plutôt qu’un régime qui ménage la chèvre et le chou comme actuellement.

Références :
États membres de l’Union européenne
La Géorgie (4e partie) : importance géostratégique de la Transcaucasie
Relations entre le Groenland et l’Union européenne

Pour consulter en ordre chronologique tous les textes de cette série consacrée à l’histoire récente de la Géorgie, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La géopolitique de l’Arctique

Publié le 13 janvier 2025 | Temps de lecture : 9 minutes


 
Une région essentiellement vierge

L’Arctique est la région entourant le pôle Nord comprise à l’intérieur du cercle polaire.

Les territoires de huit pays franchissent le cercle polaire et s’étendent donc jusqu’en Arctique : d’ouest en est, ce sont les États-Unis (par le biais de l’Alaska), le Canada, le Danemark (par le biais du Groenland), l’Islande, la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie.

Les zones économiques exclusives (ZÉE) de la Russie et du Canada couvrent la majeure partie de l’Arctique. Des deux, c’est la Russie qui a le plus prospecté le potentiel économique de sa ZÉE.

À partir de ce qu’on en sait, l’Agence internationale de l’énergie estime que le sous-sol de l’Arctique contient 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % des réserves mondiales de gaz fossile encore inexploitées.

À 95,6 % dans le cas du pétrole et à 98,4 % dans le cas du gaz fossile, ces réserves se trouvent dans les ZÉE des pays riverains de l’océan Arctique.

De la même manière que la Chine décrite par Marco Polo faisait rêver les Européens de son temps, les richesses minérales de l’Arctique d’aujourd’hui sont l’objet de spéculations.

Même si plusieurs mines sont déjà en activité à l’intérieur du cercle polaire, on aurait tort de croire que le potentiel minier de l’Arctique est bien connu.

Lorsqu’on affirme que l’Arctique est riche de tel minerai, c’est que ce minerai est exploité quelque part dans la région. Est-ce que ce minerai se trouve ailleurs en Arctique ? Le trouve-t-on un peu partout à l’intérieur du cercle polaire ? Généralement, personne ne le sait.

Toutefois, ce qu’on sait, c’est que cette région renferme des terres rares. Comment le sait-on ? Parce que, contrairement à ce que suggère leur nom, les terres rares ne sont pas rares du tout; on les trouve en très petite concentration partout sur terre

En Arctique comme ailleurs, ce potentiel est sous-exploité pour deux raisons. Premièrement, à cause de leurs procédés de raffinement encore très polluants. Et deuxièmement, parce que la Chine vend ses terres rares à des prix tellement compétitifs que cela dissuade l’ouverture de mines concurrentes ailleurs dans le monde.

Un passage

Au-delà du fantasme des puissances à la recherche de métaux stratégiques, l’Arctique occupe une position importante en tant que voie de navigation maritime durant la saison chaude.

Sur une représentation aplatie du globe terrestre, relier la Chine à l’Europe par l’Arctique est légèrement plus court qu’effectuer le détour par le canal de Suez.

Sur un globe terrestre, cette distance est nettement inférieure. Même si, pour ce faire, il faut passer par le détroit de Béring.

Par exemple, la distance maritime entre Shanghai et le port néerlandais de Rotterdam est de 20 700 km lorsqu’on passe par le canal de Suez, et de 15 000 km lorsqu’on passe par la Route polaire de la soie. Le passage par cette dernière prend même deux jours de moins que par la plus rapide Route terrestre de la soie (celle qui traverse la Sibérie).

De plus, en longeant les côtes de la Fédération de Russie, cette route est la seule voie maritime importante qui n’est pas contrôlée par les États-Unis.

La Russie y voit un moyen d’exporter ses hydrocarbures aux marchés asiatiques par le biais de ses ports sibériens.

La Russie possède déjà la plus importante flotte de brise-glaces, composée de 55 navires actifs. Certains d’entre eux sont les plus puissants au monde, capables de naviguer dans une banquise de 2,8 mètres d’épaisseur.

D’ici 2030, ils seront suivis par une nouvelle classe de brise-glaces à propulsion nucléaire, capables de fendre lentement une banquise épaisse de quatre mètres et de naviguer à 19 km/h au travers d’une banquise de deux mètres d’épaisseur.


 
L’avantage de la Russie est que la banquise d’été de l’Arctique permet davantage la navigation maritime du côté russe que du côté canadien. En d’autres mots, sans l’aide de brise-glaces, la Route polaire de la soie est navigable plus longtemps que le Passage du Nord-Ouest canadien.

Lorsqu’on s’inquiète de l’augmentation de la présence chinoise en Arctique, on doit savoir que tout cela est limité à l’Arctique russe; la Chine cherche à améliorer les installations portuaires qui sont susceptibles d’accueillir sa marine marchande le long de la Route polaire de la soie.

