La Géorgie sur la voie d’un coup d’État (1re partie)

Publié le 13 décembre 2024 | Temps de lecture : 8 minutes

Introduction

À l’issue des élections législatives du 26 octobre dernier, le parti Rêve Géorgien a été reporté au pouvoir avec 54,1 % des votes. Cette victoire a été confirmée par la Commission électorale du pays.

Aux élections législatives précédentes (celles de 2020), Rêve Géorgien avait également remporté le scrutin. Une victoire qui fut contestée par les partis d’opposition. Ceux-ci avaient aussitôt organisé d’importantes manifestations réclamant de nouvelles élections.

Toutefois, après un mois de protestations de plus en plus violentes, les États-Unis, l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe demandaient à l’opposition d’accepter le résultat du scrutin et de siéger au parlement.

Cette fois-ci, on assiste à un scénario semblable. Avec la différence que plusieurs pays occidentaux mettent ouvertement en doute la validité du scrutin et donc, la légitimité du gouvernement réélu.

La contestation des résultats

La mission d’observateurs étrangers

Dès le lendemain du scrutin, la mission d’observation soutenue par le Parlement européen et l’Otan remettait un rapport préliminaire qui signalait des irrégularités mineures qui ne remettaient pas en question les résultats du scrutin.

Ce qui n’a pas empêché l’opposition de soutenir faussement que ce rapport prouvait que les élections avaient été l’objet de fraudes massives.

My Vote

Les partis d’opposition s’appuient également sur les conclusions de My Vote, une ‘mission d’observation’ composée d’ONG géorgiennes opposées au parti au pouvoir et qui dit avoir observé des irrégularités majeures dans plusieurs circonscriptions.

Le truffage des boites de scrutin

Une des ‘preuves’ de My Vote, ce sont des clips vidéos qui montrent des personnes qui truffent des boites de scrutin de plusieurs bulletins de vote en présence de témoins impassibles.

Évidemment, cela constitue une fraude électorale. On se surprend que les malfaiteurs aient opéré à la vue de tous, le tout étant même enregistré par les caméras de téléphones multifonctionnels.

Dans chaque cas, les enquêtes policières ont révélé qu’il s’agissait de mises en scène réalisées par les opposants afin de servir de ‘preuves’ si, par la suite, l’issue du scrutin ne leur convenait pas.

Les sondages

Les firmes américaines Edison Research et HarrisX sondent les électeurs à la sortie des bureaux de vote. À cette fin, un électeur sur 7 ou sur 9 est approché par leurs sondeurs.

Selon les résultats d’Edison Research et d’HarrisX, le parti Rêve Géorgien aurait obtenu respectivement 40,9 % ou 44,4 % des suffrages, et non 54,1 %.

Le site Edison Research ne fournit aucun détail quant à ces résultats. Le 28 octobre dernier, j’ai écrit à cette firme pour demander deux précisions.

Premièrement, pour savoir quelle était la répartition territoriale des 115 bureaux de scrutin à la sortie desquels ils ont interrogé les électeurs. Et deuxièmement, pour savoir si cette firme a constaté une différence entre les préférences des électeurs des régions rurales et ceux des villes.

À ce jour, je n’ai pas reçu de réponse.

À l’opposé, la firme HarrisX a dévoilé les détails de sa méthodologie. Elle a approché 45 054 électeurs à la sortie de 125 bureaux de scrutin. Parmi ceux-ci 12 007 personnes ont accepté de répondre, soit un taux de participation de seulement 26,6 %.


 
Donc, malgré un taux d’abstention de 73,4 %, cette firme soutient catégoriquement que les résultats officiels étaient ‘tout simplement, statistiquement impossibles’.

L’opacité du papier des bulletins

L’Association des jeunes avocats de Géorgie a également demandé l’annulation du scrutin (et donc, réclamé de nouvelles élections) parce que les bulletins de vote n’avaient pas été imprimés sur du papier suffisamment épais.

