Pipelines : le sénateur Boisvenu a raison

Publié le 9 décembre 2016 | Temps de lecture : 4 minutes

Plus tôt cette semaine, en présentant le rapport du comité sénatorial au sujet de l’infrastructure de transport du pétrole brut au Canada, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu a blâmé les Québécois pour leur réaction émotive et irrationnelle face au passage du pipeline Énergie-Est.

Pourquoi réagissons-nous ainsi ?

L’enfant qui se met à pleurer lorsqu’il perd de vue sa mère, l’adulte dont le pouls s’accélère face au danger, répondent de la même manière face à l’inquiétude.

Tout être humain réagit viscéralement lorsqu’il est inquiet ou pire, lorsqu’il se sent menacé.

Dans le domaine du transport des matières dangereuses, si le gouvernement fédéral s’acquittait de son devoir de nous protéger, nous dormirions sur nos deux oreilles. C’est ce que nous avons fait pendant des décennies.

Mais le néolibéralisme promu par les gouvernements fédéraux (autant conservateurs que libéraux) fait en sorte qu’Ottawa préfère économiser en ne faisant rien pour nous protéger; il remet notre sécurité entre les mains d’aventuriers déterminés à maximiser leurs profits même si cela signifie la mise en péril de nos vies.

Ce que la catastrophe de Lac-Mégantic nous a appris, c’est que le fédéral se fie aveuglément à l’autodiscipline de l’entreprise privée. Plus aucune inspection et aucune vérification. Sauf à la suite d’un incident.

De plus, quand 47 personnes meurent brulées vives, quand une catastrophe environnementale de 1,5 milliard$ se produit, le fédéral ne paie que 50% des couts.

Ce qui veut dire que le fédéral économise des millions en salaires de fonctionnaires et quand cela tourne mal, nous devons non seulement enterrer nos morts, mais payer 62% de la facture (50% refilé à Québec et 12% de notre part de la moitié fédérale).

Notre réaction ‘émotive’ est la conséquence d’un gouvernement qui a le devoir de nous protéger et qui a démissionné de ses responsabilités.

Or le sénateur Boisvenu porte une lourde responsabilité à ce sujet.

En effet, celui-ci est membre du Comité sénatorial permanent des Transports et des Communications. À ce titre, il a adopté article par article, l’encadrement législatif du transport ferroviaire au pays. De plus, en tant qu’homme politique, il a défendu bec et ongles les politiques de dérèglementation du gouvernement Harper, politiques responsables au second degré de la tragédie de Lac-Mégantic.

Si le gouvernement fédéral ne se donne pas la peine d’inspecter du matériel roulant, peut-on imaginer qu’il va déterrer des pipelines pour les voir ?

Comment sera-t-il informé des fuites ? Par ce que voudront bien lui révéler les pétrolières. Et si des fuites discrètes contaminent nos nappes phréatiques, quand le saurons-nous ? Des décennies après que ces fuites auront commencé à migrer vers nos sources d’eau potable.

Et qui paiera pour l’augmentation des cancers causés par la présence de traces de substances toxiques dans l’eau du robinet ? Jusqu’à la fin des temps, qui paiera pour la fourniture d’eau embouteillée à des populations dont l’eau sera devenue impropre à la consommation ?

Le gouvernement conservateur (soutenu par le sénateur Boisvenu) n’a pas cessé de s’attaquer au financement des groupes écologistes. Quel groupe organisé sera en mesure de nous alerter des lacunes des politiques du gouvernement fédéral ?

Quand le gouvernement modifie la loi de manière à ce que toute obstruction citoyenne à la construction d’un pipeline réponde à la définition d’un acte terroriste, n’est-ce pas de nature à nous convaincre du biais de l’État à l’égard des pétrolières.

Commettre un méfait est déjà illégal : pourquoi les pétrolières auraient-elles besoin de la protection des services de renseignements antiterroristes ?

Bref, le sénateur Boisvenu a entièrement raison de critiquer les Québécois pour notre réaction émotive au sujet des pipelines. Mais si nous réagissons ainsi, à qui la faute ?

Références :
Lac-Mégantic : le silence étrange du sénateur Boisvenu
Pipelines — Le Sénat juge que les citoyens sont trop émotifs

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’option alternative d’un pipeline court

Publié le 7 novembre 2015 | Temps de lecture : 6 minutes
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Introduction

‘Énergie Est’ est le nom d’un projet de la compagnie TransCanada visant à construire un pipeline de 4 600 km destiné à transporter quotidiennement 1,1 million de barils de pétrole brut de sites d’extractions situés dans l’Ouest canadien vers un port en eau profonde à construire au Nouveau-Brunswick.

Au cours des dernières décennies, on a beaucoup fermé de raffineries dans l’Est du pays. Conséquemment, cet approvisionnement dépassera de beaucoup la capacité de raffinage au Canada. Une bonne partie du pétrole brut sera donc exporté vers des raffineries américaines et étrangères, créant principalement des emplois à l’Étranger.

Les richesses naturelles enfouies dans le sol du pays étant la propriété du peuple canadien, les pétrolières se voient donc offrir gratuitement cette richesse en contrepartie d’obligations qui — malgré leur importance sur papier — sont une bagatelle en comparaison avec les revenus immenses que se partageront leurs actionnaires une fois le pipeline construit.

