Le samedi 15 février 2003, 150 000 personnes défilaient dans les rues de Montréal pour protester contre la guerre que G.W. Bush préparait en Irak, appuyé par Tony Blair, premier ministre britannique.
C’était la plus grosse manifestation de l’histoire du Québec organisée jusque-là. Et il s’agissait de la plus importante manifestation contre la guerre en Irak en Amérique de Nord. C’était, par exemple, quinze fois plus qu’à Toronto. J’étais du nombre.
C’était la première fois de ma vie que je participais à une marche de protestation. Il faisait -26°C.
Pour les plus superstitieux d’entre nous, ce soleil resplendissant était la Caution Divine à la justesse de notre cause.
Partout en Occident, des millions de personnes faisaient comme nous.
Dans mon esprit, il était évident que cette guerre prédatrice n’avait qu’un seul but; libérer le pétrole irakien de l’embargo international auquel il était soumis, lui permettre d’inonder les marchés mondiaux et faire ainsi chuter les prix de cette ressource, au bénéfice des économies énergivores comme celle des États-Unis.
Pour des millions de protestataires, aucune des justifications invoquées par le couple Bush-Blair n’était fondé.
Cela n’a pas empêché les soldats de l’alliance anglo-américaine d’aller peu après répandre le chaos et l’anarchie au Moyen-Orient.
Un chaos qui s’est étendu depuis et qui a provoqué la mort d’environ un demi-million de personnes — 150 000 en Irak et 250 000 en Syrie — en plus de déclencher la pire crise humanitaire depuis la Deuxième Guerre mondiale. Une crise qui se bute aujourd’hui aux portes de l’Europe.
Quel gâchis.
Jusqu’à cette marche glaciale dans les rues de Montréal, toutes mes vacances annuelles avaient été prises aux États-Unis.
J’aime bien les Américains. Je les trouve créatifs. Un peu innocents en politique internationale. Un peu frustes sur les bords. Et affreusement nombrilistes. Mais intelligents, hospitaliers et sympathiques.
Mais je ne pouvais pas accepter que l’argent que je dépensais lors de mes vacances aux États-Unis puisse financer cette guerre.
En effet, l’argent à acheter des biens ou des services contribuait aux profits des entreprises auprès desquelles je m’approvisionnais. Or ces entreprises, en faisant des profits, paient des impôts. Et une partie de mon argent se retrouve donc dans les coffres de l’État américain à financer cette guerre. Même si finalement, ce devrait n’être qu’un seul cent, c’était trop pour moi.
J’ai donc résolu de ne plus mettre les pieds aux États-Unis tant que leurs soldats seraient en Irak.
Au lendemain de cette décision, s’est posé le dilemme : où vais-je aller prendre mes vacances ?
Je me suis posé alors la question : « Si tu devais mourir demain, quelle est la ville que tu regretterais le plus de ne jamais avoir vue ? »
Évidemment, ma réponse fut Paris. Voilà pourquoi la capitale française fut la première destination des nombreux voyages que j’ai effectués depuis.
Afin d’être logique avec moi-même, ce boycottage américain s’est étendu aux autres pays d’occupation de l’Irak, dont l’Angleterre et l’Italie.
En réalité, j’ai fait une exception à cette résolution.
En 2006, sous l’insistance d’un ami écossais, j’ai passé une semaine en Écosse. J’avais d’abord refusé l’année précédente sous le prétexte que son épouse venait d’accoucher : je ne me voyais pas lui imposer la corvée supplémentaire d’accueillir un invité.
Mais l’année suivante, j’ai cédé à leur aimable invitation. Ce séjour fut très agréable… mais c’était en contradiction avec mon engagement.
Mais, me disais-je, l’Écosse n’est pas l’Angleterre, etc. Bref, des justifications. Comme quoi personne n’est parfaitement cohérent.
Ceci étant dit, quel ne fut pas mon bonheur de prendre connaissance, il y a deux jours, des conclusions du rapport Chilcot.
Intitulé L’enquête d’Irak, le rapport de six-mille pages est la conclusion d’une enquête officielle débutée en 2009 sur la légitimité de l’intervention militaire britannique dans ce pays.
Ce rapport de 2,6 millions de mots (trois fois plus que la Bible) est accompagné d’un ‘résumé’ de 145 pages.
En bref, c’est la plus cuisante condamnation publique qu’un chef d’État ait jamais subie d’un rapport gouvernemental.
À côté de lui, le rapport Charbonneau (sur la corruption au Québec) est un bouquet de fleurs.
Et dans un pays toujours en colère contre ses politiciens à la suite du référendum, les familles de soldats britanniques morts inutilement en Irak réclament que Blair soit traduit pour crime de guerre devant le Tribunal pénal international.
Contrairement au Québec — où les journaux refusent de publier les commentaires trop cinglants au nom d’une nétiquette stérilisante — les chroniqueurs politiques britanniques font de la surenchère dans leur condamnation unanime de Tony Blair.
En lisant leur propos, vous ne pouvez pas savoir comment je suis fier de m’être fait gelé les orteils ce jour du 15 février 2003…
Références :
‘Blair is world’s worst terrorist’: families of Iraq war victims react to Chilcot report
Chilcot report: Bush says ‘world is better off’ without Saddam as Blair mounts Iraq war defence – as it happened
Chilcot report: key points from the Iraq inquiry
Chilcot report unlikely to damage Tony Blair’s income or influence
La guerre en Irak ou L’aveuglement collectif américain
La plus grosse manifestation de l’histoire du Québec
Take it from a whistleblower: Chilcot has only scratched the surface
The Iraq war inquiry has left the door open for Tony Blair to be prosecuted
The war in Iraq was not a blunder or a mistake. It was a crime
‘Tony Blair’s epitaph was engraved today’. Our writers’ verdicts on the Chilcot report
Tony Blair unrepentant as Chilcot gives crushing Iraq war verdict
Publié depuis :
It’s not just British soldiers. The whole Iraq war fiasco is back in the dock (2017-12-15)