L’économie américaine s’est principalement développée à une époque où importer un litre de pétrole de l’autre bout du monde et le raffiner chez soi coûtait moins cher qu’importer un litre d’eau embouteillée.
Au début des années 1970, lorsque les pays producteurs de pétrole ont fait savoir que le pillage de leurs hydrocarbures avait assez duré, l’augmentation du prix du pétrole brut a provoqué une importante sortie de devises au profit des pays producteurs.
Pour pallier à cela, tous les pays se sont lancés dans des programmes d’économie d’énergie qui ont connu plus ou moins de succès. Et lorsque la menace de changements climatiques s’est précisée, des pays européens ont entrepris de modifier leur structure industrielle de manière à moins dépendre du pétrole.
Mais les États-Unis ont choisi une voie différente, celle de chercher par tous les moyens à revenir aux beaux jours du pétrole peu dispendieux.
Après avoir tenté sans succès de faire main basse sur le pétrole vénézuélien, après avoir favorisé l’exploitation pétrolière dans le golfe du Mexique (et refroidi l’ardeur des pétrolières à la suite de la catastrophe qui y est survenue), après avoir réussi à lever l’embargo mondial frappant le pétrole irakien sans toutefois réussir à inonder les marchés mondiaux de pétrole en provenance de ce pays, finalement les États-Unis ont réduit leur dépendance au pétrole du Moyen-Orient en le remplaçant par du pétrole canadien.
Si cette clientèle est très importante pour l’économie canadienne, cela ne change pas grand-chose pour les États-Unis qui ont remplacé une dépendance par une autre. Tout au plus, peuvent-ils se consoler en se disant que le Canada est un pays qui ne se servira pas de cet argent pour financer des attaques terroristes en sol américain. Bien mince consolation.
Après des années au cours desquelles ils ont prié pour que Dieu bénisse l’Amérique, il semble bien que finalement le Très-Haut a daigné Se pencher sur leur sort.
Depuis quelques années, la fracturation hydraulique a révolutionné l’extraction du gaz naturel. En brisant cette roche feuilletée qu’est le schiste et en libérant la multitude de petites poches de gaz qui s’y trouvent, ce procédé a permis en dix ans de faire passer de 2% à 37% la proportion de gaz de schiste dans la production totale de gaz naturel aux États-Unis.
En 2011, on comptait dans ce pays 493 000 puits actifs — dont 93 000 au Texas et 71 000 en Pennsylvanie — faisant des USA le premier producteur mondial de gaz naturel.
Même si chaque puits de gaz de schiste perd de 3,6 % à 7,9 % de son méthane dans l’atmosphère (c’est 30 % à 200 % de plus qu’un puits conventionnel), le risque le plus important de ce mode d’extraction est, de loin, la contamination possible des nappes phréatiques. C’est pourquoi cette industrie doit être sévèrement encadrée, ce qui est possible grâce à l’expérience acquise jusqu’ici.
En dépit de ce risque, qu’est-ce qui explique l’engouement américain pour cette industrie ?
D’abord, la création d’emplois : 1,7 million de postes ont été créés, essentiellement dans le secteur de la logistique.
Deuxièmement, le gaz de schiste augmente la compétitivité industrielle des États-Unis. En effet, le gaz naturel de ce pays est trois fois moins cher qu’en Europe et quatre fois moins cher qu’au Japon.
Non seulement cela permet aux entreprises américaines qui carburent au gaz de fabriquer à moindre coût et d’avoir de meilleurs prix de revient, mais cela force les fournisseurs d’autres sources d’énergie à baisser leurs prix afin de demeurer compétitifs.
Troisièmement, en diminuant la dépendance des États-Unis à l’égard du pétrole importé, on diminue le déficit commercial qui, autrement, serait encore plus élevé. En 2010, ce déficit colossal se chiffre à 498 milliards$ dont le tiers est représenté par l’importation de carburant fossile (Note : lorsqu’on tient compte de nos produits intérieurs bruts respectifs, le déficit commercial du Québec est 2 à 3 fois plus élevé que celui des États-Unis).
Quatrièmement, ils mettent l’économie chinoise à leur merci. Non seulement les États-Unis sont-ils un client important pour la Chine mais celle-ci dépend de la Pax Americana pour assurer la sécurité de ses approvisionnements maritimes.
Plus les États-Unis se libèrent de leur dépendance du Moyen-Orient, plus la Chine pourrait avoir à se débrouiller elle-même si cette région devient une poudrière. Et si elle ne l’est pas, plus les Américains auront intérêt à ce qu’elle le devienne…
Référence : Yergin D. La nouvelle donne énergétique. La Revue 2012; 28: 44-5.