Le jour de l’Émancipation

1 août 2021

Introduction

À la suite d’une résolution libérale adoptée unanimement par la Chambre des communes du Canada le 24 mars dernier, notre pays célèbre aujourd’hui (officiellement pour la première fois), le jour de l’Émancipation.

Non férié, ce jour commémore l’entrée en vigueur, le 1er aout 1834, de la Slavery Abolition Act.

Adoptée l’année précédente par le parlement britannique, cette loi abolissait l’esclavage au Canada et dans presque tout le reste de l’Empire britannique.

En effet, là où il était beaucoup pratiqué, l’esclavage fut aboli graduellement et les propriétaires d’esclaves furent généreusement indemnisés par Londres.

En France

Dès 1315, tout esclave qui pénétrait en territoire français devenait libre. Ce qui n’empêcha pas l’esclavage de se développer au XVIIIe siècle dans les colonies françaises (dont la Nouvelle-France).

En 1761, le Portugal devenait le premier pays européen à abolir l’esclavage autant sur le territoire national que sur celui de ses colonies.


Post-scriptum : Dans un commentaire publié à la suite de ce texte, le professeur André Joyal signale la contradiction entre ce paragraphe et le dernier du texte; le Portugal ne peut pas avoir aboli l’esclavage dans ses colonies en 1761 puisque l’une d’elles, le Brésil, a obtenu son indépendance du Portugal en 1822 et n’a aboli l’esclavage qu’en 1888.

Dans son Histoire de l’esclavage, Wikipédia écrit :

En Europe, le Portugal fut le premier pays à abolir l’esclavage sur tout son territoire colonies comprises par le décret du 12 février 1761.

Toutefois, dans sa rubrique intitulée Esclavage au Brésil, Wikipédia apporte la nuance suivante :

L’esclavage fut supprimé dans le royaume du Portugal ainsi que dans l’Inde le 12 février 1761 sous le règne du roi Joseph Ier par le marquis de Pombal; au Brésil néanmoins (à l’époque colonie portugaise) il resta en vigueur.

Cet exemple fut suivi en 1794 par la France révolutionnaire. Toutefois, dans les faits, ce décret fut ignoré dans de nombreuses colonies.

Sous le prétexte de la concurrence avec les colonies anglaises (où l’esclavage ne sera aboli que trois décennies plus tard), les gouverneurs des colonies françaises obtinrent de Bonaparte le rétablissement légal de l’esclavage en 1802.

La tentative de le rétablir à Saint-Domingue provoqua l’indépendance d’Haïti en 1804.

Il fallut attendre 1848, à sa deuxième tentative, pour que la France abolisse définitivement l’esclavage dans ses colonies.

Aux États-Unis

À l’occasion de la guerre d’indépendance américaine, les Anglais choisirent de saper l’économie des rebelles en promettant la liberté à tous les esclaves noirs qui joindraient leurs rangs ou trouveraient asile derrière les lignes loyalistes.

Ce qui fit basculer certaines colonies racistes du côté des forces révolutionnaires. Celles-ci finirent par triompher, conduisant les colonies rebelles à leur indépendance en 1776.

Digression :

Adopté en 1791, le deuxième amendement de la Constitution américaine se lit comme suit : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit du Peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé.»

Cet amendement fut adopté l’année de la révolte des esclaves en Haïti.

Il fut adopté à l’initiative des propriétaires de plantations de coton, inquiets à la suite des nouvelles haïtiennes, afin de consacrer un droit constitutionnel de créer et de soutenir des milices destinées à faire la chasse aux esclaves qui désertaient leurs plantations, et ce dans le but de les ramener à leurs propriétaires ou de les tuer afin de dissuader ceux qui seraient tentés de les imiter.

Cette tradition se poursuit de nos jours sous forme de justiciers bénévoles (en anglais : ‘vigilante’) qui, dans le sud des États-Unis, utilisent le prétexte de protéger leur quartier des rôdeurs et des malfaiteurs afin de harceler, de provoquer, et ultimement de tuer des gens à la peau très pigmentée.

Ces meurtriers sont généralement innocentés par les tribunaux parce que leur activité découle d’un droit constitutionnel.

