Droit international et géopolitique (quatrième partie)

Publié le 4 octobre 2024 | Temps de lecture : 7 minutes

Plan :
• 1re partie : Assises et instances
• 2e partie  : Impact du droit international
• 3e partie  : L’exemple du droit à la légitime défense
• 4e partie  : Le droit à l’indépendance – Crimée vs Taïwan

Le droit à l’indépendance

Dans l’édition de mars 2017 de l’Action Nationale, l’expert constitutionnaliste André Binette écrit :

Un peuple apparait à la suite de la combinaison de facteurs historiques, sociologiques et culturels.

Avec le temps, ces facteurs conduisent à la formation de trois éléments essentiels. Deux d’entre eux, le territoire et la population, sont de nature objective et variable; le troisième, qui est la prise de conscience par un peuple de sa propre identité, est subjectif et invariable.

Lorsque ces trois éléments sont réunis, le droit international, depuis cinquante ans, reconnait à un peuple le droit à l’autodétermination.

Le droit à l’indépendance est reconnu par plusieurs dispositions du droit international. Toutefois, ces dispositions s’appliquent différemment à chaque cas.

La plupart du temps, l’accession à l’indépendance repose sur Le principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit de disposer d’eux-mêmes (ou résolution 2625), adopté par l’Onu en 1970. Il y est écrit :

La création d’un État souverain et indépendant […] ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par le peuple, constituent pour ce peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui-même.

Il est à noter qu’en vertu du doit international, le mot ‘peuple’ désigne l’ensemble des groupes ethniques qui peuplent un territoire. Il n’est donc pas synonyme de ‘groupe ethnique’. Si c’était le cas, aucun pays ne serait né depuis la création de l’Onu puisque de nos jours, aucun pays n’est mono-ethnique.

Dans le cas des pays africains, ceux-ci ont pu se prévaloir spécifiquement de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux (ou résolution 1514), adoptée par l’Onu en 1960.

Dans le cas de la Crimée et de Taïwan, aucun d’entre eux ne peut s’en prévaloir puisque ni l’un ni l’autre n’est une colonie. Tout au plus, Taïwan peut prouver avoir été une colonie du Japon de 1895 à 1945, mais pas de la Chine continentale.

Au-delà des trois conditions essentielles à l’indépendance, énoncées par André Binette, le juriste Jacques Brossard apporte la nuance suivante quant à la reconnaissance internationale de cette indépendance :

De nos jours, la naissance d’un nouvel État ne peut plus se faire qu’aux dépens […] d’au moins un autre État. Elle ne peut donc que perturber l’ordre international […] Cette naissance peut être indépendante de la volonté des autres États, mais l’admission d’un État au sein de la société internationale dépend au contraire de cette volonté.

Cela signifie que même s’il remplit toutes les conditions pour être indépendant, un nouvel État sera un paria sur la scène internationale si les puissances de ce monde s’opposent son existence.

À l’opposé, un territoire qui n’a aucun droit à l’indépendance y accèdera par simple résolution de l’Onu puisque celle-ci s’ajouterait alors au droit international.

La Crimée

En janvier 2014, le gouvernement central à Kyiv annonçait son intention — qu’il n’eut pas le temps de réaliser — de retirer au russe son statut de langue officielle dans toutes les provinces ukrainiennes où cette langue jouissait de ce statut.

Imaginez qu’au Canada, Ottawa aurait le pouvoir de retirer au français son statut de langue officielle au Québec et qu’il déciderait d’exercer ce pouvoir : il provoquerait l’indépendance du Québec.

C’est ce qui est arrivé en Crimée.

En 2014, la population de la Crimée était constituée de 65,3 % de citoyens russophones et de 15,1 % de citoyens ukrainophones.

Dès l’annonce de Kyiv, le gouvernement provincial de Crimée adopta une déclaration unilatérale d’indépendance et organisa aussitôt un référendum qui fut remporté haut la main par les partisans de l’indépendance.

Aucun pays ne mit en doute ce résultat.

Toutefois, l’Ukraine et les pays occidentaux jugèrent que cette consultation était sans valeur.

À leur initiative, l’Onu adopta peu de temps après une résolution dépourvue de valeur juridique contraignante qui déclare non valide le référendum criméen et qui réitère l’importance du respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Il est donc paradoxal de voir des pays qui prétendent défendre la démocratie dans le monde, s’opposer à la volonté démocratique du peuple criméen de disposer de lui-même, une opposition qu’ils justifient au nom du droit international alors que cette résolution, strictement parlant, n’en fait pas partie.

Taïwan

Depuis la résolution 2758, adoptée par l’Onu en 1972, le gouvernement de Beijing représente à l’Onu non seulement la Chine continentale, mais également l’ile de Taïwan.

Depuis que le gouvernement de Chiang Kaï-chek s’y est réfugié en 1950 (après avoir perdu la guerre civile chinoise), l’ile possède une complète autonomie gouvernementale… et en jouira tant qu’elle évite de proclamer son indépendance.

Sachant cela, Washington essaie depuis des années de convaincre la population de l’ile de franchir la ligne rouge tracée par Beijing.

Le but de Washington est de répéter le ‘truc’ qui a si bien fonctionné en Ukraine, soit de susciter une guerre avec son voisin afin d’affaiblir l’armée de ce dernier.

Pour freiner l’accession de la Chine au titre de première puissance économique mondiale, les dirigeants américains souhaitent donc l’affaiblir par une guerre ruineuse.

Washington n’a jamais caché son intention de reconnaitre l’indépendance de Taïwan dès que le gouvernement de l’ile la proclamera.

Toutefois, Taïwan ne peut accéder à l’indépendance en vertu du droit international. Pourquoi ? Tout simplement parce que son profil ethnique ne se distingue pas celui de la Chine continentale.

Lorsque le gouvernement de Chiang Kaï-chek s’installe à Taïwan, accompagné de deux-millions de partisans, il y instaure une ‘Terreur blanche’ qui durera de 1949 à 1987 et qui se fit principalement aux dépens de la population autochtone de l’ile (qui le percevait comme un envahisseur).

Si bien que de nos jours, Taïwan est peuplé à 95 % de Hans alors que cette ethnie forme 92 % de la population de la Chine continentale.

En définitive, tout ce qui distingue Taïwan de la Chine continentale, c’est le niveau de vie, les caractères d’écriture et le système politique.

Bref, rien qui justifie l’indépendance.

Quant à l’adoption d’une résolution de l’Onu qui légaliserait l’indépendance de Taïwan, il faudrait que le représentant de la Chine au Conseil de sécurité (où Beijing dispose d’un droit de véto) soit soudainement retenu au lit par une vilaine grippe…

Références :
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux
Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
D’un simple décret, Khrouchtchev fit don de la Crimée à l’Ukraine en 1954
Le droit du peuple québécois à l’autodétermination et à l’indépendance
Le pouvoir constituant du peuple québécois et l’accession à l’indépendance (1re partie)
Le pouvoir constituant du peuple québécois et la coexistence avec les peuples autochtones (2e partie)
Résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations unies
Résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations unies
Résolution de l’Onu appelant au respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine
Résolution du Conseil de sécurité des Nations unies
Terreur blanche (Taïwan)

Laissez un commentaire »

| Géopolitique, Guerre russo-ukrainienne, Justice, Politique internationale | Mots-clés : , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel