Vive les paradis fiscaux !

14 novembre 2017

Introduction

Il est de ces documents qui tombent mal.

Une semaine après l’éclatement du scandale des Paradise Papers, voilà le ministère des Finances du Québec qui publie un document de 246 pages qui, implicitement, se porte à leur défense.

Au contraire de son titre — Paradis fiscaux : plan d’action pour assurer l’équité fiscale — ce document est un plaidoyer qui justifie l’inaction du gouvernement Couillard.

En réplique au rapport de la Commission des finances publiques, remis en mars dernier et salué unanimement, ce document, préparé en secret par les hauts fonctionnaires du ministère, est publié au pire moment, alors que toute la planète se scandalise de l’ampleur du phénomène de l’iniquité fiscale.

Le lendemain de sa publication, le ministre des Finances écartait toute possibilité pour le Québec de se retirer des ententes avec des paradis fiscaux, parce que cela, disait-il, « entrainerait une hausse du fardeau fiscal au Québec ». Ceci est un contresens.

La lutte contre les paradis fiscaux a précisément pour but d’augmenter le fardeau fiscal de ceux qui y recourent.

Cela n’augmente pas le fardeau fiscal des gens comme vous et moi. Au contraire, dans la mesure où les riches se mettent à payer leur juste part des dépenses de l’État, le simple citoyen a moins à le faire.

Faits saillants du document

D’entrée de jeu, le document établit la distinction entre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. En réalité, l’évitement fiscal n’est que de l’évasion fiscale légalisée.

Puis le document souscrit au principe qui justifie les ententes fiscales avec les paradis fiscaux : éviter la double imposition.

En vertu de ce principe, les profits transférés dans un paradis fiscal seront imposés dans cette juridiction plutôt que dans le pays où ces profits ont été réalisés.

Or ce principe est complètement illogique. Tout profit réalisé au Québec doit être imposé au Québec. Est-il juste que ce même profit puisse l’être une deuxième fois s’il est transféré dans un paradis fiscal ? On s’en fout; ce n’est pas notre problème.

Puis le document suggère que les politiques du Québec soient coordonnées avec celle du gouvernement canadien. Il est évident qu’une telle coordination facilite les choses.

Mais qu’arrive-t-il si ce gouvernement est complice de l’évasion fiscale, comme le révèlent les Paradise Papers ? Ah, ce n’est pas prévu.

Le gouvernement Couillard se veut l’intendant régional du régime colonial canadien. Donc si le fédéral ne fait rien, on ne fait rien. Couché le bon chien.

Et l’argument central de ce laissé-faire : s’attaquer à l’évitement fiscal inciterait les compagnies à déplacer leurs activités à l’extérieur du Québec.

À la page 117, le document reconnait qu’il existe peu de données concernant l’ampleur du phénomène des paradis fiscaux et l’impact de ceux-ci en matière de pertes fiscales pour les pays touchés.

Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer catégoriquement à la page 31 — comme le magicien qui sort soudainement un lapin de son chapeau — qu’une taxe sur les profits détournés au Québec pourrait entrainer une perte d’environ 68 000 emplois, une baisse du PIB de 7,5 milliards$ et une diminution des revenus fiscaux de 672 millions$.

Bref, ce serait la catastrophe.

La réalité

Sur les 468 753 sociétés en activité au Québec, des milliers sont des particuliers incorporés.

Pourquoi des avocats, des médecins, des copropriétaires de pharmacies, et divers professionnels fortunés s’incorporent-ils ? Pour sauver de l’impôt. Et pour en épargner encore plus, il leur suffit d’ouvrir un compte dans un paradis fiscal. Pourquoi devraient-ils y renoncer puisque c’est parfaitement légal ?

Il suffit d’avoir des amis ou des connaissances qui exercent une profession libérale ou qui possèdent une entreprise prospère pour savoir que le recours aux paradis fiscaux est monnaie courante.

Bref, il n’y a que le ministre des Finances qui feint de l’ignorer. Il fait semblant parce que ces personnes font partie de la clientèle-cible du Parti libéral.

Je ne peux pas croire que ces milliers de particuliers qui profitent des paradis fiscaux vont fermer leurs cabinets professionnels ou leurs lucratifs commerces de vente au détail afin de recommencer leur vie et de se partir une nouvelle clientèle ailleurs dans le but d’épargner quelques dizaines de milliers de dollars au fisc québécois. Et ce, sans savoir si quelques années plus tard, la province canadienne ou l’État américain dans lequel ils auront déménagé ne suivra pas l’exemple du Québec.

Regardez le compositeur Luc Plamondon. Il s’est établi en Irlande afin d’économiser de l’impôt. Nommez-moi un seul grand succès qu’il a créé depuis ce temps. Depuis qu’il y est, sa source créatrice s’est tarie. Déraciné, il est devenu un has-been.

