La Géorgie (3e partie) : l’ère ivanichvilienne

Publié le 28 juillet 2024 | Temps de lecture du texte : 18 minutes


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De 2012 à aujourd’hui

Bidzina Ivanichvili est un oligarque géorgien qui a fait fortune en Russie à la suite de l’effondrement de l’URSS en 1991.

En 2012, au moment où commence ce texte, sa fortune personnelle est estimée à 6,4 milliards de dollars. Ce qui équivaut à 46 % du PIB de son pays d’origine, la Géorgie.

En avril 2012, il crée une coalition politique autour du parti politique qu’il avait fondé quelques mois plus tôt.

L’intention avouée d’Ivanichvili était de devenir premier ministre pour deux ou trois ans, le temps de planter le décor politique en Géorgie, puis de se retirer ensuite pour retourner à ses affaires… tout en conservant un œil sur ce qui se passe à la tête du pays.

En matière de politique étrangère, Ivanichvili promettait une approche pragmatique destinée à réduire la confrontation avec la Russie et à restaurer les liens économiques avec ce pays sans sacrifier le cheminement de la Géorgie vers une intégration à l’Otan et au marché commun européen.

La coalition politique d’Ivanichvili reprochait au gouvernement sortant d’avoir négligé le secteur agricole (qui faisait vivre la moitié de la population du pays) et d’avoir imposé un néolibéralisme brutal (qui a provoqué un taux de chômage de 16 % et une augmentation des taux d’intérêt à 14,3 %).

De plus, on lui reprochait son autoritarisme croissant.

Dans un premier temps, cette dernière accusation laissa froid l’électorat (qui en avait vu d’autres). Toutefois, un mois avant le scrutin, une vidéo faisait scandale en dévoilant les traitements brutaux infligés dans une prison de la capitale.

Même si les ténors du gouvernement sortant se sont plu à dépeindre Ivanichvili comme une marionnette du Kremlin, la réalité est plus complexe; l’oligarque a quitté la Russie en 2002 pour la France, puis est retourné en 2003 vivre en Géorgie, tout en gérant à distance ses avoirs russes (qu’il aurait toutefois vendus, dit-il, avant d’entrer en politique).

De 2003 à 2012, fuyant les journalistes, le milliardaire a adopté un profil bas. Seuls avaient attiré l’attention, sa philanthropie à l’égard des œuvres caritatives de l’Église orthodoxe géorgienne, de même que ses dons pour des écoles, les hôpitaux, les théâtres, et les musées.

Aux élections législatives d’octobre 2012, sa coalition obtient 55 % des voix et fait élire 85 des 150 députés du parlement.

Le parti du président Mikheil Saakachvili ayant été défait, celui-ci nomme Ivanichvili premier ministre le 17 octobre 2012. Une nomination entérinée par le parlement huit jours plus tard.

Dans la formation de son cabinet, Ivanichvili accorde des postes-clés à des politiciens pro-occidentaux, notamment au ministère de la Défense.

Dès le départ, la cohabitation politique s’annonce difficile, le premier ministre Ivanichvili ne cessant de critiquer le président Saakachvili et de réclamer sa démission.

Pour forcer la main de ce dernier, le nouveau ministre de la Justice du gouvernement d’Ivanichvili entame des poursuites contre plusieurs des anciens ministres du clan présidentiel.

De guerre lasse, le président démissionne à l’automne de 2013 et s’enfuit aussitôt aux États-Unis (étant lui-même poursuivi en justice).

À l’élection présidentielle anticipée qui suit, le vice-premier ministre du gouvernement d’Ivanichvili se présente à la présidence et est élu par 62 % des voix.

Trois jours après son entrée en fonction de celui-ci, Ivanichvili démissionne comme premier ministre, jugeant avoir atteint son objectif. Pour compléter le restant de son mandat, Ivanichvili fait nommer son ministre de l’Intérieur pour lui succéder.

