Une corrida portugaise

3 novembre 2016
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Préambule : Ce diaporama s’adresse aux adultes. Il comporte des scènes de violence et de cruauté qui pourraient ne pas convenir aux personnes sensibles.

Depuis des siècles, la corrida fait partie des coutumes des peuples de la péninsule ibérique (Espagne et Portugal).

Cette coutume est aujourd’hui contestée par les groupes de défense des droits des animaux.

À Barcelone, l’esprit indépendantiste des Catalans les a amenés à bannir cette pratique sous le prétexte qu’il s’agissait-là d’une tradition barbare et ‘étrangère’ (lisez : ‘castillane’).

À sa manière, le Portugal a également tenté de répondre aux critiques adressées à la corrida traditionnelle.

À l’issue de cette remise en question, la pratique de la corrida au Portugal s’est sensiblement renouvelée. Mais soyons clairs : cela demeure un spectacle brutal (comme l’est la boxe) et un spectacle cruel (comme l’est le combat de coqs).

La corrida portugaise se distingue de trois manières importantes.

Premièrement, elle ne se termine plus par la mise à mort du taureau.

À l’issue de la corrida traditionnelle, les toréadors tuaient le taureau en lui plantant une épée au cœur.

En réalité, la plupart du temps, ils lui perçaient un poumon. L’animal perdait connaissance et il était achevé en coulisse.

Deuxièmement, aux toréadors et aux picadors, s’ajoute un nouveau type d’artisans : les matamores.

Les toréadors se mesurent toujours seul à seul au taureau, mais armés seulement de leur muléta, ce carré de tissu avec lequel ils provoquent la charge de l’animal. Ils n’infligent plus de blessures à celui-ci.

Le picador chevauche toujours sa monture. Mais les flancs de sa jument ne sont plus recouverts d’une longue couverture protectrice.

Ce cavalier est maintenant le seul à blesser le taureau. À l’issue des affrontements, l’animal est soigné et remis en forme puisqu’un animal fougueux est plus précieux que sa viande.

Quant aux matamores, ils forment une équipe dont le but est de maitriser le taureau à mains nues.

La troisièmement et dernière distinction de la corrida portugaise est que la hiérarchie de ces artisans est complètement bouleversée.

Autrefois auréolés de gloire, les toréadors sont déchus de leur statut de vedette. Ce sont maintenant des tâcherons dont le modeste rôle consiste à essouffler le taureau pour diminuer sa dangerosité quand ce n’est pas simplement de faire diversion lorsque celui-ci devient incontrôlable.

Dans la corrida traditionnelle, les picadors et leurs montures jouaient le rôle de ‘palissades mobiles’ destinées à contenir le taureau. Ce sont maintenant de véritables vedettes.

Leurs juments sont des bêtes exceptionnelles capables d’exécuter des pirouettes et des pas savants.

Ces bêtes agiles exécutent des feintes et des parades de manière spectaculaire. Leur vue n’est pas bloquée par des ornières : elles sont donc parfaitement conscientes du danger et y réagissent d’instinct.

De plus, les cavaliers doivent commander leur monture par le biais de l’inconfort du mors et non par le biais de la souffrance infligée par des piqures d’éperons (puisqu’il ne semble pas que leurs bottes en soient équipées).

Le statut de vedette du picador est confirmé par le fait qu’il est toujours le seul cavalier en scène, assisté de plusieurs subalternes que sont les toréadors.

Après voir planté avec succès un nombre déterminé de piques, le picador cède la place aux matamores.

Ces derniers forment un groupe de huit hommes à pied. Leur but est de maitriser l’animal à mains nues selon un protocole scrupuleusement respecté.

Le chef des matamores s’approche de l’animal. Il s’avance pas à pas, les mains sur les hanches. Il s’arrête. Il frappe le sol du pied pour provoquer l’animal. Si ce dernier ne réagit pas, le matamore fait quelques pas de plus. Et ainsi de suite jusqu’à ce que l’animal décide de foncer sur lui, à toute vitesse, la tête baissée.

À l’impact, le matamore saisit le cou de l’animal afin de ne pas être propulsé dans les airs.

Aveuglé par cet obstacle, l’animal poursuit généralement sa course jusqu’à l’endroit où sont les autres matamores. Ceux-ci l’agrippent par la tête tandis que l’un d’entre eux le saisit par la queue.