Autrefois, cette présence accrue concernait également quelques projets miniers et aéroportuaires au Groenland que les pressions américaines sur le Danemark ont fait avorter.

La Chine ne s’est jamais considérée comme une puissance arctique (ce qui serait ridicule) et n’a jamais eu la prétention de l’être.

Pour prouver les ambitions nordiques de la Chine, on répète souvent que la Chine a demandé (et obtenu) le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique, un forum international voué à la promotion du développement durable de l’Arctique en matières sociales, économiques et environnementales.

Toutefois, on oublie de préciser que treize autres pays ont obtenu ce statut d’observateur dont la Suisse, l’Italie et l’Inde, trois pays aussi peu nordiques que la Chine.

D’autre part, le vieillissement des installations de NORAD — ce système de détection canado-américain essentiel à la protection de l’Amérique du Nord — peut certainement justifier de nouveaux investissements.

Mais les justifier au nom de la menace chinoise grandissante en Arctique relève du néo-maccarthysme; la Chine investit en Arctique russe pour assurer la liberté de son commerce avec l’Europe et non pour menacer notre sécurité nationale.

L’Arctique canadien

Le Canada a toujours considéré que le passage au travers des iles canadiennes de l’Arctique faisait partie de ses eaux territoriales. En conséquence, le Canada exige que les bateaux étrangers qui l’empruntent lui en demandent la permission.

Les États-Unis ont toujours refusé de reconnaitre la souveraineté du Canada à ce sujet. Pour ne pas perdre la face, le Canada délivre les autorisations nécessaires aux navires américains sans qu’ils en fassent la demande.

Avec le réchauffement climatique, on assiste à une augmentation du transport maritime en Arctique. De 2011 à 2024, le nombre de navires qui ont navigué dans l’Arctique canadien a augmenté de près de moitié.

Aussi impressionnant que cela puisse paraitre, il s’agit en fait de 466 navires l’an dernier, comparativement 319 il y a plus d’une décennie. En somme, c’est un ou deux bateaux par jour durant la belle saison. On est loin des dizaines de milliers de navires qui empruntent annuellement le canal de Suez.

Libres de prospecter le Grand Nord canadien sans études d’impact rigoureuses, les minières ont découvert un petit nombre de gisements intéressants qui ont mené à l’ouverture de mines.

Si bien que de 2013 à 2023, ce sont des vraquiers — transportant du minerai brut — qui représentent essentiellement l’augmentation du trafic maritime dans l’Arctique canadien, notamment dans sa partie orientale (le Nunavut).

Conclusion

De toutes les cibles militaires situées en sol québécois, le complexe hydroélectrique de La Grande est la cible potentielle la plus nordique. Or celle-ci se trouve à 5,2 mille kilomètres des côtes arctiques de la Russie, soit environ une fois et demie la distance entre Montréal et Vancouver.

Ce complexe n’est pas hors de portée d’un missile intercontinental ennemi. Toutefois, en raison des conditions climatiques qui règnent dans cette partie du monde, cette région est le plus improbable théâtre d’une guerre.

En effet, les chars d’assaut, les fantassins et même l’aviation de belligérants perdraient un temps précieux à traverser une région inhospitalière dépourvue d’importance stratégique. De plus, cette longue traversée à découvert priverait cette attaque de tout effet de surprise et favoriserait l’anéantissement des troupes qui y participeraient.

Contrairement à un pays comme la Norvège — dont le littoral arctique est beaucoup plus développé que le Grand Nord canadien puisqu’environ dix pour cent de la population de ce pays y habite — la militarisation de l’Arctique devrait être la moindre des priorités militaires du Canada, à l’exclusion de la protection contre des missiles intercontinentaux.

D’autre part, les compagnies minières s’emploient ces jours-ci à alimenter les journalistes et les chroniqueurs de rapports complaisants qui présentent l’Arctique comme un eldorado moderne, riche en minerais essentiels à notre développement économique.

Ce qu’on néglige de dire, c’est que toute exploitation des ressources minières de l’Arctique n’est compétitif — en comparaison avec des mines concurrentes situées ailleurs dans le monde — qu’au prix de subventions étatiques colossales.

Références :
Augmentation du trafic maritime dans l’Arctique canadien en 2024
China’s new technology achieves ‘unprecedented’ rare earth production speed
Conseil de l’Arctique
De plus en plus de navires circulent dans le passage du Nord-Ouest
Géopolitique de l’Arctique : une région sous haute tension
How the Pentagon Countered China’s Designs on Greenland
Implications of a melting Arctic
La géopolitique de l’Arctique, entre fantasmes et réalité
La Russie lance son second brise-glace de combat
L’obsession pas si folle de Trump pour le Groenland
The US is picking a fight with Canada over a thawing Arctic shipping route

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le contexte régional de la prise du pouvoir par les Islamistes en Syrie

Publié le 21 décembre 2024 | Temps de lecture : 1 minute
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Le régime de Bachar el-Assad s’est effondré parce qu’il n’y avait plus grand-monde pour le défendre.