Depuis ce temps, Ivanichvili est l’éminence grise du pouvoir politique géorgien.

Après avoir fait élire, comme nous venons de le voir, son bras droit à l’élection présidentielle de 2013, la candidate élue à l’élection présidentielle suivante (celle de 2018) était soutenue par Rêve géorgien, le parti politique fondé et financé par Ivanichvili.

Quant au parlement, depuis une décennie, il fut dirigé successivement par neuf premiers ministres du Rêve géorgien puisque c’est cette formation politique qui fut élue majoritairement aux élections législatives de 2016 et de 2020.

Au cours de cette période, le pays a procédé à plusieurs réformes constitutionnelles qui ont eu pour effet de dépouiller la présidence du pays d’une bonne partie de ses pouvoirs. Et ce, afin de prévenir l’autoritarisme présidentiel qui a prévalu au cours des mandats des premiers présidents du pays depuis l’indépendance.

En raison de l’abandon de son régime présidentiel au profit d’un régime parlementaire, les élections législatives du 26 octobre prochain prennent toute leur importance puisque c’est le parlement, et lui seul, qui déterminera dorénavant les grandes orientations du pays.

Le pouvoir politique des ONG en Géorgie

Adopté en 1997, le Code civil géorgien facilite la création d’ONG. Le pays en compte plus de quatre-mille.

Cette abondance s’explique par le fait que ces OGN servent de paravent à la manipulation de l’opinion publique géorgienne par de riches intérêts étrangers.

Ce fut le cas, par exemple, au cours de la révolution des Roses.

Orchestrée par des ONG financées par le milliardaire américain George Soros, cette révolution provoqua en 2003 la démission du président géorgien. Depuis ce temps, toute la classe politique du pays craint l’influence des ONG sur l’opinion publique.

Leurs appels à la mobilisation générale sont suivis et fréquents. Ils vont jusqu’à paralyser le fonctionnement du parlement en bloquant l’accès des députés.

Dans certains cas, leurs actions ont pris l’allure de soulèvements insurrectionnels.

À la suite de la moindre force utilisée pour disperser des protestataires — comme la force utilisée dans nos pays pour démanteler des campements pro-palestiniens — Bruxelles fait savoir à la Géorgie que cela diminue ses chances d’adhérer au marché commun européen.

Et parce qu’elles le savent, les ONG sont devenues de plus en plus audacieuses et exigeantes, réclamant la démission de tout officiel qui leur tient tête.

Leurs manifestations peuvent durer tout un mois.

C’est ainsi que des milliers de manifestants ont réclamé avec insistance que le pays se dote d’un système électoral totalement proportionnel. Ce qui n’existe nulle part au monde.

Las de leurs excès et de leur intransigeance, le gouvernement géorgien a décidé d’assécher le financement de toutes les ONG qui servent de paravent à des intérêts étrangers.

La loi sur l’influence étrangère

En 2012, Moscou adoptait une loi sur les agents étrangers.

Parmi ses exigences, cette loi obligeait les ONG russes, financées de l’Étranger, à le déclarer publiquement. En 2019, cette exigence a été étendue aux médias, aux entreprises, et à toute personne qui exerce une activité politique en Russie.

En mai 2024, à la suite de la Russie et du Kirghizistan, la Géorgie fit semblable (et non pareil) en ciblant uniquement les ONG et les partis politiques.

Jugée liberticide par ses opposants, cette loi a provoqué d’innombrables manifestations, dont certaines, violentes. C’est ainsi qu’au sein même de l’hémicycle parlementaire, les députés en sont venus aux coups lors de son adoption.

En 1938, le Congrès américain adoptait la ‘Foreign Agents Registration Act’ qui, essentiellement, exige la même chose que la loi géorgienne (et la première version de la loi russe).

Comment se fait-il que les États-Unis exigent le retrait de la loi géorgienne alors qu’ils ont eux-mêmes adopté une loi semblable ?