Par conséquent, ceux qui jugent comparable le racisme systémique au Québec avec celui qui prévaut aux États-Unis ne savent pas de quoi ils parlent.

De manière plus générale, pendant les décennies qui suivirent l’indépendance, l’esclavage fut maintenu dans les États du sud des États-Unis.

Cela fut même consacré en 1820 par une loi du Sénat américain qui permettait l’esclavage à tous les États situés au sud du 36e parallèle.

Il fallut attendre la Guerre de Sécession pour que l’esclavage soit aboli officiellement aux États-Unis en 1865, trois décennies après le Canada et deux décennies après son abolition définitive en France.

Au Canada

Dans son livre Les Noirs à Montréal, Dorothy-W. Williams écrit qu’en 1606, lorsque Samuel de Champlain débarque au Canada, Mathieu da Costa l’accompagne. Non pas en tant qu’esclave noir, mais en tant qu’interprète de la langue des Micmacs d’Acadie.

Cela suggère que da Costa a vécu au pays avant Champlain. Il est le premier ‘Noir’ à laisser sa marque dans l’histoire du pays.

Le second fut Olivier Le Jeune, originaire de Madagascar. Il est arrivé dans la ville de Québec en tant qu’esclave du corsaire David Kirke, à l’occasion de son occupation de la Vieille Capitale en 1629.

L’esclavage n’occupa jamais une place très importante dans l’histoire du Québec, tant à l’époque de la Nouvelle-France qu’après la conquête anglaise.

L’agriculture de subsistance qu’on y pratiquait ne nécessitait pas le travail forcé d’esclaves; le besoin en main-d’œuvre à bon marché était assuré par une famille nombreuse.

Au total, à la veille de la conquête anglaise, il y avait 3 604 esclaves dans la vallée du Saint-Laurent, dont les deux tiers étaient des Autochtones.

Contrairement aux colonies américaines, 77,2 % de ces esclaves vivaient dans des villes, travaillant pour des familles bourgeoises en tant que serviteurs domestiques.

De tout temps, les peuples aiment diaboliser leurs ennemis.

Parmi les colons français, on justifiait l’esclavage en invoquant la réputation des Iroquois de tuer leurs prisonniers mâles, comme en témoignait l’histoire, connue de tous à l’époque, des Saints-Martyrs-Canadiens. Donc en achetant des Amérindiens prisonniers, on leur sauvait la vie, croyait-on.

Les Iroquois contribuèrent eux-mêmes à cette croyance parce que cela leur procurait des revenus. En réalité, les Iroquois ne tuaient pas tous leurs prisonniers.

Le premier Irlandais au Canada, Tadhg-Cornelius O’Brennan, fut capturé et libéré intact par les Iroquois alors que quelques-uns de ses compagnons de captivité eurent simplement un ou deux doigts coupés.

Puisque les principaux ports impliqués dans la traite des ‘Noirs’ étaient situés en Angleterre (avec lequel on ne faisait pas commerce), posséder un esclave ‘noir’ était très onéreux. Ce qui réservait la plupart des cas connus au clergé, pour des raisons de prestige.

Dorothy-W. Williams écrit : « Compte tenu de leur état de domestique, de leur cout élevé et de la difficulté à s’en procurer, la plupart des esclaves africains bénéficient d’un traitement indulgent tout simplement parce qu’on veut les garder longtemps à son service.»

Même après la conquête anglaise, il n’y avait pas plus de nécessité de posséder des esclaves.

Si bien que lorsque la Grande-Bretagne abolit l’esclavage en 1834, il y avait 770 400 esclaves recensés dans les colonies anglaises, mais seulement une cinquantaine au Canada parmi la centaine de milliers de ‘Noirs’ au pays.

Lorsque les États-Unis abolirent officiellement l’esclavage en 1865, ce pays était devenu un des derniers à le faire.

Ils furent suivis par le Zanzibar en 1873, le Brésil en 1888, l’Éthiopie en 1942, et la Mauritanie en 1980.

Références :
Compromis du Missouri
Deuxième amendement de la Constitution des États-Unis
Esclavage aux États-Unis
Histoire de l’esclavage
Le racisme systémique en mode binaire
Olivier Le Jeune
Slavery Abolition Act 1833

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Écrit par Jean-Pierre Martel