Le début de la délocalisation industrielle de l’Allemagne

Publié le 26 novembre 2022 | Temps de lecture : 2 minutes

BASF est le plus important groupe chimique au monde.

En juillet dernier, alors que le ministère allemand de l’Industrie effectuait des consultations pour déterminer quels secteurs industriels seraient autorisés à fonctionner cet hiver en cas de pénurie énergétique, le Conseil d’administration de BASF décidait, devant cette incertitude, d’effectuer à l’Étranger le plus important investissement de l’histoire de cette compagnie.

Dix-milliards d’euros : c’est la somme que BASF a décidé d’investir d’ici 2028 à son complexe industriel de Zhanjiang, une ville portuaire située dans le sud de la Chine.

Moins de deux mois plus tard, on procédait déjà à l’inauguration de la première usine de ce complexe. Celle-ci produira annuellement 60 000 tonnes métriques de matières plastiques à des fins électroniques ou destinées à l’industrie automobile.

BASF a choisi d’investir en Chine parce que la main-d’œuvre y est relativement économique, que les droits des travailleurs sont presque inexistants et surtout parce que ce pays s’assure de l’approvisionnement énergétique des entreprises sur son territoire (au contraire de l’Allemagne).

À l’occasion de la guerre en Ukraine, le harakiri économique des pays d’Europe occidentale accélère le déplacement du centre de gravité du développement économique mondial vers la région indopacifique (que vise justement à alimenter le complexe de Zhanjiang).

Références :
BASF inaugurates the first plant of its new Zhanjiang Verbund site
Germany Plans for a Winter Without Gas from Russia

Parus depuis :
Germany confronts a broken business model (2022-12-06)
Ford to cut 3,200 jobs in Europe and move some work to US (2023-01-24)
En Allemagne, l’angoisse monte face à la vague d’investissements industriels aux Etats-Unis et en Chine (2023-05-05)
L’entreprise allemande Duravit ouvrira une usine de céramique carboneutre à Matane (2023-07-13)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Délocalisation et sécurité nationale

Publié le 30 mai 2017 | Temps de lecture : 4 minutes

L’histoire d’Ad Lib Inc.

Les premiers microordinateurs IBM-PC sont nés en 1981.

Il s’agissait de gros boitiers métalliques renfermant principalement une carte maitresse.

Cette dernière était dotée de fentes de connexion permettant d’insérer des cartes-filles; une carte vidéo pour connecter l’écran cathodique, une autre carte pour le modem, etc.

En 1987, un ancien vice-doyen de la faculté de musique de l’université Laval se passionne pour la micro-informatique. Il fonde la firme Ad Lib Inc. dont le but est d’améliorer la reproduction sonore des ordinateurs du temps, limités alors à un petit hautparleur de qualité médiocre.

Sa première carte est nommée Ad Lib Personal Computer System, conçue autour de la puce YM3812 de la japonaise Yamaha.

Après des débuts difficiles, cette carte rencontre une immense popularité après que les amateurs de jeux vidéos découvrent que celle-ci améliore considérablement le réalisme des séances du jeu King’s Quest IV.

En moins de deux ans, la carte Ad Lib devient indispensable aux yeux de millions de joueurs.

Mais son créateur, le professeur Martin Prevel, voit grand. Il conçoit une nouvelle carte beaucoup plus performante, l’Ad Lib Gold, conçue autour d’un nouveau microprocesseur, le YMF262 de Yamaha.

Mais ce fournisseur approvisionne également un rival de la compagnie québécoise, soit Créative Labs. Ce rival est japonais, tout comme Yamaha.

Pendant que ce rival expérimente et teste un produit concurrent de l’Ad Lib Gold, Yamaha expédie des puces défectueuses à la compagnie québécois, ce qui retarde le développement de son nouveau produit.

En 1990, Creative Labs sort sa carte Sound Blaster avec des mois d’avance. Quand la québécoise met finalement en marché sa nouvelle carte Ad Lib Gold, celle-ci n’intéresse plus personne et la compagnie doit déclarer faillite deux ans plus tard.

L’informatique de British Airways

En 2016, le nouveau patron de British Airways décidait de délocaliser vers l’Inde la programmation du système informatique de ce transporteur aérien.

L’Inde est reconnue pour la compétence de ses programmeurs. À l’époque du ‘bogue de l’an 2000’, ce sont les programmeurs de ce pays qui ont réécrit de nombreux programmes informatiques.

La fin de semaine dernière, en Angleterre, les avions de la British Airways ont été cloués au sol en raison d’une panne informatique qui a affecté mille vols.

Pour le transporteur, les pertes sont évaluées à 170 millions de dollars canadiens.

Selon le transporteur, la cause serait un pic de courant électrique qui aurait endommagé les principaux ordinateurs utilisés pour les opérations de la compagnie.

La corruption

Alors que rien ne le laisse supposer dans le cas de la British Airways, imaginons le scénario hypothétique suivant.

Une compagnie internationale décide de délocaliser sa programmation informatique. Cette compagnie joue un rôle stratégique dans l’économie d’un pays occidental.