C’est que les deux lois ont des effets opposés. La loi américaine protège les États-Unis alors que la loi de Géorgie protège contre les États-Unis…

En 2003, le milliardaire américain George Soros a dépensé 42 millions$ en Géorgie pour y financer une révolution (voir le premier texte de cette série).

Avec la loi géorgienne sur l’influence étrangère, si de riches particuliers (comme Soros) ou des gouvernements étrangers veulent se servir d’ONG opérant en Géorgie pour tenter d’y renverser des gouvernements démocratiquement élus, ils devront le faire à visage découvert.

Pour ce qui est des exigences de cette loi auprès des partis politiques géorgiens, on doit se rappeler que la législation d’ici interdit tout financement étranger des partis politiques québécois.

En effet, la loi électorale du Québec — adoptée par le gouvernement péquiste de René Lévesque — limite aux seuls citoyens du Québec le droit de verser de l’argent à un parti politique d’ici (au maximum, 100$ par année – 200$ quand c’est une année électorale).

Le droit d’être corrompu secrètement par des intérêts étrangers n’existe pas.

Par conséquent, loin d’être liberticide, la loi géorgienne est un geste d’affirmation démocratique. Et non le contraire, comme le soutiennent tous les médias occidentaux.

Répercussions en Géorgie de la guerre en Ukraine

Depuis son indépendance en 1991, l’histoire de la Géorgie se distingue de celle de l’Ukraine.

En Ukraine, on a assisté à une alternance de présidents pro-russes et pro-ukrainien jusqu’au basculement pro-occidental définitif provoqué les évènements de Maïdan en 2014.

En Géorgie, le pays s’est plutôt doté d’une succession ininterrompue de présidents et de premiers ministres pro-occidentaux et pro-Otan.

Tout au cours de l’ère ivanichvilienne, dès l’entrée en fonction d’un président et d’un premier ministre, le protocole voulait que son premier voyage officiel à l’Étranger se fasse à Bruxelles, afin d’y rencontrer les dirigeants de la Commission européenne et ceux de l’Otan. Le but étant d’y réitérer la volonté de la Géorgie d’adhérer à l’un et à l’autre et, en retour, recevoir l’assurance qu’elle est la bienvenue dans les deux.

Depuis sa guerre avec la Russie en 2008, la Géorgie achète exclusivement du matériel militaire occidental. Ce qui lui permet de participer à des exerces conjoints avec l’Otan. De plus, l’armée géorgienne accueille la formation d’instructeurs américains.

Chaque visite dans un pays de l’Otan est une occasion de conclure un accord de coopération militaire.

Conséquemment, l’allégation des partis d’opposition selon laquelle Ivanichvili serait un homme de paille de Poutine est une accusation grotesque.

Depuis la guerre opposant la Géorgie à la Russie (et les nombreuses petites escarmouches survenues depuis), les Géorgiens sont massivement hostiles à Moscou.

Voilà pourquoi, dès le début de la guerre russo-ukrainienne, les Géorgiens ont ouvert les bras pour accueillir plus de cent-mille réfugiés provenant de la partie orientale de l’Ukraine.

Ce sont essentiellement des Ukrainiens ukrainophones (minoritaire dans cette partie de l’Ukraine) et non russophone puisqu’il était plus simple pour ces derniers d’émigrer en Russie (où on parle russe) plutôt qu’en Géorgie (où la minorité russe est persécutée depuis l’indépendance).

Toutefois, au fur et à mesure que les Géorgiens assistaient à la destruction de l’économie de l’Ukraine et aux souffrances de sa population, les Géorgiens ont pris conscience du prix qu’ils pourraient avoir à payer si leur pays choisissait de devenir un ennemi militaire de son puissant voisin.

