L’après-SLĀV et l‘invisibilisation’ des ‘groupes racisés’

Publié le 23 janvier 2019 | Temps de lecture : 2 minutes

J’ai hâte au jour où les intéressés auront tous vu SLĀV.

Ce jour-là, ceux qui reprochent au metteur en scène Robert Lepage ‘d’invisibiliser’ les ‘groupes racisés’ découvront que sans lui, l’esclavage en général et l’esclavage noir en particulier sont des sujets d’intérêt mineur pour les Québécois.

Non pas que les Québécois appuient l’esclavagisme, au contraire, mais que de toutes les formes d’injustice à travers le monde, celles qui concernent le peuple francoQuébécois sont les seules qui nous intéressent vraiment.

Les injustices vécues par les autres nous passionnent quand le talent de nos créateurs s’y consacre. Sans cela, c’est un sujet parmi des milliers d’autres qui sollicitent notre empathie.

Lorsque plus aucun de nos producteurs n’osera traiter de ce sujet tabou — laissé au monopole d’artisans noirs en quête de financement — c’est alors que les adversaires de l’appropriation culturelle découvriront que ce qui nous intéressait dans SLĀV, c’était fondamentalement de voir un bon spectacle.

SLĀV est centré sur le thème de l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais on aurait voulu le voir pareil si Robert Lepage avait plutôt décidé d’y parler du nouveau Guide alimentaire canadien. Parce que tout dans Lepage nous fascine alors que ce n’est pas le cas de l’esclavage.

Après SLĀV, je crains que les adversaires de Robert Lepage découvrent ce que signifie réellement ‘l’invisibilisation’ des ‘groupes racisés’; le silence au sujet des injustices auxquels ils ont été soumis au cours des siècles et plus précisément, le silence total autour de ces vieux chants d’esclave que seule au monde, Betty Bonifassi luttait pour faire sortir de l’oubli.

Sur le même sujet :
Appropriation culturelle et racisme anglo-saxon
La controverse au sujet de SLĀV
‘Shame!’ ou l’expression du mépris

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Appropriation culturelle et racisme anglo-saxon

Publié le 8 juillet 2018 | Temps de lecture : 8 minutes

Naissance du concept

Apparu il y a quelques décennies au sujet de l’appropriation d’artefacts autochtones par les musées et la prise de brevets pharmaceutiques sur des médicaments traditionnels, le concept d’appropriation culturelle s’est répandu depuis 2015 avec force à l’industrie du divertissement.

À partir de la constatation que les Noirs étaient sous-représentés dans cette industrie, certains intellectuels américains ont critiqué la manie de confier à des Blancs les rôles qui devraient revenir à des Noirs.

Dans la mesure où ces gens voulaient que les Noirs aient davantage accès à la manne hollywoodienne — ce qui entraine plus de justice sociale — on peut les considérer comme gauchisant, voire de gauche.

Mais l’adoption du concept d’appropriation culturelle s’est généralisée aux États-Unis parce qu’il faisait l’affaire de bien du monde.

L’autodafé virtuel des chants d’esclaves

Littéralement, appropriation culturelle signifie vol de la culture de quelqu’un d’autre.

En prenant l’exemple des chants d’esclaves noirs américains, l’accusation d’appropriation culturelle a pour conséquences d’étouffer la voix d’outre-tombe de ces esclaves et de les enfermer dans le carcan ethnique de leurs descendants, seuls autorisés à l’exprimer.

Loin d’ouvrir des espaces de création et de laisser la place aux Noirs qui voudraient aborder le thème de l’esclavage, cette controverse rendra frileux tout commanditaire privé qui sera sollicité pour financer une production abordant ce sujet sensible.

On doit donc s’attendre à ce qu’un lourd silence de plomb tue toute nouvelle production à ce sujet. À la grande joie de ceux qui préfèrent qu’on n’en parle pas.

Depuis quelques années, Betty Bonifassi est la seule artiste au monde à enregistrer et à faire connaitre ce patrimoine musical.

Ces chants font partie de l’immense collection amassée au XIXe siècle et au début du XXe siècle par trois générations d’anthropologues blancs américains membres d’une même famille.

Ceux-ci ont recueilli ces chants auprès d’esclaves et, après l’abolition de l’esclavage, auprès de prisonniers noirs puisque les condamnés aux travaux forcés utilisaient les mêmes chants pour maintenir la cadence du travail sur de longues périodes sans s’épuiser.

