Mouawad et la guerre civile libanaise

Publié le 26 avril 2011 | Temps de lecture : 6 minutes

Le dramaturge Wajdi Mouawad

Wajdi Mouawad est né au Liban le 16 octobre 1968. Il quitte son pays natal en 1976, émigre d’abord en France (où il demeurera sept ans) puis s’installe définitivement au Québec en 1983.

À 23 ans, il reçoit son diplôme de l’École nationale de théâtre du Canada. Lauréat du Prix littéraire du Gouverneur général du Canada dans la catégorie théâtre en 2000, il est récipiendaire en 2009 du Grand prix du théâtre de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre dramatique.

La guerre civile libanaise

La guerre civile libanaise déchira ce pays de 1975 à 1990. Elle fit entre 130,000 et 250,000 victimes civiles. Elle débute par une tentative d’assassinat à Beyrouth, la ville natale de Wajdi.

Le matin du 13 avril 1975, Pierre Gemayel (un ministre libanais) se rend à l’inauguration d’une église catholique dans la banlieue ouest de Beyrouth. Des miliciens pro-syriens échouent dans leur tentative de le tuer mais atteignent mortellement son garde du corps.

Quelques heures plus tard, en représailles, les miliciens de Pierre Gemayel arrêtent un autobus transportant 27 travailleurs palestiniens, l’aspergent d’essence, y mettent le feu et mitraillent tous ceux qui tentent de s’en échapper.

Je me rappelle vaguement d’une entrevue télévisée au cours de laquelle — si ma mémoire est bonne — Wajdi aurait déclaré avoir été témoin de ce massacre. Il avait six ans.

Cette journée du 13 avril 1975 marque le début officiel de la guerre civile libanaise. La tuerie survenue ce jour-là provoque une série d’actes de violence entre Musulmans et Chrétiens, chaque groupe enterrant ses martyrs et jurant de venger ses morts.

Au cours d’un samedi de décembre 1975, près de la capitale libanaise, les milices chrétiennes tuent 600 Musulmans pour venger la découverte, plus tôt cette journée-là, de quatre Chrétiens trouvés tués à coups de hache.

Le 18 janvier 1976, les milices chrétiennes tuent environ 1,500 Musulmans dans un quartier de Beyrouth-Est. Deux jours plus tard, les Palestiniens répliquent en attaquant la ville de Damour, située à 20 km au sud de Beyrouth, et y massacrent entre 300 et 1,500 Chrétiens.

Alors que s’accélère la violence inter-religieuse, la famille Mouawad quitte le Liban en 1976. Il est probable qu’à l’étranger, la famille de Wajdi a suivi les événements qui se déroulaient au Liban.

De tous les massacres qui ont jalonné cette guerre civile, le plus connu est celui de Sabra et de Chatila, du nom de deux camps palestiniens situés à la périphérie de Beyrouth.

Le massacre de Sabra et de Chatila

Le 6 juin 1982, l’armée israélienne envahit le Liban et s’arrête aux portes de la capitale libanaise. Le 20 août suivant, les États-Unis obtiennent un accord de cessez-le-feu en vertu duquel les soldats de l’Organisation de libération de la Palestine quittent Beyrouth tandis que l’armée israélienne accepte de ne pas avancer davantage dans la ville.

Le 23 août 1982, Bachir Gemayel (le fils de Pierre Gemayel, dont il a été question plus haut) est élu président du Liban.

Le 14 septembre 1982, il meurt assassiné par un militant pro-syrien.

Le 15 septembre, l’armée israélienne répond à l’assassinat de leur allié en investissant Beyrouth-Ouest, contrairement à l’accord de cessez-le-feu signé un mois plus tôt. Israël justifie ce redéploiement par la nécessité de maintenir l’ordre et de détruire l’infrastructure laissée par les terroristes.

Les 16 et 17 septembre, alors que les camps de Sabra et Chatila sont encerclés par l’armée israélienne et que la population y est désarmée, l’armée israélienne laisse entrer les milices chrétiennes qui y tueront hommes, femmes et enfants pendant ces deux jours et ce, afin de venger la mort de Bachir Gemayel. Le massacre fit entre 800 et 3,500 victimes.

