Est-il juste que les riches paient autant d’impôt ?

Publié le 4 avril 2012 | Temps de lecture : 3 minutes


 
Dans mon billet d’hier, je signalais que les contribuables qui gagnent plus de 100 000$ par année représentent seulement 4,1% des contribuables québécois, mais assument 37,2% des impôts. Est-ce injuste ?

Pour répondre à cette question, permettez-moi de laisser la parole à quelqu’un d’autre.

Lundi dernier, j’ai vu le documentaire République, un abécédaire populaire du cinéaste Hugo Latulippe. Ce long métrage est une suite de réflexions d’une trentaine d’intellectuels, principalement de gauche.

L’un d’entre eux est Alain Deneault. De toute évidence, cet auteur et philosophe est un redoutable polémiste. Pour ne rien vous cacher, j’ai éprouvé autant de plaisir à l’écouter qu’à suivre les émissions de l’historien Guillemin, il y a quelques décennies.

Écoutons-le répondre implicitement à cette question.

Quand on voit des chefs d’État qui trépignent devant les investisseurs internationaux pour avoir un petit pécule pour leur population, qu’est-ce qu’on comprend ? On comprend que dans l’ordre de la mondialisation, les chefs d’État ne sont plus que des courtiers vantant des avantages juridictionnels à des investisseurs devenus souverains.

Et qu’est-ce qu’ils font ? Ils disent : « Venez, venez, investir ici plutôt que chez mon voisin. Vous aurez quoi ? Vous aurez l’électricité gratuite. On va vous donner l’eau. Vous aurez une main d’œuvre à bon marché, formé, soigné et ainsi de suite, soutenue à tous égards. Vous aurez droit à un accès aux ressources gratuit. On va subventionner vos activités. Puis dans dix ou quinze ans, vous nous laisserez un paysage dévasté et lunaire : on fera semblant d’être surpris.» (…)

Un investisseur qui arrive au Québec, il a besoin des infrastructures pour se développer lui, à titre privé. Et le fisc, au fond, c’est ça, au-delà d’un mécanisme fort perfectible de redistribution de la richesse : (…) c’est la pointe de l’épine dans le gras du riche qui lui rappelle qu’il doit à l’organisation collective le fait de son enrichissement privé.

L’investisseur qui arrive à Montréal, il a à sa disposition deux aéroports, quatre universités, une population formée, un système routier qui fonctionne, un système de justice qui lui garantit le droit illimité à la propriété. Il a un système de police : une armée éventuellement. Il a à ses pieds toute une série d’institutions financées à même les deniers publics pour permettre son enrichissement privé.

Et le moment de l’impôt, ce devrait être le moment d’humilité où quelqu’un comprend que (…) on n’est jamais absolument seul responsable de sa richesse privée. Le même investisseur, mettez-le aujourd’hui à Port-au-Prince (en Haïti), il ne lui reste plus qu’à quémander. Il n’y a pas tous ces infrastructures pour permettre la transformation de ses investissements en ‘plus value’.

Donc, cela a un coût ça. Et si on avait vraiment — même d’un point de vue néolibéral — des économistes ou des gens qui prétendent connaître l’économie à la tête de l’État, ils diraient aux investisseurs : « Venir au Québec, cela a un coût ». Et si on était minimalement fiers, on ferait en sorte que ce coût soit honoré.

Paru depuis : Wealth tax on super-rich could raise £1.5tn globally, campaigners say (2023-08-19)

Détails techniques de la photo : 
Panasonic GH1, objectif Lumix 14-45mm — 1/60 sec. — F/3,7 — ISO 100 — 16 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Plan nord : redevances basées sur les profits ou sur la valeur brute ?

Publié le 28 mars 2012 | Temps de lecture : 8 minutes

Avant-propos : ce texte a été écrit le 28 mars 2012 mais a été retouché le 18 juin 2012.

 
À la suite de nombreuses critiques, le gouvernement québécois a relevé de 12% à 14% le taux de droits miniers en mars 2010. En janvier 2011, puis en janvier 2012, ce taux a été relevé encore d’un pour cent et atteint donc maintenant 16%.

Ces redevances sont basées sur les profits des compagnies minières. Elles correspondent à environ 2% de la valeur du minerai. Ce taux est un des plus faibles au pays.