Si le concept d’appropriation culturelle avait existé à l’époque, ces chants auraient complètement disparu puisqu’aucun Noir n’avait accès aux ressources de la famille Lomax pour conserver leur trace.

L’attribution des rôles

Pour un acteur, l’art de l’interprétation repose sur une supercherie; celle de faire croire qu’il est quelqu’un d’autre.

Pour éviter les accusations d’appropriation culturelle, il est toutefois nécessaire — comme on l’a vu dans le cas de SLĀV — d’attribuer les rôles en fonction de critères raciaux.

Peut-on incarner un Noir lorsqu’on est mulâtre ? Et à quel moment cesse-t-on d’être un ‘vrai’ Noir ?

Pour distinguer les rôles qui peuvent être attribués aux Noirs, aux Mulâtres ou aux Blancs, doit-on se baser exclusivement sur la pigmentation de la peau ou doit-on faire appel également à l’anthropométrie, à la recherche de traits négroïdes ou aryens ?

Le terrain de l’appropriation culturelle glisse inexorablement vers des préoccupations quant à la pureté de la race.

Le désir de voir les rôles représentant des membres d’une minorité interprétés par des acteurs issus de cette minorité conduit inévitablement à privilégier, pour éviter toute contestation, l’embauche de figurants juifs qui ont l’air juif, de figurants autochtones qui ont l’air indien, et ainsi de suite, perpétuant les stéréotypes à leur sujet.

Se cantonner dans les styles musicaux de sa race

À 99,9%, ce que nous appelons la musique classique est le patrimoine musical de Blancs européens.

N’importe qui peut interpréter les œuvres de Bach ou de Beethoven parce qu’on croit qu’il agit d’un legs universel qui témoigne du génie humain.

Le critique musical blanc du Montreal Gazette estime au contraire que l’appartenance à la race détermine les styles musicaux qu’on peut interpréter.

Il soutient cette thèse raciste depuis des années sans que son quotidien n’y voit d’objection.

Culturellement, les Noirs ne forment pas un tout homogène. Par exemple, le reggae fait partie du patrimoine culturel des Noirs jamaïcains alors que le hip-hop fait partie de celui des Noirs américains.

Il en découle que le classique, le folk, le country et le western sont bons pour les Blancs, le reggae pour les chanteurs noirs jamaïcains, la musique créole pour les Noirs haïtiens, et à peu près tout le reste pour les Noirs américains.

Ce critique peut bien accuser Elvis Presley et les Rolling Stones d’appropriation culturelle. Mais ce qu’il oublie de dire, c’est qu’à chaque fois qu’un Blanc interprète la chanson d’un Noir, ce dernier reçoit des royautés. À moins que cette chanson ne soit tombée dans le domaine public.

Poussant plus loin l’anathème, ne peut-on pas trouver inacceptable que des radiodiffuseurs blancs s’enrichissent sur le dos des Noirs en diffusant leur musique ? N’y a-t-il pas là appropriation culturelle ?

Donc le concept de l’appropriation culturelle, née d’une volonté d’avantager les acteurs noirs injustement sous-représentés au théâtre et au cinéma, correspond inversement à un boycottage raciste des créateurs de la minorité noire par les interprètes et les radiodiffuseurs de la majorité blanche américaine lorsqu’on l’applique au domaine de la musique.

Sont alors exclus de l’interprétation de ces chants, non seulement Mme Bonifassi — qui lutte depuis des années pour sortir ces chants de l’oubli — mais également les descendants des Noirs demeurés libres en Afrique ou de ceux qui furent esclaves ailleurs.

Voilà comment ‘folkloriser’ ce qui aspire à l’universel.

Conclusion

Le concept de l’appropriation culturelle appliqué à l’industrie du divertissement, c’est le retour triomphal de la ségrégation raciale.

Une ségrégation qui n’est plus territoriale comme l’était l’ancienne; les quartiers blancs protégés par un mur et des caméras de surveillance, et les quartiers noirs dotés d’infrastructures municipales à l’abandon.

Non, la nouvelle ségrégation raciale est celle du partage du territoire, de la coexistence fine, mais où chacun garde son rang dans une société inégalitaire qui vise à le demeurer.

La controverse autour de SLĀV est destinée à nous assujettir à l’idéologie raciste anglo-saxonne et sa manie de créer des ghettos, sur scène ou en ville.

Rappelons qu’à partir du XVIIe siècle, les trois principaux ports européens impliqués dans la traite des Noirs, ont été les ports anglais de Londres, de Bristol et de Liverpool.

