La surtaxe canadienne de 100 % sur les voitures chinoises

Publié le 8 septembre 2024 | Temps de lecture : 6 minutes

Introduction

À la suite de Washington, Ottawa a décidé d’imposer une surtaxe qui doublera le prix canadien des véhicules électriques (VE) chinois.

Cette mesure entrera en application dans deux mois et s’appliquera aux VE importés de Chine et non aux VE fabriqués en Amérique du Nord par des fabricants chinois.

Le message est clair : « Si vous voulez éviter la surtaxe, venez fabriquer vos voitures chez nous.»

Dans sa chronique dans le Journal de Montréal, Michel Girard critique cette guerre commerciale, lui reprochant de se faire sur le dos des consommateurs.

Le chroniqueur suggère également qu’Ottawa a pris cette décision en se basant sur la considération suivante.

En 2023, nos échanges commerciaux avec les États-Unis représentaient 595 milliards$ d’exportations et 374 milliards$ d’importations.

Alors qu’en Chine, ces échanges étaient de 30,5 milliards$ d’exportations (vingt fois moins) et 89 milliards$ d’importations (quatre fois moins).

Évidemment, cela ne tient pas compte du fait que beaucoup des produits américains que nous importons sont des produits chinois portant une étiquette américaine qui nous sont revendus beaucoup plus cher.

Les raisons officielles d’Ottawa

Malgré sa manière toute ‘trumpienne’ de faire de la politique, le chef de l’opposition officielle s’est bien gardé de critiquer le premier ministre Justin Trudeau.

Pour la simple et bonne raison que s’il était au pouvoir, il ferait pareil.

Officiellement, Ottawa justifie sa décision en accusant la Chine de subventionner la fabrication de ses VE et conséquemment, de surproduire.

De plus, la surtaxe canadienne serait une bonne chose puisqu’elle servirait à protéger les emplois des travailleurs œuvrant dans l’industrie automobile.

Protéger nos emplois

Le protectionnisme crée un marché captif qui protège nos industries de la concurrence étrangère.

Toutefois, classé selon la taille de sa population, le Canada occupe le 39e rang mondial. La petitesse de son marché intérieur ne permet pas à nos industries de profiter d’économies d’échelle. Pour ce faire, le Canada doit exporter.

Voilà pourquoi le Canada est un apôtre de la libre circulation des biens et des services.

Ceci étant dit, il y a souvent de très bonnes raisons pour faire exception à une règle, si bonne soit-elle.

À l’époque encore récente où nos politiciens de droite niaient la réalité des changements climatiques et soutenaient que les gaz à effet de serre aidaient les plantes à mieux pousser (sic), la Chine misait sur la voiture électrique.

Lorsque les pays occidentaux ont été confrontés, concrètement, aux effets couteux des changements climatiques et ont tardivement décidé de décarboner leur économie, la Chine était prête à leur fournir ce qu’il leur fallait pour y parvenir, dont des VE.

Pour pallier leur retard industriel dans ce domaine, les États-Unis ont donc décidé d’ériger des barrières commerciales derrière lesquelles ils peuvent tenter de rattraper la Chine. Une fois qu’ils se sentiront moins menacés, on peut s’attendre à ce qu’ils baissent la garde.

D’ici là, semer l’idée selon laquelle il faut recourir au protectionnisme pour protéger nos emplois alimente les milieux qui prêchent le repli sur soi.

Les subventions

Il est vrai que la Chine subventionne les secteurs de pointe voués à assurer sa suprématie commerciale, dont la construction des VE.

De leur côté, les pays riches d’Occident se sont lancés dans une surenchère aux subventions pour attirer chez eux les constructeurs de VE ou de batteries électriques.

De plus, jusqu’à tout récemment, les pays occidentaux subventionnaient l’achat d’un VE.

Lorsque Canada pointe un doigt accusateur et fronce les sourcils contre les pays qui accordent des subventions à leurs carrossiers, il aurait intérêt à ne pas le faire devant un miroir.

La surproduction chinoise

Tous les pays exportateurs au monde produisent au-delà des besoins de leur marché intérieur. Lorsqu’on limite la production aux besoins de ses propres consommateurs, cela s’appelle la gestion de l’offre.

Pour les États-Unis, la gestion de l’offre, c’est du communisme.

Voilà pourquoi, à chaque nouveau traité de libre-échange avec nos voisins du Sud ou avec l’Union européenne, le Canada ampute toujours un peu plus la gestion de l’offre sur l’autel du néolibéralisme.