Il y a deux mois, Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques et ancien ambassadeur de France à Moscou, déclarait sur les ondes de France24 : « C’est dans la sagesse de la nation. Il y a une partie des Géorgiens qui savent qu’ils ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Et donc, qu’il faut s’accommoder avec un voisin aussi pénible et dur soit-il

La Russie et ses alliés sont dotés d’un complexe militaro-industriel capable de soutenir de manière prolongée une guerre de haute intensité alors que les usines occidentales d’armement peinent à obtenir une chose aussi élémentaire que la nitrocellulose, c’est-à-dire de la poudre à canon, produite principalement en Chine (alliée de Moscou).

Pour Ivanichvili, une guerre en Géorgie comme celle qui se déroule en Ukraine serait catastrophique. Non pas qu’elle constituerait une menace à sa fortune personnelle (à l’abri dans des paradis fiscaux), mais parce que, depuis son retour dans son pays natal, Ivanichvili a dépensé des centaines de millions$ à des activités caritatives.

Le résultat concret d’une telle guerre, ce sont des écoles, des hôpitaux, des musées, des salles de concert, et des complexes sportifs qui ne doivent leur existence qu’à son mécénat, qui disparaitraient sous les bombardements ennemis.

Bref, ouvrir un second front contre la Russie, c’est l’anéantissement de l’œuvre de sa vie.

Conséquemment, sa préférence pro-occidentale est inchangée, mais dans le contexte géopolitique actuel, il a réalisé que la Géorgie avait intérêt à adopter un profil bas.

Cette réalpolitik se bute à l’opposition vigoureuse des ONG pour qui tout assouplissement du ton hostile à l’égard de Moscou est une trahison.

La campagne actuelle en vue des législatives d’octobre 2024

Les élections législatives de cette année opposent le parti d’Ivanichvili (appuyé par l’Église orthodoxe) et les partis d’opposition (appuyés par presque toutes les ONG).

Depuis des années, les sondages démontrent que 80 à 85 % de la population adulte du pays désire l’intégration économique de leur pays à l’Union européenne.

Voilà pourquoi la stratégie de l’opposition est de dépeindre Ivanichvili comme un homme de paille du Kremlin.

À preuve, on dira qu’il a fait fortune en Russie (ce qui est vrai) et que c’est un fourbe qui a promis d’implanter un système électoral complètement proportionnel, mais qui s’est arrangé pour que cette réforme soit battue par ses propres députés (comme si c’était le premier politicien à briser une promesse électorale).

Preuve ultime de son allégeance secrète à Moscou; il attaque lui aussi les valeurs dites ‘décadentes’ de l’Occident comme le fait Poutine.

La stratégie de parti d’Ivanichvili est d’assumer pleinement cette dernière accusation et de la retourner contre ses opposants.

Dans ce pays, la moitié de la population vit sur de petites exploitations agricoles, travaille fort, et prie Dieu.

Conséquemment, l’Église orthodoxe géorgienne — qui ne relève pas du patriarche de Moscou depuis 1917 — est très influente et n’hésite pas à défendre publiquement son dogme religieux.

Au cours de cette campagne électorale, le parti d’Ivanichvili se fait le champion des ‘valeurs géorgiennes’ et n’hésite pas à accuser les ONG d’être les paravents derrière lesquels se cachent des intérêts obscurs voués à propager l’idéologie décadente de l’Occident et pervertir l’âme séculaire de la Géorgie.

Concrètement, ses candidats s’en prennent à l’homosexualité, à la théorie du genre et à la légalisation du cannabis.

Tout cela peut nous sembler très réactionnaire. Mais cela n’est pas différent du discours que tiennent les prédicateurs et les politiciens locaux de la Bible Belt américaine.

Quant à la loi sur l’influence étrangère, les candidats du parti d’Ivanichvili déclarent que pour n’importe quelle ONG authentiquement géorgienne, cette loi ne change rien. Par contre, pour les autres, elle représente une menace existentielle puisque cette loi les force à révéler les intérêts obscurs pour lesquels elles travaillent secrètement.

