Hier soir, un de mes amis m’a fait parvenir l’hyperlien de cette vidéo de la BBC. Ce qui m’a frappé, c’est le gouffre entre l’excellence du graphisme et la superficialité du commentaire. Habituellement, Hans Rosling est un très bon conférencier : dans ce cas-ci, son propos ne rend pas justice à la qualité habituelle de ce qu’il fait.
Il s’agit ici d’une perspective purement économique ; en effet, on suggère une relation directe entre la richesse des peuples et leur espérance de vie. Le graphique est conçu de manière à mettre en valeur une telle relation, avec le revenu en abscisse et l’espérance de vie en ordonnée. L’animation montre l’évolution à ce sujet depuis deux siècles.
On pourrait conclure que les gouvernements, au lieu de mettre sur pied de coûteux régimes d’assurance-maladie, devraient se limiter à l’amélioration de la croissance économique et à la redistribution de la richesse puisque leurs citoyens se porteront mieux du simple fait de l’amélioration de leur niveau de vie.
Il n’y a pas de doute que la richesse permet de lever les barrières économique à l’accessibilité aux soins de santé. Mais l’espérance de vie de l’Humanité est demeurée stable, autour de 35 ans, pendant des siècles et s’est accrue de manière spectaculaire depuis 150 ans principalement grâce à trois facteurs successifs : l’hygiène publique, la vaccination et enfin la découverte des antibiotiques et accessoirement des médicaments modernes.
En somme, contrairement à ce que suggère Hans Rosling, l’amélioration de l’espérance de vie s’est produite en dépit de l’industrialisation et non à cause d’elle. On aurait bien tort de croire que la suie qui a noirci les maisons et les poumons de Londres ou de Glasgow leur a été bénéfique. On vit donc plus longtemps grâce à la révolution scientifique des XIXe et XXe siècles plutôt que la révolution industrielle des XVIIIe et XIXe.
Voyez comment on insiste sur les « poor and sick » de 1948 comme la Chine, l’Inde, et le Pakistan alors qu’ils ont à peu près la même espérance de vie que l’Iran, dix fois plus riche qu’eux. Peut-on supposer que la redistribution de la richesse (probablement déficiente à l’époque en Iran) constitue un facteur important dans l’analyse de ces résultats ? Pourtant il n’en sera jamais question dans cette vidéo.
Entre 1948 et maintenant, on peut voir que des pays en voie de développement rattrapent les pays occidentaux quant à l’espérance de vie alors que leur prospérité est encore bien inférieure à la nôtre. Note : Rappelons que l’abscisse est en échelle logarithmique, ce qui atténue les différences économiques.
À l’aide de l’outil GapMinder, on peut voir que la richesse ne procure pas d’avantage au peuple américain en matière d’espérance de vie lorsqu’on compare leur pays à Cuba. De plus, l’amélioration notable de l’espérance de vie en Chine sous Mao Zedong s’est effectuée malgré une croissance économique médiocre, alors que depuis son décès, c’est le contraire; les progrès économiques remarquables de la Chine s’accompagnent d’une amélioration légère de l’espérance de vie.
En somme, on a affaire à un excellent travail de visualisation, accompagné d’un propos simpliste et trompeur.