Mais surprise ! Voilà que nos dirigeants politiques aimeraient que la Chine — déjà communiste selon la rumeur — le devienne davantage en adoptant la gestion de l’offre. Mao Zedong serait ravi…

Ce qui montre bien qu’il ne s’agit pas des vrais motifs de la surtaxe canadienne.

Les vraies raisons

Face à la possibilité que la Chine interdise l’importation de canola canadien — ce qui représenterait des pertes d’un milliard de dollars pour nos agriculteurs — on s’inquiète.

En réalité, le Canada n’a pas le choix.

Les voitures électriques chinoises offrent beaucoup plus pour le même prix.

Le Canada ne peut pas se permettre de servir de lieu de transit à la contrebande de voitures chinoises destinées aux États-Unis. Ce qui obligerait Washington à appliquer ses mesures protectionnistes antichinoises contre le Canada.

Ce serait alors une catastrophe pour l’industrie nord-américaine de la construction automobile, dont l’intégration nous est très profitable.

La géographie détermine l’histoire des peuples.

Nous profitons grandement du voisinage de la plus grande économie du monde, soit le marché américain.

Ce qui comporte d’immenses avantages, mais parfois quelques inconvénients. Comme quoi on ne peut pas tout avoir dans la vie.

Si la Chine ferme ses frontières au canola canadien, Ottawa pourra toujours gémir et entretenir sa belle relation sadomasochiste avec la Chine depuis l’affaire Huawei.

En réalité, nous devons assumer notre destin. Si on regarde ailleurs dans le monde, sommes-nous tant à plaindre ?

Références :
Des pressions chinoises sur le canola pourraient coûter 1 G$
L’affaire Huawei : dure pour le Canada, la vie de caniche américain
La guerre aux véhicules électriques chinois se fait sur le dos des consommateurs
Liste des pays par population
Pendant ce temps en Chine : la construction automobile
Tarifs de 100% sur les véhicules chinois: «J’ai peur que ça augmente le prix de beaucoup»

2 commentaires

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Pendant ce temps en Chine : la construction automobile

Publié le 14 octobre 2023 | Temps de lecture : 10 minutes

L’exportation chinoise de voitures à essence

Pendant des décennies, le transport individuel en Chine se faisait essentiellement à pied ou en vélo.

Depuis les réformes économiques de Deng Xiaoping en 1978, des dizaines de millions de Chinois sont passés de cyclistes à automobilistes, faisant de leur pays le plus important marché quant à la vente d’autos.

Parallèlement, la Chine a haussé sa production pour atteindre annuellement quinze-millions de voitures à essence.

Toutefois, contrairement aux années antérieures, la demande intérieure pour celles-ci a diminué en 2023. Du coup, la Chine a dû accroitre ses exportations pour écouler ses excédents.

Les exportations étaient déjà de 2,5 millions de véhicules en 2022 et devraient dépasser 3,1 millions de voitures cette année. Cela fait de la Chine le premier producteur et le premier exportateur mondial de voitures à essence.

Leurs modèles les moins dispendieux arrivent en tête des ventes dans l’hémisphère sud du globe. Au point qu’on manque en Chine de navires spécialisés pour les transporter.

Avant ce boum des exportations, on construisait quatre porte-voitures par année à travers le monde. Actuellement, les armateurs qui font affaire en Chine en ont commandé 170, principalement de chantiers maritimes chinois.

La pénurie actuelle de ces navires a fait en sorte que le tarif de leur location est passé de 16 000 à 105 000 dollars par jour.

Dans la plus importante zone économique du pays (celle située près de l’embouchure du Yangtsé), les chantiers maritimes travaillent jour et nuit à construire, entre autres, des porte-voitures d’une capacité minimale de cinq-mille voitures.

La concentration géographique de cet effort industriel n’est pas sans inquiéter les plus hautes autorités chinoises. Au nom de la sécurité nationale, le président Xi Jinping mit en garde jeudi dernier les gestionnaires de l’économie chinoise contre une concentration excessive des usines dans cette zone économique qui fournit déjà 45 % du PIB national.

Pendant que les pays anglo-saxons construisent des porte-avions et des sous-marins afin de conserver leur supériorité militaire, la Chine construit des porte-voitures pour favoriser sa suprématie économique en temps de paix.

Et quand les États-Unis se mettront réellement à produire des automobiles électriques et à vouloir les exporter massivement hors du Continent américain, ils ne devraient pas être surpris d’apprendre que les opérateurs de porte-voitures ont des contrats d’exclusivité… avec la Chine.