Quant aux véritables entreprises internationales, elles sont au Québec non pas grâce aux paradis fiscaux, mais grâce aux généreuses subventions qu’elles ont reçues afin de s’installer chez nous et grâce à la présence d’une main-d’œuvre qualifiée et d’infrastructures qui rendent leurs opérations rentables.

Conclusion

L’argument central du document est que les bénéficiaires des tactiques d’évitement fiscal sont des gens importants dans l’économie québécoise et que si on s’attaque à eux, ils risquent de déménager leurs opérations sous d’autres juridictions et ainsi créer du chômage au Québec.

Cet argument est central au néolibéralisme; il ne faut surtout pas s’attaquer aux riches parce que cela pourrait nous retomber sur le nez.

Dans le film République, un abécédaire populaire, Alain Deneault — cité sur ce blogue — taille en pièces cette argumentation fallacieuse.

Alors que les Paradise Papers provoquent une indignation planétaire, on s’étonne que le gouvernement Couillard ait choisi ce moment pour afficher une position aussi réactionnaire.

Par-dessus tout, il est regrettable que nos impôts servent à produire ce genre de propagande néolibérale et à essayer de nous faire croire qu’il est dans notre intérêt d’accepter que la classe moyenne soit la seule à supporter le poids fiscal de l’État.

Références :
La filière canadienne
Le phénomène du recours aux paradis fiscaux
Paradis fiscaux : plan d’action pour assurer l’équité fiscale
Paradis fiscaux: Québec crée une escouade pour traquer les mauvais contribuables

Parus depuis :
Toujours plus d’intimité entre Bay Street et les paradis fiscaux (2017-11-25)
Où sont les 25 milliards dus au fisc? (2017-12-04)
Panama Papers : 500 millions récupérés dans le monde, rien au Canada (2018-01-09)
Gabriel Zucman : « Comprendre les implications de l’évasion fiscale » (2018-05-28)
Panama Papers : 1,2 milliard de dollars ont été récupérés dans le monde (2019-04-02)
L’impôt sur le revenu presque à son plus bas en 26 ans (2019-09-25)
Des dizaines de dirigeants mondiaux exposés dans les « Pandora Papers » (2021-10-04)
Les intouchables : KPMG a caché l’argent de riches clients (2022-06-21)
La Banque Royale forcée de révéler qui se cache derrière 97 comptes aux Bahamas (2022-07-27)
La Caisse de dépôt et placement du Québec légitime de plus en plus les paradis fiscaux (2023-04-29)
Les cadeaux fiscaux aux entreprises ont augmenté de 80% sous la CAQ (2023-10-19)
La grande évasion fiscale des multinationales continue (2023-10-22)

Sur le même sujet :
Les réductions d’impôts consenties aux riches, stimulent-elles l’économie ?

Un commentaire

| Économie | Mots-clés : , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


L’honorable banque HSBC

10 février 2015
Édifice de la HSBC à Shanghai (1923)

Le sigle HSBC signifie Hong Kong & Shanghai Banking Corporation. Cette banque a été fondée à Hong Kong en 1865 dans le but de financer le trafic de l’opium imposé à la Chine par l’Angleterre.

Lorsque Hong Kong fut rétrocédé à la Chine en 1997, cette banque déménagea à Londres, plus précisément au 8 Place du Canada.

Avec son acquisition en 2002 de la Household Finance Corporation aux États-Unis, au coût de 15,5 milliards$, la HSBC devenait le deuxième plus important prêteur hypothécaire à risque aux États-Unis et une des principales institutions qui vendaient aux investisseurs des produits financiers toxiques sous de fausses représentations.

En 2005, Bloomberg accusait la HSBC d’être impliquée dans le blanchiment d’argent des trafiquants de drogue et dans le financement du terrorisme chiite au Proche-Orient.

En février 2007, son annonce d’importantes provisions destinées à éponger les pertes encourues lors de l’effondrement de la valeur des titres hypothécaires toxiques fut le tout premier signe de la crise financière mondiale de 2007.

En 2010, à la suite d’une fuite de renseignements, la police française a obtenu le détail de 30 000 comptes bancaires détenus secrètement dans la succursale suisse de la HSBC, représentant des actifs de 120 milliards$. Ces données ont été partagées avec le fisc de différents pays (dont le Canada) dès cette année-là.

De ces 30 000 comptes, près de 2 000 appartenaient à des citoyens canadiens.

