Le Centre de services partagés (CSP) est un magasin virtuel gouvernemental. Il a pour mission de fournir ou de rendre accessibles les biens et les services administratifs dont les organismes publics ont besoin dans l’exercice de leurs fonctions.
Plus tôt ce mois-ci, le Conseil des ministres du Québec adoptait un décret demeuré secret autorisant le CSP à acheter illégalement — c’est-à-dire sans appel d’offre — des mises à jour de logiciels connus (essentiellement, des mises à niveau de Windows, de la suite bureautique de Microsoft, des anti-virus et des pare-feu). Cela représente une somme estimée à 800 millions de dollars sur sept ans (Note : voir le commentaire ci-dessous).
Ne cherchez pas le texte de ce décret sur l’internet : il a été adopté en catimini et a circulé confidentiellement dans le cercle des fournisseurs informatiques du gouvernement. Toutefois, le quotidien Le Devoir en a eu vent, ce qui nous permet d’en parler.
L’an dernier, plus précisément le 3 juin 2010, la Cour supérieure du Québec condamnait la Régie des rentes du Québec pour avoir fait l’acquisition en 2008 de logiciels de Microsoft sans procéder à des appels d’offre.
Devant le tribunal, le fournisseur de la Régie, le fameux CSP, s’était défendu en invoquant qu’il ne s’agissait-là que de mises à niveau et non d’achats de versions complètes.
Cet argument n’avait pas impressionné le Tribunal : celui-ci avait estimé que la Régie aurait dû publier les critères recherchés et permettre aux fournisseurs de logiciels libres (comme Open Office) de soumettre des devis.
Par ce nouveau décret, le gouvernement invite le CSP à commettre des gestes déjà reconnus illégaux par les tribunaux du pays.
À mon avis, le gouvernement a tort. Mais j’avoue que les logiciels sont une marchandise très spéciale.
Lorsqu’une entreprise décide de changer de logiciel, le coût de la formation de la main-d’œuvre est considérablement plus élevé que le prix d’acquisition des mises à niveau de logiciels commerciaux comme Windows, Word ou Excel.
De plus, la perte temporaire d’efficacité du personnel — habitué à ses touches de raccourcis, ses macros et les dizaines de trucs appris au fil des années d’utilisation de logiciels archi-connus — doit également être prise en considération.
D’autre part, les logiciels d’une suite bureautique comme Open Office, ne sont pas très différents de la suite bureautique de Microsoft. Pour la très grande majorité du personnel — c’est-à-dire pour tous ceux qui utilisent moins de 10% des capacités d’un logiciel comme Word — le passage à un traitement de texte puissant et gratuit se fait sans trop de douleur.
Mais pour les responsables de la comptabilité ou de la tenue de livre qui sont également de véritables petits sorciers d’Excel, le passage à un chiffrier gratuit peut être vécu comme une catastrophe et effectivement s’accompagner d’une importante perte de productivité s’étendant sur plusieurs mois.
De plus, les logiciels d’appoint, faits sur mesure par des firmes informatiques spécialisées, payés à prix d’or et qui servent à automatiser des tâches complexes sous Windows — par exemple produire un rapport mensuel en appuyant sur une touche — ne sont généralement pas transposables à d’autres suites bureautiques puisque leur prise en charge automatique par programmation, est extrêmement rudimentaire.
Un pays comme l’Allemagne a décidé voilà quelques années de passer aux logiciels sous Unix, à la fois pour des raisons sécuritaires et budgétaires. En effet, les bogues et les failles de sécurité sous Windows sont innombrables et constituent une plaie depuis presque vingt ans. L’Allemagne a décidé que c’en était assez. Mais son exemple a été peu suivi.
En adoptant son décret, le Conseil des ministres réduit de beaucoup le pouvoir de marchandage de ses acheteurs auprès de Microsoft puisque cette compagnie connaît déjà les réticences du gouvernement à acheter la suite rivale gratuite.
Ce qu’on ignore, c’est si ce décret est valable seulement pour les achats effectués directement auprès des compagnies comme Microsoft ou s’il permet aussi les achats auprès des distributeurs nationaux ou régionaux de ces compagnies.
L’État ne peut pas obtenir de meilleurs prix qu’en négociant directement avec Microsoft. Toutefois, si le décret permet l’achat sans appel d’offre auprès d’intermédiaires, cela est complètement illogique. On pourrait alors penser que le Conseil des ministres veut simplement les transformer en contributeurs à la caisse électorale du Parti libéral, après les entrepreneurs en construction, les firmes d’ingénieurs-conseils, les propriétaires de garderies, les avocats candidats à la magistrature, etc. Bref, ce serait alors une autre occasion de s’en mettre plein les poches, à nos frais.
À mon avis, le gouvernement aurait été mieux avisé d’encourager ses différents ministères à recourir aux logiciels gratuits chaque fois que leur adoption ne cause pas trop de problème, de faire l’inventaire des besoins résiduels en logiciels brevetés et d’amender la loi pour permettre l’achat de logiciels commerciaux dont les noms se trouveraient sur une courte liste pré-établie.
Si, au Conseil des ministres, le ministre de la Justice était autre chose qu’un pantin, il aurait défendu le respect de la loi. Soit qu’il ne l’a pas fait ou qu’il n’a pas été écouté. Dans un cas comme dans l’autre, c’est dommage.
Références :
Informatique – Québec choisit les logiciels sous licence, sans appel d’offres
Le logiciel libre remporte une victoire en cour
Québec blâmé d’avoir fait affaire avec Microsoft sans appel d’offres