Bilan de la déradicalisation islamiste dans le Nord de l’Europe

Publié le 9 mai 2016 | Temps de lecture : 7 minutes

Introduction

Dans le texte qui suit, la déradicalisation islamiste se définit comme l’ensemble des mesures destinées à la réconciliation du sympathisant djihadiste avec la société dans laquelle il vit.

La déradicalisation peut viser les objectifs suivants :
• le renoncement à la lutte armée par le sympathisant,
• la réinsertion sociale du combattant de retour au pays, ou
• la transformation des convictions idéologiques du citoyen radicalisé.

Selon certains spécialistes, une déradicalisation profonde est préférable à un simple abandon de la violence, ce qui implique un suivi psychologique et spirituel.

L’Allemagne

Avant l’accueil récent d’un million de réfugiés, l’Allemagne comptait 1,5 million de Musulmans, soit 1,9% de sa population de 80,2 millions d’habitants.

Essentiellement, ces Musulmans sont originaires de Turquie, des Balkans, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

Selon les services de renseignement allemands, 730 Allemands seraient partis combattre en Syrie ou en Irak, dont 230 seraient revenus.

Un centre d’appels a été créé dans ce pays en 2010 dans le but de prévenir la radicalisation.

Sa prise en charge incluait le soutien psychologique à l’individu concerné et à sa famille, les échanges avec des imams, l’aide à la recherche d’un nouveau logement, la formation professionnelle et l’assistance pour trouver un emploi.

Ce centre a cessé ses opérations quatre ans plus tard en raison du petit nombre d’appels. Cet échec s’explique par le fait que ce programme était dirigé par les services de renseignement.

À partir de son expérience de déradicalisation des milieux d’extrême droite, le Centre berlinois de la Culture démocratique a créé un programme multidisciplinaire de conseil et de suivi pour les jeunes radicalisés et leur famille.

Ce programme, qui vise une déradisalisation profonde, est supervisé par l’Office fédéral pour les migrations et les réfugiés.

Selon le bilan que fait ce centre de ses activités, au 6 octobre 2015, trente-six individus sur un total de 170 étaient considérés comme déradicalisés ou en voie de l’être.

D’autre part, dans le länder (ou province allemande) de Hesse, le Centre d’information et de compétence contre l’extrémisme a mis sur pied un programme de déradicalisation s’adressant spécifiquement à des prisonniers radicalisés ou en voie de l’être.

Deux jeunes spécialistes de l’Islam, embauchés par le centre, avaient pour mandat d’établir une relation de confiance et d’amener les prisonniers à réaliser qu’ils possédaient une connaissance extrêmement sommaire de l’Islam.

Au 20 octobre 2015, 73 personnes se sont portées volontaires pour participer à ce programme. Selon ses dirigeants, la plupart d’entre elles montreraient des signes de remords, ce qui porte à croire qu’une grande partie des jeunes djihadistes pourraient ainsi être réhabilités.

La Grande-Bretagne

Sur les 56 millions de citoyens d’Angleterre et du Pays de Galles, on compte 2,7 millions de Musulmans, soit 5%. Dans leur très grande majorité (86%), ceux-ci sont originaires du Pakistan, du Bangladesh et de l’Inde. De plus, au cours des récentes années, le nombre de conversions à l’Islam a fortement augmenté au sein des communautés antillaises.

On compte au moins 700 cas de départs de citoyens britanniques vers la Syrie ou l’Irak, dont environ 300 en sont revenus.

En vertu du Counter-Terrorism and Security Act, voté en février 2015, les institutions étatiques (villes, services sociaux, maisons d’enseignement, etc.) ont l’obligation de signaler les individus à risque de radicalisation aux services de sécurité.

Depuis avril 2007, le nombre de signalements atteint 3 934 personnes. Si cela est recommandé par le panel d’experts qui évalue chaque cas, on propose à l’individu de rencontrer un responsable de sa déradicalisation. On ignore l’efficacité de cette mesure.

Créée en 2008, la fondation privée Quilliam a recours à des djihadistes repentis pour développer un contrediscours crédible. La fondation organise ainsi des conférences sur le terrorisme, la radicalisation et l’islamisme.