Il est donc paradoxal que de jeunes Blancs anglo-saxons tentent de nous imposer leur concept raciste au nom des descendants d’esclaves alors que ces derniers ne seraient justement pas des descendants d’esclaves si leurs ancêtres n’avaient pas été réduits à la servitude par des colons anglo-saxons.

Lorsque je pense à l’appropriation culturelle, l’image qui me vient à l’esprit est celle d’un chef d’État qui se déguise en hindoue et qui mime la gestuelle des gens de l’Inde à l’occasion d’un voyage dans ce pays.

D’un bout à l’autre du Canada, tout le monde a souligné le ridicule dont ce chef d’État s’était couvert. Mais personne ne l’a accusé d’appropriation culturelle. Pourquoi ?

Parce que l’accusation d’appropriation culturelle n’est qu’un prétexte, invoqué lorsqu’il s’agit de sujets sensibles — le KKK, l’esclavagisme noir américain, les réserves indiennes, les pensionnats autochtones — qui correspondent aux squelettes que le colonialisme anglo-saxon cache dans ses placards.

Références :
Dunlevy: Jazz fest cancels SLĀV, but questions remain
Dunlevy: SLĀV director Robert Lepage just doesn’t get it
Jazz fest review: SLĀV misses the mark, and precious opportunity
Jazz Fest: SLĀV isn’t cultural appropriation, singer Bonifassi says
Opinion: SLĀV: Whose songs are these to sing?

Parus depuis :
Appropriation culturelle et rapports de domination (2018-07-10)
À propos de l’annulation de Kanata (2018-07-31)
Les faits historiques ne sont la propriété exclusive d’aucune communauté (2018-08-02)
Vous avez dit «appropriation culturelle»? (2019-11-04)
Des organisations « pas suffisamment noires » écartées d’un programme fédéral (2021-01-16)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


‘Shame!’ ou l’expression du mépris

Publié le 6 juillet 2018 | Temps de lecture : 6 minutes

Introduction

C’est sous les huées et aux cris de ‘Shame!’, que les personnes venues assister au spectacle SLĀV ont été prises à partie récemment par des jeunes anglophones devant le Théâtre du Nouveau Monde.

Indépendamment de savoir qui a tort et qui a raison, on doit se demander qu’est-ce qui motive un groupe majoritairement blanc à dénoncer violemment une ‘appropriation culturelle’ alors que, dans ce cas-ci, cela ne les concerne pas ?

L’explication simpliste, qu’on lit partout ces jours-ci, c’est qu’il agit de ‘gauchistes extrémistes’ auxquels on attache trop d’importance.

Au contraire, je pense que l’agressivité des protestataires repose sur quelque chose de plus profond et qu’il y aurait tout lieu de s’en inquiéter.

Le formatage des esprits

Ceux qui participent à des forums de discussion les choisissent en fonction des sujets qu’ils abordent.

Dans le cas des forums d’idées, ils sont une occasion de rencontrer des alter ego, c’est-à-dire des personnes avec lesquels il est facile d’établir une communion d’esprit.

L’intervenant est incité à adopter l’opinion dominante du groupe par l’attribution de ‘J’aime’. Ceux-ci correspondent à une rétroaction positive comme l’est la friandise donnée au caniche méritoire.

Or ces médias sociaux sont autopurificateurs. Dès qu’un intervenant publie un point de vue anticonformiste, la confrontation des idées n’est pas perçue comme stimulante mais plutôt comme une agression qui met en péril l’harmonie de la meute.

Sous les propos désobligeants, les insinuations malveillantes et les insultes, le déviant quittera finalement les lieux au grand soulagement de tous.

Et ceux qui auront le plus efficacement attaqué l’intrus seront perçus comme des héros.

Résultat : le forum de discussion, au lieu d’être une occasion d’élargir son esprit, devient un moyen d’ancrer ses préjugés.

Il est significatif que l’action militante des protestataires contre SLĀV ait pris forme sur les médias sociaux.

Le mépris envers les francoQuébécois

À juste titre, les jeunes angloQuébécois estiment qu’ils ont le droit d’être servis en anglais. Mais ils sont nombreux à oublier que leur droit de parler leur langue n’a plus préséance lorsque ce sont eux qui servent un client francophone.

Le Parti libéral est au pouvoir au Québec de manière presque continue depuis seize ans. Au cours de cette période, il n’a rien fait pour défendre et promouvoir le français au Québec.

Si bien qu’un nombre croissant de jeunes angloQuébécois ont perdu de vue leur statut minoritaire au Québec et se considèrent plutôt comme membre de la majorité anglophone du pays (ce qui est également vrai).

