Petite histoire de l’État moderne

Publié le 8 mai 2013 | Temps de lecture : 7 minutes

La naissance de l’État

MésopotamieTant que l’Humanité était nomade, elle pouvait s’organiser en tribus mais seule la sédentarisation permettra la naissance de l’État.

Bien avant la Chine, c’est en Mésopotamie (dans l’Irak actuel) qu’est née l’agriculture, il y a environ 11 500 ans. L’agriculture y est née parce que le climat de l’époque s’y prêtait et parce que cela était plus commode; au lieu de marcher des dizaines de kilomètres afin de trouver les aliments dont ils avaient besoin, les chasseurs-cueilleurs ont rapproché ces plantes d’eux et les ont cultivées. Précisons que les premiers agriculteurs étaient des femmes : les hommes se réservant la chasse comme chasse gardée.

Mille ans plus tard, entre la Perse et la Mésopotamie, la domestication de la chèvre, du mouflon (ancêtre du mouton), du sanglier et de l’aurochs (ancêtre du bœuf) achève la sédentarisation des anciens peuples nomades de la région. Ces ongulés sont parqués, nourris et soignés dans le but d’obtenir leur lait, leur fourrure, leur cuir et leur viande.

Deux milles ans plus tard, on y invente l’irrigation. Or jusque là, seule une tout petite partie de la Mésopotamie recevait les 25 cm de pluie annuelle nécessaires à l’agriculture sèche (sans irrigation). Avec la construction de canaux d’irrigation, l’agriculture s’étendra à toute la région.

Au départ, seules les terres bordant les rivières (le Tigre et l’Euphrate) en profitent. Mais avec la diminution de la famine et l’explosion de la population, un nouveau phénomène apparait.

Jusque là, lorsqu’une colonie devenait trop importance, le sol devenait incapable de nourrir tout le monde. Le clan se brisait; un groupe essaimait vers un territoire situé plus loin. En Mésopotamie, il suffisait d’étendre le réseau d’irrigation pour que la capacité nourricière du sol augmente. Pour la première fois, la nécessité de collaborer — afin d’accroitre l’irrigation — finit par dominer.

Le village bordant la rivière se transforme en une ville traversée par elle. Déjà on voit apparaitre des métiers spécialisés (forgerons, menuisiers, ébénistes, tailleur de pierre, etc.).

Puis nait la cité-État lorsque l’étendue du territoire à irriguer nécessite une autorité apte à coordonner la construction de réseaux de digues et de barrages amenant l’eau sur de très longues distances, et lorsque la vulnérabilité de tout le réseau aux envahisseurs en font un enjeu stratégique.

Il y a 5 000 ans, les grands ouvrages collectifs apparaissent. Il y a 3 000 ans, ces ouvrages deviennent colossaux. Le roi assyrien Sennacherib fait construire un canal de 80km de long et 20m de large pour alimenter en eau la capitale de son royaume.

Évidemment, chaque royaume possède son armée. Puisqu’un peuple doté de soldats entrainés est avantagé par comparaison avec les populations laissées à leur sort, tous les autres peuples sont forcés de suivre l’exemple des premières cités-États. Au fil des conquêtes et des alliances féodales, les Nations se construisent. Et ce que les guerres échouent à accomplir, les alliances matrimoniales entre dynasties font le reste…

La guerre et la naissance de la finance

Au VIIIe siècle, pour financer la guerre aux Musulmans qui avaient envahi le Sud de la France, Charles Martel avait confisqué les avoirs des églises de France et avait fait fondre le métal précieux des objets liturgiques. Mais quelques siècles plus tard, les armes lourdes et l’obligation d’engager des mercenaires rendent les guerres trop onéreuses pour les États.

On doit alors solliciter des emprunts auprès de marchands fortunés établis hors des frontières du royaume. Mais ces prêts sont risqués et leurs taux d’intérêts prohibitifs. Peu à peu, ces prêteurs délaissent le négoce de biens (responsable jusque-là de leur fortune), au profit du prêt usuraire. C’est la naissance de la finance.

Au cours des siècles qui suivront, finance et noblesse feront bon ménage. Attiré par la perspective d’anoblissement (et les privilèges qui en découlent), les marchands fortunés prêteront aux nobles qui vivent au-dessus de leurs moyens.

Et quand Bonaparte envahira l’Europe et ce faisant, menacera la solvabilité d’une multitude de princes allemands endettés, les grands financiers autrichiens donneront à Wellington les moyens de battre Napoléon à Waterloo.

Puis tout au cours du XIXe siècle, c’est autour de la table de grands financiers que se règleront les petits conflits dynastiques susceptibles de dégénérer en effusion de sang.

La naissance de l’État-providence

De garant de l’intégralité du territoire et de protecteur de sa population contre les envahisseurs, l’État le transforme peu à peu en dispensateur de services.

Dès l’antiquité, il est le seul suffisamment puissant pour arbitrer les différents. La Justice devient sa prérogative. Il fait les lois qui régissent la vie collective.

Et pour faciliter les échanges au sein du royaume et conséquemment, sa prospérité, les États construisent des routes (et beaucoup plus tard, des voies ferrées, et des aéroports).

Dès Henri IV, on installe à Paris quelques fontaines publiques dans le but de faciliter l’approvisionnement en eau potable de la population.

Depuis la Réforme luthérienne, la nécessité de lire la Bible dans le texte est un puissant motivateur pour l’apprentissage de l’écriture et de la lecture chez les peuples protestants. Cette motivation n’existe pas alors dans les pays catholiques. Or, lorsqu’arrive la révolution industrielle, une main d’œuvre qualifiée est un avantage concurrentiel pour n’importe quel pays.

Les États mettent alors sur pied l’instruction publique qui, par le biais de l’enseignement de l’histoire, contribuent également au sentiment d’appartenance à la Nation. Quelques siècles plus tard, l’instruction publique est gratuite au niveau primaire et secondaire, et est très largement subventionnée (ou est gratuite, selon les pays) au niveau universitaire.

Dans le but de réduire l’insalubrité séculaire des grandes villes européennes, on repoussera vers la périphérie l’abattage des animaux de boucherie, on mettra sur pied la collecte des ordures domestiques, et l’approvisionnement en eau potable.

Dès la fin du XIXe siècle en Amérique du Nord, les bénévoles responsables du combat des incendies sont remplacés par des pompiers payés et équipés par les gouvernements municipaux.

Pendant la Grande dépression des années 1920, l’État américain met en place une politique de grands travaux pour relancer l’activité économique.

Au XXe siècle, l’État prend la relève des sociétés de secours et crée l’assurance-chômage et la pension de vieillesse. Puis, afin que les entrepreneurs disposent d’une main-d’œuvre saine et vigoureuse, on crée l’assurance-maladie et dans certains pays, l’assurance-médicaments.

Depuis quelques années au Québec, les mères désirant retourner au travail bénéficient d’un réseau de garderies publiques.

Les familles sont également soulagées du fardeau de soutenir leurs aïeux grâce à un réseau d’hospices et de résidences publiques pour personnes âgées.

Toutes ces mesures sociales sont financées par les taxes et les impôts payés par les citoyens et gérés par l’État. Et pour assumer ces services, les gouvernements doivent faire construire des édifices, payer des employés, acheter des fournitures, etc.

Et plus ces mesures sont coûteuses, plus grande est la place de l’État dans l’économie. Donc, plus les citoyens sont taxés. Parce que tout se paie.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’utilisateur-payeur ou le chacun pour soi

Publié le 7 juin 2012 | Temps de lecture : 8 minutes

Le concept de l’utilisateur-payeur

Le 30 octobre 2007, le ministère des Finances du Québec créait un groupe de travail sur la tarification des services publics. Implicitement, le mandat de ce comité était de conseiller le gouvernement dans la manière d’augmenter les revenus de l’État par le biais de la tarification, que ce soit des tickets modérateurs, des primes d’assurance ou des frais de service. En 2008, ce groupe de travail remettait son rapport de 314 pages.