L’Active Change Foundation a également été créée par d’anciens Islamistes en 2003. Ses agents rencontrent des jeunes dans leur milieu (au détour d’une partie de basketball, par exemple) et les invitent à leurs centres pour la jeunesse, où on les dissuade de suivre les arguments des recruteurs radicaux.

The Unity Initiative a été créée en 2009 un Musulman professeur d’arts martiaux. Selon lui, la frustration et l’attrait pour la violence constituent des facteurs clés de radicalisation. Il défie des apprentis djihadistes dans des combats singuliers et les convie à des entrainements, cherchant ainsi à canaliser leur violence. Son objectif est également de partager sa conception d’un Islam qui met l’accent sur l’équilibre personnel de l’individu et l’harmonie avec son environnement.

Le Danemark

Principalement originaires de Turquie, des Balkans, d’Irak, du Liban, et dans une moindre mesure de Somalie, les 133 000 Musulmans danois représentent 4% de la population du pays.

À ce jour, environ 170 Danois sont partis combattre en Syrie et en Irak, dont environ le tiers en sont revenus.

Même si le fait de rejoindre un groupe terroriste à l’Étranger est considéré comme un crime dans ce pays — tout comme c’est le cas un peu partout en Occident — aucun d’entre eux n’a été poursuivi.

Toutefois, tous les djihadistes revenant de Syrie ou d’Irak ont été obligés de se présenter à la police pour un interrogatoire permettant d’évaluer leur risque sécuritaire.

On possède des données pour la ville d’Aarhus où un programme de déradicalisation appelé EXIT a été mis sur pied.

Les cas sont transmis par la police mais le programme est entre les mains d’agents des services sociaux et de la protection de la jeunesse.

Au mois de mars 2015, seize djihadistes étaient revenus à Aarhus. Dix d’entre eux ont accepté de participer à EXIT. Les six autres ont refusé.

Parmi les participants, trois ont demandé de l’aide pour changer d’environnement social afin de s’éloigner des milieux extrémistes. Dans un seul cas, la déradicalisation a été considérée comme un échec.

Conclusion

À l’heure actuelle, le petit nombre d’individus traités dans le cadre des programmes de déradicalisation et le manque de recul rendent difficile l’évaluation de l’efficacité de ces programmes.

Toutefois, certaines leçons peuvent déjà être tirées.

La première est la nécessité de mesures durables et non temporaires.

De plus, ces mesures doivent être ciblées. Viser trop large est couteux et inefficace. Les djihadistes et ceux qui ont entamé un processus de radicalisation représentent moins du millième des collectivités musulmanes de nos pays. Il faut donc cibler précisément les milieux de leur recrutement plutôt que l’ensemble de la population musulmane puisque l’adhésion de celle-ci est essentielle au succès des mesures employées.

On doit également minimiser l’implication des services de renseignements. Les familles aux prises avec un problème de radicalisme préfèrent souvent se replier sur elles-mêmes plutôt que de dénoncer certains des leurs aux forces policières.

Pour terminer, la réussite de ces programmes dépend de leur acceptabilité sociale, que ce soit parmi les Musulmans et les non Musulmans, les pouvoirs publics et la société civile.

Références :
A way home for jihadis: Denmark’s radical approach to Islamic extremism
Prévention de la radicalisation et déradicalisation : les modèles allemand, britannique et danois
Un marché opaque de la déradicalisation est en train d’apparaître en France

Parus depuis :
La menace invisible des revenants du djihad (2016-12-08)
Fermeture de l’unique centre de « déradicalisation » de France (2017-07-28)
France’s Special Forces Hunt French Militants Fighting for Islamic State (2017-05-29)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Définitions : radicalisme, islamisme, fondamentalisme et intégrisme

Publié le 9 février 2015 | Temps de lecture : 9 minutes

Le radicalisme

Le radicalisme est l’expression d’une pensée en totale opposition avec la mentalité dominante dans une société donnée. Un communiste sera radical dans un pays démocratique alors qu’à l’opposé, le partisan de la démocratie parlementaire sera un contrerévolutionnaire (donc un radical) dans un pays communiste.