Ces jeunes ont entendu ad nauséam les propos regrettables tenus au soir d’une défaite référendaire. Au point d’ignorer à quel point tous les Québécois — y compris eux — sont redevables au premier ministre qui les a prononcés.

Ils ont lu tout le mal qu’on peut en dire du projet de Charte de la laïcité du PQ (auquel je me suis moi-même opposé).

Et ils ont appris avec horreur la nouvelle de l’attentat terroriste antimusulman de Québec.

Bref, depuis leur enfance, on leur décrit le peuple francoQuébécois comme consanguin, arriéré, xénophobe et raciste.

Dans leur esprit, la défense du français au Québec est associée à une lutte tribale contre le progrès.

Pour eux, l’extinction du peuple francoQuébécois est inévitable. Et dès que nous y serons résignés, la voie de la modernité deviendra plus harmonieuse pour tous.

À mon avis, c’est ce mépris profondément ancré qui explique la haine de ces jeunes anglophones contre les spectateurs francophones du TNM.

Le choix des mots est significatif : ‘Shame!’ se traduit littéralement par ‘Honte à vous’. Mais en réalité, il signifie ‘Je vous estime honteux, c’est-à-dire méprisables’.

L’agression n’est pas survenue à n’importe quel moment. On n’a pas défilé contre le TNM en matinée ou dans l’après-midi; on a choisi délibérément le moment précis où les abonnés se présentent pour le spectacle.

Certains spectateurs ont dû pénétrer au TNM sous escorte policière. Ce genre d’intimidation est inacceptable.

Derrière les spectateurs du TNM, c’est tout le peuple francoQuébécois qui est visé par le crachat des protestataires.

Conclusion

Si on m’apprenait que des idéologues fédéraux monitorisent les écrits publiés sur ce blogue, je leur adresserais le message amical suivant : retenez bien les chiens enragés qui tentent de nous intimider dans notre vie privée et notamment lorsque nous nous rendons au théâtre accompagnés d’un être cher. Ce n’est pas vrai que nous allons nous laisser traiter ainsi chez nous.

Nous avons encore de travers dans la gorge la constitution que vous nous avez imposée et qui nous empêche de mettre en application une laïcité minimaliste parfaitement acceptable aux yeux de la plupart des pays occidentaux.

Ceux à qui vous avez affaire, ce n’est plus de pauvres paysans illettrés traumatisés par une conquête militaire et le pillage de soldats anglais. Ce sont des citoyens parfaitement capables de former leur propre pays si vous les poussez à bout.

Sur le même sujet :
La controverse au sujet de SLĀV (2018-06-27)
Appropriation culturelle et racisme anglo-saxon (2018-07-08)
Un nouveau conformisme à l’ère des médias sociaux (2019-01-29)


Annexe : Le dénigrement par The Montreal Gazette :
Opinion: SLĀV: Whose songs are these to sing? (2017-11-30)
Dunlevy: Jazz fest cancels SLĀV, but questions remain (2018-07-04)
Jazz fest review: SLĀV misses the mark, and precious opportunity (2018-07-04)
Jazz Fest: SLĀV isn’t cultural appropriation, singer Bonifassi says (2018-07-04)
Dunlevy: SLĀV director Robert Lepage just doesn’t get it (2018-07-06)
Opinion: Why SLĀV’s cancellation was the right decision (2018-07-06)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La controverse au sujet de SLĀV

Publié le 27 juin 2018 | Temps de lecture : 5 minutes

L’opéra Nabucco de Verdi évoque l’esclavage du peuple juif à Babylone. À qui devrait-on confier les rôles dans toute production de cet opéra ?

À des chanteurs juifs, seuls autorisés à incarner le sort vécu par leurs ancêtres ? Ou à des chanteurs italiens puisque cette œuvre fait partie du patrimoine culturel italien ?

Doit-on permettre à l’Orchestre symphonique de Montréal de jouer du Beethoven alors que ni ses musiciens ni son chef ne sont allemands ?

N’importe qui peut jouer du Verdi ou du Beethoven puisqu’on considère que leurs œuvres font partie de ce que nous appelons la musique classique, c’est-à-dire du patrimoine musical occidental. Un patrimoine composé essentiellement par des Blancs européens et que des chanteurs et musiciens noirs peuvent interpréter sans qu’on les accuse d’appropriation culturelle.

En contrepartie, qu’en est-il de la musique des Noirs américains ?

La musique populaire occidentale ne serait pas grand-chose sans la créativité des Noirs américains. Du gospel au hip-hop en passant par le blues, le ragtime, le jazz et le rock’n roll, presque tous les styles musicaux américains ont été créés par des Noirs.

Doit-on réserver l’interprétation de toutes ces œuvres à des musiciens noirs des États-Unis, seuls autorisés à jouer ce patrimoine qui est le leur ?

Voilà les questions qu’on peut se poser en apprenant que la première du spectacle SLĀV : une odyssée théâtrale à travers les chants d’esclaves a été perturbée par des manifestants principalement anglophones, mobilisés sur les médias sociaux.

Ceux-ci accusent les créateurs de récupération culturelle, reprochent à la distribution d’être trop blanche (deux des six choristes sont noirs) et au TNM de marchandiser la violence faite aux esclaves noirs.

Majoritairement Blancs, les protestataires estiment qu’un tel sujet ne peut être abordé que par des descendants d’esclaves noirs.

Malheureusement, si cela devenait le cas, il est prévisible qu’on accuserait éventuellement les Blancs de se désintéresser de la cause des Noirs puisqu’ils n’en parleraient jamais.

En écrivant La Case de l’oncle Tom, la romancière féministe de race blanche Elizabeth-Harriet Beecher-Stowe a probablement plus contribué au mouvement antiesclavagiste que n’importe quel Noir américain.

Pourtant, sa maison d’édition était dirigée par des Blancs (comme l’est le TNM). La mise en page de son roman a été effectuée par des typographes blancs. Et grâce à ce roman, l’auteure est devenue riche et célèbre.

Ici même à Montréal, l’église unie Saint-Jacques le Majeur a été un haut-lieu de la prédication protestante hostile à l’esclavagisme. Une prédication entendue par un auditoire presque exclusivement blanc.

Si tous les Blancs qui ont pris fait et cause contre l’esclavagisme s’étaient mêlés de leurs affaires, les esclaves noirs auraient enduré le joug de leurs propriétaires quelques années de plus.

Le spectacle SLĀV vise à faire partager la souffrance de l’esclavage à l’aide de chants composés par ses victimes.

Si une troupe entièrement composée de descendants d’esclaves, dirigée par un metteur en scène québécois Noir, veut créer un spectacle analogue, libre à cette troupe de le faire. Qu’est-ce qui les en empêche ?

Indépendamment de l’idéologie dont ils se réclament, les protestataires sont des marionnettes de la droite américaine puisqu’ils dressent un écran de fumée qui nous fait perdre de vue que l’esclavagisme a été soutenu et financé par cette droite.

Une droite qui, de nos jours, aimerait qu’on en parle le moins possible. D’où l’idée de restreindre le nombre de ceux qui auraient le droit d’interpréter ces chants d’esclaves.

Alors que cette pratique avait été abandonnée presque partout ailleurs à travers le Monde, l’esclavagisme a été défendue bec et ongles par les possédants américains qui en justifiaient la nécessité économique. Ayant besoin d’une main d’œuvre à bon marché pour accumuler d’immenses fortunes, les riches propriétaires de plantations ont même financé une guerre civile destinée à préserver leurs privilèges.

Bref, l’esclavagisme pratiqué par les producteurs de coton est un pur produit de la rapacité du capitalisme américain. Cet esclavagisme a prospéré grâce à la complicité des pouvoirs politiques et judiciaires, de connivence avec les grandes fortunes du pays.

En voulant museler ceux qui condamnent l’exploitation de l’homme par l’homme, ces protestataires servent une cause méprisable.

Formés par un système éducatif qui fait l’apologie de l’Empire britannique et des colons racistes qu’il a essaimés, les promoteurs anglophones de cette protestation tentent de culpabiliser des artistes francophones qui prennent fait et cause pour une partie de ceux que cet empire a exploités.

Sous l’accusation hypocrite d’appropriation culturelle, la protestation contre SLĀV a pour effet d’étouffer la voix d’outre-tombe de ces esclaves noirs et vise à l’enfermer dans le carcan ethnique de leurs descendants, seuls autorisés à l’exprimer.

Références :
Des manifestants accusent le spectacle SLĀV de racisme
La Case de l’oncle Tom

Sur le même sujet :
‘Shame!’ ou l’expression du mépris (2018-07-06)
Appropriation culturelle et racisme anglo-saxon (2018-07-08)

Parus depuis :
«SLĀV» ou la liberté à pleins poumons (2018-06-28)
Vous avez dit «appropriation culturelle»? (2019-11-04)

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Écrit par Jean-Pierre Martel