Covid-19 : les outils de recherche de contacts

6 juin 2020

La recherche de contacts

Les outils de recherche ou de repérage de contacts sont des logiciels pour téléphone multifonctionnel destinés à prévenir les personnes saines qu’elles ont été récemment en contact avec une personne atteinte du Covid-19.

Dès qu’un utilisateur se déclare positif au Covid-19, le logiciel recherche ses contacts dans une base de données et les avise.

Dans certains cas — par exemple l’application Care19 offerte sur Google Play — le logiciel enregistre en plus le lieu des contacts et conséquemment, sert à repérer géographiquement où ont eut lieu ces contacts.

L’exemple de StopCovid France

Offert depuis le 2 juin dernier, StopCovid fonctionne de la manière suivante.

Chaque fois que deux téléphones dotés de StopCovid se croisent à moins d’un mètre pendant plus de quinze minutes, chacun d’eux note l’identifiant StopCovid de l’autre.

Cette information est transmise à un serveur du ministère français de la Santé dès que le téléphone est connecté à l’internet.

Lorsqu’une personne est diagnostiquée positive au Covid-19, son médecin lui remet un code unique à insérer volontairement dans l’application.

Dès lors, le serveur du ministère alerte toutes les personnes qui l’ont côtoyée au cours des deux semaines précédentes : celles-ci sont informées de la possibilité qu’elles aient attrapé le virus. On leur suggère de s’isoler et de contacter leur médecin.

Un potentiel inachevé

StopCovid n’alerte pas en temps réel le propriétaire d’un téléphone lorsqu’il s’approche d’une personne contagieuse afin qu’il puisse éviter d’attraper le virus.

Il est possible qu’on ait craint de stigmatiser les personnes saines qui se promèneraient avec le téléphone emprunté d’une personne infectée. L’emprunteur verrait alors les personnes qu’il croise s’écarter de son chemin ou refuser de le servir comme s’il était pestiféré, sans comprendre pourquoi.

De plus, les applications de recherche de contacts pourraient simplifier considérablement la tâche des épidémiologistes qui tentent de remonter à l’origine d’une chaine de transmission du Covid-19.

Il suffirait de créer des outils d’analyse de la base de données du ministère de la Santé. Il est probable que de tels outils seront éventuellement créés.

Le calcul problématique de la distance

Après des décennies de découvertes informatiques, il devrait être simple de calculer la distance entre deux téléphones. Ce n’est pas le cas.

La géolocalisation par satellite (GPS) est capable d’une très grande précision.

Mais pour des raisons de sécurité nationale, une imprécision est ajoutée volontairement à toutes les applications civiles de géolocalisation. Cette imprécision va au-delà de la distance sanitaire.

Voilà pourquoi aucun outil sérieux de recherche ou de repérage n’est basé sur la fonction de GPS que possèdent tous les téléphones multifonctionnels.

Comme solution de rechange, on s’est donc rabattu sur la fonction Bluetooth, également disponible sur tous ces appareils.

Théoriquement, le Bluetooth peut avoir une précision de l’ordre du centimètre.

Dans les faits, il en est autrement puisque le corps humain absorbe quinze décibels du signal Bluetooth. Concrètement, l’application téléphonique estimera à vingt mètres la distance d’un téléphone à deux mètres s’il est placé dans la poche arrière d’un pantalon.

De mauvais départs

Un des premiers outils de recherche fut Rakning C-19, commercialisé en Islande au début d’avril.

Un mois plus tard, près de 38 % des Islandais l’avaient déjà adopté. Pourtant, au cours de cette période, une seule personne a été alertée d’avoir croisé une personne contagieuse. Ce qui a suscité des doutes quant à l’utilité d’une telle application.

L’explication la plus probable est que la pandémie est peu répandue dans ce pays. Encore aujourd’hui, le nombre cumulatif de ‘cas’ y est de 1 806 personnes (dont dix morts) sur une population de 364 134 habitants. Donc dans ce pays, on a plus de chance de rencontrer un geyser qu’une personne contagieuse…

Après le lancement de l’application Covid-safe Australia à la fin du mois d’avril, 28,5 % des Australiens de plus de 15 ans l’avaient téléchargée. Après trois semaines, le nombre de nouveaux téléchargements diminuait en raison de bogues dans l’application.

