De la commission Bastarache à la prière au Conseil municipal de Saguenay

Publié le 31 mai 2013 | Temps de lecture : 4 minutes

Avec l’armée et les corps policiers, les tribunaux font partie des moyens répressifs de l’État. Toutefois, au lieu d’en faire de serviles valets d’un pouvoir totalitaire, il est coutumier dans nos démocraties de laisser une indépendance relative au pouvoir judiciaire.

Aux tribunaux de compétence provinciale, les avocats accèdent à la magistrature par décision du Conseil des ministres sur recommandation du ministre de la Justice. En général, les recommandations du ministre sont acceptées sans discussion.

Et les recommandations du ministre sont elles-mêmes faites à la suite d’un long processus qui vise à évaluer le dossier des avocats candidats selon leur expérience, les causes qu’ils ont plaidées et le respect acquis au sein de leur profession. La rigueur et le sérieux de ce processus garantissent l’excellence des candidats retenus et contribuent au prestige du pouvoir judiciaire.

Mais ce processus fut mis en veilleuse sous le gouvernement Charest.

La Commission Bastarache nous a appris qu’à cette époque, seuls les avocats dont le dossier transmis au Conseil des ministres portait un auto-collant jaune (en fait, un Post-it note) pouvaient espérer être nommés juges.

Or seuls les candidats qui avaient fait du bénévolat pour le Parti libéral, qui avaient contribué à la caisse électorale de ce parti ou qui étaient des parents de collecteurs de fonds du parti, bénéficiaient du précieux collant jaune apposé par Mme Chantal Landry (la Directrice-adjointe du cabinet de l’ex-Premier ministre Charest).

En somme, tous les candidats plus compétents étaient exclus — y compris ceux recommandés par le ministre de la Justice — s’ils ne faisaient pas partie de la bande libérale.

Dernièrement, la Cour d’appel du Québec a rendu jugement dans la célèbre cause relative à la prière récitée au début des réunions du Conseil de ville de la municipalité de Saguenay.

Cette décision a été rendue par les juges suivants :
•  Me Guy Gagnon, un avocat nommé juge à la Cour d’appel en 2009 par le gouvernement Charest
•  Me Allan R. Hilton, un avocat nommé lui aussi à la Cour d’appel en 2003 par le gouvernement Charest, et
•  Me Benoit Morin, un avocat qui, en dépit de ses allégeances politiques — il a été chef de cabinet du Premier ministre libéral Robert Bourassa — a été nommé à la Cour d’appel par le gouvernement péquiste de Bernard Landry en 2001, à une époque où l’allégeance politique n’était pas un critère absolu d’embauche ou d’exclusion.

Écoutons le juge Gagnon dans son jugement :

« la Croix et la statue du Sacré-Cœur sont, pour une partie importante de la population, dépouillés de leur connotation religieuse et (…) leur présence relève essentiellement d’un patrimoine culturel historique n’interférant nullement avec la neutralité de la Ville.» (paragraphe 125).

« la prière récitée par M. le maire et les deux signes religieux en cause, lorsque replacés dans leur contexte, ne démontrent pas que le conseil municipal (…) est sous l’influence d’une religion ou qu’il tente d’en imposer une. » (paragraphe 128).

« M. le maire (…) a réitéré devant le Tribunal (…) : Ce combat (juridique) là, je le fais parce que j’adore le Christ. (…) Quand je vais arriver de l’autre bord, je vais pouvoir être un peu orgueilleux. Je vais pouvoir lui dire : « Je me suis battu pour vous ».» (paragraphe 151).

En somme, les trois juges estiment que les représentants de l’État peuvent, dans l’exercice de leurs fonctions, s’adonner à une foi, sinon militante, du moins très démonstrative, sans compromettre le principe de la laïcité de l’État.

Je serais très surpris que la Cour suprême du Canada en vienne à la même conclusion.

Il est donc regrettable qu’on en soit rendu à compter sur des tribunaux fédéraux pour compenser pour la médiocrité d’une partie de la magistrature québécoise, souillée par presque dix ans de nominations où l’excellence était un critère secondaire d’embauche. On en voit aujourd’hui le résultat.

Références :
Jugement de la Cour d’appel du Québec
Le parti de l’exclusion


Post-Scriptum du 2015-04-15 : Tel qu’anticipé, dans une décision unanime, la Cour suprême du Canada a ordonné aujourd’hui que cesse la récitation de la prière avant les réunions du Conseil municipal de Saguenay. De plus, la ville est condamnée à payer 30 000$ en dommages aux plaignants.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La prière publique aux assemblées municipales

Publié le 22 février 2011 | Temps de lecture : 3 minutes

En 2004, la Commission des droits de la personne recommandait que le Conseil municipal de la ville de Laval cesse de réciter une prière publiquement à l’ouverture des séances du Conseil. Le maire de cette ville, M. Gilles Vaillancourt, refusant de se conformer à cette décision, porta l’affaire devant les tribunaux. Toutefois, l’interdit fut confirmé par le Tribunal des droits de la personne en septembre 2006 et la récitation de cette prière — une pratique vieille de 41 ans — fut donc abandonnée.

À l’époque, on estimait qu’environ le tiers des municipalités du Québec procédaient eux aussi à la prière publique en début de séance.

En décembre 2009, la Commission des droits de la personne prononçait une recommandation semblable à l’encontre de l’hôtel de ville de Trois-Rivières. Ici encore, la Commission se fondait sur le principe de la séparation entre l’Église et l’État ; dans l’exercice de ses fonctions, un représentant de l’État ne peut imposer à une personne qui ne partage pas ces croyances d’assister à un rituel de nature religieuse, quel qu’il soit.

Lundi le 14 février dernier, le Tribunal des droits de la personne ordonnait à la Ville de Saguenay de cesser de réciter la prière aux séances du conseil municipal et de retirer tous les symboles religieux des salles où se tiennent les assemblées publiques. De plus, la ville et son maire se voyaient condamner à payer une amende et des frais totalisant la somme de 33 500 $.

Après plusieurs condamnations, la jurisprudence est claire : la prière publique en début de réunion de Conseils municipaux est illégale. Tous les citoyens, croyants ou non, catholiques ou autres, sont égaux devant les administrations municipales. Les municipalités qui s’adonnent à la prière publique s’exposent donc à des poursuites et à des pénalités. Or tout cela est un gaspillage des fonds publics.

Avec toutes les allégations de corruption municipale qui circulent de ces temps-ci, il est évident que nos élus municipaux ont besoin des secours de la Sagesse Divine. Personne ne leur reprochera donc d’invoquer Dieu en privé puisque leurs prières publiques, en plus d’être illégales, donnent de si piètres résultats…

À tous les élus qui déchirent leurs vêtements et qui se frappent la poitrine en signe de désespoir face à cette jurisprudence, rappelons la Bible : « Malheur à vous, docteurs de la loi et Pharisiens, qui dévorez les maisons des veuves sous prétexte que vous faites de longues prières, c’est pour cela que vous recevrez une condamnation plus rigoureuse. »

Références :
Hôtel de Ville — Le crucifix restera à la salle du conseil
Le tiers des conseils municipaux récite la prière
Plus de prière au conseil municipal de Saguenay
Under Rumsfeld, Pentagon published Bible verses on top-secret intel reports

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Écrit par Jean-Pierre Martel