Introduction
Le 3 février dernier, la couverture du Journal de Montréal a fait le tour du monde.
Imaginer que l’homme le plus puissant du monde soit stupide, voilà ce qui peut faire du bien à ceux qui sont frustrés par ses décisions, mais cela n’aide personne à comprendre la logique qui l’anime, si logique il y a.
La géographie condamne les Québécois à partager leur sort avec Donald Trump. Et le meilleur moyen de rendre cette promiscuité supportable est d’anticiper ses attentes pour mieux s’y préparer.
Le quotient intellectuel de Trump
Personne ne connait le QI du président américain.
Un indice nous en est donné par le fait qu’il a réussi son admission à l’école Wharton de l’Université de Pennsylvanie. C’est une des écoles de commerce les plus prestigieuses au monde. Et conséquemment, une des maisons d’enseignement les plus sélectives des États-Unis.
Précisons qu’il en est sorti avec un baccalauréat en économie et en anthropologie.
Le vocabulaire du citoyen Trump
Dans un article paru la semaine dernière dans La Presse, Marie-France Bazzo écrit que 62 % des mots utilisés par Trump sont monosyllabiques.
Cette information est capitale; la clé de la compréhension de Trump est qu’il lit peu. Ce qui fait qu’il n’a pas de vocabulaire. Or on ne peut pas développer une pensée complexe à partir d’un vocabulaire limité.
En contrepartie, c’est un excellent communicateur. À preuve : il a réussi à convaincre la majorité des Américains de voter pour lui. Ce qui l’aide, c’est justement qu’il utilise des mots simples et familiers que tout le monde comprend.
Les obsessions présidentielles
Si l’absence de vocabulaire est essentielle à la compréhension de la personne qu’est Donald Trump, les politiques apparemment irrationnelles de son administration deviennent beaucoup plus cohérentes si on émet l’hypothèse que le président des États-Unis est obsédé par quatre préoccupations majeures : la dette du gouvernement américain, son déficit courant, le déficit de la balance commerciale du pays et la menace chinoise à l’hégémonie américaine.
• La dette du gouvernement américain
Le déficit accumulé du gouvernement des États-Unis s’élève à plus de 33,4 mille-milliards de dollars, soit environ 121 % de son PIB.
Cet endettement nuit à la justification de la réduction des recettes fiscales (au profit des riches) à laquelle Trump entend procéder.
Jusqu’en 1971, le dollar américain était adossé à l’or. Cela signifie que chaque fois que la Banque fédérale américaine imprimait un billet de banque, elle s’assurait de détenir son équivalent en or.
À l’époque, le PIB américain était de 1,16 mille-milliards de dollars (en dollars courants). En 2023, il était de 27,72 mille-milliards$, soit 24 fois plus.
Pour soutenir les échanges commerciaux, il est normal que la masse monétaire augmente au fur et à mesure que s’accroit le PIB.
Malheureusement, depuis que le dollar américain n’est plus adossé à l’or, les États-Unis se sont servis de la planche à billets pour éponger leurs déficits; au lieu de multiplier la masse monétaire de 24 fois, ils l’ont augmentée de 30 fois, soit six fois plus que nécessaire.
La partie qui sommeille dans les réserves de devises des banques centrales à travers le monde s’élève à elle seule à 6,8 mille-milliards de dollars, soit 24,8 % du PIB américain.
Ce qui fait que les États-Unis sont le pays le plus endetté au monde (en montant absolu) et un des plus endettés en pourcentage de son PIB (après l’Ukraine, le Japon, le Soudan, Singapour et la Grèce).
Non seulement les réserves d’or du Trésor américain sont inférieures à la masse monétaire en circulation, elles sont même inférieures à la dette officielle des États-Unis.
Ce qui signifie que si tous les créanciers du gouvernement américain se présentaient demain pour être payés en or, les États-Unis seraient alors en défaut de paiement.
Voilà pourquoi la dédollarisation de l’économie mondiale est une menace existentielle à l’hégémonie américaine.
• Le déficit budgétaire du gouvernement américain
En 2024, le déficit budgétaire du gouvernement américain fut le troisième plus élevé de son histoire, à 6,4 % du PIB.
Le moyen le plus logique de réduire la dette d’un gouvernement, c’est de dégager des surplus budgétaires. Ce qui est impossible sans une réingénierie de l’État américain.
C’est ce à quoi s’applique présentement Elon Musk.
L’abolition de l’Agence américaine pour le développement international (USAID) est la première étape de cette réingénierie.
Faire appel à l’empathie de Donald Trump — si cette vertu existe chez lui — pour lui faire réaliser que cela condamne à la famine des millions de miséreux à travers le monde n’y changera rien.
Pareillement, on pourrait invoquer le fait que l’USAID est une partie importante du Soft Power des États-Unis et que l’abolition de l’Agence laisse le champ libre à la Russie et à la Chine pour courtiser les pays du Sud Global. Trump le sait déjà.
Mais cette décision est un choix politique; le gouvernement américain n’a plus les moyens de consacrer autant d’argent à combattre la misère dans le monde.
On peut anticiper qu’une autre étape de cette réingénierie sera la fermeture de nombreuses bases militaires américaines et le rappel de la majorité des cent-mille soldats américains stationnés dans une Europe pacifiée grâce à lui.
Cela entraine une réduction de la puissance militaire des États-Unis.