Redevances perçues par province (en millions$)

  Production       Production    
  (2002-9) Perçu Taux   (2009-10) Perçu Taux
Nord canadien 13 970 538 3,8%   1 510 90 6.0%
Colombie-Brit. 39 500 1 674 4,2%   5 620 292 5,2%
Saskatchewan 33 380 4 312 12,9%   3 980 86 2,2%
Manitoba 11 800 510 4,3%   1 350 10 0,7%
Ontario 62 400 627 1,0%   6 270 25 0,4%
Québec 37 150 427 1,1%   5 630 114 2,0%
Nouv.-Brunswick 8 760 443 5,1%   1 100 44 4,0%


 
Ces données indiquent que la rentabilité apparente des minières québécoises est très faible. En 2010, la moitié des minières n’ont fait aucun profit. La moyenne de l’ensemble de l’industrie est d’un profit brut de 14%. Faites le calcul : 14% (de droit minier) sur 14% de profit donne 1,96% de redevance à payer.

Cela est incroyable. Dans un contexte de pénurie mondiale des métaux, comment les minières peuvent-elles se contenter de profits bruts de seulement 14% en moyenne, et d’aucun profit dans le cas de 10 des 19 companires minières québécoises ?

L’investissement dans le secteur minier est un investissement hautement spéculatif, soumis aux fluctuations changeantes de la valeur des métaux et qui nécessite une marge de profit importante lorsque la demande des métaux est plus forte que l’offre, comme c’est le cas actuellement sur les marchés mondiaux.

Alors pourquoi les minières québécoises font elles relativement si peu de profits bruts ? C’est que le régime fiscal du Québec incite les compagnies minières internationales à faire en sorte que leurs succursales québécoises soient le moins profitables possible.

Plus précisément, les minières québécoises ont intérêt à vendre leur minerai au prix coûtant à une succursale dont le siège social est situé dans un paradis fiscal afin de lui transférer leurs profits : ainsi, c’est cette succursale qui empoche les profits en revendant le minerai au prix du marché, beaucoup plus élevé. Le minerai lui-même n’a pas besoin de transiter par ce paradis fiscal; le transit de la propriété du minerai suffit. Dans les faits, ce dernier peut être expédié directement du Québec vers son lieu de raffinement.

Pour donner un exemple simple, imaginons qu’un produit se détaille 100$ mais qu’il ne coûte 25$ à produire. Vous pourriez le vendre 100$ et payer de l’impôt sur les 75$ de profit que vous réalisez. Ou bien, vous le vendez à un ami à votre prix coûtant (25$) et ne payer aucun impôt. Si cet ami habite dans un pays sans impôt, il vend le produit à 100$ (sa véritable valeur) et réalise donc, lui, le profit de 75$ exonéré d’impôt. Voilà le truc auquel le régime fiscal québécois incite les compagnies minières internationales à recourir afin d’éviter de payer de l’impôt au Québec.

Dans les faits, la stratégie des minières est beaucoup plus complexe. Si la succursale québécoise vendait son minerai directement à une société installée dans un paradis fiscal, le stratagème serait trop évident. On crée donc un intermédiaire installé dans un pays respectable qui, lui non plus, ne réalise aucun profit et qui sert de paravent à la compagnie qui empoche le gros lot.

Dans un contexte où le gouvernement Charest est accusé de corruption, son refus obstiné de fournir des détails sur les montants collectés auprès des minières, en particulier comment les secteurs de l’or, du fer, du cuivre, et du zinc — dont la profitabilité est inégale — paient de redevances, n’est pas de nature à dissiper les soupçons de connivance avec le stratagème que je viens d’expliquer.

De plus, l’argument à l’effet que si on augmente les droits miniers, on fait fuir l’industrie n’est valable que lorsque la demande de métaux est faible. Lorsqu’elle est forte, si une compagnie ferme ses portes parce qu’elle veut protester contre une augmentation des redevances, une autre compagnie la remplacera, attirée par la perspective de profit en dépit de cette augmentation.

L’État doit donc se comporter à l’égard du capitalisme international exactement comme ce dernier se comporterait à la place de l’État, c’est-à-dire de manière impitoyable.