Dès les premières heures de la tuerie, de sa chambre de l’hôtel Hilton, l’ambassadeur américain en avait été choqué et en avait informé aussitôt Washington : l’administration Reagan était intervenue promptement auprès du gouvernement israélien mais s’était fait répondre sèchement que les opérations cesseraient lorsqu’elles seraient terminées.

L’implication indirecte de l’armée israélienne dans ce massacre avait fait scandale au sein même de la population israélienne ; sur la principale place de Tel-Aviv, des dizaines de milliers de Juifs manifestaient leur indignation contre ces massacres.

Le gouvernement de ce pays avait dû créer une commission d’enquête dont le rapport blâma mollement le ministre de la Défense d’Israël de l’époque, Ariel Sharon.

Toutefois, l’enquête avait révélé que les milices chrétiennes du Liban étaient financées par Israël et que le chef de la milice qui procéda au massacre, Elie Hobeika, recevait ses ordres directement d’Ariel Sharon.

En 2001, Elie Hobeika déclarait que si un tribunal international était institué pour juger Ariel Sharon — devenu Premier ministre d’Israël — pour crime de guerre, il serait prêt à témoigner contre lui. Quelques semaines plus tard, Hobeika décédait dans un attentat à la voiture piégée.

La guerre dans l’œuvre de de Wajdi Mouawad

Je n’ai vu que deux œuvres de Wajdi Mouawad.

D’abord le film « Littoral », qui raconte les complications que connait une famille libanaise désirant enterrer la dépouille d’un des leurs et qui découvre horrifiés que les soldats syriens (occupant le Liban) profanent les cercueils libanais afin d’y voler les bijoux et arracher l’or des obturations dentaires des cadavres.

J’ai assisté également à la pièce de théâtre « Ciels » qui décrit le fonctionnement d’une équipe d’experts chargés d’intercepter et de décrypter des messages afin de prévenir des attentats terroristes.

À partir de cet aperçu de l’œuvre de Wajdi, il m’apparait évident que l’auteur dramatique québécois a été profondément marqué par les événements tragiques de son pays d’origine et par le cycle de représailles et de vengeances qui y ont alimenté la guerre civile.

Dans sa réponse à l’affaire Cantat, Wajdi Mouawad écrivait dans Le Devoir : « je tiens la justice comme l’espace pacificateur auquel je me dois de me rallier coûte que coûte, si je veux faire barrage à la barbarie de la vengeance que j’exècre plus que tout tant elle a déchiré le pays qui m’a vu naître

Références
Aimée, ma petite chérie
Elie Hobeika
Guerre du Liban
Karantina massacre
Massacre de Damour
Massacre de Sabra et Chatila
Wajdi Mouawad

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’affaire Cantat : quand trop est assez

Publié le 5 avril 2011 | Temps de lecture : 5 minutes

Préambule

Bertrand Cantat est l’ex-leader de « Noir désir », un groupe rock aujourd’hui dissout. En juillet 2003, à Vilnius, en Europe de l’Est, Cantat a battu à mort sa conjointe — l’actrice Marie Trintignant — au cours d’une violente dispute.

Pendant son incarcération en Lituanie, plus précisément dans la nuit du 10 au 11 septembre 2003, la maison familiale du chanteur à Moustey a été incendiée.

Entre le meurtre de Trintignant et la dissolution du groupe en novembre dernier, les autres membres de Noir désir ont reçu d’innombrables menaces de mort, eux qui pourtant sont totalement étrangers au décès de Mme Trintignant.

En absence du chanteur emprisonné, la famille de Cantat vivait protégée par des agents de sécurité payés par la maison de disque Universal.

Krisztina Rády, son ex-femme et la mère de ses deux enfants, s’est suicidée chez elle à Bordeaux, le 10 janvier 2010. Elle avait soutenu Cantat lors du procès relatif à l’homicide de Marie Trintignant.

Condamné à huit ans d’emprisonnement, Cantat est finalement libéré le 29 juillet 2010.