D’autre part, la guerre en Ukraine a obligé la Russie à détourner une partie importante de sa capacité industrielle vers la fabrication d’armement. Conséquemment, la demande russe pour des voitures est comblée de nos jours par des autos chinoises acheminées par voie ferroviaire.

L’exportation chinoise de voitures électriques

Lancée par Xi Jinping à son accession au pouvoir, sa campagne anticorruption a coïncidé avec la disparition de plusieurs des personnes les plus riches de Chine. Malgré cela, ce pays demeure celui qui, après les États-Unis, compte le plus de millionnaires.

C’est en bonne partie sur ces derniers qu’a reposé la demande intérieure chinoise de biens de luxe (dont les voitures électriques).

En 2018, l’administration Trump a imposé une taxe de 30 % sur les voitures chinoises, leur fermant du coup le marché américain. L’Europe devint alors le marché cible de l’exportation des voitures électriques chinoises.

Dès le début de la guerre en Ukraine, l’Allemagne a cessé de s’approvisionner en gaz fossile russe, le moins cher au monde. Ce faisant, toute l’industrie lourde allemande perdait un avantage compétitif face à ses rivaux américains.

Dans le cas des carrossiers allemands, leur priorité depuis un an et demi, c’est de délocaliser leur production ou d’ouvrir des usines en Amérique du Nord (où l’énergie est à la fois abondante et économique).

Ce qui signifie choisir des lieux d’implantation, adopter des plans, commander des robots, et planifier les budgets nécessaires.

Et justement parce qu’ils ont l’esprit ailleurs, beaucoup d’entre eux ont été pris de court par l’abondance de l’offre chinoise aux plus récents salons de l’auto tenus en Europe.

L’acceptation de ces modèles par les consommateurs européens est facilitée par le fait que les carrossiers chinois ont acheté, il y a bien des années, quelques marques célèbres; Volvo (de la suédoise homonyme, achetée en 2010), la marque anglaise MG (de la britannique MG Motor, en 2006), etc.

Dans le cas particulier du Modèle 3 de Telsa, les voitures vendues aux États-Unis sont de fabrication américaine, mais celles, identiques, vendues en Europe, sont fabriqués près de Shanghai.

Si bien que depuis le début de l’année, l’Europe importe davantage de voitures électriques chinoises que de voitures électriques fabriquées hors de Chine.

Face à ce raz-de-marée, les dirigeants européens font semblant d’être surpris. Comme s’ils ignoraient que tout cela est la conséquence de leurs décisions…

L’Union européenne accuse donc Beijing de dumping; selon Bruxelles, la Chine accorderait des subventions dans le but de maintenir artificiellement bas le prix de ses voitures électriques.

Il est à noter que beaucoup de pays accordent une aide aux acheteurs d’une voiture électrique neuve. Cette subvention ’verte’ sert à rendre ces voitures moins onéreuses.

Ce qui revient au même.

L’avantage actuel des batteries chinoises

Les batteries qui alimentent les voitures électriques fabriquées en Occident contiennent une quantité minime mais indispensable de cobalt.

Le plus important fabricant chinois de voitures électriques s’appelle BYD. Fondé en 1995, il s’agissait au départ d’un fabricant de batteries. Mais en 2003, il a fait l’acquisition d’un carrossier au bord de la faillite. Et c’est depuis que BYD fabrique avec succès des autos. Et ce, dans les usines les plus robotisées de l’industrie.

Les voitures électriques BYD sont équipées de batteries de marque BYD. Leur technologie est différente.

À puissance égale, celles-ci sont un peu plus volumineuses et plus lourdes que les batteries ordinaires.

Leur principal défaut est la dégradation de leurs performances à basse température. Voilà pourquoi on leur ajoute un système de chauffage capable de faire passer leur température (dans une voiture éteinte en hiver) de -30°C à +60°C en 90 secondes.

Par contre, ces batteries ont l’avantage d’être très résistantes à l’emballement thermique, d’être rechargeables un plus grand nombre de fois et d’être moins couteuses à produire.

De plus, ces batteries ne contiennent pas de cobalt, un métal dont la République démocratique du Congo est, de loin, le principal producteur.

Or les sanctions économiques occidentales contre la Russie ont donné à la Chine une idée de ce qui l’attend si elle devait s’attirer les foudres de Washington.

Voilà pourquoi BYD a préféré équiper ses voitures de batteries sans cobalt, évitant ainsi tout risque de pénurie d’approvisionnement en ce métal.