Pendant que les autres matamores quittent la piste, celui qui tire le taureau par la queue oblige l’animal à tourner sur lui-même jusqu’à l’étourdissement, puis quitte à son tour.

Ceci est le scénario idéal. Mais ce n’est pas toujours le cas.

Si le taureau réussit à se dégager de lui-même (en d’autres mots, sans avoir été dompté), les matamores doivent recommencer.

Il est fréquent qu’une équipe soit obligée de s’y prendre deux ou trois fois avant de réussir.

À moins, évidemment, d’avoir subi de très graves blessures lors de leur essai. De petites blessures ne suffisent pas à leur exempter cette épreuve.

On admire donc le courage du chef d’équipe. Après avoir été piétiné par l’animal en furie, l’uniforme sale et déchiré, le visage lacéré de coupures, il se doit donc d’affronter de nouveau le même animal en combat singulier.

Lorsque l’équipe réussit finalement à s’acquitter de son mandat et à quitter la piste dignement, on doit faire sortir le taureau.

À cette fin, on fait appel à un groupe de génisses. Elles portent au cou des cloches, de manière à attirer l’attention du taureau.

Obsédé par les génisses, le taureau ne voit pas les vachers. Ceux-ci font sortir les génisses suivies du taureau, et quittent en dernier la piste.

Voilà les caractéristiques de la corrida portugaise. Celle-ci est essentiellement une mise en scène du courage humain au cours de laquelle le bœuf sert de faire-valoir.

Dans le cas particulier du spectacle en vedette dans la vidéo, il s’agissait d’une corrida ‘antique’ au cours de laquelle ses artisans étaient costumés à la manière du XVIIIe siècle.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Voyage à Lisbonne : jour 11

15 octobre 2016

Amis lecteurs, j’entends déjà vos cris d’indignation; j’ai assisté aujourd’hui à une corrida. Je devrais être honteux mais j’ai beaucoup aimé.

En fait, je n’ai pas assisté à n’importe quelle corrida. Il s’agissait d’une corrida portugaise.

Contrairement à ce qui se passait autrefois, la corrida ne se termine plus par la mise à mort de l’animal. Il est seulement blessé par des picadors. Je sais, pour certains d’entre vous, c’est déjà trop. Donc, si vous risquez d’être offensés, je vous prie de ne pas poursuivre votre lecture.

Privés de leur rôle de bourreaux — qui provoquaient autrefois l’évanouissement final du taureau en lui plantant une épée rarement au cœur mais habituellement dans un poumon — le toréador perd son rôle de vedette pour n’occuper ici qu’un rôle accessoire.

Après quelques piques plantés par les picadors, on fait sortir l’animal blessé de l’arène pour être soigné. Un bon taureau fougueux vaut plus que sa viande. Donc, on a intérêt à ce qu’il survive à ses blessures. Mais je ne vous en dis pas plus pour l’instant.

Dans le but de m’y prendre un peu d’avance, je me présente à la billetterie de l’arène Campo Pequeno en début d’après-midi.

La préposée à l’accueil m’indique où trouver la billetterie —  en entrant, à droite, dans le centre commercial sous l’immeuble — et me suggère de prendre un billet dans les sections 1 ou 2 ou, à la limite, dans la section 3.

Pour comprendre la raison de cette recommandation, imaginez que l’arène est un cadran de montre. La section 1 est à 6h, les toréadors font leur entrée à 12h et les taureaux, à 9h.

Bref, ce sont les places de choix.

Pour 70 euros, j’obtiens une place dans la deuxième rangée de la section 3. La corrida débutera à 22h et se terminera trois heurs plus tard.

Entretemps je vais au Museu Calouste Gulbenkian situé à proximité. Pendant des décennies, cet entrepreneur obtenait une commission de 5% sur tout le pétrole vendu par l’Iran. Il est donc devenu immensément riche.

Et pour remercier le Portugal de l’avoir accueilli, lui pauvre réfugié du génocide arménien, il a légué sa riche et imposante collection d’œuvres d’art à sa nouvelle patrie.

Une partie de sa collection vient des œuvres de l’Ermitage que les autorités soviétiques, à court d’argent en 1929, lui ont vendu.

Mais en arrivant au musée, je constate que les prix à la cafétéria sont très raisonnables. Je prends une soupe aux légumes (insipide), un spaghetti à la sauce aux champignons (tout aussi fade) et un verre de vin blanc. Le tout pour 9,9 euros.