Le défaut majeur des redevances basées sur les profits, c’est donc qu’il est très facile d’éviter de les payer.

Afin de pallier à la créativité visant à déjouer le fisc, il y a deux solutions : des redevances basées sur la valeur de la ressource ou des redevances-plancher.

Contrairement au Québec, des redevances-plancher s’appliquent en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve. Elles s’appliquent également en Australie, en Chine, en Inde et dans quelques États américains (le Michigan et l’Arizona). Elles n’empêchent pas le tour de passe-passe dont j’ai exposé le mécanisme, mais assurent l’État de redevances minimales.

Les redevances basées sur la valeur de la ressource ont aussi leurs échappatoires. Théoriquement, une compagnie pourrait vendre la ressource à perte. Dans les faits, une compagnie ne peut pas faire cela longtemps puisqu’elle serait acculée rapidement à la faillite.

De plus, le cours des matières premières est connu de tous. Si bien que toute fraude est évidente et sujette à des poursuites.

L’Australie impose une redevance de 8% sur la valeur du minerai extrait. À juste titre, le ministre des Finances du Québec rappelle que la mise en opération d’une mine dans le Nord québécois est plus coûteuse que dans ce pays.

Toutefois le Québec ne doit pas chercher à être l’endroit le moins cher au Monde; lorsque la demande des minerais est très importante — comme c’est le cas actuellement — on ne voit pas l’intérêt de s’aplatir devant les minières. La surenchère des États est à la hausse, et non à la baisse.

Les compagnies en mesure de faire des profits en dépit des redevances que nous jugerons raisonnables, sont les bienvenues. Quant à celles qui ne le sont pas, l’État n’a pas à transférer sur le dos des contribuables leur manque à gagner pour qu’elles le deviennent et favoriser ainsi le développement pour le développement.

De nos jours, le cours des matières premières est élevé principalement à cause de la demande gargantuesque de pays comme la Chine et l’Inde. Or, par rapport à ces pays, le Québec est à l’autre bout du Monde. Les mines nées pour répondre à cette demande ont donc une vulnérabilité que n’ont pas celles qui sont nées pour répondre aux besoins industriels de nos voisins (l’Ontario et les États-Unis); dès qu’une mine concurrente s’ouvrira plus près des marchés asiatiques, les mines québécoises nées pour répondre à leurs besoins cesseront d’être concurrentielles.

Un bon nombre de compagnies minières n’auront à peine quelques années pour rentabiliser leurs investissements. Le Québec n’a donc pas intérêt à attirer chez lui les canards boiteux qui ont besoin, pour être rentables, que les contribuables assument leurs frais d’implantation. Apparemment, le gouvernement actuel n’est pas de cet avis puisque selon le Ministre des finances, le régime actuel des redevances tient compte des coûts engagés par les entreprises, mais aussi de leur « capacité de payer ».

Selon l’économiste Jacques Fortin, en se basant sur le profit, l’État québécois se trouve à « subventionner le risque d’affaires d’entreprises milliardaires ». Au contraire, c’est par des redevances élevées que le Québec se dotera de la marge de manœuvre qu’il lui faudra lorsque les minières réclameront, à juste titre, une baisse de leur charge fiscale alors que les temps leur seront devenus moins favorables.

Dans certains pays, le gouvernement indique aux entreprises qui souhaitent ouvrir une mine qu’il entend conserver 20% de la propriété, et ce, sans avoir à payer. Le gouvernement actuel a préféré créer des sociétés d’État qui investiront de l’argent frais dans le capital action des minières, ce qui l’oblige à hausser le tarif de ses services (les frais de scolarité par exemple) afin de dégager les sommes nécessaires à cet investissement.