C’est pour cette même raison sécuritaire que les voitures Telsa fabriquées en Chine seront dorénavant alimentées de batteries sans cobalt (probablement faites par BYD).

L’avenir de l’industrie automobile

Dans un marché naissant, l’accès à un bassin important de consommateurs permet d’amortir plus rapidement les investissements consentis jusque là, puis d’abaisser les prix afin de conquérir les marchés et se s’en tailler une position dominante.

C’est ce qu’a fait l’industrie automobile américaine au début du XXe siècle. Et du chaos originel ont surgi trois grands fabricants: GM, Ford et Chrysler.

C’est ainsi que, de nos jours, le marché intérieur de la Chine donne un avantage compétitif à ses carrossiers.

La taxe de 30 % imposée par Washington aux voitures électriques chinoises transforme l’Amérique du Nord en marché captif pour les constructeurs américains.

[Note du 24 mai 2024 : depuis la publication de ce texte, cette taxe a été haussée à 100 %]

Par contre, les dirigeants européens ont sacrifié l’avenir de leur industrie lourde — dont celui de leurs constructeurs automobiles — sur l’autel des sanctions économiques exigées par les États-Unis contre la Russie.

Par ailleurs, l’obligation de maitriser tous les domaines d’expertise nécessaires à la fabrication des voitures d’aujourd’hui rendront difficiles les activités des constructeurs de pays comme la Corée du Sud, le Japon et l’Inde.

On pourrait donc voir apparaitre deux blocs principaux en matière de construction automobile; le bloc nord-américain et le bloc régional de la Chine (dont seront exclus la Corée du Sud et le Japon).

Le Québec a choisi son camp; il sera un fournisseur important de batteries auprès du bloc américain.

Il ajoute ainsi la fabrication des batteries de voiture électrique à la grappe industrielle qu’il consacrait déjà à l’électrification des transports, mais qui était limitée jusque là à l’assemblage de véhicules électriques (wagons de métro, trains et autobus scolaires).

Malheureusement, le talon d’Achille des voitures électriques occidentales, c’est leur batterie, sujette (rarement) à l’emballement thermique. Un risque n’ont jamais (ou presque) les batteries chinoises.

Au cours des toutes prochaines années, les poursuites les plus médiatisées à l’encontre les constructeurs automobiles concerneront des voitures qui auront spontanément pris feu.

N’est-il pas risqué pour le Québec d’investir des sommes colossales à subventionner la fabrication de batteries ‘inférieures’ ?

En réalité, ce risque est partagé avec toute l’industrie nord-américaine. Voilà pourquoi la recherche d’une solution sécuritaire de remplacement aux batteries chinoises est une priorité absolue, non seulement pour l’industrie, mais également aux yeux de Washington.

Tout comme au sujet de la recherche vaccinale contre le Covid-19, quand les États-Unis font de la recherche une priorité nationale, aucun problème n’est insurmontable.

Lorsque les nouvelles usines québécoises ouvrirent leurs portes, leurs batteries seront les meilleures que l’Occident peut produire.

Compte tenu de la vitesse des découvertes scientifiques qui concernent les batteries, il est certain que les fabricants québécois auront prévu la flexibilité nécessaire à l’adaptation à tout changement technologique majeur.

Références :
Ford Will Build a U.S. Battery Factory With Technology From China
Guerre russo-ukrainienne et désindustrialisation de l’Europe
G20 poured more than $1tn into fossil fuel subsidies despite Cop26 pledges
La Chine inonde le monde de ses voitures
Les conséquences géostratégiques du basculement vers les énergies vertes
Les millionnaires chinois
Les nouvelles batteries au phosphate de fer sans nickel ni cobalt
Les voitures fabriquées en Chine envahissent le monde
L’Union européenne ouvre une enquête sur les subventions publiques chinoises aux automobiles électriques
Xi Jinping tells China’s biggest economic zone to ‘balance growth and security’ – and no more mega projects

Parus depuis :
Sodium batteries: is China sparking a new revolution in the electric vehicle industry? (2023-11-10)
CATL, the little-known Chinese battery maker that has the US worried (2024-03-18)

Postscriptum du 25 octobre 2023 : À Montréal, le nombre de feux causé par les batteries lithium-ion utilisés dans les vélos, les trottinettes ou encore les quadriporteurs, est passé de 7 en 2020 à 21 en 2022.

Référence : Montréal prolonge son opération spéciale d’inspection des vieux bâtiments

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Écrit par Jean-Pierre Martel