Les deux Rembrandt

Ce musée est très intéressant. En fait, c’est une des plus belles collections privées d’Europe.

Sont remarquables, les statuettes égyptiennes. Les monnaies grecques. La faïence, les enluminures et le textile de Perse et de Turquie. La porcelaine chinoise. Les livres d’heures du Moyen-Âge. Et des toiles des maitres suivants : van Dyck, Guardi, Rubens, Rembrandt, Boucher, Fragonard, Turner, Degas (que Gulbenkian aimait particulièrement), Monet, etc. Et vous ai-je parlé de sa collection stupéfiante de bijoux Art nouveau de Lalique ?

Bref, on ne peut aller à Lisbonne sans aller à ce musée.

Je rentre ensuite au studio pour faire une sieste afin de m’assurer d’être en forme pour la corrida.

J’y arrive dix minutes avant le début du spectacle.

Six enfants portant des perruques blanches et déguisés dans le style du XVIIIe siècle font leur entrée à pied et se placent en ligne au milieu de l’arène.

Ils s’écartent pour laisser passer un septième enfant chevauchant un poney. Celui-ci est vêtu de noir. Il porte un chapeau à large bord décoré d’une plume bleue. Il se dirige vers la tribune d’honneur pour y faire ses salutations.

Percussionniste et huit trompettistes

Neuf cavaliers font leur entrée. Le premier est un percussionniste et les autres sont des trompettistes. Leur musique est martiale. Ils font lentement un tour de piste et se disposent près de la sortie, du côté opposé à la tribune d’honneur.

Ils sont suivis des porteurs de bannières de style médiéval. Ceux-ci sont à pied. Ils se disposent en hémicycle, complétant celui des neuf cavaliers.

Un carrosse tiré par quatre chevaux fait son entrée sous les applaudissements de la foule. Le carrosse suit le côté gauche de l’arène pour s’arrêter devant la tribune d’honneur.

La porte s’ouvre. Une partie des vedettes de la soirée en débarquent, font leur salutation et sortent sous la tribune d’honneur.

Un deuxième carrosse fait de même; ce sont les derniers picadors de la soirée.

La piste se vide. Le restant de la soirée sera constitué d’une suite de numéros qui s’exécutent selon un cérémonial rigoureusement identique.

L’annonce du combat

Un homme s’avance par l’entrée des taureaux. Il porte une pancarte qu’il fait pivoter à 360 degrés, de manière à ce que toute l’assistance puisse la lire.

Puis il se retire.

Le picador annoncé fait son entrée sous les applaudissements de la foule. Il vient faire ses salutations à l’estrade d’honneur, puis accorde une courte entrevue aux médias.

Sur le sable blond de la piste, le picador est à cheval et plusieurs toréadors sont à pied. Tous attendent l’entrée de la bête.

La porte s’ouvre et le voilà. Le bout de ses cornes a été scié. De toute évidence, il n’est pas content. Je présume qu’on a attisé sa colère avant qu’il ne rentre sur la piste.

Des toréadors agitent leur muléta. Celui-ci est ce carré de tissu (à Lisbonne, rose d’un côté et jaune de l’autre) avec lequel les toréadors provoquent la charge du taureau. Leur but est d’essouffler l’animal et de diminuer sa dangerosité.

Les toréadors quittent la piste pour laisser la vedette au picador.

Par des cris rapprochés et successifs, le picador attire l’attention du taureau et l’amène à poursuivre de près son cheval. Il ralentit sa monture lorsque le taureau semble abandonner et accélère lorsque le taureau veut donner la charge.

Puis il établit une distance suffisante entre lui et le taureau. Le picador focalise l’attention de l’animal par de nouveaux cris.

Lorsque le taureau rejette du sable vers l’arrière à l’aide ses pattes d’avant, l’affrontement est imminent.

Picador et taureau

Dès que le taureau amorce sa charge, le picador fonce sur lui puis s’esquive au dernier moment. Il incline sa monture et plante son pique sur la voute du dos de l’animal.

Blessé, l’animal finit par s’arrêter. Il se tortille comme pour déloger un ennemi invisible qui lui aurait sauté sur le dos et le ferait souffrir.

Piques exposés au Musée de la corrida

Les piques sont garnis de rubans colorés afin qu’ils soient bien visibles de l’assistance. De plus, leurs pointes sont conçues pour pénétrer les chairs mais d’y demeurer coincés.

Les tortillements du taureau sont vains. Il s’arrête, agacé et contrarié.

Picador narguant le taureau

À plusieurs reprises, le cavalier nargue l’animal. Il l’incite à foncer sur lui et pousse l’audace jusqu’à s’approcher dangereusement de lui. Son cheval ne porte pas de visières et pourtant, ne paniquera jamais; il suivra fidèlement les ordres de son cavalier.

Toréador, sa muléta et taureau

Après quelques piques, le picador salue triomphalement la foule et sort pendant que quelques toréadors embarquent sur la piste pour distraire l’animal.

C’est alors que commence la partie la plus dangereuse et la plus invraisemblable de la soirée.

Les huit matamores

Alors que le taureau est encore distrait par différents toréadors, un groupe de huit hommes à pied pénètrent par l’entrée des taureaux. Ils s’avancent à la tribune d’honneur et accordent une entrevue. Sans protection, ils vont se mesurer au taureau. Ce sont les matamores.

Les toréadors quittent l’arène en sautant la barrière après avoir amené le taureau du côté opposé à l’entrée des taureaux. Les matamores se placent en face de lui, à l’entrée des taureaux.

La foule se tait. Lentement un matamore s’approche de l’animal. Il s’avance pas à pas, les mains sur les hanches. Il s’arrête. Il frappe violemment le sol du pied pour provoquer l’animal. Si ce dernier ne réagit pas, le matamore fait quelques pas de plus. Jusqu’à la charge de l’animal, à toute vitesse, la tête baissée.

Charge du taureau contre le matamore

À l’impact, le matamore se penche par-dessus l’animal, le saisit autour du cou afin de ne pas être propulsé dans les airs. Parfois, il se blesse au visage, frappé par les tiges mobiles des piques plantés au dos du taureau.

L’animal poursuit généralement sa course jusqu’à l’endroit où sont demeurés les autres matamores. Ceux-ci agrippent l’animal par la tête tandis qu’un dernier saisit le taureau par la queue.

Taureau tiré par la queue

Pendant que les autres matamores quittent la piste, celui qui tire le taureau par la queue oblige l’animal à tourner sur lui-même jusqu’à l’étourdissement.

Il sera le dernier à quitter la piste.

Puis, par la porte des taureaux, un groupe de génisses font leur entrée. Que viennent faire des génisses dans une corrida ?

Elles portent au cou des cloches, de manière à attirer l’attention du taureau. Des vachers guident le troupeau. Le taureau ne les voit pas, obsédé par les génisses affriolantes. Les vachers font sortir les génisses suivies du taureau, et quittent en dernier la piste.

Les salutations finales du matamore

Maculés du sang de l’animal, les vêtements parfois déchirés, le matamore embarque sur la piste et vient saluer l’estrade d’honneur. Il se retire sous les applaudissements de la foule.

Et cette séquence se répètera jusqu’à 1h30. À chaque fois que des matamores affronteront un taureau, la même excitation anxieuse s’emparera de la foule. On en sort l’esprit frappé par les images fortes qui se bousculent dans nos têtes.

Et on comprend alors l’excitation barbare qui s’emparait des Romains lors des combats de gladiateurs.

Le métro étant fermé, je rentre au studio en taxi.

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectifs PanLeica 25 mm F/1,4 (1re photo), M.Zuiko 12-40 mm F/2,8 (2e, 3e et 5e photo) et M.Zuiko 75 mm F/1,8 (les autres photos)
  1re photo : 1/80 sec. — F/1,4 — ISO 1000 — 25 mm
  2e  photo : 1/100 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 40 mm
  3e  photo : 1/125 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 40 mm
  4e  photo : 1/1000 sec. — F/1,8 — ISO 1600 — 75 mm
  5e  photo : 1/80 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 26 mm
  6e  photo : 1/1000 sec. — F/1,8 — ISO 1600 — 75 mm
  7e  photo : 1/2000 sec. — F/1,8 — ISO 4000 — 75 mm
  8e  photo : 1/1000 sec. — F/1,8 — ISO 2000 — 75 mm
  9e  photo : 1/1000 sec. — F/1,8 — ISO 1600 — 75 mm
10e  photo : 1/1000 sec. — F/1,8 — ISO 1600 — 75 mm


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Écrit par Jean-Pierre Martel