Références :
La bataille des redevances minières au Québec
Le Québec toujours au bas de l’échelle
Les redevances minières, un secret bien gardé
Mines: le modèle norvégien rapporterait 25 milliards au Québec
Québec : 304 M$ en redevances minières l’an dernier
Redevances minières – Le budget Bachand n’a pas convaincu les observateurs

Parus depuis :
Un siècle pour restaurer 700 sites miniers (2015-01-26)
Environnement: des centaines d’anciennes mines encore nocives au Québec (2019-05-11)

Sur le même sujet :
Baie-James vs Plan Nord
Le marketing improvisé du Plan nord
Le Plan Nord : l’œuf de Pâques de Monsieur Charest
Redevances et efficacité

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le marketing improvisé du Plan nord

Publié le 12 janvier 2012 | Temps de lecture : 6 minutes

Même dans les pays communistes où l’État contrôle à peu près tout, personne ne planifie l’économie au-delà de cinq ans. De la même manière, dans nos économies libérales, aucun dirigeant d’entreprise n’oserait essayer de prévoir les bénéfices de sa propre compagnie au-delà d’une année.

C’est donc au risque d’être la risée du monde occidental, que le gouvernement Charest fait la promotion ces temps-ci du Plan Nord, un plan vague de développement du Grand-nord québécois s’étendant sur une période de vingt-cinq ans.

L’idée est simple, presque simpliste. Devenue le centre manufacturier de la planète, la Chine possède actuellement un appétit gargantuesque pour ce qui lui est nécessaire soit l’énergie et les métaux. Or justement, le nord du territoire québécois renferme un grand nombre de richesses naturelles, plus précisément de très nombreux gisements miniers. Pourquoi ne pas sauter sur l’occasion pour développer le nord du Québec ?

Toutefois, une des règles du développement minier au Québec, c’est qu’une mine qui s’installe dans le Nord doit tout payer et plus particulièrement les routes pour s’y rendre. Mais voilà que l’exploitation de ces mines n’est pas rentable puisqu’elles sont trop éloignées.

Le gouvernement Charest a donc eu l’idée de transférer sur le dos des contribuables tous les frais qui empêchent ces mines de générer des profits afin que cette partie du territoire québécois devienne une fourmilière d’activité industrielle.

C’est ainsi que le gouvernement Charest est en discussion avec la multinationale Goldcorp afin de partager les frais de construction d’un tronçon de 60km qui relirait le site d’une nouvelle mine au réseau routier québécois.

Autre exemple : pour permettre à Stornoway Diamond d’accéder à des diamants dont la valeur brute est évaluée à 5,4 milliards$, il est nécessaire de prolonger la route 167 sur une distance de 240km. Normalement, cela coûterait 330 millions$ à l’entreprise. Mais grâce au Plan Nord, sa contribution est plafonnée à 4,4 millions$ par année pendant une décennie, ce qui ne couvre même pas les frais d’intérêt de l’emprunt : le reste (y tout dépassement de coût) sera assumé par les contribuables.

Le problème, c’est que les redevances que paient les industries minières — 360 millions$ pour une valeur extraite annuellement avoisinant les 8 milliards$ — sont à peine supérieures aux frais de restauration des sites que les minières abandonnent lorsqu’elles font faillite. Peu importe : le Plan nord prévoit que nous devrions payer en totalité ou en partie les routes, les lignes de chemin de fer, un port en eau profonde à Kuujjuarapik (sur les rives de la baie d’Hudson), la construction ou la mise à niveaux d’aéroports, et l’extension du réseau hydro-électrique afin de les desservir. Bref, il ne manque que le caviar et le champagne à volonté.

Uniquement d’ici 2016, Québec prévoit dépenser 1,2 milliard pour développer des infrastructures qui serviront d’abord aux entreprises qui souhaiteront y exploiter des ressources non renouvelables au bénéfice de leurs actionnaires. Rappelons que les richesses naturelles du Québec appartiennent aux Québécois et non à ceux qui obtiennent des concessions minières. Pourtant, dans l’esprit de ces derniers, il suffit d’obtenir le permis d’exploitation d’une mine pour devenir le propriétaire exclusif de tout ce qu’elle renferme.

De plus, les minéraux seraient exportés tels quels, sans transformation qui aurait pu en augmenter la valeur ajoutée au Québec. Forcer la transformation du minerai ici serait même néfaste pour le Québec, soutient sans sourciller le Ministre délégué aux Ressources naturelles. Par conséquent, le modèle de développement industriel proposé par le Parti libéral se confond avec celui qu’avait le Québec il y a soixante ans, sous la gouverne de Maurice Duplessis.