C’est à partir de ce document, assez bien documenté, que s’est répandue l’idée qu’on devrait augmenter les tarifs de nombreux services gouvernementaux afin de réduire le déficit gouvernemental et qu’éventuellement, les utilisateurs paient le prix véritable des services qu’ils reçoivent.

Le but de tout cela est de transférer à la charge de l’utilisateur, une part croissante des coûts assumés jusqu’ici par l’ensemble des contribuables. En somme, ceux qui n’ont jamais recours à un service gouvernemental n’auraient plus à payer pour les autres.

Le rapport écrit : « Les tarifs, lorsqu’ils sont définis de façon adéquate, ont pour effet d’infléchir les comportements des utilisateurs dans la bonne direction (;) de réduire le gaspillage des ressources, de protéger l’environnement et d’assurer la pérennité de notre patrimoine, tout en dégageant le financement nécessaire pour assurer la qualité du service et contrer le vieillissement des infrastructures. (…) L’enjeu en cause dépasse donc la stricte question financière : les tarifs constituent un outil essentiel pour gérer nos comportements collectifs de la façon la plus efficace possible, et cela pour le meilleur intérêt de tous.»

Distinguer services gouvernementaux, subventions, et mesures sociales

Lorsqu’un citoyen achète un permis (de conduire, de chasse, etc.), il est normal que le tarif demandé tienne compte de tous les frais encourus pour l’émission de ce permis.

Dans de nombreux cas, les tarifs exigés sont inférieurs aux coûts réels. Par exemple, les revenus perçus par Société des traversiers du Québec ne couvrent que 22 % des coûts du service. Ou encore : les loyers et frais perçus par le Palais des congrès de Montréal ne représentent que 39% de ses coûts réels.

Dans le premier cas, on peut choisir de subventionner un service de traversier dans le but d’éviter l’extinction d’une population insulaire ou de diminuer les risques reliés à son isolement. Dans le deuxième cas, il peut s’agir d’une subvention à l’industrie des congrès : une telle décision peut se justifier par des retombées économiques qui dépassent très largement la subvention publique accordée à la tenue des congrès eux-mêmes.

De la même manière, le Fonds d’assurance-récolte du Québec est déficitaire dans le cadre des politiques de soutien aux agriculteurs.

Par contre, les « Garderies à 7$ » représentent une mesure sociale. Y appliquer le principe de l’utilisateur-payeur ferait passer le tarif journalier de 7$ à 37$. Ce serait oublier que cette mesure a été mise sur pied afin de faciliter la participation des chefs de famille monoparentale (surtout des femmes) au marché du travail.


 
Puisque cette mesure sociale était à l’origine une promesse électorale d’un parti politique élu sur la base de cette promesse, on a affaire ici à un choix de société. Cela n’est pas le cas, par exemple, de la décision gouvernementale de hausser les frais de scolarité qui n’est qu’un choix budgétaire, validé au préalable par aucun scrutin.

L’enjeux caché

Faire payer les utilisateurs plutôt que l’ensemble des contribuables n’a pas seulement pour effet « d’infléchir les comportements des utilisateurs dans la bonne direction » : il a aussi pour résultat l’alléger le fardeau fiscal des entreprises.

En principe, toutes les entreprises paient des taxes et des impôts. Mais si les services gouvernementaux étaient complètement tarifés, cela correspondrait à un allègement pour les entreprises. Tout au plus, le secteur financier supporterait l’Autorité des marchés financiers, les compagnies d’eau embouteillé achèteraient l’eau qu’elles revendent et les entreprises de transport paieraient des permis de conduire. C’est peu.