Encore là, les protestations des analystes et des experts n’y changeront rien. Dès son premier mandat, Donald Trump a fait pivoter la politique étrangère des États-Unis vers le Pacifique. Or ce basculement implique qu’on abandonne des bases militaires devenues superflues.
De la même manière, on peut s’attendre à ce que plusieurs mesures sociales dont bénéficie le peuple américain passent à la déchiqueteuse.
Dans un autre ordre d’idée, Donald Trump semble s’entendre très bien avec d’autres dirigeants autoritaires. L’explication facile est que le président américain est un être narcissique qui voit en eux des alter ego.
Mais on peut aussi avancer l’hypothèse que les États-Unis ne peuvent plus assurer seuls le respect de l’ordre mondial et qu’ils jugent nécessaire de partager implicitement cette responsabilité avec les puissances qui en sont capables.
La volonté de réduire de manière draconienne le déficit du gouvernement américain par le moyen de décrets présidentiels soulève une question fondamentale; le président des États-Unis en a-t-il le pouvoir constitutionnel ? C’est une question à laquelle les tribunaux américains auront à répondre.
Toutefois, par le moyen de la ‘procédurite’, les avocats ont transformé l’appareil judiciaire des États-Unis en machine à sous au profit de leur caste sociale. Et ce, en contrepartie d’une lenteur extrême. Conséquemment, un jugement définitif à ce sujet pourrait prendre des mois, voire des années. À l’issue de quoi les tribunaux risquent d’être placés devant le fait accompli.
D’où la vitesse avec laquelle Elon Musk réduit la taille de l’État américain.
• Le déficit commercial des États-Unis
Donald Trump est obsédé par le déficit de la balance commerciale américaine.
À ses yeux, les États-Unis se comparent à une compagnie dont les dépenses sont supérieures à ses revenus. Or il sait qu’en pareil cas, l’entreprise se dirige vers la faillite.
Il s’attaque donc à tous les pays — amis ou non — dont la balance commerciale est excédentaire à l’égard des États-Unis.
Il le fait par le biais de tarifs douaniers.
Depuis des années, Donald Trump fait campagne contre les taxes et les impôts (qu’il promet de réduire ou d’abolir). Voilà pourquoi son administration préfère aujourd’hui parler de ‘tarifs’ (douaniers) et non de ‘taxe à l’importation’.
Toujours dans le but de réduire le déficit commercial des États-Unis, Donald Trump entend imposer aux pays vassaux des États-Unis le paiement d’un tribut sous forme d’achats obligatoires d’armements américains.
• La menace chinoise à l’hégémonie américaine
L’économie américaine est la plus importante au monde, suivie par celle de la Chine. En 2023, leurs PIB ont été respectivement de 27,7 mille-milliards de dollars et de 17,8 mille-milliards$, loin devant l’Allemagne, en troisième place, avec un PIB de 4,5 mille-milliards$.
L’écart entre les deux se rétrécit d’année en année puisque le taux de croissance de l’économique chinoise est supérieur à celui des États-Unis (environ 5,0 % vs 2,8 % en 2024).
Bref, à moins d’un bouleversement inattendu, la Chine redeviendra la première puissance économique du monde, une place qu’elle a perdue dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Pour les États-Unis, cette perspective est inacceptable.
La guerre commerciale voulue par Trump contre la Chine est d’un autre niveau que celle qu’il compte déclencher contre les pays ‘amis’.
Même si le marché américain était complètement fermé aux produits chinois, si la Chine devenait la première puissance économique mondiale grâce à son commerce avec le reste du monde, ce serait pareil aux yeux de Trump.
Il y a cinq ans, le géopoliticologue Guillaume Pitron prédisait :
«…on bascule dans un monde où c’est la Chine qui va être capable de fabriquer les technologies vertes. Et c’est ce qu’elle fait; elle fabrique la majorité des panneaux solaires. Elle fabrique la majorité des batteries des voitures électriques aujourd’hui.
Elle fabriquera demain la majorité des voitures électriques.»
Or un des moyens de retarder l’émergence de la Chine au titre de première puissance mondiale, c’est justement de retarder le basculement vers les énergies vertes en prolongeant l’âge d’or des hydrocarbures… peu importe les conséquences climatiques.
Conclusion
Le but du présent texte n’est pas de faire aimer Trump, mais de déchiffrer ses grandes orientations politiques.
Son agressivité à l’égard de l’élite intellectuelle de son pays vient du complexe d’infériorité qu’il ressent face à ceux qui tiennent un discours articulé contre lequel il est incapable de rivaliser.
Si on juge Donald Trump à ses actes plutôt qu’à ses déclarations, notre hypothèse est que quatre préoccupations — la dette du gouvernement américain et son déficit courant, de même que le déficit commercial du pays et la menace chinoise à l’hégémonie américaine — seront les grands thèmes de son administration.
Références :
Chine : la croissance économique tombe à 5% en 2024, l’un des plus faibles taux en trois décennies
Currency Composition of official Foreign Exchange Reserves
Dette publique des États-Unis
Leçon de grammaire
Le déficit budgétaire des États-Unis atteint 6,4% du PIB
Les conséquences géostratégiques du basculement vers les énergies vertes
L’or et la Banque centrale du Canada
PIB ($ US courants)
Quels sont les pays les plus endettés en 2024 ?
Qu’est-ce que l’USAID, l’agence visée par Trump et Musk ?
Wharton School
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