Pour caricaturer ses opposants, le parti d’Ivanichvili pourrait dire que toutes les manifestations de ces ONG contre cette loi sont comme ces séances d’exorcisme au cours desquelles les possédés du démon occidental se tortillent de douleur quand on les asperge de l’eau bénite de la législation géorgienne.

Politiquement, cette stratégie semble porter ses fruits. Un sondage effectué en mars dernier révélait que le parti d’Ivanichvili recueillerait 31 % des voix, soit environ le double du principal parti d’opposition.

Références :
Abashidze, Karasin Talk Bilateral Trade, as Russia slams United States, NATO
Alarm bells ring for Pankisi gorge – the echo of the Syrian war reaches Georgia
Bidzina Ivanichvili
Defense Minister Concludes U.S. Visit
Defense Minister Garibashvili Concludes U.S. Visit
Géorgie: démission du président du Parlement après les heurts
2017 en Géorgie
2018 en Géorgie
2020 en Géorgie
2022 en Géorgie
Dix organisations non gouvernementales réclament la démission de Tea Tsulukiani (en géorgien)
Élections législatives géorgiennes de 2012
Élections législatives géorgiennes de 2020
En Géorgie, les LGBT+, nouveau bouc émissaire du pouvoir : « C’est une persécution à grande échelle »
Entretien avec la chaîne de télévision américaine Fox News (en russe)
EU: Georgia Lacks Progress on Labor Safety
Foreign Agents Registration Act
Georgian Defense Minister, NATO Officials Discuss Deepening Ties
Georgia orders trucks as modernisation drive continues
Géorgie : Bidzina Ivanichvili, l’oligarque qui veut faire tomber Saakachvili
Géorgie: le premier ministre remanie le gouvernement
Géorgie : pour le président Margvelachvili, l’adhésion à l’UE « est notre horizon »
Géorgie : retour sur l’année 2017
Giorgi Kvirikashvili : « Nous avons surmonté les difficultés que de nombreux pays développés ont du mal à surmonter, sans notre politique économique, nous serions confrontés à une réalité différente.» (en géorgien)
Giorgi Kvirikashvili remercie le gouvernement américain pour son soutien continu à la Géorgie (en géorgien)
« Il faut les balayer » : importante manifestation en Géorgie pour exiger de nouvelles élections législatives
Interview with Irakli Garibachvili
Irakli Garibashvili Net Worth 2022, Age, Wife, Children, Height, Family, Party
Ivanishvili And The Russians
Ivanishvili, le milliardaire qui veut s’offrir la Géorgie
La Géorgie adopte la loi sur l’« influence étrangère » en dépit des manifestations
La présidente Zurabichvili s’adresse au Parlement (en géorgien)
La nitrocellulose et la guerre
Le premier ministre géorgien Irakli Garibachvili annonce sa démission
Le président ne nommera pas de juge en chef « pour l’instant » (en géorgien)
Les États-Unis offrent deux patrouilleurs à la Géorgie (en géorgien)
Les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN saluent les progrès de la Géorgie et réitèrent leur soutien à l’adhésion (en géorgien)
Lettre à l’Union européenne
Loi russe sur les agents étrangers
Loi sur “l’influence étrangère” : la Géorgie choisit-elle Poutine ? (vidéo)
Manifestations géorgiennes de 2019
MIA Arrests Four for Participation in June 20-21 “Group Violence”
MPs Vote Down Mandatory Gender Quotas Bill
NATO to Ramp up Georgia’s Security Against ‘Aggressive’ Russia
Politics, protests and propaganda: Georgia’s generational divide
Prisonniers torturés : le ministre géorgien de l’Intérieur démissionne
Projet financé par les États-Unis pour contrer la propagande anti-occidentale (en géorgien)
Prosecutor’s Office Says June 20-21 an Attempt at ‘Violent overthrow of government’
Protesters Rally for Drug Policy Liberalization (en géorgien)
Ruling party on the defensive over Russian MP in the Parliament Speaker Seat
Ruling party, opposition hold first meeting at US Embassy amid political crisis following elections
Scandale de corruption par le Qatar au Parlement européen
Two Detained on Bribing, Threatening Late District Election Commission Head
Ukraine et Russie : l’échec cuisant de Victoria Nuland
Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan
Vano Merabichvili