Cette même année, Stephen Green — le PDG de la HSBC de 2006 à 2010 — était nommé ministre d’État du Commerce et de l’Investissement dans le cabinet du Premier ministre actuel du Royaume-Uni. Quelques mois plus tard, il état également nommé Lord à vie et baron de Hurstpierpoint, ce qui lui ouvrait automatiquement la porte de la Chambre des Lords. Il a quitté le cabinet conservateur en décembre 2013 mais il est toujours membre de la Chambre des Lords.

Après avoir nié les accusations de blanchiment d’argent au profit de trafiquants de drogue mexicains portées contre elle par Bloomberg en 2005, la HSBC a accepté de payer en 2012 la somme de 1,9 milliard$ au gouvernement américain en vertu d’une entente hors cour.

De plus, elle fait présentement face à des poursuites pour ses lacunes à déceler des transferts d’argent représentant 19,4 milliards$ en provenance ou à destination de l’Iran, en dépit des sanctions américaines.

Parce qu’elle a bien su refiler ses titres toxiques aux investisseurs, la HSBC a très bien traversé la Grande récession.

En 2014, ses actifs étaient de 2 671 milliards$ et des profits de 16,3 milliards$.

Cette année là, selon Forbes, la HSBC était la sixième plus grosse banque au monde, la quatorzième plus importante compagnie (toutes catégories confondues) et la plus importante entreprise du Royaume-Uni.

En septembre 2014, cette banque a accepté de payer 550 millions$ à deux sociétés hypothécaires américaines pour les avoir induites en erreur relativement à la valeur réelle des titres hypothécaires toxiques qu’elle leur vendait avant la Grande récession.

En novembre 2014, la HSBC a payé une petite amende de 12,5 millions$ pour avoir encouragé l’évasion fiscale de citoyens américains. Toutefois, à ce jour, aucun citoyen américain faisant affaire avec cette banque n’a été accusé par le fisc. Cette impunité fait présentement l’objet d’un scandale aux États-Unis.

Le gouvernement Harper a négocié secrètement le remboursement de sommes impayées par un petit nombre de fraudeurs mais n’a pas jugé bon intenter des poursuites à ce sujet.

Le résultat est que les fraudeurs canadiens ne sont pas incités à prendre l’initiative de se dénoncer; ils ont intérêt à ne rien dire et à payer les sommes dues si jamais ils se font pincer.

En vertu de la loi et de l’ordre — un thème cher au gouvernement Harper — on se demande pourquoi le citoyen surpris à voler un pain à l’épicerie devrait se retrouver avec un casier judiciaire, alors que celui qui vole des millions au fisc ne devrait que payer les sommes dues.

La France et la Belgique ont récupéré à ce jour 620 millions$ d’impôts impayés par leurs citoyens qui avaient choisi leur compte à la HSBC comme moyen d’évasion fiscale. Le Royaume-Uni n’en a récupéré que 205 millions$ (beaucoup moins que la France et la Belgique), ce qui vaut actuellement au gouvernement anglais des accusations de laxisme par son opposition officielle.

Conclusion

Le cas de la HBSC illustre parfaitement la pourriture morale qui gangrène les marchés financiers occidentaux. Ces institutions sont des putains, prêtes a se livrer au blanchiment d’argent, à l’évasion fiscale, à la tromperie de leurs clients, afin de maximiser les profits au bénéfice de leurs actionnaires.

De nos jours, une partie considérable des transactions financières ne consiste pas à créer de la richesse au bénéfice de populations entières, mais à soutenir une économie futile basée sur le gonflement artificiel de la valeur capitalisée des entreprises, créant ainsi une richesse sur papier aussi fragile qu’un château de cartes.

Références :
Crise financière mondiale débutant en 2007
150 journalistes ont été mobilisés pour décrypter le «SwissLeaks»
Crise des subprimes
Des fortunes canadiennes à l’abri de l’impôt en Suisse
En bref – HSBC: 2000 comptes canadiens en Suisse
High Court Snubs $2.7B HSBC Iran Sanctions Case
HSBC
HSBC pays $550M over risky mortgage bonds
Labour keeps up pressure over lack of HSBC prosecutions
Stephen Green, Baron Green of Hurstpierpoint
The World’s Biggest Public Companies
US government faces pressure after biggest leak in banking history
US prosecutors weigh criminal charges against HSBC as Elizabeth Warren turns up the heat

Parus depuis :
Le mythe de l’impuissance (2015-02-11)
Les fraudes d’HSBC : Pousse-au-crime (2015-02-11)
« Swissleaks » : HSBC abritait aussi des « parrains du terrorisme » (2015-02-11)

Détails techniques : Appareil Panasonic GH1, objectif Lumix 14-45mm — 1/320 sec. — F/7,1 — ISO 100 — 14 mm

3 commentaires

| Économie | Mots-clés : , , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel