La verrue du cimetière Saint-Antoine

31 août 2020
Statue de John-A. Macdonald avant sa destruction

Introduction

Une des nombreuses formes gouvernementales adoptées par le Canada au cours de son histoire fut le Dominion du Canada, créé en 1867 par une loi britannique.

Le tout premier de ses premiers ministres fut John-A. Macdonald. C’est principalement sous sa gouverne que s’est accomplie l’expansion territoriale du pays d’un océan à l’autre.

Voilà pourquoi on lui a longtemps voué un culte — à titre de ‘père’ de la Confédération — qui justifiait l’érection de monuments à son honneur d’un bout à l’autre du pays.

Père pour les uns, tyran pour les autres

Le ‘nouveau’ Canada qu’a édifié Macdonald est né du vol par Ottawa des territoires occupés par les Autochtones, le don des terres confisquées à des colons européens, le confinement des Autochtones dépossédés dans de vastes camps de concentration (régis par un apartheid juridique), et l’adoption de politiques génocidaires qui visaient leur extermination physique ou culturelle.

En 2013, le professeur James Daschuk de l’Université du Manitoba publiait la thèse universitaire intitulée ‘La destruction des Indiens des Plaines. Maladies, famines organisées, disparition du mode de vie autochtone’.

Faisant aujourd’hui école, ce livre est un accablant réquisitoire qui accuse John-A. Macdonald d’avoir voulu exterminer par la famine les Amérindiens des Prairies.

Corriger les erreurs du passé

Les monuments ne racontent pas l’histoire; c’est le rôle des livres d’histoire.

Les monuments qui représentent quelqu’un lui rendent hommage. Or il est normal qu’un hommage injustifié soit remis en question. En pareil cas, détruire un monument, ce n’est pas détruire l’histoire; c’est retirer un hommage non mérité.

L’histoire, elle, est irrévocable.

Dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, la statue montréalaise dédiée à Macdonald a été détruite il y a deux jours.

Les réactions

Les touristes

Ce monument ne portait pas de plaque explicative. Seulement le nom ‘MACDONALD’.

Sa destruction attristera sans doute les nombreux touristes américains qui croyaient que les Canadiens honoraient ainsi la mémoire du fondateur d’une chaine de restauration rapide, persuadés que la trainée de peinture rouge qui éclaboussait sa statue faisait allusion à l’excellent ketchup qui garnit ses hamburgers…

Au Québec

La mairesse de Montréal a déploré cet acte de vandalisme. Quant au premier ministre du Québec, il a déclaré : « Il faut combattre le racisme, mais saccager des pans de notre histoire n’est pas la solution.»

Mme Plante et M. Legault ignorent sans doute que l’aménagement de ce monument (et de la place tout autour) a nécessité la profanation du cimetière Saint-Antoine.

C’est sous le sol de cette place qu’on trouve les sépultures de cinquante-mille Montréalais francophones, enterrés là de 1799 à 1854.

En 1854, l’actuel cimetière sur le mont Royal lui a succédé comme cimetière municipal. On avait débuté le transfert de dépouilles lorsqu’on s’est rappelé que parmi celles-ci, il y avait les morts de l’épidémie de choléra de 1832.

Pour des raisons sanitaires, on a interrompu ce transfert, laissant là des dizaines de milliers de dépouilles, alors qu’on poursuivait l’aménagement du parc urbain qu’on avait projeté de faire pour célébrer le Dominion du Canada.

Dès lors, plus aucun de leurs descendants ne pouvait se faire ensevelir à côté de leurs ancêtres ni se recueillir sur leurs tombes.

C’est donc l’aménagement du Square Dominion (devenu Place du Canada) et l’érection du monument à Macdonald qui correspond à l’oblitération d’un pan de notre histoire puisque presque plus personne ne se souvient de ce cimetière.

Au Canada

De son côté, le nouveau chef du Parti conservateur du Canada a déclaré que notre pays n’existerait pas sans Macdonald.

C’est probablement ce qu’il a appris à l’école.

En réalité, le Canada est né à la Renaissance. La Nouvelle-France comprenait alors trois parties : l’Acadie, le Canada — qui correspondait, en gros, à la vallée du Saint-Laurent — et la Louisiane.

Au fil des siècles, s’étendant vers l’ouest et vers l’est, le Canada en est venu à couvrir son territoire actuel (définitif depuis l’annexion volontaire de Terre-Neuve en 1949).

Mais il est vrai que l’expansion territoriale du Canada s’est opérée principalement sous Macdonald, grâce à la dépossession sanglante des Autochtones par ce tyran.

Conclusion

Il arrive que des peuples soient plus sages que leurs dirigeants.

On ne rend pas hommage à un chef d’État génocidaire. Les Allemands l’ont bien compris. Je ne vois pas pourquoi on devrait agir autrement au Canada.

Lorsque les pouvoirs publics demeurent sourds au gros bon sens, il est acceptable que les citoyens se substituent à eux.

Je remercie donc ceux qui ont supprimé la verrue du cimetière Saint-Antoine et j’espère qu’on en profitera pour s’excuser du manque de jugement des élus municipaux colonisés qui ont choisi au XIXe siècle de profaner les tombes de cinquante-mille de nos ancêtres pour glorifier ce gars-là.

Références :
Ce cimetière sur lequel les Montréalais marchent tous les jours
Épidémie de choléra à Québec en 1832
John A. Macdonald
La destruction des Indiens des Plaines. Maladies, famines organisées, disparition du mode de vie autochtone
Nettoyer la statue de Macdonald, un gaspillage des fonds publics
Place du Canada (Montréal)
Une statue déboulonnée, des divisions ravivées


Postscriptum : Après les avoir avisés de la parution d’un texte, je ne publie jamais les réponses automatisées que je reçois de décideurs publics.

Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une réponse personnalisée, je me fais un devoir de la publier.

En réponse à mon texte, voici le message reçu de M.  Kargougou au nom de la mairesse de Montréal.

 
Bonjour Monsieur Martel,

Au nom de la mairesse de Montréal, madame Valérie Plante, nous vous remercions d’avoir pris le temps de nous écrire concernant le déboulonnement de la statue de John A. Macdonald.

Comme vous le mentionnez dans votre billet, la mairesse déplore fermement les actes de vandalisme sur la statue de John A. Macdonald. De tels gestes ne peuvent en effet être acceptés ni tolérés. Cela étant dit, nous tenons à préciser que nous entendons vos revendications. Comme vous, nous souhaitons réfléchir au rôle de mémoire collectif des monuments et des statues. Sachez que la Ville de Montréal a amorcé une réflexion pour mieux nous outiller et nous guider sur ces questions. Un cadre de reconnaissance/commémoration, qui prendra en compte les divers points de vue qui ont jalonné notre histoire, est en voie de réalisation afin de favoriser la commémoration de valeurs plus universelles.

En ce qui a trait plus précisément à l’avenir de la statue de l’ancien premier ministre du Canada, le bureau d’art public s’occupe actuellement de sa conservation. Il est de notre responsabilité comme administration publique de prendre soin de tous les éléments constitutifs de notre collection d’art, par égard pour les artistes qui les ont créés. En consultation avec les experts en patrimoine à la Ville, nous prendrons le temps d’analyser la suite à donner pour le monument.

Nous vous prions de recevoir, Monsieur Martel, nos meilleures salutations.

Régis Kargougou pour :

Katherine Fortier
Responsable du soutien aux élus

Bureau de la correspondance de la mairesse de Montréal
mairesse.montreal.ca

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Écrit par Jean-Pierre Martel