Paru depuis : US pauses $95m in aid to Georgia after passage of ‘foreign agents’ law (2024-07-31)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La Géorgie : de l’indépendance à la révolution des Roses

Publié le 8 juin 2024 | Temps de lecture du texte : 10 minutes
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La tentative d’épuration ethnique

Dans les années qui précédèrent l’effondrement de l’URSS (survenue le 26 décembre 1991), l’affaiblissement du pouvoir de Moscou coïncida avec une montée de sentiments nationalistes, voire xénophobes, dans les républiques soviétiques. Ce fut le cas en Géorgie.

Sans une langue commune, la Géorgie aurait été ingouvernable en raison de sa quarantaine de minorités ethniques qui, à l’écrit, utilisent six alphabets différents; arménien, cyrillique, géorgien, grec, latin, et syriaque.

Jusqu’en 1990, le russe était la langue de l’administration publique. Comme le latin l’était en France avant François Ier. La langue russe était même celle de l’enseignement universitaire.

Conséquemment, les minorités ethniques ne voyaient pas, jusque là, de raison d’apprendre le géorgien, pourtant langue maternelle de 70,7 % de la population; il était beaucoup plus utile pour ces minorités d’utiliser le russe comme langue seconde puisque même les locuteurs géorgiens la connaissaient.

En raison du caractère autoritaire du régime soviétique et des problèmes économiques (qui prévalaient partout dans l’URSS, ruinée par sa guerre en Afghanistan), de grandes manifestations furent organisées entre 1987 et 1990 par l’opposition en Géorgie.

L’une d’elles, organisée le 9 avril 1989, fut brutalement réprimée par le pouvoir soviétique. Ce qui lui fit perdre toute légitimité aux yeux d’une bonne partie de la population.

La première élection libre et démocratique du pays eut lieu le 28 octobre 1990. Le mois suivant, les députés nouvellement élus nommèrent à la présidence le champion de la cause indépendantiste.

Dès son accession au pouvoir, ce nouveau président donna libre cours à son ultranationalisme autoritaire.

En décembre 1990, son gouvernement décida de consolider l’identité nationale en décrétant que le géorgien devenait la seule langue officielle du pays, en remplacement donc du russe.

Du jour au lendemain, plus du quart de la population était incapable de comprendre les avis publics qui les concernaient.

La sécession ossète

L’imposition du géorgien ne se fit pas seulement au niveau du gouvernement central, mais également dans chacune des provinces du pays.

L’une d’elles est l’Ossétie du Sud. C’est là que vivait la minorité ossète, dernière descendante des grands peuples nomades d’origine iranienne.

Toujours en vertu de sa politique hypernationaliste, le gouvernement central décidait d’abolir la province de l’Ossétie du Sud (peuplée à 50,5 % d’Ossètes) en la fusionnant avec la province voisine (la Karthlie supérieure), beaucoup plus populeuse.

Résultat ? Les Ossètes ne formaient plus qu’environ quinze pour cent de la population de la Karthlie supérieure agrandie (où leur langue n’était plus enseignée). Ce qui provoqua leur rébellion.

Les affrontements avec l’armée géorgienne firent un nombre limité de morts. Le conflit se termina quand les séparatistes, appuyés par la Russie, proclamèrent leur indépendance, validée par voie référendaire en 1992. Une indépendance de facto reconnue par très peu de pays.

L’intervention de la Russie était motivée par le fait que l’Ossétie du Sud était peuplée de 33,9 % de Géorgiens russophones (une proportion qui a chuté depuis à moins de trois pour cent).

Pendant ce temps, Washington demeura les bras croisés. Ce qui constitua une douche froide pour le gouvernement géorgien qui présumait jusque-là qu’il lui suffisait d’afficher son hostilité à l’égard de la Russie pour obtenir automatiquement le soutien de Washington.

Effectivement, à l’époque, Washington est encore ambivalent au sujet de la Géorgie. Une ambivalence qui sera dissipée quelques années plus tard.

Entretemps en Géorgie

En mars 1991, le parlement géorgien organisa un référendum sur l’indépendance nationale qui fut plébiscité par 90,1 % des votes.

L’indépendance de la Géorgie fut proclamée le 9 avril 1991. Le mois suivant, une élection présidentielle au suffrage direct reporta au pouvoir le président sortant.

Toutefois, les années de lutte de ce président à l’époque où il dirigeait l’opposition avaient semé en lui les germes d’une paranoïa qui se manifesta au grand jour une fois à la tête du pays.

Son attitude autoritaire s’exerça non seulement à l’égard des minorités ethniques, mais à l’encontre de tous ceux qui s’opposaient à lui. Un à un, des anciens alliés devenaient ses ennemis.

Le mécontentement qu’il suscita provoqua un coup d’État du 22 décembre 1991 au 6 janvier 1992. En mars de cette année-ci, le pouvoir militaire nomme à la tête du pays Edouard Chevardnadze, un Géorgien qui fut ministre des Affaires étrangères de l’URSS de 1985 à 1990.

Mais son prédécesseur, d’abord réfugié à l’Étranger, revient dans la province d’Abkhazie (dans l’ouest du pays) où il comptait de nombreux partisans. Ce fut le début de la guerre civile géorgienne.

En aout 1992, les forces gouvernementales envahissent l’Abkhazie afin d’y écraser la rébellion.

Mais l’intervention de l’armée géorgienne y tourne à la catastrophe. L’affrontement fait vingt-mille morts. De plus, les rebelles, appuyés par la Russie, procèdent en septembre 1993 à un nettoyage ethnique; ils chassent de la région 260 000 personnes de langue maternelle géorgienne.

Edouard Chevardnadze est alors confronté à une dure réalité; il a besoin de la Russie pour pacifier son pays.

En octobre 1993, ce réalisme politique l’incite à demander que son pays rejoigne les rangs de la Communauté des États indépendants (formée d’anciennes républiques soviétiques demeurées fidèles à Moscou).

Son pari diplomatique porte partiellement ses fruits. La Russie modifie sa politique à l’égard de la Géorgie; elle continue de soutenir l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie mais cesse de financer la guerre civile géorgienne.

Celle-ci s’achève avec la mort (par suicide ?) de l’ancien président, le 31 décembre 1993.

La présidence d’Edouard Chevardnadze

Edouard Chevardnadze fut d’abord nommé président de Géorgie en 1992, puis en fut élu président au suffrage universel en 1995 et en 2000.

C’est lui qui obtint la reconnaissance officielle de la Géorgie et son admission à l’Onu en juillet 1992.

À la fin de la guerre civile, l’économie de la Géorgie est en ruine et ne s’en relèvera pas au cours de l’administration de Chevardnadze en raison de la corruption généralisée, de l’évasion fiscale et l’économie parallèle (60 % du PIB) qui empêcheront le gouvernement géorgien d’avoir les moyens de reconstruire l’économie du pays.

La seule amélioration est la chute de l’inflation (qui avait atteint 8 000 %).

Le 17 octobre 1995, le pays adoptait une constitution instaurant un régime présidentiel fort.

Le Code civil géorgien, adopté en 1997, facilitait la création d’organisations non gouvernementales. Trois ans plus tard, le pays en comptait près de quatre-mille. En soutenant la population démunie, ces ONG devinrent très populaires et conséquemment, très influentes. Nous y reviendrons.

