La fabrication du consentement politique : un exemple américain

Publié le 27 janvier 2019 | Temps de lecture : 5 minutes

En 1980, l’Irak est dirigé par le président sunnite Saddam Hussein. Craignant que la Révolution en Iran (le pays voisin) incite la majorité chiite de son pays à se soulever contre lui, Saddam Hussein déclenche la guerre Iran-Irak.

Celle-ci s’est déroulée de 1980 à 1988 et s’est soldée par un nombre de morts estimé entre un demi-million et 1,2 million.

L’effort de guerre de l’Irak a été soutenu par l’Arabie saoudite par crainte d’une contagion révolutionnaire de sa propre minorité chiite. C’est ainsi que la dictature saoudienne a déboursé près de 25 milliards$ pour financer l’armée de Saddam Hussein entre 1980 et 1988.

Malgré le financement saoudien, l’Irak s’est retrouvé en très mauvaise situation financière à l’issue de cette guerre.

Pour renflouer ses coffres, l’Irak décida d’envahir et d’annexer le Koweït en 1990 et d’y déposséder sa richissime pétromonarchie.

L’Arabie saoudite, menacée cette fois par la cinquième plus forte armée du monde, appelle les États-Unis à l’aide.

Dans l’éventualité où les armées irakiennes poursuivraient leur route en se lançant à la conquête de l’Arabie saoudite, l’imprévisible Saddam Hussein constituerait une menace sérieuse pour la stabilité du Monde.

D’où la guerre du Golfe — celle du père Bush et non de G.W.— également financée par la dictature saoudienne.

Alors que les États-Unis déplacent une formidable armada vers le golfe persique, le public américain est déjà convaincu de la nécessité de guerroyer contre Saddam Hussein.

Mais ce consentement est rationnel. Pour convaincre des dizaines de milliers de jeunes Américains de risquer leur vie, il faut une noble cause à défendre.

La stabilité de l’approvisionnement en hydrocarbures des compagnies pétrolières n’est pas susceptible de rallier les jeunes écologistes américains à cette guerre. Il faut une cause qui touche le cœur.

C’est alors que se met en marche la fabrication du consentement politique américain.

En Californie, on tourne un court métrage montrant des soldats gravissant dans l’ombre les marches à l’entrée d’un édifice.

Plus tard, on dira que ces images ont été tournées lors de l’invasion du Koweït par l’Irak et qu’elles montrent très précisément l’entrée de soldats irakiens dans un hôpital pédiatrique koweïtien.

Parallèlement, dans les bureaux d’une firme de relations publiques de New York, une jeune femme pleure. Elle pleure en répétant le rôle d’une jeune infirmière venue visiter sa sœur hospitalisée et qui s’est retrouvée à assister malgré elle à un drame déchirant.

Sous ses propres yeux, des soldats de Saddam Hussein ont ordonné qu’un retire tous les prématurés de leurs incubateurs et qu’on les dépose sur le plancher froid de l’hôpital, condamnant ces pauvres chérubins à une mort certaine par hypothermie.

Juste à l’invocation de ce drame, le regard de la jeune femme se voilait de larmes.

Pendant ce temps à Washington, la Chambre des représentants convoquait une commission chargée d’examiner les motifs qui justifiraient l’intervention américaine au Koweït.

Lorsque la commission fut prête à entendre des témoignages, on fit en sorte qu’une jeune femme appelée Nayirah fut une des premières personnes entendues.

Fraichement descendue de l’avion, la jeune fille s’était précipitée aux pieds de la commission, mue par l’urgent besoin de témoigner de la cruauté de Saddam Hussein.

C’est alors qu’elle raconta qu’au Koweït, alors qu’elle était venue visiter sa sœur hospitalisée, elle s’était retrouvée à assister malgré elle à un drame…

Mais… n’est-ce pas ce qu’on disait plus tôt au sujet de la comédienne de New York ?

Eh oui. De plus, pour documenter son témoignage, on avait ce court métrage qui montre les soldats de Saddam Hussein pénétrant justement dans cet hôpital pédiatrique…

Répété en boucle par la télévision américaine, ce faux témoignage suffit à convaincre des milliers de jeunes Américains qu’ils avaient une occasion unique de participer à changer le cours de l’Histoire en délivrant le monde d’un dangereux tyran.

Plus tard, aucune enquête officielle ne fut entreprise lorsqu’on apprit que la jeune femme en question était la fille de l’ambassadeur du Koweït aux États-Unis et que la priorisation de son témoignage au Congrès avait nécessité la complicité de tout un réseau d’influences.

Références :
Affaire des couveuses au Koweït
Guerre Iran-Irak
Invasion du Koweït

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La fabrication du consentement politique : un exemple chinois

Publié le 26 janvier 2019 | Temps de lecture : 3 minutes
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À l’aéroport de Hong Kong — d’où j’allais partir pour Montréal — j’avais acheté un volumineux coffret consacré au cinéma chinois.

Ses soixante DVDs dataient des premières décennies qui ont suivi l’accession au pouvoir du Parti communiste chinois.

Très tôt, j’ai réalisé que cette somme était composée essentiellement de films de propagande; deux tiers de navets et quelques films plutôt intéressants, du moins pour un cinéphile sinophile.

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, pourquoi le cinéma japonais a-t-il produit ses plus grands chefs-d’œuvre alors que la Chine produisait presque exclusivement des films de propagande ?

La réponse est simple. En 1949, après l’accession au pouvoir de Mao Zedong, la priorité du cinéma chinois n’était pas de produire des œuvres d’art mais de contribuer à l’unité du pays, divisé par une guerre civile qui avait débuté en 1927.

Celle-ci s’était soldée par environ six-millions de morts, causées presque également par chacun des deux camps adverses.

On ne pouvait pas s’attendre à ce que les centaines de millions de survivants hostiles au communisme se rallient soudainement à la nécessité de rebâtir le pays sous la gouverne de leurs pires ennemis, contre lesquels ils étaient prêts à mourir voilà peu de temps.

Tout comme les plus grands artistes français se sont prêtés à la glorification du règne de Napoléon Bonaparte, les cinéastes chinois ont prêté leur talent à la glorification des héros de la Révolution chinoise… ou ont été forcés d’exercer un autre métier.

Parfois, il s’agissait de raconter une histoire édifiante. Comme celle de ce villageois qui a convaincu ses concitoyens de construire ensemble un système d’irrigation.

Le plus souvent, ces films dépeignent les combats livrés par les contrerévolutionnaires du Kuomintang, fourbes et cruels, contre les héros communistes qui s’illustrent par leur bravoure et leur dévouement au peuple.

Dans tous les cas, ces films sont tournés en décors naturels ce qui permet de voir l’état en ruine de l’habitat chinois dans les campagnes du pays (où vivait la grande majorité de la population).

Cette fabrication du consentement, destinée à rallier les anciens ennemis à leurs nouveau maitres, peut se faire de différentes manières.

Mais la manière douce, semblable à un lavage de cerveau, est la plus efficace.

De nos jours, des clips vidéos, vus en peu de temps par un grand nombre d’internautes, amènent ces derniers, comme des automates, à publier des milliers de messages haineux, à se déplacer afin d’insulter ceux qui s’apprêtent à voir un spectacle honni, ou à boycotter un produit parce que ses fabricants ont heurté la sensibilité des gens de notre époque.

Comme quoi la fabrication de la discorde, parfois orchestrée de l’Étranger, utilise les mêmes moyens que la fabrication du consentement.

Références :
Guerre civile chinoise
La propagande de « l’usine à trolls » russe

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Écrit par Jean-Pierre Martel