La vie nocturne de Montréal et le cas d’un cabaret de quartier

Publié le 29 septembre 2024 | Temps de lecture : 6 minutes
Manisfestion d’appui au cabaret La Tulipe

De la salle de cinéma muet au cabaret bruyant

Au début du XXe siècle, Montréal était connue comme le ‘Paris’ de l’Amérique du Nord.

Le vendredi soir, de riches Américains louaient des cabines dans le train de nuit qui reliait New York à Montréal afin de fêter le lendemain soir dans les clubs de jazz du quartier de la Petite Bourgogne, où l’alcool coulait à flots.

Rappelons qu’au sud de la frontière, la prohibition régnait aux États-Unis.

Pendant ce temps, les familles qui fuyaient la misère des campagnes québécoises s’entassaient dans les logements insalubres de l’Est de la ville. Montréal possédait alors un des taux de tuberculose les plus élevés en Amérique du Nord.

Face à ce paupérisme, les quelques entrepreneurs qui ouvraient des salles de spectacle dédiées aux ouvriers étaient presque perçus comme des bienfaiteurs en permettant à ces derniers, le temps d’un divertissement, d’oublier leur condition sociale.

Quand le Théâtre Dominion, financé par la Confederation Amusement Ltd, ouvre ses portes en 1913, c’est d’abord une salle de cinéma muet où les projections, entrecoupées d’entractes musicaux, sont accompagnées au piano.

Il en sera ainsi pendant seize ans, jusqu’à l’arrivée du cinéma parlant.

Si cette salle était demeurée un cinéma de quartier, cela ne créerait pas de problème de voisinage puisqu’il n’est pas rentable de programmer, dans les milieux ouvriers, des films qui débutent très tard en soirée.

C’est ainsi que de nos jours, le denier film projeté au Cinéma Beaubien débute à 21h30 pour se terminer vers 23h.

Le problème du théâtre Dominion, c’est qu’il est devenu le seul ‘cabaret de quartier’ de Montréal alors que tous les autres étaient situés au centre-ville.

L’âge d’or de la vie nocturne montréalaise

Dans les années 1940 à 1960, Montréal devint la Mecque du divertissement au Canada; c’est à cette époque qu’on vit se multiplier les spectacles offerts tous les soirs, au bénéfice principalement de touristes.

En 1944, c’est dans la métropole que s’établit l’effeuilleuse Lily Saint-Cyr, pourtant Américaine de naissance. En 1951, Alain Bernardin fonde le Crazy Horse Saloon de Paris après avoir vu son spectacle à Montréal.

À cette époque, le règlement municipal concernant le tapage nocturne visait plus des fêtards au sortir des tavernes que les établissements de spectacle. Et ce, pour deux raisons.

Premièrement parce que les cabarets étaient situés au centre-ville. Et deuxièmement parce que personne n’osait se plaindre d’eux puisqu’ils appartenaient à la pègre.

Le règlement anti-bruit du Plateau Mont-Royal

Un règlement bien écrit est un règlement facile d’application.

L’article 9 du règlement anti-bruit de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal interdit tout bruit perceptible hors d’un appartement ou d’un établissement commercial.

Lorsqu’un citoyen se plaint du bruit fait par un voisin, la police n’a même pas besoin d’entrer chez ce voisin; il lui suffit d’aller chez le plaignant, d’y entendre le bruit en question et de glisser la contravention sous la porte du voisin tapageur.

Depuis des années, l’arrondissement du Plateau Mont-Royal a refusé de sévir à l’égard des boites de nuit, des bars, des restaurants, des théâtres bruyants du quartier, se contentant d’empocher l’argent des contraventions. Pour la ville, le tapage nocturne était une source intéressante de revenus.

Pour les plaignants, la seule manière de forcer la ville à régler le problème était de la poursuivre devant les tribunaux.

En raison de l’inaccessibilité économique des tribunaux, les familles du plateau rongeaient leur frein. Jusqu’au jour où un citoyen fortuné décida de s’adresser aux tribunaux afin d’obtenir justice.

Officiellement, cette cause opposa un citoyen à la ville. Dans les faits, ce citoyen avait derrière lui des dizaines de milliers de travailleurs dans une situation analogue à la sienne un peu partout sur l’ile de Montréal.

De nos jours, toutes les personnes qui louent un logement s’attendent et exigent qu’il soit habitable.

Or ‘habitable’, cela ne signifie pas seulement que ce logement soit doté d’un toit et des vitres aux fenêtres qui les protègent des intempéries, qu’il soit doté d’un système de chauffage, mais également que les enfants et leurs parents puissent y dormir en paix.

Un cataplasme sur une jambe de bois

En panique depuis le jugement unanime de la Cour d’appel du Québec, l’administration Plante se propose de soustraire la pollution sonore de l’industrie du divertissement de l’application de l’article 9 de son règlement anti-bruit.

Pendant deux heures aujourd’hui, j’ai cherché en vain sur l’internet le texte exact du nouveau règlement anti-bruit de la ville.

Les citoyens inquiets de l’intention de la ville ont quelques jours seulement pour s’opposer à un règlement fantomatique dont la teneur est maintenue secrète.

Selon ce qu’on en sait, le nouveau règlement ne changera strictement rien.

Dans la cause concernant le cabaret La Tulipe, le plaignant s’est appuyé sur l’article 9 parce c’était l’argument légal le plus simple à démontrer; en substance, il demandait aux tribunaux de forcer la ville à faire respecter son propre règlement.