En contrepartie des sommes colossales qu’on transfèrera sur le dos des contribuables, le gouvernement Charest se refuse à exiger la transformation du minerai ici : ce serait du protectionnisme, souligne-t-il. Mais nous sommes assez stupides pour construire à nos frais un ou deux ports en eau profonde (et les centaines de km de routes qui y mèneront) afin de permettre l’exportation du minerai vers ses lieux de transformation. En d’autres mots, nous allons subventionner la création d’emplois de transformation quelque part ailleurs sur la planète.

En somme, on est sur le point d’ajouter des sommes pharaoniques à la dette publique québécoise (plus de 47 milliards$) sans avoir la moindre idée des retombées positives pour les contribuables.

Au cours d’une conférence de presse tenue dimanche dernier, le Premier ministre a affirmé qu’un emploi dans le nord du Québec en générait deux dans le sud. Vraiment ? Sur quoi se base-t-on pour affirmer cela ? Sur rien. Aurait-on reçu des études économiques qui le prouvent ? Pas du tout. Ce qui n’a pas empêché le Premier ministre de marteler cette affirmation comme s’il suffisait de répéter n’importe quoi pour que cela devienne un peu plus vrai à chaque fois qu’on le dit.

Références :
Baie-James vs Plan Nord
Charest veut redoubler d’efforts pour rallier les Québécois au Plan Nord
Forcer la transformation du minerai ici serait néfaste pour le Québec
Le Plan Nord : l’œuf de Pâques de Monsieur Charest
Le projet de l’année 2011 – Le Plan Nord
Plan Nord – Clément Gignac compare le Nord aux pays émergents
Plan Nord – Québec confirme des discussions avec Goldcorp pour la construction d’une route
Route 167 – Québec assumera seul tout dépassement de coûts
Québec s’apprête à dévoiler son plan Nord

Parus depuis :
Consternation à Matane
Les redevances minières, un secret bien gardé
Plan Nord – La vache à lait
Plan Nord – Québec renonce à la transformation du diamant
Une avocate à la fois émissaire de Québec et lobbyiste (2012-03-23)
240 kilomètres vers une mine fermée (2024-11-23)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Baie-James vs Plan Nord

Publié le 14 août 2011 | Temps de lecture : 9 minutes

Avant-propos : Ce texte est daté du 14 août 2011 mais sa dernière section (« Développer pour développer ? ») a été complètement réécrite le 16 février 2012 et retouchée légèrement le 1er mars suivant.

 
Pour imaginer le Plan Nord — un projet ambitieux de développement du grand nord québécois — quoi de plus naturel que de le comparer avec ce qui nous est déjà familier, soit la Baie-James.

Jusqu’à maintenant, l’industrialisation et le peuplement du Québec se sont concentrés dans la vallée du St-Laurent et, accessoirement, à proximité de voies navigables comme l’Outaouais et le Saguenay.

La Baie-James et le Plan Nord concernent la partie nordique du Québec. Dans le cas du Plan Nord, il concerne le territoire au nord du 49e parallèle, soit 72% de la superficie du Québec (soit deux fois la superficie de la France).

De plus, ils concernent des investissements publics de dizaines de milliards de dollars dans des lieux originellement habités par des peuples autochtones.

L’un et l’autre sont des projets conçus par des gouvernements libéraux ; la Baie-James par le gouvernement de Robert Bourassa et le Plan Nord, par celui de Jean Charest.

Là s’arrêtent les similitudes.

La Baie-James

Les investissements relatifs à la Baie James avaient pour but l’exploitation d’une ressource renouvelable au bénéfice d’Hydro-Québec, une société qui appartient à la nation québécoise.

Une partie de l’électricité produite qui est consommée au Québec, principalement par ceux qui habitent la vallée du St-Laurent. Le reste est exportée aux États-Unis : les profits générés servent à alléger le fardeau fiscal des contribuables québécois. Sans ces profits, nous paierions encore d’avantage pour notre filet de sécurité sociale.

De plus, cette électricité relativement bon marché sert à attirer chez nous des entreprises énergivores comme des alumineries.

Le Plan Nord

Le Plan Nord prévoit des dizaines de milliards d’investissements publics au profit de compagnies minières multinationales afin d’extraire une ressource non-renouvelable.