Le mythe du peuple syrien opprimé que se révolte contre le tyran du pays est très romantique, mais il ne correspond pas à la réalité; pendant que les troupes de l’Organisation de libération du levant marchaient vers la capitale, le peuple syrien vaquait à ses occupations quotidiennes.

Pour comprendre réellement ce qui s’est passé en Syrie et pour avoir un aperçu de ce qui attend ce pays, je vous invite à regarder cette vidéo magistrale du géopoliticien Alain Juillet.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La Géorgie sur la voie d’un coup d’État (2e partie)

Publié le 14 décembre 2024 | Temps de lecture : 13 minutes

La Charte géorgienne

Depuis sa dernière réforme constitutionnelle, la Géorgie est gouvernée par un système parlementaire où la présidence n’a plus qu’un rôle cérémonial… sauf en cas de crise politique majeure.

En mai dernier, à l’occasion de la fête nationale géorgienne, la présidente actuelle, Salomé Zourabichvili, a rendu publique une ‘Charte géorgienne’ qu’elle a conçue et à laquelle elle invitait les partis politiques géorgiens à adhérer.

Aux élections législatives de 2024 (qui se sont tenues entretemps), si le peuple géorgien avait élu majoritairement des partis signataires de cette Charte, ceux-ci s’engageaient à ce que leurs députés adoptent la législation nécessaire à la réalisation des trois objectifs suivants :
• l’abrogation de toutes les lois géorgiennes qui sont contraires aux directives européennes,
• l’amnistie accordée à toutes les personnes condamnées pour des délits commis lors des manifestations de 2024, et
• la purge politique du système judiciaire.

La constitution géorgienne prévoit qu’à l’issue des législatives, le poste de premier ministre est confié à la personne désignée par le parti qui a obtenu le plus de votes (ou par une coalition que ce parti a formée). À son tour, le premier ministre choisit ses ministres et forme ainsi le gouvernement.

En vertu de la Charte — qui, en réalité, est un pacte — si les partis politiques signataires avaient pris le pouvoir, ils auraient renoncé à former le gouvernement. Celui-ci aurait été formé de technocrates nommés par la présidente du pays.

Ce gouvernement ‘intérimaire’ aurait dirigé le pays pendant quelques mois, le temps de réaliser la Charte, à l’issue duquel de nouvelles élections législatives auraient eu lieu.

À la section ‘Un différent type de gouvernement’, la Charte statuait ceci :

« Ce sera un tout nouveau modèle de gouvernement. Ce ne sera pas un gouvernement composé de partis politiques, mais de membres distingués, sélectionnés et professionnels de la société. Le processus de constitution du gouvernement sera mené en coordination avec la Présidente.»

Dans la formation du Conseil des ministres, la présidence s’accordait un pouvoir de ‘coordination’ sans qu’on sache très bien qui aurait le dernier mot entre elle et le parlement.

Un mois après l’annonce de cette Charte, tous les partis d’opposition y avaient adhéré, sauf le parti Pour la Géorgie (arrivé en cinquième place des élections législatives).

Tout en se disant d’accord avec les objectifs de la Charte, ce parti a refusé, dans un premier temps, de la signer en raison de sa réticence à l’égard de la formation de ce gouvernement temporaire de technocrates dont la durée aurait pu s’éterniser.

Toutefois, le 23 septembre suivant, ce parti s’est finalement rallié à la Charte.

Jusqu’ici, Mme Zourabichvili a refusé de préciser si les technocrates qu’elle nommerait à des postes ministériels seraient des citoyens du pays ou des experts étrangers (Européens ou Américains, par exemple).

Bref, cette Charte — dont les dispositions sont contraires à la constitution du pays — avait toutes les apparences d’un coup d’État déguisé.

Au lieu que la Géorgie soit gouvernée par un premier ministre et des ministres élus par le peuple, le pays aurait été dirigé par des ‘experts’ qui n’ont aucune légitimité populaire.

Une première manche ratée

Puisque les partis soutenant la Charte n’ont pas été élus majoritairement, il sera impossible de modifier la constitution du pays pour donner à la présidente les pouvoirs qu’elle réclame pour réaliser son coup d’État.

Déçue, celle-ci manquait de mots pour qualifier le scrutin : ‘violations généralisées’, ‘système sophistiqué de fraudes’, ‘falsification totale’, ‘opération spéciale russe’, ‘guerre hybride contre le peuple géorgien’, etc.

Affirmant publiquement détenir des preuves irréfutables de fraudes électorales, la présidente a néanmoins refusé de les dévoiler au procureur chargé d’enquêter à ce sujet.

Elle s’est toutefois adressée à la Cour constitutionnelle afin de faire invalider les résultats du scrutin. On présume que c’est là qu’elle soumettra ses preuves.