Même si l’article 9 du règlement municipal n’avait pas existé, le plaignant se serait appuyé sur ses droits constitutionnels. Ce que les tribunaux lui auraient accordé sans hésitation.

L’article 6 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne se lit comme suit :

Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

En d’autres mots, exempter l’industrie du divertissement de l’application de l’article 9 rend le nouveau règlement invalide parce que contraire aux libertés fondamentales du Québec.

Conclusion

L’administration Plante entend faire reposer le ‘nightlife’ de Montréal sur le sacrifice de ses travailleurs.

Si cette gauche caviar au pouvoir — celle qui se paie des huitres à 350$ à Paris ou qui boit du vin à 60$ la bouteille à Vienne — est incapable de comprendre que cela est une violation de nos droits fondamentaux, elle ne doit pas s’attendre à être réélue.

Référence : Un changement au règlement sur le bruit inquiète les citoyens du Plateau

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 mark II + objectif M.Zuiko 12-40mm F/2,8 — 1/20 sec. — F/2,8 — ISO 6400 — 20 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le droit au sommeil à Montréal

Publié le 26 septembre 2024 | Temps de lecture : 4 minutes

Introduction

À la suite du jugement rendu plus tôt cette semaine par la Cour d’appel du Québec, le cabaret La Tulipe a décidé de fermer temporairement ses portes.

Historique

L’origine de cette affaire est une erreur administrative des autorités municipales.

Le cabaret La Tulipe est une salle de spectacle construite en 1913.

En mars 2016, Pierre-Yves Beaudoin se porte acquéreur d’un édifice adjacent. Au moment de l’achat, le rez-de-chaussée est déjà occupé par deux commerces donnant sur la rue Papineau tandis qu’un entrepôt se trouve l’arrière. Aux étages supérieurs, il y a cinq logements.

Voulant transformer l’entrepôt en logement, M. Beaudoin demande en juin à l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal un permis de transformation qui lui sera accordé en aout 2016.

Un an plus tard, le propriétaire aménage dans le nouveau logement du rez-de-chaussée.

Très tôt, il constate que plusieurs fois par semaine, le bruit émanant du cabaret fait vibrer les murs et les planchers de son immeuble. En vain, il s’en plaint de manière répétée à la ville et la police.

En aout 2021, la ville lui transmet une mise en demeure indiquant que le permis qu’elle lui a été délivré cinq ans plus tôt était une erreur de sa part.

En septembre 2022, la ville intente une poursuite contre le propriétaire demandant une cessation d’utilisation du local à des fins de résidence.

Il y a trois jours, trois juges de la Cour d’appel du Québec, unanimement, donnent raison au propriétaire et ordonnent au cabaret de cesser d’émettre tout bruit audible à l’intérieur du bâtiment adjacent.

Compte tenu du bruit de fond nocturne de la ville, cela signifie une limite maximale audible de 20 décibels dans le logement de M. Beaudoin.

Incapable financièrement de respecter cette décision, le cabaret a décidé de fermer ses portes pour l’instant.

Réaction de la ville

Pour masquer le fait que cette affaire résulte d’une erreur de sa part, l’administration Plante s’est lancée dans une campagne haineuse contre le propriétaire, l’accusant de menacer “l’écosystème culturel” de Montréal, et le qualifiant même de dictateur.

Dans quelques heures se tiendra une manifestation de soutien au cabaret La Tulipe. Cette manifestation aura lieu devant le cabaret, c’est-à-dire à quelques pas de l’appartement personnel de M. Beaudoin.

Pour l’instant, on ignore si la ville autorisera cette manifestation.

Après la diabolisation dont M. Beaudoin est l’objet depuis l’annonce du jugement, il ne faudrait pas se surprendre que tout cela dégénère.

Conclusion

La vie serait triste si on n’avait pas le droit de fêter ou de se divertir en assistant à un spectacle.

Mais plus fondamental que le droit de s’amuser est le droit au sommeil.

Heureusement, les deux ne sont pas incompatibles.

Dans une ville bien conçue, le zonage municipal interdit la juxtaposition de salles de spectacle et d’immeubles résidentiels.

Ce qui signifie que les lieux bruyants situés au rez-de-chaussée doivent être situés entre des commerces.

Cela est facilement réalisable dans des villes nouvelles,

Dans le cas de Montréal, dont le développement s’est déroulé sur plusieurs siècles, cet idéal est plus difficile à respecter.

D’où l’inévitabilité de conflits à ce sujet.

Dans ce cas-ci, la ville a non seulement accordé un permis de transformation par erreur, mais a eu l’audace de sommer arbitrairement l’entrepreneur d’abandonner son logement, aménagé à grands frais.

De toute évidence, il s’agit d’un abus de pouvoir. Aux frais des contribuables, l’administration Plante a voulu la chicane. Et c’est exactement ce qu’elle a obtenu.

À l’opposé, en défendant son droit au sommeil, le citoyen Beaudoin a défendu la multitude de personnes qui sont dans sa situation et qui n’ont pas les moyens de défendre leurs droits.

Merci de leur part.

Références :
Bruit, boboïsation et judiciarisation
Décision en première instance
Décision en appel
La Cour d’appel ordonne à La Tulipe de baisser le son de manière importante
Le cabaret La Tulipe dit cesser ses activités « pour le moment »
« Non à la dictature d’un voisin », dit Valérie Plante

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Écrit par Jean-Pierre Martel