De nos jours, la mise en service de nouvelles mines vise principalement à satisfaire les besoins gargantuesques de la Chine en matières premières.

Dans le territoire visé par le Plan Nord, on trouve d’importants gisements d’or, de diamant, d’uranium, de zinc et de cuivre à l’est. La partie nord est riche en nickel et en cuivre. À l’ouest, on retrouve des gisements de fer, de zinc, de nickel et de cuivre.

L’extraction de ces minéraux génèrera des revenus de centaines de milliards de dollars. Où ira cet argent ? En gros, à l’automatisation de la mine — en d’autres mots, à l’importation d’une machinerie lourde sophistiquée et à l’installation des logiciels spécialisés déjà en service à d’autres mines de la compagnie — aux salaires versés aux travailleurs, à l’acheminement du minerai vers les marchés et finalement, aux profits versés aux actionnaires étrangers.

En se basant sur les documents officiels, l’État dépenserait 47 milliards en provenance d’Hydro-Québec : une autre tranche de 33 milliards doit être investie dans le développement minier et les infrastructures publiques (aéroports, routes, écoles, hôpitaux, etc.). La partie payée par les entreprises se situerait entre 30 et 50%, mais rien n’a encore été précisé, nous dit-on.

Toutefois, on apprenait récemment que pour permettre à Stornoway Diamond d’accéder à des diamants dont la valeur brute est évaluée à 5,4 milliards$, il est nécessaire de prolonger la route 167 sur une distance de 240km. Normalement, cela coûterait 330 millions$ à l’entreprise. Mais grâce au Plan Nord, sa contribution est plafonnée à 4,4 millions$ par année pendant une décennie, ce qui ne couvre même pas les frais d’intérêt de l’emprunt : le reste (y compris tout dépassement de coût) sera assumé par les contribuables.

En contrepartie, nous récolterons l’impôt prélevé auprès des travailleurs non-autochtones, les impôts sur les profits réalisés par les fournisseurs de services (lignes aériennes locales, grossistes, compagnies de transport, etc.) et les redevances insignifiantes payés par les minières. En somme, selon une étude du service économique de Desjardins rendue publique plus tôt ce mois-ci, le gouvernement espère engranger 14,3 milliards en retombées fiscales sur 25 ans.

En notre nom, l’État investira 60 à 80 milliards de dollars qui en rapporteront 14 milliards. Le Plan Nord porte donc à un niveau inégalé le pillage du Trésor public au bénéfice d’intérêts privés.

Le volet environnemental du Plan Nord

Vendredi dernier, le ministre de l’Environnement annonçait que 50% du territoire visé par le Plan Nord serait protégé dans 25 ans du développement industriel.

Le ministère entend faire passer les aires protégées de 12% actuellement à 17% en l’an 2020. Il s’agit d’une extrapolation puisque cet accroissement est semblable au rythme qu’a connu le Québec au cours de la dernière décennie.

De plus, il annonce qu’un comité sera mis sur pied pour conseiller le gouvernement sur le choix des aires à protéger. Par cette annonce, le ministre révèle involontairement l’amateurisme et l’improvisation du gouvernement libéral dans ce dossier.

En effet, on aurait pu s’attendre à ce que ce ministère — en consultation avec les peuples qui habitent ce territoire — ait d’abord déterminé les critères de protection, puis ait ratissé cette partie du Québec afin de connaître la proportion qui répond aux critères.

Au lieu de cela, le ministre annonce 50% sans savoir pourquoi. Le comité devra donc trouver du terrain afin de justifier a posteriori les chiffres du ministre.

Bref, c’est pas fort.

Développer pour développer ?

L’exploitation minière est le contraire du développement durable : elle consiste à creuser le sol, à y extraire du minerai et à abandonner le tout à l’extinction du filon ou lorsque la mine cesse d’être rentable.

À long terme, la principale menace à la rentabilité des mines du Plan Nord, c’est la découverte de nouvelles mines situées plus près des marchés d’exportation. En effet, dès qu’on découvrira du minerai en Mongolie, en Sibérie ou dans n’importe quelle partie d’Extrême-Orient, les mines québécoises nées pour répondre aux besoins de la Chine et de l’Inde deviendront non-rentables.

Sur les 25 ans du Plan Nord, la seule certitude que nous ayons est que le coût du mazout deviendra de plus en plus onéreux rendant le transport maritime du minerai prohibitif sur de très longues distances : or, par rapport à la Chine ou l’Inde, le Québec, c’est l’autre bout du Monde. Les mines nées du Plan Nord ont donc une vulnérabilité que n’avaient pas celles qui sont nées pour répondre aux besoins industriels de nos voisins (l’Ontario et les États-Unis).

Les compagnies minières auront à peine quelques années pour rentabiliser leurs investissements. Pour elles, il ne s’agit pas d’un défi insurmontable puisqu’elles empochent la presque totalité des centaines de milliards de dollars de la valeur de la ressource.

Mais pour nous — les contribuables de la vallée du Saint-Laurent qui auront déboursé des dizaines de milliards$ pour construire des routes, des voies ferrées, des écoles, des hôpitaux, des réseaux de distribution d’eau potable, des égouts, des aéroports, des installations portuaires — nous serons pris à payer la facture bien après la fermeture de la mine puisque les redevances payés par la compagnie durant ses quelques années d’opération couvriront à peine les coûts reliés à la décontamination du site après le départ de l’entreprise.

Au lieu que les deniers publics servent à développer des industries de pointe comme le multimédia, l’aéronautique ou la biotechnologie, on va dépenser entre 60 et 80 milliards de dollars — environ 10,000$ par Québécois, homme, femme et enfant — pour favoriser un boom minier éphémère, pour alourdir considérablement la dette publique québécoise, pour subir une décote prévisible des agences de notation et pour enfoncer le Québec dans une pauvreté durable qui nous laissera à la merci des coupures de péréquation du gouvernement fédéral canadien.

Bref, le Plan Nord, c’est la ruine du Québec.

Références :
Côte-Nord : une étude de Desjardins met en doute les retombées du Plan Nord
Droit et développement – De longues négociations débutent
Jean Charest défend le Plan Nord et les redevances
Le Plan Nord : l’œuf de Pâques de Monsieur Charest
Plan nord : redevances basées sur les profits ou sur la valeur brute ?

Parus depuis la publication du présent billet :
Analyse de l’IRIS – Le Plan Nord ne serait pas rentable pour Québec
Consternation à Matane
Le Plan Nord loin de l’eldorado
Les redevances minières, un secret bien gardé
Perspectives – Plan Nord conjoncturel
Plan Nord – La vache à lait
Plan Nord – Québec étudie des projets de ports en eaux profondes
Plan Nord – Québec mettra 25 ans pour protéger 50 % du territoire
Plan Nord – Québec renonce à la transformation du diamant
Route 167 – Québec assumera seul tout dépassement de coûts
Une avocate à la fois émissaire de Québec et lobbyiste
Une ligne ferroviaire pourrait traverser le Nord

Paru depuis : 240 kilomètres vers une mine fermée (2024-11-23)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le Plan Nord : l’œuf de Pâques de Monsieur Charest

Publié le 14 mai 2011 | Temps de lecture : 6 minutes

Après une première annonce en 2008 (accueillie dans l’indifférence et sombrée dans l’oubli depuis), le Plan Nord était annoncé de nouveau lundi dernier par le Premier ministre du Québec.

Comme ces histoires de pèche qui deviennent de plus en plus extraordinaires d’une fois à l’autre, on a jouté des zéros aux montants et le texte s’est garni de quelques superlatifs.

On sait qu’il ne peut y avoir de développement d’un territoire occupé par un des peuples du Québec sans le consentement de celui-ci. Le mérite du Plan Nord, c’est d’avoir recueilli l’assentiment d’une bonne partie des peuples autochtones en faveur d’un cadre vague de développement industriel.

Vague parce que, à y regarder de près, ce Plan Nord a tout sauf de la substance.

Il part de prémices simples. Le territoire au nord du 49e parallèle représente 72% de la superficie du Québec. Or il est inexploité. Évidemment, les autochtones y pratiquent la chasse et la pêche depuis longtemps mais il est inexploité au sens qu’il ne bénéficie pas des lumières civilisatrices de l’industrie minière.