Situé dans le Tiers-Monde, le contractuel est une compagnie fiable qui possède une longue expérience de bons et loyaux services.

Le prix de ses services est très avantageux parce que ses programmeurs coutent beaucoup moins cher. Mais justement pour cette raison, ils sont plus sujets à la corruption.

Si une puissance étrangère veut nuire à l’économie de ce pays occidental, il lui suffit de corrompre non pas les dirigeants de la firme informatique mais n’importe quel employé qui a accès au code source du logiciel élaboré pour la compagnie internationale.

Tout comme Creative Labs a mené Ad Lib Inc. à la faillite.

J’imagine que le jour où un tel scénario se produira, on prendra conscience de ce qui est déjà évident; la délocalisation — qu’il s’agisse d’un logiciel, d’une pièce maitresse ou un composant essentiel à la fabrication d’un produit industriel — peut entrer en conflit avec la sécurité nationale.

Références :
Ad Lib, Inc.
British Airways CEO will not resign despite ‘catastrophic’ IT failure
Author of Sound Blaster: The Official Book talks about the early days of PC audio

Paru depuis :
Plus d’un million de masques retenus en Inde (2020-03-30)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La délocalisation de la recherche biomédicale

Publié le 18 juillet 2014 | Temps de lecture : 2 minutes

En dollars constants, les dépenses de recherche et de développement dans le domaine biomédical ont diminué annuellement de 1,9% aux États-Unis et de 2,6% au Canada entre 2007 et 2012.

En dépit de cela, les États-Unis demeurent, de loin, le principal pays où se fait cette recherche; il s’y dépensait 119,3 milliards$ (soit 45,4% de la recherche mondiale) en 2012, comparativement à 131,3 milliards$ (ou 51,2% de la recherche mondiale) en 2007.

Lorsqu’on analyse en détail cette diminution, on réalise que dans ce pays, le secteur privé a diminué ses investissements de treize milliards$ — passant de 83,3 milliards$ en 2007 à 70,4 milliards$ en 2012 — alors que le secteur public a relativement maintenu les siens à hauteur d’environ 48 milliards$.

En Europe, cette diminution a été insignifiante, de l’ordre de 0,4% annuellement; les investissements publics et privés furent de 81,8 milliards$ en 2012, comparativement à 83,6 milliards$ en 2007.

Au contraire, la recherche biomédicale s’est accrue en Extrême-Orient. En pourcentage, la croissance annuelle a été de 32,8% en Chine, 11,4% en Corée du Sud, 10,0% à Singapour, 6,7% en Inde, 5,7% au Japon et 5,2% à Taïwan.

Si bien qu’on dépensait dans cette partie du Monde environ le tiers des sommes dépensées aux États-Unis en 2007, mais presque la moitié en 2012. L’écart entre l’Asie et l’Amérique est encore moindre si on tient compte qu’on fait plus de recherche avec chaque dollar dépensé en Chine qu’aux États-Unis.

En Asie, l’Inde se distingue par le fait que l’État dépense peu, mais de manière constante. Dans ce pays, la croissante des dépenses en recherche biomédicale a été à l’initiative exclusive de l’industrie entre 2007 et 2012.

Dans les autres pays asiatiques, la croissance des dépenses a été partagée par l’État et l’industrie mais a été plus importante dans le secteur privé.

Après le transfert de la synthèse des principes actifs et de la fabrication des formes pharmaceutiques depuis une décennie, ces données indiquent que l’industrie pharmaceutique a entrepris la délocalisation de ses dépenses en recherche et développement à la suite de la Grande récession de 2007.

Référence : Asia’s Ascent — Global Trends in Biomedical R&D Expenditures

Paru depuis : China overtakes US in contributions to nature and science journals (2023-05-24)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les pénuries de médicaments

Publié le 7 août 2011 | Temps de lecture : 7 minutes

De nos jours, les pharmaciens doivent butiner d’un fabricant à l’autre afin de s’approvisionner en médicaments. Les ruptures de stock sont tellement importantes qu’un site web leur est maintenant consacré. Par conséquent, il est fréquent que le nom et l’aspect des médicaments remis au patient varient légèrement d’un mois à l’autre.

À une fréquence beaucoup moindre, ces pénuries se produisaient aussi il y a plusieurs années. Autrefois, la pénurie n’affectait qu’un seul fabricant : les pharmaciens n’avaient qu’à se procurer le même produit auprès d’une autre compagnie pour éviter que leurs patients ne se retrouvent à manquer d’un médicament essentiel.

Ce qui est nouveau maintenant, c’est que les pénuries concernent parfois la totalité des fabricants d’un médicament. En d’autres mots, il arrive qu’un médicament soit introuvable chez tous les fabricants et tous les grossistes du Québec.

Dans un premier temps, les pharmaciens empruntent le produit de collègues. Toutefois, lorsqu’ils ont épuisé les stocks des pharmacies des alentours, les pharmaciens savent que le produit est devenu tellement rare partout au Québec qu’ils ne se donnent même plus la peine de le chercher.

Si bien que c’est le patient lui-même qui est pris à téléphoner dans une multitude de pharmacies à la recherche d’un fond de bouteille encore disponible, miraculeusement, quelque part.

Comment en sommes-nous rendus là ?

Sous l’administration de G.W. Bush, les compagnies pharmaceutiques cherchaient un moyen de transférer la fabrication de médicaments vers des pays où les coûts de la main-d’œuvre sont moindres. Mais les règlements de la FDA (la régie américaine des médicaments) obligeaient les douaniers à placer en quarantaine les cargaisons importées jusqu’à ce que les analyses prouvent que les médicaments sont conformes aux normes américaines.

À la suite des pressions de l’industrie, la FDA effectue maintenant des inspections afin de vérifier les procédures et le fonctionnement d’usines situées à l’étranger. Lorsque ces usines répondent aux critères de la FDA, elles sont considérées comme si elles étaient situées en sol américain. Dès lors, le passage aux douanes de leur production devient une simple formalité.

Le résultat, c’est qu’une partie importante des médicaments que nous consommons viennent de Chine ou d’Inde. Non seulement les comprimés ou capsules viennent de ces pays mais la matière première qui a servi à leur fabrication vient également de ces deux pays.

Il suffit donc d’un problème d’approvisionnement — causé par un conflit inter-ethnique ou inter-religieux, une catastrophe naturelle locale, un conflit ouvrier ou des bris mécaniques — pour provoquer une pénurie de médicaments partout à travers le monde.

Particularités canadiennes

Tout comme pour les produits alimentaires, le gouvernement canadien n’exige pas que les étiquettes des médicaments vendus au Canada précisent le lieu d’origine. Que vous payiez une fortune pour un médicament de marque ou beaucoup moins pour une copie, ce pays d’origine est un secret qu’aucune compagnie ne rend public.

Par conséquent, lorsque votre médecin veut initier un nouveau traitement, il est inutile de lui demander de vous prescrire un médicament fabriqué au Canada ; ni votre médecin, ni votre pharmacien ne sont en mesure de vous dire d’où provient ce que vous prenez. S’ils le savaient, les patients canadiens pourraient se protéger d’une partie de ces pénuries. Mais tout comme leurs patients, ces professionnels sont impuissants.

Avec la complicité du gouvernement canadien, le message l’industrie c’est : « Prenez vos pilules et laissez faire le reste (qui ne vous regarde pas). Si jamais le médicament est l’objet d’une pénurie, vous vous arrangerez avec vos troubles.»

Particularité québécoises

Plus tôt cette année, les gouvernements ontarien et québécois ont décrété une baisse à 25% (en d’autres mots, une réduction de 75%) du prix des copies de médicaments. Un tel décret serait normal dans un pays totalitaire ou à économie dirigée. Pour des raisons que je n’ai pas comprises, l’industrie n’a pas contesté la constitutionnalité douteuse de ce moyen simpliste d’abaisser les coûts de notre système de santé.

Le résultat, c’est que les pénuries de médicaments se sont multipliées. Entre nous, qu’est-ce qui oblige une compagnie de produire à perte ? Rien. Donc la compagnie qui juge que produire à 25%, ce n’est pas assez rentable à son goût, n’a qu’à prétexter la pénurie et concentrer sa production sur ce qui est profitable même à 25% de l’ancien prix.

Autre facteur contributif, le marché du médicament au Québec n’est pas un marché libre. Il est entravé par une série d’ententes commerciales.

En 2007, le groupe Jean Coutu s’est porté acquéreur de la compagnie pharmaceutique Pro Doc : c’est donc elle qui approvisionne dorénavant les pharmacies Coutu. À l’époque de la transaction, l’Ordre des pharmaciens (dirigée alors par un concessionnaire Jean Coutu) n’y avait vu ni conflit d’intérêts, ni même apparence de conflit d’intérêts.

Pour ne pas être en reste, diverses chaines et bannières du Québec ont conclu des ententes avec d’autres fabricants qui leur garantissent des prix concurrentiels. Le résultat de ces ententes, c’est que même si un grand nombre de fabricants sont inscrits au formulaire provincial comme sources d’approvisionnement d’un médicament, dans les faits, à peine quelques-unes d’entre eux en fabriquent (ou font fabriquer à l’étranger) en grande quantité.

Parce que les autres fabricants ne récoltent que les miettes, ils n’ont pas la capacité de prendre la relève dans les cas de pénurie parce qu’ils n’entreposent ni la matière première, ni le produit fini en quantité suffisante. De plus, ils sont soumis aux délais de livraison importants lorsqu’ils font fabriquer leurs médicaments à l’autre bout du globe. Ils sont donc totalement incapables de répondre à une demande soudaine.

Conclusion

Les pénuries actuelles de médicaments ne sont pas le fruit du hasard : elles sont les conséquences inéluctables de décisions prises par l’industrie et les gouvernements de nos pays.

Le jour où l’approvisionnement en médicaments sera jugé aussi stratégique que l’approvisionnement en pétrole, les gouvernements seront davantage soucieux d’établir des règles qui garantissent à leurs citoyens l’accès ininterrompu en médicaments essentiels à leur vie.

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Écrit par Jean-Pierre Martel