Lorsque l’aviation canadienne bombarde n’importe quelle région du monde, elle le fait avec l’accord du pays concerné ou à la suite d’une résolution habilitante de l’ONU.
Cela s’appelle respecter le droit international.
Quand les Russes bombardent la Syrie, ils n’ont pas besoin d’une autorisation de l’ONU parce qu’ils ont déjà celle du gouvernement de la Syrie, soit celui de Bachar el-Assad.
Plus tôt cette semaine, le président américain Donald Trump a ordonné le bombardement de la base russe de Shayrat, située en Syrie.
Ce bombardement est la réponse américaine à une attaque chimique survenue deux jours plus tôt dans la ville syrienne de Khan Cheikhoun. Cette attaque chimique a provoqué la mort d’une centaine de civils et fait environ 500 blessés.
Dans cette région s’affrontent l’armée syrienne et les milices de deux organisations terroristes financées par l’Arabie saoudite : Ahrar al-Cham (accusé de crimes de guerre par Amnistie internationale) et Hayat Tahrir al-Cham (classé comme organisation terroriste par les États-Unis le mois dernier).
Le président américain s’est dit ému des images qui lui ont été présentées à ce sujet.
Dans le but évident de nous faire partager l’émotion présidentielle, les télévisions canadiennes nous ont présenté en boucle ces gros plans d’enfants suffoquant ou d’infirmiers essayant désespérément de sauver les personnes affectées par des gaz toxiques.
Selon Newsweek, l’armée américaine a tué mille civils en Irak et en Syrie durant le seul mois de mars 2017. C’est dix fois plus que l’attaque qui a suscité l’indignation de Trump. Or nos médias n’ont pas cru bon nous montrer les gros plans des gens tués ou agonisants sous les frappes américaines.
Il faut être très naïf pour croire que les États-Unis bombardent quoi que ce soit pour des raisons humanitaires.
C’est la paix, et non la guerre, qu’on fait pour le bien d’un peuple. Surtout quand il s’agit de gens qu’on ne veut surtout pas accueillir aux États-Unis.
Sans attendre que la responsabilité de l’aviation syrienne ait été prouvée et sans posséder de résolution habilitante de l’ONU, le président américain a ordonné le bombardement de cette base militaire deux jours plus tard.
Il s’agit de son premier Casus belli, commis moins de cent jours après son entrée en fonction.
Pour les chefs d’État occidentaux et les journalistes qui rapportent leurs propos, la culpabilité de Bachar el-Assad est évidente puisqu’il s’agit ici, croit-on, d’une récidive.
La ligne rouge
Le 20 aout 2012, l’ex-président Obama avait prévenu que l’utilisation d’armes chimiques dans le cadre du conflit syrien constituerait une ligne rouge à ne pas dépasser.
À plusieurs occasions, de telles armes ont été utilisées, causant un petit nombre de victimes.
Toutefois, le 21 aout 2013 — un an plus tard — un bombardement à l’arme chimique eut lieu dans l’oasis de la Ghouta, près de Damas. Ce bombardement fit entre 322 et 1 729 morts. De plus, 3 600 personnes furent atteintes de symptômes neurotoxiques.
À l’époque, ce crime de guerre provoqua une indignation planétaire.
Mais la Maison-Blanche invoqua l’insuffisance de preuve pour ne pas intervenir et sauva la face (plus ou moins) en acceptant l’engagement russe à procéder à la destruction de toutes les armes chimiques encore en possession du régime de Bachar el-Assad.
Quatre ans plus tard, cette nouvelle attaque chimique a provoqué de nombreux commentaires. Toutefois, j’ai été très surpris de lire celui d’un lecteur du Devoir affirmant que l’enquête de l’ONU au sujet du massacre de Ghouta avait innocenté le régime de Bachar el-Assad.
À la lecture du texte sur Wikipédia, on apprend effectivement que l’ONU a produit deux rapports à ce sujet.