Indicateurs économiques en 2000

Au début du millénaire, le Géorgie possédait un produit intérieur brut de 13,4 milliards$, (exprimé en parité du pouvoir d’achat). Le PIB par habitant était alors de 2 264$.

Essentiellement, son économie était alimentée par sa consommation intérieure.

La balance commerciale de la Géorgie était déficitaire de 314 millions$US en raison d’importations de 939 millions$US et d’exportations de 625 millions$US.

Dépourvue de ressources minières et énergétiques suffisantes, la Géorgie était dépendante, pour sa production industrielle, de son approvisionnement en hydrocarbures russes.

Ses importations provenaient à 33,7 % des pays de l’ancien bloc soviétique (URSS et Europe de l’Est), à 29,3 % de l’Europe de l’Ouest (ou, plus précisément, de l’Union européenne telle qu’elle était à l’époque) et de 13,0 % des États-Unis.

Ses principales exportations étaient destinées à l’Europe de l’Ouest (41,5 %), aux pays de l’ancien bloc soviétique (28,9 %), et à la Turquie voisine (14,5 %).

Avec un taux de chômage de 10,3 %, la moitié de la population vivait sous le seuil de la pauvreté. L’inflation y était de 4,7 %.

La révolution des Roses

Le 17 septembre 2001, quinze mois après sa réélection à la présidence, Edouard Chevardnadze abandonne la tête de sa formation politique, révélant la crise qui y couvait secrètement.

Deux jours plus tard, son incorruptible et hypertalentueux ministre de la Justice (Mikhaïl Saakachvili) claque les portes du Conseil des ministres.

En quelques semaines, le groupe parlementaire du président a perdu la moitié de ses membres. Même le dauphin de Chevardnadze rejoint les rangs de l’opposition.

Dès l’été 2002, les dirigeants des ONG géorgiennes les plus influentes (celles financées par George Soros) affirmaient qu’une révolution pacifique — provoquée selon les techniques de contestation proposées par le politicologue et théoricien Gene Sharp en 1993 — serait nécessaire pour sortir de la crise sociale et économique secouant le pays.

Aux élections régionales du 2 juin 2002, l’opposition remporte une victoire écrasante sur le parti du président.

À l’élection générale du 2 novembre 2003, les candidats pro-gouvernementaux sont déclarés élus, non seulement contre toute attente, mais également contre toute vraisemblance alors que le taux de popularité de Chevardnadze avoisinait 5 % des intentions de vote.

Les partis d’opposition appellent le peuple à la désobéissance civile; près de cent-mille protestataires défilent dans la capitale.

Le 22 novembre, alors que Chevardnadze prononce son discours d’investiture, la foule envahit l’édifice du parlement grâce à la passivité de l’armée.

Ce qui oblige le président à proclamer l’état d’urgence (ce qui ne donnera rien) et, le lendemain, à démissionner.

La location des autobus qui avaient conduit les protestataires dans la capitale, les roses qui leur furent distribuées à leur arrivée et les préparatifs qui s’étaient déroulés au cours des trois mois précédents ont représenté un déboursé de 42 millions$ pour George Soros.

À l’élection présidentielle anticipée qui suivit, le 4 janvier 2004, Mikhaïl Saakachvili, chef du parti d’opposition Mouvement national uni (financé principalement par George Soros) est élu.

Références :
Coup d’État de 1991-1992 en Géorgie
Crise diplomatique russo-géorgienne de 2008
Démographie de la Géorgie
Géorgie
Géorgie (pays)
Géorgie : Politique des minorités nationales
Géorgien
Guerre russo-géorgienne
L’OTAN s’implante en Géorgie
1992 en Géorgie
Ossétie du Sud
Première guerre d’Ossétie du Sud
Révolution des Roses
Russo-Georgian Conflict Originates With Soros Subversion
Salomé Zourabichvili
Zviad Gamsakhourdia (dans l’encyclopédie Universalis)
Zviad Gamsakhourdia (dans Wikipédia)

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Écrit par Jean-Pierre Martel