La montée en puissance de Recep-Tayyip Erdoğan a progressivement transformé ce chef d’État en menace à cause de ses politiques agressives :
• les persécutions contre les Kurdes de Turquie et de Syrie,
• la fourniture d’armes aux intégristes sunnites durant la guerre en Syrie,
• l’achat par la Turquie de matériel militaire russe (une première pour un pays membre de l’OTAN),
• le déplacement de milliers de mercenaires de la Syrie vers la Libye en contrepartie de droits d’exploration pétrolière dans les eaux territoriales libyennes.
Dans les pays qui ont développé de l’animosité à son égard, on juge approprié de critiquer publiquement ses décisions afin d’influencer son électorat et de compenser ainsi la mainmise totale d’Erdoğan sur les journaux de son pays.
Dans le cas de la transformation d’une ancienne basilique chrétienne en mosquée, la propagande anti-Erdoğan coïncide avec l’islamophobie qui prévaut en Occident depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Chez ceux craignent la religion musulmane, il est facile d’imaginer que l’islamisation de Sainte-Sophie fait partie d’un vaste complot qui vise à éradiquer le christianisme de la surface du globe et à y répandre ‘sournoisement’ la religion musulmane.
Le tollé provoqué par cette décision contribue à sa manière à préparer l’opinion publique occidentale à une guerre contre un autre pays musulman — peu importe lequel — lorsque nos dirigeants le jugeront approprié.
Rappel historique
Construite au IVe siècle, la basilique Sainte-Sophie de Constantinople fut la première basilique chrétienne.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, elle n’honore pas une sainte, mais à un attribut divin, soit la Sagesse de Dieu (en grec, sophia veut dire sagesse).
Agrandie au VIe siècle pour atteindre sa taille actuelle, elle devint mosquée en 1453 et le demeura pendant un demi-millénaire (jusqu’en 1934, alors qu’Atatürk en fit un musée).
Bien avant sa prise du pouvoir, Erdoğan projetait de redonner à Sainte-Sophie sa vocation liturgique musulmane. Ce qu’il a décrété il y a quelques jours.
Une tempête dans un verre d’eau
À l’instar de la nouvelle mosquée Sainte-Sophie, presque toutes les églises de Paris sont depuis longtemps à la fois des sites touristiques et des lieux de culte.
Avant l’incendie qui l’a ravagée, la cathédrale Notre-Dame de Paris était du nombre. Même durant les offices — célébrées dans le centre de la nef — les touristes déambulaient et photographiaient tout autour.
Contrairement à Notre-Dame de Paris, Sainte-Sophie sera accessible exclusivement aux fidèles le jour de la prière (si j’ai bien compris), et demeurera un lieu touristique les autres jours de la semaine.
Comme c’est le cas à la basilique Notre-Dame de Montréal.
Où est le problème ?
Un danger potentiel
Le seul péril qui guette la mosquée Sainte-Sophie, c’est que les autorités religieuses y détruisent les mosaïques qui remontent à l’époque byzantine.
En effet, l’islam interdit la représentation picturale de Dieu. Comme l’interdit également le judaïsme et (théoriquement) le christianisme.
Normalement, on devrait se contenter de recouvrir les mosaïques ‘offensantes’ d’un enduit comme on l’a fait lorsque la basilique orthodoxe est devenue mosquée la première fois en 1453.
Il serait très surprenant que les autorités ordonnent la destruction de ces mosaïques; ces œuvres d’art font partie des attraits touristiques de ce musée fréquenté par 3,8 millions de visiteurs par année.
Ceci étant dit, si la Turquie devait choisir de les détruire (ce qui est douteux), elle ne ferait que rejoindre la longue liste de pays qui saccagent de temps en temps leur patrimoine artistique.
Avec la diminution de la fréquentation aux offices religieux, des centaines d’églises en Occident ont été transformées en condominiums, en établissements commerciaux ou en édifices à plus grande valeur foncière (et donc qui génèrent plus de revenus de taxation pour les municipalités).
Ici même au Québec, depuis cinquante ans, combien d’églises et de maison de grande valeur patrimoniale ont elles été détruites ou laissées à l’abandon au point de devenir irrécupérables ?
Bref, qui sommes-nous pour faire la morale à la Turquie ?
Référence :
Erdogan rejette les critiques sur la transformation de Sainte-Sophie en mosquée
Post-Scriptum du 20 juillet 2020 : Les autorités turques annoncent que les icônes chrétiennes qui ornent l’intérieur de l’ancienne basilique byzantine seront simplement dissimulées le temps de la prière et demeureront bien visibles en dehors des prières.
Référence :
Turquie : visite symbolique d’Erdogan à Sainte-Sophie reconvertie en mosquée (2020-07-20)