Dans l’urgence d’être utile, certains éditeurs de logiciels ne se sont pas assurés de concevoir avec soin leur outils de recherche. Ces échecs ne doivent pas jeter le discrédit sur d’autres outils dont la gestation fut plus lente et qui pourraient être de nature à inspirer la confiance du public.

Des tares plus profondes

Passons sous silence les craintes relatives à la protection des données personnelles. Il s’agit d’un débat important, mais qui m’apparait futile dans la mesure où le recours à ces outils est volontaire.

Selon les experts, pour être utile, un outil de recherche de contacts devrait être utilisé par au moins 60 % de la population. De plus, le plus grand nombre possible de personnes nouvellement diagnostiquées positives devraient se déclarer comme telles.

Les outils de recherche de contacts ont deux handicaps majeurs : les lacunes quant à l’accessibilité technologique et l’invisibilité des porteurs asymptomatiques.

L’accessibilité technologique

En 2019, 23 % des Français ne possédaient pas de téléphone multifonctionnel.

Chez les Français dans la soixantaine, cette proportion passe à 38 %. Et à 56 % chez les plus de 70 ans. Sans compter ceux dont le téléphone multifonctionnel est trop ancien pour qu’on puisse y installer StopCovid.

Au Québec, 26 % des personnes ne possèdent pas de téléphone multifonctionnel. Cette proportion passe à 41 % chez ceux entre 55 et 64 ans. Et à 73 % chez ceux de 65 ans ou plus.

Dans mon cas, j’ai un iPhone4s que je refuse de jeter en dépit du fait que mon fournisseur m’offre gratuitement un iPhone7 parfaitement compatible avec les logiciels de recherche de contacts.

Ce refus est dicté par des préoccupations environnementales; je serais stupide de jeter un appareil qui fonctionne très bien, plein de métaux toxiques, sous le prétexte qu’un modèle plus récent serait gratuit.

En raison d’une plus grande promiscuité, les milieux défavorisés sont davantage touchés par l’épidémie. Malheureusement, parmi les Québécois qui gagnent moins de 20 000$ par année, 47 % n’ont pas de téléphone multifonctionnel.

L’invisibilité des porteurs asymptomatiques

Jusqu’à tout récemment, il fallait être contagieux pour être autorisé à passer un test de dépistage au Covid-19. Pourtant, on sait depuis des mois qu’une bonne partie des personnes contagieuses sont asymptomatiques.

Cette semaine, le premier ministre a affirmé que bientôt, toute personne qui le souhaite pourrait passer un test de dépistage. J’aimerais y croire.

Mais avec un dépistage ‘massif’ capable de tester quotidiennement 14 000 personnes — soit 0,16 % de la population — je vois mal comment un grand nombre de personnes pourraient s’en prévaloir.

D’autant plus que les autorités sanitaires du gouvernement fédéral recommandent de tester aux deux jours tous les travailleurs de la Santé, au nombre d’environ treize-mille au Québec.

Si le Québec respecte cette sage suggestion, il restera de quoi tester quotidiennement 0,08% de la population, soit un seizième d’un pour cent.

Bref, l’application de recherche de contacts risque d’ignorer beaucoup de personnes contagieuses, réduisant d’autant son utilité…

Références :
AI and our health data: A pandemic threat to our privacy
Covid-19 : évaluation actuelle de l’importance des porteurs asymptomatiques
Faut-il ou non installer « StopCovid » ? Le débat résumé en une conversation SMS
How did the Covidsafe app go from being vital to almost irrelevant?
Inferring distance from Bluetooth signal strength: a deep dive
Le dépistage ‘massif’ du Covid-19 au Québec : une plaisanterie
Le traçage de contacts et la fracture numérique, selon Anne-Sophie Letellier
Nearly 40% of Icelanders are using a covid app—and it hasn’t helped much
North Dakota’s COVID-19 app has been sending data to Foursquare and Google
On pourra bientôt géolocaliser un smartphone au centimètre près grâce à Bluetooth

Parus depuis :
Norway suspends virus-tracing app due to privacy concerns (2020-06-15)
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Écrit par Jean-Pierre Martel