En principe, cette cause devrait empêcher la réunion du nouveau parlement jusqu’à la décision du tribunal.

Cela n’est pas de nature à paralyser l’État puisque le gouvernement sortant est habilité à expédier les affaires courantes du pays par décret jusqu’à ce que le nouveau gouvernement puisse se réunir.

En refusant de convoquer le parlement — tel qu’exigé par l’article 38 de la Constitution — le but de Mme Zourabichvili était de se maintenir illégalement au pouvoir en empêchant les élus de nommer son successeur.

Le parti au pouvoir a plutôt choisi de convoquer le parlement en passant outre le refus de la présidente.

L’appui du parlement européen

Préambule : Pour comprendre ce qui suit, rappelons que l’Union européenne (UE) est dirigée par un parlement qui siège à Strasbourg, un exécutif (la Commission européenne) qui siège à Bruxelles, et par un Conseil européen qui réunit quatre fois par année les chefs d’État des 27 pays membres de l’UE.

Après avoir signé un accord d’association en 2014, et après avoir rempli une bonne partie des conditions préalables, la Géorgie a déposé officiellement sa candidature d’adhésion à l’Union européenne (UE) le 3 mars 2022.

Cette demande est d’abord refusée le 17 juin 2022, puis acceptée le 14 décembre 2023.

Toutefois, en juin 2024, le Conseil européen a décidé de geler le processus d’adhésion de la Géorgie à l’UE en raison de la loi adoptée par ce pays au sujet de la transparence de l’influence étrangère.

Pourtant, les États-Unis ont une loi semblable depuis 1938 : c’est la Foreign Agents Registration Act. Le Canada a adopté une loi similaire en juin 2024, soit la loi C-70. La France a fait de même, le mois suivant avec sa loi No 2024-850.

Depuis, les relations entre la Géorgie et l’UE se sont envenimées.

Lors des élections législatives d’octobre dernier, le parti Rêve géorgien a fait campagne, entre autres, en faveur des ‘valeurs géorgiennes’, en opposition aux valeurs jugées décadentes de l’Occident. Ce qui n’est rien pour plaire à l’UE.

À l’issue du scrutin, en dépit du rapport préliminaire indulgent de la mission d’observation internationale (dont nous avons parlé plus tôt), le parlement européen a adopté le 28 novembre une résolution rejetant les résultats des élections législatives géorgiennes.

Le jour même, le premier ministre géorgien gelait le processus d’adhésion à l’UE jusqu’en 2028, déclenchant aussitôt une nouvelle vague de protestations dans la capitale.

Plus tôt cette semaine, une délégation de six parlementaires européens ont participé à une marche de protestation contre le gouvernement. De plus, ils ont officiellement rencontré Salomé Zourabichvili.

On peut présumer, par exemple, que si des congressistes américains avaient non seulement contribué (comme ils l’ont fait) au financement du Convoi de la liberté à Ottawa, mais s’était rendus sur place pour se joindre aux contestataires, Ottawa les aurait accusés de s’immiscer dans les affaires intérieures du Canada et d’y susciter la révolte…

L’appui de la diplomatie française

À la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Mme Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, n’a pas été invitée. Par ordre d’Emmanuel Macron.

Mais parmi la quarantaine de chefs d’État qui l’ont été, se trouvait Mme Salomé Zourabichvili, en tant que représentante de la Géorgie. Ce qui est conforme au protocole.

Ce qui l’est moins, c’est l’importance démesurée qui lui a été accordée dans l’attribution des places. Dans un pays comme la France, toute dérogation aux règles protocolaires prend une importance considérable.

Normalement, Donald Trump aurait dû être entouré, en ordre décroissant, par les plus importants alliés des États-Unis. Or Mme Zourabichvili a été placée dans la rangée derrière lui, à deux mètres sur sa gauche.

Salomé Zourabichvili et Donald Trump à la cathédrale Notre-Dame de Paris

Profitant d’un instant où elle se trouvait dans son champ de vision, Mme Zourabichvili s’est dressée de son siège et s’est penchée vers le président américain pour prendre l’initiative de se présenter à lui.

Ce qui, strictement, constitue un incident diplomatique mineur; on ne décide pas de se présenter à l’homme le plus puissant du monde; on attend de lui être présenté.

Contrairement à Volodymyr Zelensky — qui a obtenu une rencontre en tête-à-tête avec Donald Trump en présence d’Emmanuel Macron — Mme Zourabichvili a rencontré quelques instants Donald Trump un peu avant le diner d’État (note : au Québec, le repas du soir est appelé souper). Ce repas fut servi aux dirigeants politiques venus pour l’occasion.

Sur son compte X, Mme Zourabichvili a affirmé avoir eu une discussion ‘profonde’ avec Donald Trump au sujet des élections volées en Géorgie et de la répression violente des manifestations pro-européennes.

