Crise migratoire : pas d’issue sans paix

Publié le 12 septembre 2015 | Temps de lecture : 8 minutes

Importance de cette crise

Plus d’un demi-million de personnes sont entrées illégalement en Europe depuis le début de 2014, soit 280 000 en 2014 et 365 000 de janvier à aout 2015.

Depuis 2011, cette croissance est liée à l’augmentation du nombre de réfugiés syriens.

Pays d’origine des réfugiés 2011 2012 2013 2014
Afghanistan 16,3% 18,2% 8,8% 7,8%
Albanie 3,6% 7,5% 8,0% 3,1%
Érythrée 1,1% 3,6% 10,5% 12,2%
Gambie 0,4% 0,8% 2,6% 3,1%
Kosovo 0,4% 1,4% 5,9% 7,8%
Mali 1,8% 0,9% 2,7% 3,7%
Nigéria 4,9% 1,1% 3,2% 3,1%
Syrie 1,1% 10,9% 23,8% 27,9%
Divers 68,1% 48,5% 29,3% 29,0%

Selon les voies — maritimes ou terrestres — utilisées par les immigrants, la composition ethnique des personnes concernées varie.

En 2014, l’agence Frontex estimait que 60% des entrées illégales en Europe se faisaient par voie maritime (par l’Italie, la Grèce et l’île de Malte) alors que 40% se faisaient par voie terrestre (par la Turquie).

Or la Turquie est, de loin, la principale porte d’entrée des réfugiés syriens. Ces derniers empruntent ensuite la route des Balkans vers l’Europe du Nord.

Et parce que leur nombre a considérablement augmenté dernièrement, l’opinion publique a focalisé sur eux. Si bien qu’on a tendance à croire, à tort, que cette crise se résume simplement à une conséquence de la guerre qui règne en Syrie.

Mais puisque ce conflit donne à cette crise migratoire toute son acuité, voyons-en les causes.

Les causes syriennes

En Syrie, la guerre éclate au printemps 2011. Originellement, deux groupes d’opposants s’affrontent. D’une part, l’armée syrienne et ses alliés, soit l’Hezbollah libanais, des milices chiites irakiennes, la Russie et l’Iran. D’autre part, une kyrielle de milices islamistes soutenues diversement par les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie.

Au début, cette guerre épargnait certaines régions. C’est ainsi que les habitants de Damas, la capitale, en étaient venus à croire que tout cela était une grossière exagération des médias occidentaux… jusqu’à ce que le conflit gagne les portes de la capitale.

Et le conflit originel entre l’État syrien et des rebelles soutenus par l’Étranger, s’est transformé depuis en une série de sous-conflits opposant tous les belligérants entre eux.

Plus aucun centimètre du territoire syrien n’est épargné par la guerre ou la menace imminente de celle-ci. Dans les faits, le pays est morcelé en une multitude de mini-États contrôlés par des seigneurs de la guerre.

On voit donc que l’effondrement espéré du régime de Bachar el-Assad ne règlerait absolument rien, tout comme le départ de Mouammar Khadafi en Libye a simplement résulté en un chaos qui menace maintenant la sécurité de la Tunisie et, dans une moindre mesure, celle de l’Égypte.

Résultat de la guerre en Syrie

Jusqu’ici cette guerre a fait 240 0000 morts et 3,8 millions de réfugiés et ce, sans compter les déplacements non comptabilisés de population à l’intérieur du pays (estimés grossièrement entre 8 et 12 millions de personnes).

Dans les pays voisins, le nombre de réfugiés syriens a explosé depuis le début du conflit.

Carte de la Syrie
 

Million de réfugiés syriens 2011 2012 2013 2014 2015
en Égypte 0,10 0,11 0,23 0,24 0,13
en Irak 0,04 0,10 0,25 0,27 0,25
en Jordanie 0,45 0,30 0,64 0,65 0,63
au Liban 0,09 0,13 0,86 1,15 1,11
en Turquie 0,14 0,27 0,61 1,59 1,94

Selon le quotidien Le Monde, l’Arabie saoudite et le Qatar, pourtant parmi les responsables du chaos syrien, n’auraient accueilli aucun réfugié de ce pays. Ce que conteste l’Arabie saoudite; celle-ci prétend avoir accueilli 2,5 millions de réfugiés syriens.

