La campagne électorale au Québec : le face-à-face Charest-Legault

Le 22 août 2012

Hier soir sur les ondes de TVA se tenait le second des trois confrontations prévues, soit celle qui opposait Jean Charest et François Legault.

La corruption

Mon premier étonnement, c’est la facilité avec laquelle Jean Charest a enfirouapé François Legault au sujet de la corruption.

Monsieur Legault a attaché une importance démesurée à un fait divers : les billets pour un spectacle de Céline Dion qu’une ministre du gouvernement Charest a acceptés de la part d’un promoteur. Il ne fait aucun doute que la ministre aurait dû refuser ce cadeau. Mais tout cela est une niaiserie. On ne répudie pas de gouvernement pour un cadeau insignifiant accepté par un ministre.

De plus, est-ce vraiment le pire cas de corruption rapporté au sujet du gouvernement sortant ?

En contre-attaque, monsieur Charest a évoqué les informations révélées hier soir par Radio-Canada, relativement au financement de la campagne électorale municipale de Jacques Duchesneau en 1998. Voilà le genre de « scandale-de-la-dernière-minute » dont je me méfie et que j’ai déjà critiqué quand ce genre de révélation — qui pue la manipulation — concernait le Parti libéral.

Le décrochage scolaire

Jean Charest : « Le Québec a le meilleur taux de diplomation pour l’ensemble de la population, au Canada et dans les pays de l’OCDE. Ça c’est la population de 20 ans et (plus). Le problème se situe à un niveau très précis : c’est pour les jeunes qui ont moins de 20 ans… »

Pierre Bruneau (animateur): « …Exact, 32% des jeunes garçons de 20 ans sont sans diplôme Taux de décrochage (en) 2009 (pour les) garçons : 21,5% ont décroché.»

Jean Charest : « Et le score est meilleur qu’il l’était, même à l’époque où monsieur Legault était au gouvernement. Nous avons réussi à augmenter le taux de diplomation. Nous avons une politique où l’objectif, c’est d’arriver à un taux de diplomation de 80% pour ces jeunes-là qui sont à l’intérieur du programme. Mais (…) il faut mettre les choses en perspective : le Québec a un des meilleurs taux de diplomation pour l’ensemble de sa population. »

Étrangement, messieurs Charest et Bruneau ont raison tous les deux. Il peut sembler évident que « décrochage scolaire » et « diplomation » soient les contraires l’un de l’autre. Ce n’est pas le cas.

Le taux de diplomation est obtenu en analysant les données des recensements : c’est la proportion de la population canadienne détentrice d’un diplôme universitaire ou collégial. Le Québec n’a pas le plus haut taux au pays — contrairement à ce qu’affirme M. Charest — mais il est plus élevé que la moyenne canadienne, ce qui n’est pas si mal.

Le taux de décrochage concerne les gens qui n’ont pas réussi à obtenir leur diplôme plus d’un certain nombre d’années après l’âge où ils devraient l’avoir. Ce taux ne tient pas compte de tous ceux qui ont abandonné leurs études mais qui ont réussi à obtenir leur diplôme beaucoup plus tard, grâce aux cours pour adultes ou à la suite d’un retour aux études.

Pénurie de médecins vs promesse d’un médecin de famille

Dans ce débat, on a invoqué la pénurie de médecins pour discréditer la promesse de la CAQ de forcer chaque médecin omnipraticien à augmenter la liste de ses patients, de manière à ce que chaque Québécois ait un médecin de famille.

Il est évident que la pénurie de médecins est partiellement responsable du fait qu’une minorité importante de la population québécoise n’a pas accès à un omnipraticien. Signalons que la moitié de ceux qui n’ont pas de médecin de famille admettent ne pas en avoir cherché.

Partout en Occident, il y a une pénurie de médecins. Pourtant la suggestion de la CAQ est déjà en application dans certains pays où une pénurie semblable existe. En Grande-Bretagne, non seulement les médecins se voient attribuer les habitants d’un territoire précis mais on leur offre des incitations monétaires s’ils y améliorent la santé des gens qui y vivent, plus précisément s’ils réduisent leur consommation en médicaments et leur besoin en soins hospitaliers.

Le Québec se classe au 4e rang des provinces canadiennes quant au nombre de médecins par 100 000 habitants mais au dernier rang pour ce qui est du pourcentage de sa population qui possèdent un médecin de famille; seulement les trois quarts des Québécois en ont un. Avec moins de médecins, l’Ontario fait mieux puisque 91% des gens y possèdent un médecin de famille.

Évidemment, la suggestion de la CAQ doit être assortie d’autres mesures — certaines sont déjà au programme de ce parti — afin d’alléger la tâche des omnipraticiens. Sans ces autres mesures, allonger la liste des patients d’un médecin ne fait qu’allonger proportionnellement l’attente de ses patients pour obtenir un rendez-vous avec lui.

Revenu disponible

Tout comme lors du débat des chefs à Radio-Canada, monsieur Charest s’est vanté de l’augmentation du revenu disponible des Québécois au cours des neuf dernières années. Ce que dit monsieur Charest, c’est que, sans tenir compte de l’inflation, le Québécois moyen gagne plus d’argent maintenant qu’il y a neuf ans : le contraire serait étonnant.