Ainsi, là où les boites de scrutin étaient transparentes, il état possible de voir le choix de l’électeur. Ce qui compromettait le caractère sacré de la confidentialité du vote.

Après une victoire devant le tribunal de première instance, l’ONG a perdu en appel parce que le tribunal a estimé qu’aussi souhaitable qu’eût été l’impression sur du papier parfaitement opaque, cela n’a pas empêché les gens de voter.

Les manifestations

Que ce soit contre les Gilets jaunes en France, contre le Convoi de la liberté à Ottawa, ou contre les campements pro-palestiniens sur les campus américains, l’objectif des forces policières est de rétablir de l’ordre.

À cette fin, les policiers (ou les soldats) appliquent la force qui leur est nécessaire pour prévaloir. Plus les manifestants résistent, plus ils subissent la répression des forces de l’ordre.

Ces jours-ci, des dizaines de milliers de manifestants protestent chaque soir dans la capitale géorgienne. Même si on nous dit que la contestation se serait répandue dans une quarantaine de municipalités, cette prétention ne s’appuie sur aucune image (photo ou vidéo) qui nous permettrait d’en juger.

Les images qui nous parviennent de la capitale géorgienne sont éloquentes.

D’une part, elles nous montrent la brutalité de la répression policière. Cette brutalité est analogue à celle des corps policiers québécois contre les ‘Carrés rouges’ lors du Printemps érable. On se rappellera qu’au Québec, on avait cassé des dents, fracturé des mâchoires, provoqué des commotions cérébrales, et rendu borgne un protestataire.

D’autre part, elles nous permettent de voir que des dizaines de protestataires utilisent de dispendieux pointeurs au laser (de qualité dite ‘militaire’). Ceux-ci peuvent endommager la vue. En raison de leur cout, ces armes sont très certainement fournies gratuitement par des forces qui se tapissent dans l’ombre.

Conclusion

Lorsque le général al-Sissi est élu ou réélu en Égypte avec 96 % des suffrages en 2014, 97 % en 2018, et 90 % en 2013, il ne semble venir à l’esprit d’aucun gouvernement occidental que ces élections puissent être truquées.

En Géorgie, il n’existe aucune preuve sérieuse que les élections législatives de 2024 ont été l’objet de fraudes massives.

En raison des caractéristiques sociologiques de la population géorgienne, les résultats officiels des dernières élections législatives sont plausibles.

Ce qui n’empêche pas les opposants, les reporters et les chroniqueurs de nos médias, les invités sur les plateaux de nos télévisions, et presque tous les chefs d’État occidentaux d’affirmer catégoriquement que le gouvernement géorgien est illégitime.

La table est donc mise pour qu’en Occident, on voit d’un bon œil son renversement.

Dans notre prochain texte, nous examinerons le rôle central joué par la présidente de ce pays, Salomé Zourabichvili, avec l’appui de la diplomatie française.

Références :
Après la victoire du parti au pouvoir, la Géorgie s’éloigne de l’UE
Breaking: HarrisX Releases Final Georgia 2024 Exit Poll Analysis
Edison Research: 13-Percentage Point Difference Between Exit Polls and Official Election Results Suggests Vote Manipulation
Élections législatives en Géorgie : entre aspirations européennes et pressions russes ?
En Géorgie, des milliers de manifestants pro-européens protestent devant le parlement
EU halts Georgia’s accession to the bloc, freezes financial aid over much-criticized law
Géorgie : le gouvernement exclut de nouvelles législatives malgré la crise politique
Géorgie : près de 150 personnes interpellées lors de manifestations pro-européennes
Géorgie : un manifestant tire des feux d’artifice en rafale contre des policiers
HarrisX Final Georgia 2024 Exit Poll Analysis Reveal Statistically Unexplainable Data Discrepancies
HarrisX Releases Final Georgia 2024 Exit Poll Analysis
Is this the beginning of the end of the exit poll?
« La seule option, maintenant, en Géorgie, c’est la révolution » : la ville de Tbilissi en effervescence contre le gouvernement
Les armes offensives des protestataires géorgiens
Les résultats de l’élection législative en Géorgie
My Vote Demands Annulment of Results in 246 Election Precincts Citing “Grave Violations”
Preliminary Report of the International Election Observation Mission
Tirs de balles de plastique : attend-on de tuer quelqu’un ?

