Le doux sommeil de l’Office de la langue française

Publié le 1 septembre 2011 | Temps de lecture : 6 minutes
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De 2005 à janvier 2011, France Boucher — fille d’Andrée Boucher, la défunte mairesse de Québec — occupait la fonction de présidente de l’Office de la langue française. C’est une des 6,400 nominations politiques du gouvernement Charest. Son mandat cinq ans à la tête de cet organisme fut un désastre.

Parmi ses nombreuses tâches, l’Office possède la responsabilité d’effectuer des études sociologiques et démographiques qui permettent à l’État de connaitre de la situation du français au Québec. De son côté, le Comité de suivi de l’Office est formé d’experts qui jugent de la valeur scientifiques des études effectuées.

Ces études sont extrêmement importantes puisqu’elles donnent au Québec la possibilité de se prévaloir de la deuxième clause dérogatoire de la Constitution canadienne. La première est bien connue : c’est l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle permette de suspendre n’importe quelle disposition de cette charte sauf lorsqu’il s’agit de la langue d’enseignement.

Mais la Charte a également une clause dérogatoire officieuse : c’est l’article premier. Il donne aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’autoriser n’importe quelle autre dérogation — y compris sur la langue d’enseignement — « dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. »

Une telle dérogation ne peut se justifier que pour des raisons sérieuses, idéalement appuyées par des études scientifiques. Sans elles, les avocats chargés de défendre les lois protégeant le français au Québec sont handicapés devant les tribunaux du pays.

En mars 2008, alors qu’une bonne partie des experts du Comité de suivi démissionnaient avec fracas, on apprenait que sous le mandat de Mme Boucher, l’Office retardait la publication d’études susceptibles de troubler la paix linguistique au Québec. De plus, son rapport 2002-2007 sur l’évolution de la situation linguistique, dévoilé en 2008, est basé en grande partie sur les données du recensement de 2001 de Statistique Canada (et non sur les données de 2006).

Malgré la vétusté de ces données, ils démontrent que 57,2% des allophones qui habitaient l’île de Montréal adoptaient l’anglais comme langue d’usage et qu’un immigrant sur cinq n’utilisait jamais le français au travail il y a dix ans.

Donc depuis une décennie, le Québec accueille annuellement environ 50,000 immigrants qui choisissent à 60% de devenir anglophones et qui s’établissent en grande partie dans la région montréalaise. Ça commence à faire du monde. D’autant plus que le taux de natalité des néoQuébécois est nettement plus élevé que celui des Francophones et des Anglophones de souche.

Résultat ? Il suffit de s’ouvrir les oreilles pour savoir qu’en huit ans de gouvernement libéral, Montréal est devenu majoritairement une ville anglophone. C’est ce qui explique la multiplication des occasions où des francophones reçoivent malgré eux des services en anglais.

Un autre rôle de l’Office est justement de recevoir les plaintes des citoyens relativement à la langue de service. Comment l’Office s’acquitte-t-il de cette responsabilité ? Hier, une intervention publique de la nouvelle présidente de l’Office, Mme Louise Marchand, nous permet d’en juger.

La grande majorité des francophones qui sont servis en anglais ne portent jamais plainte. L’Office reçoit environ 400 plaintes par année relativement à la langue de service dans les commerces : c’est 15% de l’ensemble des plaintes que reçoit cet organisme, sur un total de 2,500 à 3,000 plaintes.

Même si 82% d’entre elles sont fondées, l’Office impose des amendes ou procède à des poursuites dans seulement 2% des infractions observées. Depuis que les Libéraux sont au pouvoir, l’Office se laisse « enfirouaper » dans 98% des cas et ne fait absolument rien. Le résultat est ce que tous les Montréalais observent : l’anglicisation de la métropole.

Parmi les commentaires écrits en réaction à la publication de ces données, un lecteur du Devoir témoigne : « J’ai porté plainte auprès de l’Office de la langue française contre un commerce du quartier chinois au sujet de l’affichage en français, ainsi que le service et les produits vendus non traduit en français. Après deux ans, rien n’a changé et on m’a fait comme réponse que si l’Office appliquait la loi, le magasin serait en faillite.»

De plus, Denis Poitras (un autre lecteur) écrit : « J’ai déjà porté plainte pour un produit avec des instructions sans français. J’ai reçu un accusé-réception, puis plus rien ; même pas de rapport. Est-ce que ça incite à porter plainte à nouveau ?»

Comme solution au laxisme de l’Office, j’ai proposé dans un billet antérieur que la défense du français au Québec soit remise entre les mains du peuple.

En bref, j’ai suggéré que les clients francophones servis en anglais aient le droit de porter plainte devant la Cours des petites créances et que l’amende imposée par le tribunal soit versée au plaignant.

Références :
Charest change la garde à l’Office de la langue française
Charte canadienne des droits et libertés
Language czars can’t handle the job
La présidente de l’Office refuse de se mouiller
L’Office québécois de l’absurdité
Réaction aux propos de François Legault – Les amendes ne sont pas une panacée, dit l’OQLF

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Détails techniques de la photo : Panasonic GH1, objectif Lumix 14-45mm — 1/80 sec. — F/5,6 — ISO 160 — 45mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel