La Grande traversée

14 mai 2017
Le voilier L’Espérance

Depuis le 11 avril, la télévision de Radio-Canada présente la série hebdomadaire La Grande traversée.

Il s’agit d’une téléréalité dont le but est de montrer la traversée de l’Atlantique par dix jeunes volontaires dans des conditions proches de celle effectuée par les colons français venus s’installer au Canada au XVIIe siècle.

La série à la fois pédagogique et divertissante a été conçue par les Productions Rivard de Winnipeg et Zone3 de Montréal, auxquels se sont joints des télédiffuseurs.

La mise au point de cette série a été soigneusement planifiée. N’ont été choisis que des participants — six hommes et quatre femmes — qui descendent de colons français.

À la première émission, le participant consulte avec beaucoup d’émotion l’original du contrat signé par son ancêtre s’engageant à effectuer ce trajet de La Rochelle à Québec, il y a presque quatre-cents ans.

De plus, au cours du voyage, certains participants auront la surprise de recevoir des messages — de joyeux anniversaire, par exemple — écrits par des proches. Puisque le courrier, même de nos jours, n’est pas livré aux navires en mer, ces messages ont évidemment été écrits d’avance et conservés secrètement à bord jusqu’à la remise à leur destinataire.

Après avoir revêtu des habits neufs analogues à ceux portés par les gens du XVIIe siècle, les participants se procurent les vivres dont se nourrissaient les marins et colons du temps.

Ils s’embarquent sur un trois-mâts nommé L’Espérance. Étant donné que les bateaux de l’époque étaient moins sécuritaires que les navires d’aujourd’hui, on a évité de soumettre les participants aux risques d’un naufrage à bord d’un véritable voilier du XVIIe siècle.

Le bateau utilisé par nos jeunes voyageurs n’a porté le nom de L’Espérance qu’au cours de cette série.

Son véritable nom est le Picton Castle. Construit en 1928, c’était d’abord un chalutier à moteur britannique. Après avoir été utilisé comme démineur au cours de la Seconde Guerre mondiale et comme cargo après ce conflit, il est finalement vendu en 1993 à son propriétaire actuel qui en fera un navire-école canadien après l’avoir transformé en trois-mâts barque au cours d’une rénovation qui aura couté deux-millions de dollars.

On voit une représentation du Picton Castle à la 26e minute du troisième épisode.

Tout comme les colons français du XVIIe siècle, les participants de l’émission ne sont pas de simples passagers; ils doivent aider les véritables matelots du voilier et participer à des corvées comme le nettoyage du pont supérieur et de la cale.

On a donc deux classes de personnes à bord qui habitent des parties différentes du bateau.

Il y a l’équipe professionnelle, habillée normalement, qui mange de la nourriture fraiche, habite des cabines chauffées, et qui a accès à toutes les commodités modernes. Cette équipe est composée d’officiers supérieurs unilingues anglais et de matelots francophones bilingues. Leur langue de travail est l’anglais.

Puis il y a nos dix participants francophones — un du Manitoba, une d’origine acadienne et les huit autres Québécois — qui vivent en commun dans la cale non chauffée et éclairée la nuit à la chandelle. Leur l’hygiène corporelle est celle du XVIIe siècle (la crasse sous leurs ongles en témoigne). Ils se nourrissent de portions insuffisantes de pain sec, d’ognions, de carottes, de lard et de légumineuses, de trois œufs par jour (à eux dix) et d’une poule ou deux abattues chaque semaine (ce qui diminuera inévitablement leur portion quotidienne d’œufs).

Et comme plusieurs de ces jeunes sont des citadins habitués à voir les poulets sous cellophane, la mise à mort des volailles est perçue comme une tragédie grecque.

Non seulement vivent-ils affamés (comme leurs ancêtres), mais ils doivent s’accommoder du mal de tête causé par le jeûne, le mal de mer et les vomissements qui diminuent encore plus leur apport calorique.

L’intérêt de cette série découle non seulement de son originalité et de son aspect éducatif, mais également du soin qu’on a pris à caractériser chaque participant et à mettre en valeur ses talents — de leadeurship, de navigateur, de cuisinier, de débrouillardise, etc.— ce qui accentue l’impact des moments d’émotion qu’il éprouve et que partagent alors les téléspectateurs qui s’en seront attachés.

Le seul irritant (mineur) de cette série vient du commanditaire principal — une banque fondée en 1867 — et qui, trois fois par émission, se dira «…fière de célébrer le 150e anniversaire du Canada…» alors que toute cette série prouve que le monde n’est pas né avec cette banque; le Canada lui est bien antérieur.

Née durant la Renaissance, la Nouvelle-France était formée de trois parties; l’Acadie, le Canada et la Louisiane. Le Canada correspondait alors à la vallée du Saint-Laurent.

Et c’est ce Canada qui, s’étendant vers l’ouest et vers l’est au cours des siècles, deviendra le Canada tel que nous le connaissons aujourd’hui avec l’adhésion de Terre-Neuve en 1949.

Conçue pour célébrer le 150e anniversaire d’une des formes politiques adoptée par le Canada au cours de son histoire (la confédération de 1867), la série est aussi le reflet actuel du pays dans la mesure où on y met en présence des officiers anglophones qui ont autorité sur des passagers-matelots francophones, une domination qui — il fallait s’y attendre — ne sera pas sans incident au cours de cette Grande traversée.

Références :
Picton Castle Crew
History of the Barque Picton Castle
La grande traversée : l’aventure commence dès le 11 avril à la télé
Picton Castle

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Écrit par Jean-Pierre Martel