Pour consulter en ordre chronologique tous les textes de cette série consacrée à l’histoire récente de la Géorgie, veuillez cliquer sur ceci.

Un commentaire

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les résultats de l’élection législative en Géorgie

Publié le 27 octobre 2024 | Temps de lecture : 7 minutes


 
Introduction

C’est hier qu’avaient lieu les élections législatives en Géorgie, un pays de Transcaucasie peuplé d’environ cinq-millions de personnes (en rose sur la carte ci-dessus).

Parmi la multitude des formations politiques en lice, c’est le parti au pouvoir (Rêve Géorgien) qui a obtenu le plus de votes, soit 54,1 %.

Cette victoire est d’autant plus remarquable que les quatre principaux partis d’opposition n’ont recueilli qu’un total de 37,6 % des votes. Et ce, alors que Rêve Géorgien est au pouvoir depuis plus d’une décennie.

Les lecteurs de ce blogue qui ont lu le troisième volet de la série consacrée à l’histoire récente de la Géorgie ne seront pas surpris de voir à quel point l’usure du pouvoir semble si peu avoir affecté la popularité de ce parti.

Nous y reviendrons.

La couverture médiatique en Occident

Comme c’est habituellement le cas lorsqu’une consultation populaire ne donne pas le résultat espéré par l’Occident, cette victoire a été rapportée négativement.

De Londres, The Guardian titre « L’opposition pro-européenne de Géorgie en appelle à protester contre les résultats électoraux ‘truqués’ ».

Faisant fi des guillemets qui nuancent la manchette du Guardian, CNN affirme : « L’opposition pro-européenne de Géorgie crie au scandale pendant que le parti au pouvoir soutient avoir gagné l’élection ».

La manchette de la BBC est presque identique; « L’opposition pro-européenne de Géorgie dénonce des élections volées alors que le parti au pouvoir revendique la victoire ».

Chez nous, Le Devoir parle d’un scrutin émaillé d’actes de violence.

Radio-Canada titre : « Après la victoire du parti au pouvoir, la Géorgie s’éloigne de l’UE ». Toutefois, l’article coiffé de ce titre relativement neutre reprend essentiellement les accusations des autres médias occidentaux.

Tout cela est basé sur les allégations trumpiennes des partis d’opposition.

Qu’en est-il véritablement ?

Le scrutin a effectivement été émaillé d’actes de violence.

De plus, des observateurs occidentaux ont raison d’affirmer vaguement qu’il y a eu des ‘inégalités entre les candidats, des pressions et des tensions’.

L’inégalité entre les candidats signifie que ceux dont la caisse électorale est mieux garnie ont davantage été enclins à acheter des votes.

Un peu comme Elon Musk organise aux États-Unis une loterie quotidienne d’un million de dollars en faveur de ceux qui s’engagent à voter pour Donald Trump.

Quant aux pressions, elles concernent les rappels aux fonctionnaires de voter du ‘bon bord’ (ce qui ne veut pas dire que, dans l’isoloir, ils cèdent à ces menaces).

Les mœurs politiques en Géorgie sont plus ‘viriles’ que les nôtres. C’est ainsi qu’il arrive que les députés en viennent aux coups lorsque les esprits s’échauffent au parlement.

Lors de l’élection législative précédente, après la réélection de Rêve Géorgien, un incident a été passé sous silence par nos médias.

Le 7 novembre 2020, le directeur de la Commission électorale d’un arrondissement de la capitale géorgienne a été assassiné après avoir refusé un pot-de-vin de 50 000 $US offert par deux militants de l’opposition pour qu’il prétende faussement que les élections législatives avaient été truquées.

En Géorgie, 50 000 $US représentent une somme considérable que seuls des organismes financés de l’Étranger peuvent se permettre.

Il faut donc prendre garde de la vision en blanc et noir de la propagande occidentale.

Les bousculades provoquées cette année par des agitateurs ne doivent pas nous impressionner. Ils ont pour but d’entacher la légitimité d’une élection perdue d’avance et de permettre aux partis d’opposition de faire en Géorgie ce que Trump fait depuis sa défaite électorale de 2020.

Les raisons de la victoire de Rêve Géorgien

Dans son émission de ce matin sur CNN, le chroniqueur Fareed Zakaria soutenait que, de nos jours, les partis politiques américains ne s’opposent plus en fonction de leurs politiques d’intégration raciale ou de la répartition de la richesse.

L’électorat se divise maintenant en fonction de fractures sociales et de divisions culturelles.

Du côté démocrate, on aura davantage de diplômés d’études post-secondaires, des personnes urbanisées, des partisans de la laïcité, des femmes, et des électeurs de ‘gauche’.

Du côté républicain se retrouvent davantage de personnes moins instruites, de personnes provenant de milieux ruraux, de fervents croyants, des hommes et des électeurs de ‘droite’.

La même chose se rencontre en Géorgie.

Dans la capitale et, dans une moindre mesure, dans les villes de province, les jeunes branchées épousent avec enthousiasme la défense des minorités de genre et les causes à la mode en Occident.

Toutefois, la moitié du peuple géorgien vit sur de petites exploitations agricoles où sont partagées des valeurs traditionnelles, soit celles soutenues par le clergé orthodoxe.

Pour ces personnes, un sermon dominical rappelant l’importance des valeurs chrétiennes a plus d’influence que n’importe quel message posté sur un média social américain.

Or justement, la campagne électorale du parti au pouvoir s’est axée sur la défense des ‘valeurs géorgiennes’ : le travail, la foi, la famille (traditionnelle) et la condamnation des mœurs occidentaux, jugés décadents.

Divisés entre eux par leurs politiques économiques et sociales, les partis d’opposition n’ont pas su faire valoir autre chose que leur accusation simpliste contre le Rêve Géorgien d’être à la solde de Moscou.

Ce qui est extrêmement réducteur aux yeux des Géorgiens eux-mêmes qui, comme leurs dirigeants, voient en Ukraine ce qui arrive quand un pays limitrophe de la Russie choisit de devenir son ennemi militaire.

Bref, aussi anti-russes soient-ils (depuis la guerre russo-géorgienne de 2008, qui a duré neuf jours), les Géorgiens ont choisi la prudence plutôt que la témérité d’une jeunesse branchée qui s’empressera de fuir à l’Étranger si la guerre devait éclater dans leur pays.

Références :
Après la victoire du parti au pouvoir, la Géorgie s’éloigne de l’UE
Elon Musk’s daily $1 million giveaway to registered voters could be illegal, experts say
En Géorgie, une bagarre au Parlement pendant la discussion sur les « agents de l’étranger »
Georgia’s pro-EU opposition calls for protest over ‘rigged’ election result
Georgia’s pro-EU opposition cries foul as ruling party claims election victory
Georgia’s pro-EU opposition says vote stolen as ruling party claims victory
Two Detained on Bribing, Threatening Late District Election Commission Head

Parus depuis :
Preliminary Report of the International Election Observation Mission (2024-10-27)
Findings of the OSCE/ODIHR over parliamentary elections were overall positive – Irakli Kobakhidze (2024-11-01)
Final Report of the International Election Observation Mission (2024-12-20)

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Écrit par Jean-Pierre Martel