Salomé Zourabichvili et Donald Trump au palais de l’Élysée

Les traits tirés par le décalage horaire et l’estomac vide, le président américain était certainement bien disposé à une discussion profonde au sujet d’un petit pays dont il ignore probablement dans quelle partie du monde il est situé.

Cela devait tellement l’intéresser…

L’importance considérable que la diplomatie française a accordée à la présidente de la Géorgie contribue à son image d’égérie de la démocratie géorgienne alors qu’en réalité, l’objectif qu’elle poursuit est d’y provoquer un coup d’État.

Mardi dernier, à l’occasion d’une conversation téléphonique avec Bidzina Ivanishvili (l’éminence grise du régime), Emmanuel Macron a exigé la libération des manifestants qui, selon lui, ont été arrêtés arbitrairement.

De plus, il a condamné la violence exercée contre les protestataires par les forces de l’ordre. Une violence qui, entre nous, n’est pas différente de celle qu’il a exercée contre les Gilets jaunes dans son propre pays.

Dans une vidéo publiée aujourd’hui sur YouTube, Emmanuel Macron a invité le peuple géorgien à reprendre en main son destin, ce qui est une manière à peine voilée de les appeler à la révolte, voire à la révolution.

La situation au 14 décembre 2024

Plus tôt aujourd’hui, un Collège électoral (formé de 150 députés et de 150 représentants régionaux) a nommé le successeur de Salomé Zourabichvili. Le mandat de la présidente sortante se termine officiellement dans deux semaines.

Mais celle-ci n’entend pas quitter son poste. Considérant que le nouveau parlement est illégitime parce qu’issue d’une fraude massive, la présidente estime que les 150 députés qui composent la moitié du Collège électoral n’ont pas le pouvoir de participer au choix de son successeur.

Celle-ci a déclaré : « Tant qu’il n’y aura pas de nouvelles élections et un parlement qui élira [mon successeur] selon de nouvelles règles, mon mandat se poursuivra [au-delà de son terme légal, le 29 décembre 2024].»

Le résultat, c’est que la Géorgie se retrouve avec deux présidents qui, chacun, invoque sa légitimité.

Même si de nombreux manifestants entendent servir de boucliers humains pour empêcher les forces de l’ordre d’expulser Salomé Zourabichvili du Palais présidentiel, il est douteux qu’ils puissent protéger l’édifice jour et nuit à l’approche du temps des Fêtes.

Salomé Zourabichvili est, de loin, la personnalité la plus populaire parmi celles opposées au gouvernement. Si elle ne s’enfuit pas à l’Étranger, le gouvernement sait que l’emprisonner (sous l’accusation de sédition, par exemple) et l’empêcher de communiquer avec l’extérieur de sa cellule est la manière la plus facile de décapiter l’opposition.

Par contre, si des puissances étrangères organisent en Géorgie un massacre comme celui survenu à Kyiv en 2014, ils provoqueront une indignation populaire qui sera analogue à celle qui a chassé du pouvoir le président pro-russe, élu démocratiquement en Ukraine.

Si cela devait être le cas, Salomé Zourabichvili sera la personne la plus crédible pour diriger le pays et reviendra au pouvoir auréolée de gloire.

La question n’est donc plus de savoir quand la Géorgie sera le théâtre d’un coup d’État mais qui le commettra.

Références :
Constitution of Georgia
Election en Géorgie : « Deux présidents vont revendiquer leur légitimité », s’inquiète le constitutionnaliste David Zedelachvili
En Géorgie, les manifestants sont prêts « à défendre physiquement » la présidente Salomé Zourabichvili, qui refuse de remettre son mandat
Entretien avec Bidzina Ivanichvili, Président honoraire du Rêve géorgien
EU Parliament delegation visits Georgia and marches with pro-EU protesters
EU halts Georgia’s accession to the bloc, freezes financial aid over much-criticized law
Georgian Charter: President Proposes Unified Goals for Short-Term Parliament, Technical Government
Giorgi Gakharia a signé la « Charte géorgienne » (en géorgien)
La Géorgie repousse à 2028 son objectif d’entrée dans l’UE, sur fond de crise électorale
Le Coche et la Mouche
Législatives en Géorgie : la présidente refuse une convocation du parquet, qui a ouvert une enquête pour « falsification présumée » des élections
L’engrenage ukrainien
Macron Scolds Ivanishvili, Calls for Inclusive Dialogue
Message vidéo du Président de la République au peuple géorgien (transcription écrite)
Monsieur le Président Emmanuel Macron – Message aux Géorgiens (vidéo)
Opposition Parties Sign Georgian Charter
President Says She Will Present Technical Government Before Elections, Calls on Signatories to Fully Follow Georgian Charter’s Letter
Procédure d’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne
Résumé de géopolitique mondiale (1re partie)
Speech Delivered by H.E. Salome Zourabichvili
Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan
Zbigniew Brzeziński