Ce territoire dispose d’une des plus importantes réserves d’eau douce au monde (3% des réserves mondiales) composée de près de 500 000 lacs et de milliers de rivières que nous, Blancs du sud, n’avons pas encore pollués.

Cet immense territoire comprend plus de 200 000 km² de forêts commerciales, ce qui représente plus de 53 % des forêts exploitables de la province. Après avoir dévasté les forêts publiques du Québec — comme le documentaire « L’erreur boréale » en fait la démonstration éloquente — l’industrie forestière pourrait ainsi transformer en papier les tonnes de lichen qui recouvre la toundra québécoise et y faire disparaitre les derniers chicots d’arbres qui défigurent le paysage désertique du Nouveau-Québec.

Le document du gouvernement québécois déclare : « Il renferme des ressources fauniques exceptionnelles et constitue un des derniers potentiels de conservation de vastes territoires naturels intacts au monde. » Mais, entre nous, si ces vastes territoires naturels sont encore intacts, c’est précisément parce que le Plan Nord n’a pas été adopté plus tôt, n’est-ce pas ?

Jusqu’à maintenant, lorsqu’une compagnie voulait exploiter une nouvelle mine, elle devait assumer totalement le coût de la création des routes destinées à relier cette mine au reste du réseau routier québécois.

Or plus on s’éloigne des grands centres, plus on augmente le coût de construction des routes. De plus, le réchauffement climatique occasionne la fonte du pergélisol, ce qui crée des défis nouveaux aux ingénieurs des compagnies minières. Bref, on réduit d’autant la rentabilité des investissements des compagnies.

Le Plan Nord précise : « Le nouveau modèle d’affaires développé pour les projets du Plan Nord vient changer à coup sûr la façon dont le Québec financera les infrastructures et les services publics. À partir d’aujourd’hui, les coûts d’implantation et d’entretien des infrastructures seront partagés, tout au long de leur vie utile, par les entreprises, les communautés concernées, le gouvernement du Québec et les autres utilisateurs. »

En d’autres mots, on transférera aux contribuables le coût des routes, en retour de quoi l’État bénéficiera de redevances parmi les plus faibles au monde. Il n’en fallait pas plus pour susciter l’intérêt des investisseurs pour ce projet.

Or cela tombe bien pour eux. La croissance industrielle de la Chine et son appétit pour les matières premières fait en sorte que leur prix augmente, ce qui rend rentable des projets qui ne l’étaient pas autrefois. Le Québec pourrait donc profiter de cette manne.

Le problème, c’est que le Plan Nord s’étend sur 25 ans. Or le Premier ministre prédit 80 milliards d’investissements (privés ? publics ?) répartis sur un quart de siècle alors que sa boule de cristal ne lui révèle pas ce que tout le monde sait, c’est-à-dire qu’il ne sera plus à la tête de l’État québécois dans deux ans.

La seule certitude absolue que nous ayons, c’est que le coût du pétrole augmentera à l’avenir alors que rien ne permet d’affirmer que le coût des matières premières augmentera ou même se maintiendra aux niveaux élevés actuels.

Au contraire, ce n’est qu’une question de temps pour qu’on découvre la même chose en Sibérie ou dans les pays voisins de la Chine. Entre-temps, le coût du transport de minerai québécois vers l’Asie (même en empruntant l’Arctique plutôt que le canal de Panama) deviendra de plus en plus onéreux. On peut donc prédire avec certitude qu’une bonne partie des mines nées du Plan Nord deviendront non rentables peu d’années après leur mise en opération et fermeront leurs portes, victimes de la concurrence asiatique.

Dans ces villes minières, lorsque le principal employeur cessera ses opérations, la ville toute entière deviendra une ville-fantôme. Payés par nos taxes, les routes, les écoles, les hôpitaux, les systèmes de collecte des ordures, et les égouts deviendront inutiles. Or la courte durabilité des investissements publics ne semble pas avoir été prise en considération dans le document gouvernemental.

En somme, le Plan Nord est comme un œuf de Pâques russe dont la coquille, richement décorée, cache le vide qu’il contient. Il révèle l’avenir que le Parti libéral nous réserve : un peuple de mineurs dont les salaires devront être compétitifs avec ceux versés aux mineurs chinois. Wow !

Référence : Plan Nord

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Écrit par Jean-Pierre Martel