Plus significative est la réplique de monsieur Legault. Ce dernier a raison d’affirmer que la croissance économique du Québec a été inférieure à la moyenne canadienne au cours des années où monsieur Charest a été au pouvoir, alors que c’était le contraire au cours de la décennie précédante. Lors de l’arrivée au pouvoir de M. Charest, le Québec était au 4e rang au Canada quant au revenu disponible par personne : il a décliné au 9e rang depuis.

L’affaire Provigo

Accusé d’être responsable de la perte de 20% des sièges sociaux au Québec, monsieur Charest a accusé son adversaire d’être responsable de la vente d’une chaine d’épicerie à des intérêts étrangers alors qu’il était ministre d’un gouvernement péquiste.

Tirons les choses au clair. Le peuple du Québec a puni le Parti québécois pour toutes les erreurs qu’il a commises, en le jetant dans l’opposition. L’opposition, c’est le purgatoire des gouvernements déchus.

Il serait futile de reprocher à monsieur Charest les erreurs commises par les premiers ministres libéraux qu’étaient Jean Lesage et Robert Bourassa. Tout comme un condamné qui a purgé sa peine, les erreurs des gouvernements anciens ne sont plus pertinentes à l’élection présente.

Par contre, en voulant se faire élire en 2003, le Parti libéral a critiqué ces erreurs et a été élu sur la promesse de les corriger. C’est maintenant son bilan à lui qui doit être jugé par le peuple.

Les transferts fédéraux

Jean Charest : « S’il y a eu une chose qui a été prouvée au cours des dernières années, c’est qu’à l’époque où vous étiez au gouvernement péquiste, il y a eu un recul du Québec à l’intérieur du Canada puis dans les relations avec le (gouvernement) fédéral, puis les transferts fédéraux. Vous avez même fait partie d’un gouvernement qui a dit que vous acceptiez les coupures que le (gouvernement) fédéral faisait alors que moi, quand j’étais en politique fédérale, en même temps, je combattais les coupures du Fédéral envers le Québec. Les transferts ont augmenté de 70% depuis qu’on est là…»

Mon Dieu, que de demi vérités.

Au cours de neuf des dix dernières années du gouvernement du Parti québécois, la croissance économique du Québec était supérieure à la moyenne canadienne. Si bien que le Québec était devenu la quatrième province la plus riche du pays quant au revenu par personne. Conséquemment, le gouvernement fédéral avait même diminué légèrement la péréquation versée au Québec. En effet, seules les provinces pauvres peuvent bénéficier de ce mécanisme de redistribution de la richesse canadienne. Lorsqu’une province devient moins pauvre, elle reçoit moins de péréquation.

Dès son accession au pouvoir, le gouvernement Charest s’est mis à couper à tort et à travers dans les dépenses publiques pour dégager des milliards de dollars, afin de réaliser sa promesse de réduire les impôts des riches. Ces coupures — tout comme celles auxquelles procèdent actuellement la Grèce, l’Espagne et l’Italie — provoquèrent une contraction de la croissance économique.

Cette contraction n’a pas été suffisante pour provoquer une récession, mais a suffi à ralentir la croissance économique du Québec et à faire revenir cette croissance sous la moyenne canadienne. Cela fut vrai dès la première année du gouvernement Charest. Et cela n’a pas cessé d’être le cas jusqu’en 2008.

De 2008 à 2011, la croissance a toutefois été de 4,7% au Québec (vs 3,5% pour l’ensemble du pays). Cet avantage d’un pour cent ces dernières années n’a pas été suffisant pour réparer les dommages subis de 2003 à 2008, ce qui a fait chuter le Québec à l’avant-dernier rang canadien (devant l’Île-du-Prince-Édouard) quant au revenu disponible par personne.

Et parce que le Québec s’est appauvri comparativement aux autres provinces, le Québec a reçu plus d’argent de la péréquation fédérale. Donc en se vantant d’avoir obtenu plus d’argent du fédéral, monsieur Charest se vante implicitement d’avoir appauvri le Québec. Faut le faire…

Conclusion

Le grand gagnant de ce débat est monsieur Charest. Par des demi vérités, ce dernier a esquivé à peu près toutes les attaques de son adversaire et l’a contraint à répliquer à des reproches (Provigo, Duchesneau) à la suite desquels monsieur Legault n’a pas su rebondir en attaquant efficacement à son tour.

Quant à monsieur Legault, il a trop fait paraitre son agacement en grimaçant et en fronçant les sourcils, ce qui n’est à l’avantage de personne, surtout sur une télévision en haute-définition. De plus, sa manie de hocher de la tête et de dire « oui » lorsqu’il piaffe d’impatience de parler à son tour, fait qu’on peut avoir l’impression qu’il est d’accord avec les reproches qu’on lui adresse.

Le fait qu’il ait mal performé relativement à un sujet aussi facile que la corruption — dans lequel un champion de l’éthique devrait exceller — n’a pas beaucoup d’importance puisque la grande majorité des électeurs sont déjà convaincus des lacunes du gouvernement sortant. Mais cela jette un doute quant à l’aptitude de monsieur Legault à affronter l’adversité pour défendre les intérêts du Québec. L’impression qu’il laisse est celle d’un homme intelligent, sincère et honnête, mais faible devant l’adversaire.

La confrontation avec madame Marois nous donnera l’occasion de modifier cette mauvaise impression.

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