Introduction
Le doyen de la faculté de droit de l’université McGill a fait paraitre aujourd’hui un texte qui accuse la loi 96 (en voie d’adoption) de comporter des effets néfastes sur l’administration de la justice et sur les droits et libertés fondamentaux.
J’ai eu l’occasion de critiquer sévèrement cette loi insuffisante, à mon avis, à réellement protéger le français au Québec.
Toutefois, je me limiterai ici aux reproches de Me Leckey qui, au contraire, la juge excessive.
La ‘menace’ au bilinguisme judiciaire
On ne doit pas confondre le bilinguisme de la magistrature avec le droit d’être jugé dans sa langue.
Étendu à l’ensemble de la magistrature québécoise, le bilinguisme quasi obligatoire des magistrats est une solution de facilité à un problème qui n’existe pas.
Tous les angloQuébécois peuvent obtenir un procès dans leur langue. Ce qui ne signifie pas que tous les juges du Québec doivent être bilingues au cas où ils auraient à entendre une cause en anglais.
Pas plus qu’il n’est nécessaire que tous les employés des commerces de Saint-Côme soient bilingues au cas où un touriste américain se présenterait dans ce village où 100 % de la population est francophone.
Pour garantir le droit incontestable des angloQuébécois d’être jugés dans leur langue, il faut suffisamment de juges aptes à les juger dans chacune des régions administratives du Québec.
Or, depuis trois décennies, on a généralisé l’obligation d’être bilingue pour accéder à la magistrature. Rarissime voilà trente ans, cette obligation s’est imposée progressivement jusqu’à s’appliquer à plus des deux tiers des concours de 2010 à 2020.
Non seulement cette bilinguisation à outrance est-elle illégale en vertu de la Loi 101, mais elle représente une discrimination à l’embauche exercée contre les avocats québécois dont la maitrise de l’anglais est imparfaite.
Lorsqu’une personne est accusée d’un crime ou d’un méfait, elle devrait avoir le droit de choisir la langue de son procès. Et le devoir des responsables de l’administration de la justice, c’est de confier ce procès à un magistrat capable d’accomplir cette tâche.
Or le droit d’être jugé dans sa langue implique que la décision du tribunal doit également être rendue dans la langue de l’accusé.
Celui-ci, surtout s’il perd sa cause, doit comprendre pourquoi il est condamné. Peut-on lui garantir une justice équitable lorsqu’il lui est facile d’imaginer que le tribunal n’a pas très bien compris la preuve présentée devant lui ?
La crédibilité du système juridique exige le respect de ce droit fondamental. Lorsque les deux parties parlent une langue différente, la primauté devrait aller à celle de l’accusé.
Au Québec, il n’arrive jamais qu’un angloQuébécois soit jugé dans une autre langue que la sienne. Quand cela arrive, l’accusé est toujours un locuteur francophone.
En effet, ce qu’on voit plutôt, ce sont des juges nommés par le fédéral incapables de rendre des jugements en français.
Et quand l’avocat de la défense proteste, il est condamné par son ordre professionnel pour refus de soutenir l’autorité des tribunaux.
Bref, lorsque Me Leckey insinue que le droit d’être jugé dans sa langue est mis en péril par la loi 96, il induit ses lecteurs en erreur. Ce droit était respecté avant l’adoption de cette loi et il continuera de l’être après.
Le problème est ailleurs.
L’indépendance du processus d’accession à la magistrature
La Commission Bastarache a révélé que pendant des années, le critère premier pour accéder à la magistrature québécoise fut non pas la compétence, mais l’allégeance politique.
Un bon candidat était celui qui avait contribué à la caisse électorale du Parti libéral du Québec, qui avait sollicité des fonds ou effectué du bénévolat pour lui lors des campagnes électorales.
Cette pratique, instituée sous le régime libéral corrompu de Jean Charest, a cessé lorsque ce dernier a été chassé du pouvoir en 2012.
Depuis la réforme établie par le Parti québécois, le processus de sélection des candidats à la magistrature est délégué à la profession juridique elle-même.
À l’issue de ce processus, celle-ci dresse la liste des candidats à nommer, fait part de ses préférences au Procureur général (c’est-à-dire le ministre de la Justice) qui, en retour, transmet cette liste au Conseil des ministres pour adoption.
Malheureusement, les instances juridiques qui avaient jusqu’ici le privilège exclusif de dresser cette liste ont abusé de ce privilège.
Par exemple, lorsque la juge en chef de la Cour du Québec et le Barreau transmettent au ministre une liste majoritairement composée d’avocats bilingues, ce n’est pas eux qui violent la Loi 101 puisque leur rôle est, techniquement parlant, purement consultatif.
Ce qu’ils font, c’est compromettre le Conseil des ministres en l’obligeant à violer la loi.
Ce qu’instaure la loi 96, c’est un mécanisme supplémentaire qui vise à s’assurer que tous les moyens raisonnables ont été pris pour éviter d’imposer l’exigence du bilinguisme lorsque cela n’est pas nécessaire.
À cette fin, le ministre de la Justice consultera le ministre responsable de l’application de la Loi 101. Actuellement, ces deux postes sont cumulés par la même personne. Mais cela ne sera pas toujours le cas.
Bref, ce nouveau mécanisme n’a aucun rapport avec une violation de droits fondamentaux. C’est simplement la fin d’un pouvoir dont la profession juridique a abusé.
La ‘preuve’ que la Loi 101 viole des droits fondamentaux
Au sujet de la francisation des entreprises employant de 25 à 49 personnes, le doyen de la faculté de droit de McGill prédit :
‘…toute enquête menée par le gouvernement concernant le respect des obligations linguistiques des entreprises sera conduite nonobstant le droit de chacun à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, pourtant consacré dans les deux chartes canadienne et québécoise.’
Le doyen de McGill s’inquiète de voir surgir de tels abus puisque la loi qui prescrit l’élargissement de la Loi 101 aux entreprises de 25 à 49 employés le fait en invoquant la clause dérogatoire de la constitution.
Fondamentalement, la loi 96 l’invoque en raison du manque total de confiance du législateur québécois envers la magistrature canadienne quant aux moyens qu’il peut prendre pour assurer la pérennité du français au Québec.
Le Québec n’a pas oublié que la Canadian Constitution de 1982 est essentiellement une camisole de force supra législative adoptée par l’ethnie dominante du pays qui visait, entre autres, à contrer des dispositions majeures de la Loi 101. Voilà pourquoi la magistrature canadienne n’a pas cessé depuis d’invalider des pans entiers de cette loi.
Si on veut éviter que la loi 96 connaisse le même sort, il est nécessaire d’invoquer cette clause dérogatoire.
Le danger hypothétique et insignifiant de perquisitions abusives auprès de petites entreprises est un argument qui ne fait pas le poids face au droit collectif d’assurer la survie du français au Québec.
Références :
Anglicisation du Québec : l’omelette de la loi 96
Doit-on interdire l’accès à la magistrature aux avocats québécois unilingues français ?
Être condamné dans une langue qu’on ne comprend pas
Le défilé des Rhodésiens
Loi 96 : une atteinte à la justice et aux droits fondamentaux
Multiplication des postes de juges bilingues depuis 15 ans au Québec
Quatre-millions de Québécois victimes de discrimination à l’embauche
Postscriptum : Le present texte a été modifié depuis sa publication; les cinq derniers paragraphes datent du 28 septembre suivant.