Le radicalisme est donc relatif. Le Carré rouge — c’est le surnom donné aux participants du Printemps érable — sera radical aux yeux d’un premier ministre chargé de maintenir la loi et l’ordre alors que les mesures destinées à réprimer les insurgés seront jugées excessives, voire radicales, par les protestataires, convaincus de la justesse de leur cause.

Islamisme, Islam et charia

L’islamisme se dit d’un mouvement politique et religieux prônant l’expansion et le respect de l’islam et visant l’islamisation complète et totale du droit, des institutions, et du gouvernement.

Islam et islamisme sont donc très différents.

L’Islam est une religion. C’est la plus récente des trois grandes religions monothéistes (religions où les fidèles n’adorent qu’un seul Dieu). Essentiellement, ces trois religions ont beaucoup plus de points en commun qu’elles ne se distinguent entre elles. C’est ainsi que l’Ancien Testament des Chrétiens est calqué sur la Bible juive. Autre exemple : Jésus de Nazareth est considéré comme un prophète par les Musulmans.

L’islamisme est un mouvement politique qui s’appuie sur l’exemple du prophète Mahomet. Ce dernier fut originellement un chef religieux, puis un chef militaire et un chef d’État.

C’est à partir de cet exemple que certains imams soutiennent que la religion musulmane doit non seulement être du domaine privé, mais que le droit de leur pays doit être basé sur la Charia, c’est-à-dire la jurisprudence du temps de Mahomet.

En réalité, la Charia date des premiers siècles de l’Islam et reflète la mentalité qui prévalait probablement à l’époque du prophète.

En Arabie saoudite, il n’y a pas de constitution; la justice grossière qu’on y pratique s’appuie sur la Charia.

Au Québec, où les Musulmans ne représentent que 3 % de la population, l’islamisme ne représente aucun danger. Non seulement le désir de voir la Charia avoir force de loi est combattu ici par de nombreux Musulmans eux-mêmes (notamment des Musulmanes), mais il est démographiquement impossible qu’une majorité de la population québécoise soit d’accord avec l’abandon de nos Chartes des droits et libertés au profit d’un texte dont de nombreuses dispositions sont d’un ridicule consommé.

Un exemple de ce ridicule ? Au moment de déféquer ou d’uriner, la Charia précise qu’il faut s’accroupir de façon à ne pas faire face ou à ne pas tourner le dos à La Mecque, la ville où Mahomet est né. Uriner en direction de La Mecque est une insulte à l’Islam. On doit donc conclure que nous devrions tous sortir de chez nous en possession d’une boussole et d’une carte du monde.

Malheureusement, on urine toujours en direction de quelque chose. En direction de La Mecque, cela manque de respect pour le Prophète. En direction du Vatican, cela pourrait offenser des Catholiques susceptibles. En direction de l’Arc de triomphe de l’Étoile, quel affront à la tombe du Soldat inconnu. En direction du Parlement canadien, c’est un manque flagrant de patriotisme. Bref, il est préférable de pisser couché, en direction des étoiles afin de n’offenser personne… du moins personne habitant notre système solaire. Quant à déféquer, je n’ose y penser…

Le blogueur Raïf Badawi a été condamné à dix ans de prison et mille coups de fouet pour avoir, entre autres, ridiculisé un imam saoudien qui soutenait que les astronomes devraient être punis lorsqu’ils publient des découvertes qui sont en contradiction avec l’interprétation littérale de la Charia.

Le fondamentalisme et l’intégrisme

Le fondamentalisme désigne l’attachement strict aux principes originels d’une doctrine religieuse.

L’intégrisme est l’attitude de certains croyants qui refusent toute évolution au nom d’un respect intransigeant et intégral de la tradition. Dans les faits, intégrisme et fondamentalisme sont synonymes.

L’intégriste prend le passé comme une référence absolue et voit le présent à la lumière d’une époque lointaine et fantasmée.

Ce phénomène n’est pas exclusif à la religion musulmane.

D’une certaine manière, on peut dire que les Juifs orthodoxes sont des fondamentalistes.

Au début de la réforme protestante, plusieurs chefs religieux incitèrent à la destruction des images religieuses — statues, peintures et reliques — dont la vénération était assimilée par eux à de l’idolâtrie et relevait donc du paganisme. Basé pourtant sur l’Ancien Testament — Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre — ce mouvement iconoclaste peut être qualifié de fondamentaliste.