En fait, la seule chose fournie par l’État québécois qui est consommée davantage par une entreprise qu’un particulier, c’est l’électricité. Or les entreprises énergivores jouissent de tarifs préférentiels auxquels les contribuables n’ont pas droit. Ce « traitement de faveur » fait partie de la stratégie industrielle du Québec, stratégie que personne ne remet en question.

Donc le concept de l’utilisateur-payeur ne fait pas que transférer vers les utilisateurs le coût de services assumés par l’ensemble des contribuables : il transfert aussi vers les citoyens les coûts assumés en partie par l’impôt des entreprises.

La guerre des pauvres

À la première montréalaise du film « Les neiges du Kilimandjaro », le réalisateur expliquait qu’il avait voulu parler des préjudices que les pauvres s’infligent entre eux alors qu’ils devraient plutôt s’entraider.

Tous les gouvernements de Droite ont une caractéristique en commun, qui est celle de déposséder leur peuple au profit d’une minorité de privilégiés. Dans les pays démocratiques, ces gouvernements prennent le soin d’essayer de convaincre leurs électeurs que cela est dans l’intérêt de tous.

Par exemple, dans un pays aussi inégalitaire que les États-Unis, où le pouvoir d’achat du citoyen moyen n’a pas augmenté depuis au moins une décennie, on prétendra que plus on réduit l’impôt des riches, plus ceux-ci ont de l’argent pour créer des emplois, ce qui est dans l’intérêt de tous.

De manière similaire au Québec, on associera un projet d’appauvrir les étudiants de 265 millions$ à un financement accru des universités, de façon à suggérer que l’ensemble des contribuables paieront moins pour ce financement si les étudiants y contribuent davantage.

En réalité, un gouvernement capable de gaspiller entre 40 et 63 milliards$ pour provoquer un boom minier éphémère (d’ici à ce que la Chine et l’Inde trouvent des sources d’approvisionnement moins éloignés que le Québec) est un gouvernement qui n’a pas besoin de la contribution des étudiants pour mieux financer ses universités. Ce n’est qu’une question de choix budgétaire : il préfère subventionner l’industrie minière internationale que l’acquisition des compétences par ses citoyens.

Quand l’État voudra déposséder un autre groupe de citoyens, il pourra invoquer la nécessité que ceux-ci paient leur juste part des services dont ils bénéficient. Cela est d’autant plus facile qu’il a le choix; très peu de services gouvernementaux sont tarifés à leur juste valeur.

En somme, à peu près tout le monde est avantagé par l’une ou l’autre des mesures sociales assumées jusqu’ici par les contribuables.

Le chacun pour soi — qui est à la base du concept de l’utilisateur-payeur — n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais pour utiliser ce principe avec discernement, on doit comprendre qu’il a pour effet d’affaiblir le rôle redistributif de l’État.

Voilà pourquoi les promoteurs de ce concept s’attaquent également au filet de protection sociale dont le Québec s’est doté depuis un demi-siècle. Pour eux, le Québec est devenu un « État-Providence », c’est-à-dire un pays d’assistés sociaux, véritables boulets aux pieds d’une minorité d’entrepreneurs qui les font vivre.

En réalité, dans toutes les sociétés, la solidarité est une chose naturelle. Dans certaines collectivités, elle est même essentielle à leur survie.

Donc s’il est vrai que l’égoïsme est dans la nature même de l’être humain — il suffit d’observer des enfants pour s’en convaincre — il faut ajouter que l’apprentissage de la vie en société (à partir de la cellule familiale) se confond avec l’apprentissage de la négociation, du partage et de la solidarité.

Le chacun pour soi est donc une régression sociale. Il n’est justifié que lorsqu’on désire réduire le gaspillage des ressources, protéger l’environnement et assurer la pérennité de notre patrimoine. C’est donc une grossière erreur de jugement que de l’utiliser comme principe absolu de bonne gouvernance comme le fait le gouvernement provincial actuel.

Références :
Inégalités sociales aux États-Unis
Rapport du Groupe de travail sur la tarification des services publics

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Écrit par Jean-Pierre Martel