Parus depuis :
Businesses Back Georgian Protests as Crisis Disrupts Economy (2024-12-21)
CEC Rejects President’s Allegations of Vote-Rigging Amid Growing International Scrutiny of October 26 Elections (2024-12-24)
GD Registers “Exact Copy” of “Foreign Agents Registration Act” in Parliament (2025-02-24)

Pour consulter en ordre chronologique tous les textes de cette série consacrée à l’histoire récente de la Géorgie, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La Géorgie sur la voie d’un coup d’État (1re partie)

Publié le 13 décembre 2024 | Temps de lecture : 8 minutes

Introduction

À l’issue des élections législatives du 26 octobre dernier, le parti Rêve Géorgien a été reporté au pouvoir avec 54,1 % des votes. Cette victoire a été confirmée par la Commission électorale du pays.

Aux élections législatives précédentes (celles de 2020), Rêve Géorgien avait également remporté le scrutin. Une victoire qui fut contestée par les partis d’opposition. Ceux-ci avaient aussitôt organisé d’importantes manifestations réclamant de nouvelles élections.

Toutefois, après un mois de protestations de plus en plus violentes, les États-Unis, l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe demandaient à l’opposition d’accepter le résultat du scrutin et de siéger au parlement.

Cette fois-ci, on assiste à un scénario semblable. Avec la différence que plusieurs pays occidentaux mettent ouvertement en doute la validité du scrutin et donc, la légitimité du gouvernement réélu.

La contestation des résultats

La mission d’observateurs étrangers

Dès le lendemain du scrutin, la mission d’observation soutenue par le Parlement européen et l’Otan remettait un rapport préliminaire qui signalait des irrégularités mineures qui ne remettaient pas en question les résultats du scrutin.

Ce qui n’a pas empêché l’opposition de soutenir faussement que ce rapport prouvait que les élections avaient été l’objet de fraudes massives.

My Vote

Les partis d’opposition s’appuient également sur les conclusions de My Vote, une ‘mission d’observation’ composée d’ONG géorgiennes opposées au parti au pouvoir et qui dit avoir observé des irrégularités majeures dans plusieurs circonscriptions.

Le truffage des boites de scrutin

Une des ‘preuves’ de My Vote, ce sont des clips vidéos qui montrent des personnes qui truffent des boites de scrutin de plusieurs bulletins de vote en présence de témoins impassibles.

Évidemment, cela constitue une fraude électorale. On se surprend que les malfaiteurs aient opéré à la vue de tous, le tout étant même enregistré par les caméras de téléphones multifonctionnels.

Dans chaque cas, les enquêtes policières ont révélé qu’il s’agissait de mises en scène réalisées par les opposants afin de servir de ‘preuves’ si, par la suite, l’issue du scrutin ne leur convenait pas.

Les sondages

Les firmes américaines Edison Research et HarrisX sondent les électeurs à la sortie des bureaux de vote. À cette fin, un électeur sur 7 ou sur 9 est approché par leurs sondeurs.

Selon les résultats d’Edison Research et d’HarrisX, le parti Rêve Géorgien aurait obtenu respectivement 40,9 % ou 44,4 % des suffrages, et non 54,1 %.

Le sondage d’Edison Research a été effectué pour le compte de la télévision Rustavi-2 (partiellement financée par l’USAID). Son site web ne fournit aucun détail quant à ces résultats.

Pareillement pour le site d’Edison Research. Le 28 octobre dernier, j’ai écrit à cette firme pour demander deux précisions.

Premièrement, pour savoir quelle était la répartition territoriale des 115 bureaux de scrutin à la sortie desquels ils ont interrogé les électeurs. Et deuxièmement, pour savoir si cette firme a constaté une différence entre les préférences des électeurs des régions rurales et ceux des villes.

À ce jour, je n’ai pas reçu de réponse.

À l’opposé, la firme HarrisX a dévoilé les détails de sa méthodologie. Elle a approché 45 054 électeurs à la sortie de 125 bureaux de scrutin. Parmi ceux-ci 12 007 personnes ont accepté de répondre, soit un taux de participation de seulement 26,6 %.


 
Donc, malgré un taux d’abstention de 73,4 %, cette firme soutient catégoriquement que les résultats officiels étaient ‘tout simplement, statistiquement impossibles’.

L’opacité du papier des bulletins

L’Association des jeunes avocats de Géorgie a également demandé l’annulation du scrutin (et donc, réclamé de nouvelles élections) parce que les bulletins de vote n’avaient pas été imprimés sur du papier suffisamment épais.

Ainsi, là où les boites de scrutin étaient transparentes, il état possible de voir le choix de l’électeur. Ce qui compromettait le caractère sacré de la confidentialité du vote.

Après une victoire devant le tribunal de première instance, l’ONG a perdu en appel parce que le tribunal a estimé qu’aussi souhaitable qu’eût été l’impression sur du papier parfaitement opaque, cela n’a pas empêché les gens de voter.

Les manifestations

Que ce soit contre les Gilets jaunes en France, contre le Convoi de la liberté à Ottawa, ou contre les campements pro-palestiniens sur les campus américains, l’objectif des forces policières est de rétablir de l’ordre.

À cette fin, les policiers (ou les soldats) appliquent la force qui leur est nécessaire pour prévaloir. Plus les manifestants résistent, plus ils subissent la répression des forces de l’ordre.

Ces jours-ci, des dizaines de milliers de manifestants protestent chaque soir dans la capitale géorgienne. Même si on nous dit que la contestation se serait répandue dans une quarantaine de municipalités, cette prétention ne s’appuie sur aucune image (photo ou vidéo) qui nous permettrait d’en juger.

Les images qui nous parviennent de la capitale géorgienne sont éloquentes.

D’une part, elles nous montrent la brutalité de la répression policière. Cette brutalité est analogue à celle des corps policiers québécois contre les ‘Carrés rouges’ lors du Printemps érable. On se rappellera qu’au Québec, on avait cassé des dents, fracturé des mâchoires, provoqué des commotions cérébrales, et rendu borgne un protestataire.

D’autre part, elles nous permettent de voir que des dizaines de protestataires utilisent de dispendieux pointeurs au laser (de qualité dite ‘militaire’). Ceux-ci peuvent endommager la vue. En raison de leur cout, ces armes sont très certainement fournies gratuitement par des forces qui se tapissent dans l’ombre.

Conclusion

Lorsque le général al-Sissi est élu ou réélu en Égypte avec 96 % des suffrages en 2014, 97 % en 2018, et 90 % en 2013, il ne semble venir à l’esprit d’aucun gouvernement occidental que ces élections puissent être truquées.

En Géorgie, il n’existe aucune preuve sérieuse que les élections législatives de 2024 ont été l’objet de fraudes massives.

En raison des caractéristiques sociologiques de la population géorgienne, les résultats officiels des dernières élections législatives sont plausibles.

Ce qui n’empêche pas les opposants, les reporters et les chroniqueurs de nos médias, les invités sur les plateaux de nos télévisions, et presque tous les chefs d’État occidentaux d’affirmer catégoriquement que le gouvernement géorgien est illégitime.

La table est donc mise pour qu’en Occident, on voit d’un bon œil son renversement.

Dans notre prochain texte, nous examinerons le rôle central joué à ce sujet par la présidente de ce pays, Salomé Zourabichvili, avec l’appui de la diplomatie française.

Références :
Après la victoire du parti au pouvoir, la Géorgie s’éloigne de l’UE
Breaking: HarrisX Releases Final Georgia 2024 Exit Poll Analysis
Edison Research: 13-Percentage Point Difference Between Exit Polls and Official Election Results Suggests Vote Manipulation
Élections législatives en Géorgie : entre aspirations européennes et pressions russes ?
En Géorgie, des milliers de manifestants pro-européens protestent devant le parlement
EU halts Georgia’s accession to the bloc, freezes financial aid over much-criticized law
Georgia’s Foreign Agents Law: a Brief History of NGOs in the country
Géorgie : le gouvernement exclut de nouvelles législatives malgré la crise politique
Géorgie : près de 150 personnes interpellées lors de manifestations pro-européennes
Géorgie : un manifestant tire des feux d’artifice en rafale contre des policiers
HarrisX Final Georgia 2024 Exit Poll Analysis Reveal Statistically Unexplainable Data Discrepancies
HarrisX Releases Final Georgia 2024 Exit Poll Analysis
Is this the beginning of the end of the exit poll?
« La seule option, maintenant, en Géorgie, c’est la révolution » : la ville de Tbilissi en effervescence contre le gouvernement
Les armes offensives des protestataires géorgiens
Les résultats de l’élection législative en Géorgie
My Vote Demands Annulment of Results in 246 Election Precincts Citing “Grave Violations”
Preliminary Report of the International Election Observation Mission
Security Service Says USAID-funded Trainers were Plotting to Foment Unrest in Georgia
Tirs de balles de plastique : attend-on de tuer quelqu’un ?

Pour consulter en ordre chronologique tous les textes de cette série consacrée à l’histoire récente de la Géorgie, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les armes offensives des protestataires géorgiens

Publié le 12 décembre 2024 | Temps de lecture : 5 minutes

Introduction

Hier, le président Emmanuel Macron a pris l’initiative d’appeler Bidzina Ivanishvili, l’éminence grise du parti au pouvoir en Géorgie.

À l’occasion de cet entretien qui a duré environ une heure, le président français a demandé la libération de tous les protestataires arrêtés arbitrairement et exigé le respect des libertés d’expression et de rassemblement.

Le communiqué émis par le palais de l’Élysée précise :

[Le Président de la République] a condamné les intimidations contre les représentants de la société civile et de l’opposition ainsi que les violences des forces de l’ordre contre les manifestants pacifiques et les journalistes.

Effectivement, depuis le 28 novembre dernier, des manifestations ont eu lieu quotidiennement dans la capitale géorgienne. Celles-ci sont de plus en plus violentes. Une violence qui s’est légèrement estompée depuis peu.

Mais opposent-elles des forces de l’ordre brutales à des manifestants pacifiques comme le suggère le président français, à l’instar de l’ensemble de la presse occidentale ?

Le critère qui distingue des manifestations pacifiques de celles qui ne le sont pas est simple; dès que des armes offensives contre les forces de l’ordre sont utilisées au cours d’une manifestation, celle-ci cesse d’être pacifique.

Pour cela, il n’est pas nécessaire que tous les protestataires soient violents ou que la majorité d’entre eux le soient; il suffit que dans la masse des protestataires, il y ait un nombre significatif de personnes dotées d’armes offensives.

Or c’est le cas en Géorgie.

Les projectiles pyrotechniques

Au cours des affrontements, les forces policières ont tiré des balles de caoutchouc et utilisé des matraques, des bondonnes de poivre de Cayenne, des gaz lacrymogènes et des canons à eau.

Rappelons que ce sont les armes répressives que les forces de l’ordre québécoises ont utilisées en 2012 pour réprimer la contestation étudiante lors du ‘Printemps érable’.

Qu’en est-il chez les manifestants géorgiens ?
 


 
En Géorgie, on a pu voir des pièces pyrotechniques exploser sur la façade du parlement alors que d’autres, pointées à l’horizontale vers les forces de l’ordre, visaient à les blesser de leurs tisons brulants.

À partir des interrogatoires réalisés auprès des protestataires arrêtés, la police a appris que ces armes étaient distribuées par certains partis d’opposition.

Les descentes policières qui ont suivi aux sièges sociaux des partis concernés ont permis la saisie de ces armes et l’arrestation des responsables.

Ce qui a aussitôt été condamné par l’Union européenne comme une tentative de museler l’opposition et d’intimider ses représentants.

Depuis ce temps, la vente des feux d’artifice est interdite.

Les pointeurs laser


 
Dans les reportages qu’on nous montre des manifestations dans la capitale géorgienne, on peut voir que de nombreux protestataires utilisent des pointeurs au laser.


 
Leur lumière est verte, leur faisceau est plus large et ils sont beaucoup plus puissants que les stylos laser utilisés par les conférenciers.

Sur le site d’une entreprise qui fabrique de tels pointeurs, on trouve la mise en garde suivante :

Ne jamais diriger un de ces pointeurs laser surpuissants vers une personne et surtout ne pas viser ses yeux ou son visage. Le rayonnement du laser peut endommager gravement les yeux.

En somme, lorsque de nombreux protestataires pointent ces rayons vers les policiers, cela vise à les aveugler (dans tous les sens du mot).

Pourtant, rares sont les reportages occidentaux qui soulignent l’utilisation de ces pointeurs laser alors qu’ils constituent une caractéristique spécifique des manifestations géorgiennes.

Personne ne trouve suspect que des dizaines de Géorgiens aient eu la même idée en même temps, soit de s’équiper de pointeurs laser dont le prix varie de cent-cinquante à plus de mille dollars chacun.

Est-il possible qu’un parti de l’opposition — voire une puissance étrangère — subventionne l’achat ou fournisse ces armes à l’opposition géorgienne ?

Jusqu’ici, les forces de l’ordre ne semblent pas avoir remonté à la source de cette fourniture aux manifestants.

Conclusion

Jusqu’ici, plus de 400 personnes ont été arrêtées (dont trois chefs de partis d’opposition), un grand nombre de personnes ont été blessées (dont 50 journalistes et plus de 42 policiers).

Toutefois, le narratif occidental — repris implicitement par Emmanuel Macron — qui oppose des policiers à la solde d’un brutal gouvernement pro-russe à de paisibles manifestants luttant pour la démocratie parlementaire est simpliste et fallacieux.

Ce qui se passe en Géorgie est la préparation d’un coup d’État semblable à celui survenu en Ukraine en 2014.

Références :
Entretien avec Bidzina Ivanichvili, Président honoraire du Rêve géorgien
Feux d’artifices et lasers, meilleurs alliés des manifestants géorgiens
Macron Scolds Ivanishvili, Calls for Inclusive Dialogue
PL-E Pro Pointeur Laser Vert 10000mW 520nm Ultra Puissant
Tirs de balles de plastique : attend-on de tuer quelqu’un ?
Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan

Paru depuis : Facing Resistance, Georgian Dream Rushes in Repressive Laws (2024-12-17)

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Écrit par Jean-Pierre Martel