Privatiser la richesse, étatiser le risque

En vertu de la Constitution canadienne-anglaise de 1982, le transport interprovincial de marchandise est un domaine de compétence constitutionnelle exclusif du fédéral.

Autrefois, le gouvernement fédéral assumait totalement les conséquences financières des lacunes de sa gestion du risque dans les domaines exclusifs de sa compétence.

Depuis la catastrophe de Lac-Mégantic — la pire catastrophe environnementale de l’histoire du Canada — ce n’est plus vrai; Ottawa ne paie que la moitié de la facture, refilant le reste à la province et aux municipalités affectées.

Puisque le tracé d’Énergie Est (en bleu sur la carte ci-dessus) traverse les trois quarts du Canada, il apparait donc insensé qu’on expose la grande majorité de la population canadienne au risque inévitable d’une autre catastrophe environnementale, sachant que dans l’éventualité de celle-ci, TransCanada filera à l’anglaise (comme l’a fait la MMA à Lac-Mégantic), laissant les Canadiens pleurer leurs morts et payer la facture.

Si on prend pour acquis que l’exploitation et l’acheminement du pétrole albertain est une bonne chose (un prérequis à la discussion auquel de nombreux lecteurs seront en désaccord), j’aimerais proposer une alternative au tracé d’Énergie Est.

Le tracé court : avantages et inconvénients

Ma suggestion est simple : obliger le raffinement du pétrole sur place, en Alberta, et l’acheminer à un port en eau profonde situé dans la baie d’Hudson. De là, le pétrole raffiné serait expédié par bateau aux lieux de sa consommation à travers le monde. C’est le tracé en vert sur la carte ci-dessus.

Pour l’Alberta, cette suggestion permettrait de relancer leur industrie pétrolière, durement touchée par l’effondrement des prix des hydrocarbures, en y augmentant la valeur ajoutée du pétrole, plutôt que d’exporter cette ressource brute à l’Étranger.

Pour les populations du Manitoba, de l’Ontario, et du Québec, on les libère du risque d’une catastrophe.

Les habitants du Nouveau-Brunswick ne perdent rien de ce qu’ils ont déjà. Toutefois, ils sont privés de la création d’emplois reliés à la construction prévue d’un terminal pétrolier et à l’accroissement de la capacité de raffinement dans leur province.

Au premier abord, les peuples autochtones de la baie d’Hudson sont les grands perdants puisqu’on transfère sur leur dos un risque environnemental qu’on soulage ailleurs.

Or leur acceptation au projet du pipeline court est, à mon avis, une condition sine qua non à sa réalisation.

Voilà pourquoi je propose que les peuples autochtones aient priorité à l’embauche et qu’au minimum 80% des emplois leur soient accordés.

D’autre part, la législation québécoise prévoit que dans le cas d’infrastructures (autoroutes, écoles, hôpitaux, etc.), un pour cent du budget soit consacré à la création d’oeuvres artistiques.

Le Grand-Nord canadien a une économie de subsistance et les peuples qui l’habitent sont aux prises avec des problèmes sociaux importants (alcoolisme, abus de drogue, violence conjugale, etc.).

Un pour cent du budget de l’ensemble de ce projet devrait être consacré à la réalisation des priorités sociales et culturelles déterminées par les leaders autochtones.

Énergie Est représente un projet de douze milliards de dollars. Un fonds d’indemnisation d’un milliard de dollars devrait être créé et géré indépendamment du transporteur pétrolier.

Ce fonds serait destiné à dédommager sur-le-champ les victimes de toute catastrophe environnementale qui pourrait résulter de ce projet, sans qu’ils aient besoin de s’adresser aux tribunaux.

Conclusion

La construction d’un pipeline qui expose les deux tiers de la population canadienne au risque d’une défaillance mécanique inévitable est une folie.

Toutefois, c’est la solution la plus économique et il a fallu un gouvernement totalement inféodé à l’industrie pétrolière pour souscrire aveuglément à ce projet.

Le régime Harper était un gouvernement qui jugeait le peuple canadien stupide. Conséquemment, seul un choix simple, binaire, lui était proposé; pour ou contre le projet Énergie Est. En somme, seul le choix maximisant les profits de l’industrie était promu par ce gouvernement.

Je suis convaincu de ne pas être le premier à penser à la solution d’un pipeline court, tellement ses avantages sont évidents. Mais sous ce gouvernement autoritaire, hostile à toute contradiction de la part de ses fonctionnaires, il ne semble pas qu’on ait jugé bon proposer une solution autre que celle décidée d’avance par le bureau du premier ministre.

Maintenant que nous avons un nouveau gouvernement à Ottawa, le temps est venu d’inscrire la politique énergétique canadienne dans le contexte d’une stratégie globale de développement économique du pays.

Le projet que je propose comporte d’autres risques, mais qui affectent beaucoup moins de Canadiens. Voilà pourquoi l’alternative d’un pipeline court devrait être envisagée. Et le choix à faire à ce sujet devrait placer l’intérêt du pays au-dessus de l’intérêt privé des pétrolières et de leurs actionnaires.

Référence : Oléoduc Énergie Est

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Écrit par Jean-Pierre Martel