Cela est tout simplement impossible. En effet, la Turquie — pays limitrophe de la Syrie — a accueilli près de deux millions de Syriens : on voit mal comment l’Arabie saoudite, séparée de la Syrie par l’Irak et la Jordanie, aurait pu en accueillir davantage.

Faute d’ouvrir leurs portes aux réfugiés, les États du Golfe ont dépensé plus d’un milliard de dollars afin d’amortir les conséquences de leur exode. En pourcentage de leur PIB, le Koweït et les Émirats arabes figurent parmi les donateurs les plus généreux des agences qui viennent en aide aux réfugiés.

Tout comme les pétromonarchies, le Royaume-Uni est un important donateur des camps de réfugiés — à hauteur de 1,5 milliard$ jusqu’ici — mais ne veut surtout pas de Syriens chez lui; le gouvernement anglais ne désire accepter que 4 000 Syriens annuellement pour chacune des cinq prochaines années.

En raison du nombre élevé de réfugiés, les sommes consacrées au financement des camps, pourtant importantes, s’avèrent insuffisantes; en Jordanie, près d’un tiers des réfugiés (essentiellement syriens) vit sous le seuil de pauvreté tandis qu’au Liban, cette proportion grimpe à la moitié.

Pour ce qui est de l’Irak, il est à noter que si ce pays n’a accueilli qu’un quart de million de réfugiés syriens, c’est pour deux raisons; premièrement, l’Irak est lui aussi une zone de guerre et deuxièmement, le nombre total de personnes déplacées (toutes origines confondues, y compris irakienne) y est déjà de quatre millions de personnes.

On voit donc que le million de réfugiés que l’Occident s’apprête à accueillir cette année n’est que la pointe de l’iceberg. Une fois cela fait, un autre million de réfugiés frappera aux portes de l’Europe, et ainsi de suite jusqu’à vider le Moyen-Orient de toute la population apte à entreprendre le long exode vers sa sécurité.

Les solutions

Dans l’immédiat, l’accueil de réfugiés syriens est une nécessité. D’abord un impératif humanitaire. De plus, cela est une occasion unique de démontrer aux peuples du Moyen-Orient que leur sécurité n’est assurée que dans des pays où ils peuvent compter sur un État de droit où, du moins en principe, tous les citoyens sont égaux.

À l’opposé, chaque variante de l’Islam est une hérésie par rapport aux autres. Conséquemment, partout où la Charia a force de loi, des Musulmans tuent d’autres Musulmans, notamment pour raison d’apostasie.

Ceci étant dit, il ne saurait y avoir de solution durable à la crise migratoire sans retour à la paix au Moyen-Orient.

Or cette paix ne viendra pas d’elle-même puisque trop de pays ont intérêt à maintenir et à propager l’insécurité dans cette partie du monde.

Malheureusement, plus un pays est responsable du chaos au Moyen-Orient, plus il rechigne à en assumer les conséquences.

C’est ainsi que les pays qui y ont semé la guerre au Moyen-Orient — et conséquemment, l’insécurité des populations affectées — sont également les pays qui prétendent que davantage de guerres, davantage de bombardements, résoudront les problèmes causés par le fiasco de leurs guerres et de leurs bombardements antérieurs.

Et ce qui est vrai pour les pays l’est également pour leur population. Au Canada, plus les électeurs sont favorables à ce que le pays bombarde l’État islamique, plus ils s’opposent à ce qu’on accueille davantage d’émigrés syriens. Ce paradoxe s’explique par le fait qu’ils ne voient pas de rapport entre les deux.

Au contraire, cette crise migratoire est la conséquence de la guerre et elle n’aura pas d’issue sans instauration de la paix. Mais cette dernière ne se fera qu’à la suite de deux transformations majeures.

Premièrement, la sécularisation des gouvernements de ces pays, en d’autres mots la séparation entre l’État et l’Église. Ce qui commence par le renversement de la dictature saoudienne, foyer du terrorisme international et commanditaire de presque tous les conflits armés de la région depuis des décennies.

Deuxièmement, le redécoupage des frontières héritées du démantèlement de l’Empire ottoman et ce, en vue de la création du Kurdistan et de la Palestine.

Références :
Comprendre la crise des migrants en Europe en cartes, graphiques et vidéos
David Cameron: EU countries must do more to fund refugee camps
Guerres de religion
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Le changement climatique, facteur de déstabilisation et de migration
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Parus depuis :
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Écrit par Jean-Pierre Martel