Publié le 16 septembre 2013, le premier n’avança aucune responsabilité dans cette attaque puisque cela n’était pas son but.
En décembre 2013, le journaliste d’investigation Seymour Hersh révèle que le gouvernement américain, pour mieux soutenir les accusations contre le régime de Bachar el-Assad, aurait volontairement caché les informations selon lesquelles le groupe djihadiste Front al-Nosra (soutenu par l’Arabie saoudite) disposait de gaz sarin.
Publié en janvier 2014, le deuxième rapport de l’ONU en vint à la conclusion que le régime syrien ne pouvait pas être tenu responsable du massacre. En particulier l’analyse de l’impact au sol des ogives permettait de préciser que l’endroit d’où elles avaient été tirées ne pouvait provenir des positions occupées par le régime au moment de l’attaque.
Évidemment, ce rapport fut aussitôt critiqué par un grand nombre d’experts occidentaux et, à l’opposé, applaudis par ceux des pays alliés de Bachar el-Assad.
Si j’exclus tous les rapports d’organismes ou d’États qui avaient conclu à la culpabilité ou à l’innocence de Bachar el-Assad avant même d’entreprendre leurs travaux, le seul rapport crédible est celui de l’ONU.
Le scénario le plus plausible
En traçant sa ligne rouge, le président Obama commettait une imprudence.
Il suffisait à l’Arabie saoudite d’orchestrer une attaque chimique ayant l’air d’avoir été commise par le régime syrien pour forcer la main d’Obama et l’amener à déclarer la guerre contre Bachar el-Assad.
Cette stratégie ayant échoué, la dictature saoudienne a donc recommencé le même scénario moins de cent jours après l’arrivée au pouvoir de son successeur.
Et voilà ce pauvre Trump qui tombe dans le panneau.
La pire erreur que peut commettre un chef de guerre, c’est de révéler son talon d’Achille.
C’est ce qu’a fait Donald Trump en ordonnant le bombardement de la base russe de Shayrat.
Il aura suffi qu’on lui montre les gros plans de jeunes enfants suffoquant pour qu’il réagisse comme le taureau devant lequel le toréador agite sa muléta.
Mais il y a plus grave encore.
À en juger par la réaction contrariée des Russes aux frappes américaines, il est évident que Trump n’a pas demandé la permission aux Russes avant de bombarder une de leurs bases militaires en Syrie.
Imaginons que les Russes, prévenus de l’attaque, aient décidé de tester l’efficacité des missiles sol-air S-300 qu’ils ont déjà déployés en Syrie.
Si toutes les ogives américaines avaient atteint leur but quand même, cela aurait prouvé la supériorité de la technologie américaine.
Mais si ce coup de poker avait tourné au désastre, on ferait présentement la queue à Moscou pour acheter des armes russes.
Et puisque les missiles S-300 n’auraient causé aucune victime américaine mais n’auraient fait que bloquer des ogives ‘made in USA’ et humilier les États-Unis, Trump aurait été réduit à accuser Poutine d’hypocrisie sans avoir matière à déclarer une troisième guerre mondiale.
Ce qui, dans le cas de Trump, n’est peut-être que partie remise…
Références :
Armes chimiques pendant la guerre civile syrienne
Attaque chimique en Syrie : trop tôt pour tirer des conclusions, disent Moscou et Damas
Massacre de la Ghouta
Obama ne regrette pas l’épisode de la «ligne rouge»
Under Trump, U.S. military has allegedly killed over 1,000 civilians in Iraq, Syria in March
Whose sarin?
Paru simultanément :
Guerre en Syrie et lutte pour le pouvoir aux États-Unis
Parus depuis :
Saudi Arabia stroked Trump’s ego. Now he is doing their bidding with Qatar (2017-06-07)
Trump’s Red Line (2017-06-25)
Menaces de tirs américains en Syrie : « Ça peut déraper », estime un observateur (2018-04-11)