Tout fondamentalisme s’appuie sur la croyance à une pureté originelle des textes sacrés qui se serait perdue avec les siècles. En réalité, les religions monothéistes sont toutes aux prises avec des textes sacrés dont certains commencent à montrer leur âge.

Par exemple, la Lévitique est un des cinq livres de la Torah. Il fait partie de l’Ancien Testament et exprime donc la Volonté présumée de Dieu. À l’alinéa 13 du chapitre 20, la Lévitique dit : « Si un homme couche avec un homme comme on fait avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable; ils seront punis de mort. Leur sang est sur eux. ».

À l’alinéa 10 du même chapitre, la Lévitique dit également : « Si un homme commet adultère avec une femme mariée, et s’il commet adultère avec la femme de son prochain, ils seront tous deux punis de mort, l’homme et la femme adultères. ».

C’est donc à dire que si la Volonté de Dieu avait préséance sur la volonté des hommes (interdisant l’homicide), on serait habilité à tuer tous les homosexuels et tous les hétérosexuels (hommes ou femmes) qui ont participé à une aventure extra-conjugale. Cela représente probablement quelques milliards d’Humains à tuer.

En séparant l’État de l’Église et en assujettissant les doctrines religieuses aux lois civiles, on prévient un tel carnage.

Malheureusement, cette séparation n’existe pas dans certains pays. Dans ceux-ci, les fidèles se sentent investis de la Mission divine de faire respecter la doctrine qui leur est enseignée. Voilà pourquoi il suffit à un imam de rédiger une fatwa (c’est-à-dire un avis religieux) pour condamner à mort l’apostat ou le blasphémateur pointé du doigt.

Chez les Musulmans sunnites, l’équivalent du Vatican est l’Arabie saoudite. Puisque chez les Sunnites, n’importe qui peut devenir imam, il est fréquent que des imams sunnites se tournent vers leurs collègues d’Arabie saoudite afin d’obtenir un éclaircissement doctrinal relativement à un problème soulevé par un fidèle. Cet avis est très souvent utile.

Mais l’Arabie saoudite est également un pays où prévaut une mentalité arriérée. C’est par le biais des écoles coraniques fondamentalistes financées par l’Arabie saoudite et par le biais des fatwas de ses imams, que ce pays répand sournoisement son fondamentalisme.

Tout comme le Vatican passe sous silence les exigences gênantes de la Lévitique, les Musulmans d’ici sont confrontés à l’impossibilité de concilier les exigences tatillonnes de la Charia avec le monde moderne dans lequel ils vivent. Ces pionniers sont en train d’inventer — souvent malgré eux — un Islam moderne. Par leurs écrits et leurs combats, ces Musulmans influencent déjà les parents et amis qui demeurent ailleurs et qui doivent, eux, lutter au quotidien contre la montée de l’intégrisme.

L’exemple de nos Musulmans est superflu pour des pays comme la Tunisie, la Turquie et l’Indonésie, trois pays musulmans déjà évolués qui ont réussi à marier Islam et valeurs démocratiques.

D’autres pays auront besoin de cet exemple. Chez eux, le pouvoir est basé sur des alliances tribales et le citoyen n’a pas de valeur intrinsèque; il se juge à son ethnie, à sa religion et à sa relation avec le chef de sa tribu. Ces pays ont déjà un déficit technologique important. Dès qu’ils réaliseront à quel point le passéisme de leurs imams les a maintenus en marge de l’Histoire, leur colère pourrait entrainer le déclenchement d’un véritable Printemps arabe. Ainsi soit-il.

Références :
Iconoclasme
Le chapitre 20 de la Lévitique
Le petit livre vert de l’ayatollah Khomeyni
Les blasphèmes de Raïf Badawi

Parus depuis :
Oui, l’islamisme radical existe ici (2015-09-14)
Portland man accused of fatal train stabbing has outburst in court (2017-05-31)
Emprisonné en Russie, l’opposant Alexeï Navalny est maintenant accusé d’extrémisme (2021-09-28)

Compléments de lecture :
Analyse de la haine antimusulmane au Québec
Arabes vs Musulmans
Bilan de la déradicalisation islamiste dans le Nord de l’Europe

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