Le dramaturge Wajdi Mouawad, ami de Cantat, lui a offert de créer live les chœurs du spectacle « Le Cycle des femmes » qui sera créé en juin à Athènes, repris le mois suivant à Avignon, pour enfin prendre l’affiche à Ottawa, et finalement au TNM en mai 2012. Cette annonce ne semble pas avoir créé de vague en Grèce, ni en France, mais a soulevé une violente controverse au Québec.

La controverse

Avant d’aborder cette question, soyons clair ; dans toute cette affaire, il y a plusieurs victimes mais la principale est Marie Trintignant.

Ce qui est moins clair, c’est ce que veulent exactement ceux qui s’indignent de la venue de Bertrand Cantat au Québec. Oui, je sais, ils voudraient que le TNM congédie Cantat de ce spectacle. Mais est-ce suffisant ?

Les protestataires, seraient-ils satisfaits d’apprendre que Cantat a été limogé de cette production du TNM mais pour être embauché dans celle suivante ? Évidemment pas ; ce serait de la provocation si ce n’est pas carrément rire d’eux.

Voudraient-ils voir Cantat être embauché par une autre compagnie théâtrale ? Non, cela ne ferait que déplacer « le problème ». Et si Cantat prenait l’affiche d’une salle de spectacle, serait-ce satisfaisant ? Non, ce serait inacceptable.

Devrait-il changer de métier ? Voilà une bonne idée. Mais imaginez que le livreur de pizza qui sonne à votre porte soit un assassin ? Qui aimerait que ses enfants fréquentent une école où le laveur de plancher a tué une femme ? Etc., etc.

En somme, les justiciers croient que Cantat n’a pas suffisamment payé pour son crime et qu’ils ont le devoir de faire en sorte qu’on lui impose une punition extra-judiciaire pour le meurtre de Mme Trintignant.

Ce n’est pas mon avis, mais je reconnais que c’est un point de vue défendable. En effet, beaucoup de personnes croient que le pouvoir judiciaire est trop sensible aux droits des détenus et pas suffisamment préoccupé par le sort des victimes.

Alors supposons que Cantat s’en est bien tiré et que son crime aurait mérité un châtiment plus sévère. Doit-on faire en sorte que Cantat ne puisse plus jamais gagner sa vie honorablement et — parlons franchement — qu’il soit acculé au suicide ?

Parmi les justiciers, la majorité se sentiraient probablement inconfortables à l’idée d’avoir participé à une campagne haineuse ayant eu pour résultat le suicide du chanteur.

Alors que veut-on exactement ? Un boycott populaire ? Oui, mais pendant combien de temps ? Si on effectuait un sondage parmi les protestataires, on en arriverait probablement à une punition extra-judiciaire dont la durée varierait autant qu’il y aurait de répondants au sondage.

En d’autres mots, chacun a sa petite idée en tête. Si bien que si on devait chercher un consensus, on en arriverait, après d’interminables débats, à la conclusion que le système judicaire, aussi imparfait soit-il, est le reflet de notre propre imperfection et que toute punition supplémentaire imposée à Cantat ne ramènerait pas en vie Marie Trintignant.

Sans vouloir minimiser le drame vécu par la famille Trintignant, a-t-on pensé à ce qu’ont vécu les enfants de Cantat ? Méritaient-ils le suicide de leur mère et l’emprisonnement de leur père pendant presque toute leur enfance ? Aujourd’hui, qui paie pour les nourrir, les habiller, les loger et les instruire ? Est-on bien certain qu’en punissant Cantat, il n’y a pas de victimes collatérales ?

Autrefois, les aventuriers recherchés en Europe pouvaient refaire leur vie à l’autre bout du monde. Avec la mondialisation, il ne reste plus d’endroits secrets où les êtres ostracisés — même à juste titre — ont une dernière chance d’accomplir quelque chose de positif autour d’eux.

Références :
Bègles. Sécurité maximale pour le retour de Bertrand Cantat sur scène
Bertrand Cantat
Bertrand Cantat
Mort de Kristina Rady : « l’affaire Cantat » pointée du doigt

Complément de lecture :
Cantat, après coup (2012-05-09)

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Écrit par Jean-Pierre Martel