MMA : Maudite justice de merde !

Publié le 3 avril 2018 | Temps de lecture : 7 minutes

Introduction

On apprend aujourd’hui la décision des autorités d’abandonner toutes les poursuites criminelles contre la compagnie ferroviaire Montréal Maine & Atlantic Railway (MMA).

Rappelons que la MMA était propriétaire de ce train fou qui, dévalant à toute vitesse une pente en pleine nuit du 5 au 6 juillet 2013, a déraillé à Lac-Mégantic y tuant 47 personnes brulées vives en plus de causer la pire catastrophe environnementale de l’histoire canadienne.

Une compagnie ‘broche à foin’

La MMA était propriétaire d’un petit réseau ferroviaire en ruine qui jouissait de la bienveillance aveugle du gouvernement fédéral pour poursuivre ses opérations.

Depuis sa création en 2002 jusqu’en 2013, les autorités américaines lui avaient imposé vingt-huit amendes totalisant près de 146 950$.

Mais aucune pénalité n’avait été imposée par les autorités canadiennes. Pour une simple et bonne raison; le gouvernement Harper s’en remettait à l’autodiscipline des transporteurs ferroviaires; Transport Canada estimait qu’un transporteur respectait les exigences d’un système de gestion de la sécurité dès qu’il s’était doté un tel système.

En raison de ce laxisme, le Canada avait permis à la MMA d’opérer ses trains avec un seul employé à bord. Jamais les États-Unis ne lui ont accordé cette permission, jugeant ce récidiviste indigne de confiance.

La compagnie refusait même de profiter des subventions fédérales pour améliorer ses installations parce que cela l’aurait obligé à en payer une partie.

Par endroits, les clous destinés à immobiliser le rail sur ses traverses de bois pouvaient être soulevés par deux doigts. Occasionnellement, la chambre de combustion de ses locomotives, rafistolée sommairement, pouvait prendre en feu spontanément. Et ses freins rouillés n’étaient plus fiables.

En vertu du manuel des procédures de la MMA, sur le train qui a déraillé à Lac-Mégantic — long de 1,4 kilomètre — le conducteur aurait dû appliquer neuf freins manuels. En réalité, en raison de leur corrosion, il aurait fallu en appliquer entre vingt et trente.

Le déraillement à Lac-Mégantic fut le deuxième d’une série de trois en quelques mois. Le premier à Frontenac, deux mois plus tôt. Et le dernier, à Nantes, au mois de décembre suivant.

Les prétextes de la DPCP

À la suite de la catastrophe de Lac-Mégantic, des poursuites civiles et criminelles ont été intentées.

La DPCP, responsable d’intenter des poursuites criminelles au Québec, a d’abord choisi de poursuivre trois employés de la MMA.

Dans le cas particulier du conducteur, celui-ci conduisait les locomotives de la compagnie au risque de sa vie. Seul à bord du train du matin jusqu’à très tard le soir, il effectuait un trajet parsemé d’innombrables occasions de déraillements en raison de l’état déplorable de la voie ferrée.

De toute évidence, au procès des employés, les jurés étaient invités à condamner des boucs émissaires. Ce qu’ils ont sagement refusé de faire.

Après avoir tenté de livrer de simples subalternes en pâture à l’opinion publique, la DPCP invoque aujourd’hui leur acquittement pour justifier l’abandon de poursuites contre la MMA.

Une procureure de la DPCP explique : « Il faut comprendre [que] les dispositions du Code criminel — en ce qui concerne la responsabilité criminelle des compagnies en matière de négligence — doit passer par le comportement des agents de la compagnie.»

En d’autres mots, vous avez refusé de condamner nos boucs émissaires, alors c’est de votre faute si on ne poursuit pas la compagnie.

Mais qui a eu l’idée de ne pas poursuivre les hauts dirigeants de la MMA ? Plus précisément, comment se fait-il que le président de la compagnie n’a jamais été accusé criminellement ?

Si les employés subalternes de la MMA avaient été condamnés, certains pourraient dire que ce jugement prouve que les coupables de la tragédie, ce sont eux. Nul besoin de chercher ailleurs. De plus, poursuit-on des patrons quand le seul reproche qu’on peut leur adresser, c’est d’avoir négligé de congédier des employés irresponsables pendant qu’il en était temps.

Si la DPCP avait gagné ce procès, voilà probablement les prétextes insignifiants qu’elle nous servirait aujourd’hui, à en juger par les prétextes tout aussi insignifiants qu’elle nous sert après l’avoir perdu.

En vérité, le procès contre les employés subalternes n’aurait jamais dû avoir lieu : personne n’est dupe de la tentative de diversion de la DPCP.

En refusant de condamner les employés subalternes, les jurés ne laissaient à la DPCP qu’une seule voie pour trouver des coupables; poursuivre les hauts dirigeants de la compagnie.

Mais la DPCP a été trop lâche pour agir contre eux. Si bien que finalement, personne n’est criminellement responsable de ces 47 homicides.

Conclusion

Au XIXe siècle, quand les patrons d’une mine obligeaient leurs employés à travailler dans des conditions extrêmement dangereuses, jamais ces patrons n’étaient inquiétés par la Justice à la suite d’un coup de grisou. Au Noël suivant, ces dirigeants se contentaient d’envoyer une dinde aux veuves.

De nos jours, le MMA ne s’est même pas donné la peine d’envoyer une dinde. La police d’assurance de la compagnie a servi à dédommager les pétrolières américaines qui lui avaient confié le transport de leurs hydrocarbures. Pas un sou de cette somme n’est allé aux victimes.

Et maintenant, ce système judiciaire — responsable du maintien d’un ordre social qui profite surtout aux entreprises et à leurs riches dirigeants — affiche sa partialité lorsque vient le temps pour lui de s’attaquer aux excès contemporains du capitalisme sauvage.

Comment se fait-il que si on vole un pain à l’épicerie, on risque une accusation criminelle mais que si une compagnie étrangère tue 47 des nôtres, personne ne soit condamné ?

C’est quoi ce système judiciaire de merde ?

Il y a seulement dans un pays colonisé qu’une compagnie étrangère peut venir faire autant de morts et s’en tirer aussi facilement.

En somme, le message envoyé par le gouvernement québécois au grand capital international est le suivant. N’hésitez pas à opérer des entreprises qui mettent en péril la vie des gens d’ici. Si jamais vous tuez des nôtres, il ne vous arrivera rien. Les responsables que nous avons nommés pour administrer la justice dans cette province sont des pissous qui n’oseront pas toucher à un poil de votre tête.

Références :
Conduire un train de la MMA : bienvenue en enfer
La lourde responsabilité du gouvernement Harper dans la catastrophe de Lac-Mégantic
Rapport du BST
Tragédie de Lac-Mégantic : la MMA évite le procès criminel

Parus depuis :
« Garde la tête haute, Tom! » ou l’amitié en temps de tragédie (2018-06-29)
Comment on étouffe légalement une affaire (2023-02-04)

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Écrit par Jean-Pierre Martel