Chute boursière en vue

Publié le 25 avril 2013 | Temps de lecture : 5 minutes
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Vers 1h10, mercredi matin le 24 avril dernier, des pirates ont réussi à s’emparer du compte Twitter de l’agence de nouvelles Associated Press et d’y faire paraitre un bulletin annonçant qu’un attentat terroriste venait d’être commis contre la Maison Blanche, à Washington.

Cette fausse nouvelle provoqua un vent de panique instantané sur les marchés boursiers. Deux milliards d’actions furent vendues au cours des trois minutes qui suivirent, faisant plonger l’indice Dow Jones de 150 points.

Ce dernier revint à la normale aussi subitement qu’il avait plongé.

Depuis seize derniers mois, l’indice Dow Jones s’est accru de 18,5%. Pourtant, au cours de cette période, l’économie mondiale a très peu progressé. Ce qui fait que l’écart s’est creusé entre la valeur réelle des entreprises et leur valeur capitalisée.

Valeur réelle vs valeur capitalisée

Imaginez que les dirigeants d’une entreprise décident de la vendre. Pour en établir le prix, ils évalueront la valeur de tous ses biens (immeubles, ordinateurs, mobilier, machinerie, etc.). Cette valeur tiendra compte du prix d’achat, auquel on aura soustrait la dépréciation. On calculera les inventaires de ses stocks s’il s’agit d’une entreprise manufacturière. On ajoutera ce que ses clients lui doivent (ses comptes à recevoir) et on soustraira ses dettes. On bonifiera le tout par les profits anticipés de cette compagnie au cours des prochaines années. Tout cela constitue la valeur réelle d’une entreprise.

Mais cette compagnie pourrait avoir émis des actions et des obligations. Les obligations ne sont que des emprunts effectués hors du système bancaire. Mais les actions sont des titres de propriété. En d’autres mots, si une entreprise a émis un million d’actions, chacune d’elles représente un millionième de cette compagnie. Et la valeur en bourse de l’ensemble de ses actions, c’est sa valeur capitalisée.

À l’origine, chacune de ses actions a une valeur de départ. Mais si l’entreprise est prospère, elle fait des profits. Et ces profits, elle peut s’en servir pour s’agrandir, pour acheter des outils de production, pour acquérir des compagnies rivales, etc. Ces profits augmenteront la valeur réelle de l’entreprise. Si le prix en bourse de ses actions demeurait inchangé, cette entreprise serait sous-évaluée.

Au contraire, si l’entreprise fait des profits modestes mais que ses actions sont l’objet d’une surenchère parmi les investisseurs, cette spéculation pousserait à la hausse la valeur en bourse de ces actions. Et la valeur capitalisée — la valeur de toutes les actions en circulation — pourrait dépasser largement la valeur réelle de cette entreprise.

Quand la bourse devient du vent

C’est ce qui arrive présentement aux entreprises en bourse. Parce que les taux d’intérêts sont ridiculement bas, il est insensé de laisser sa fortune moisir dans un compte de banque. De la même manière, il est peu intéressant d’acheter des obligations en raison de leur faible rendement. La seule issue pour ceux qui ont de l’argent disponible, c’est de jouer à la bourse.

Et puisque nous vivons dans une société de consommation mais que le pouvoir d’achat des consommateurs est inchangé depuis plus d’une décennie, on a d’abord favorisé son endettement. Afin qu’il consomme aujourd’hui ce qu’il aurait consommé plus tard.

Mais après avoir suscité son endettement maximal, on ne peut plus stimuler davantage la consommation, donc l’économie. Pour l’investisseur, cela est très ennuyeux. S’il fonde une nouvelle entreprise, sa réussite ne peut se faire qu’aux dépends de ses concurrents. Sinon, c’est lui qui fera faillite.

Devant cette stagnation de la consommation, à défaut de partir de nouvelles entreprises, on investit dans celles existantes. Et comme des sommes colossales sont disponibles, ces investissements poussent à la hausse la valeur des actions déjà en bourse. Si bien que la bourse est redevenue spéculative, comme avant 2007.

Parce que tout le monde en achète, le prix des titres boursiers augmente. Et parce qu’il augmente, les investisseurs sont — sur papier — plus riches et sont donc récompensés d’avoir anticipé cette hausse, c’est-à-dire d’avoir spéculé. Et cette gratification les encourage à acheter tout et n’importe quoi. Parce que tout et n’importe quoi augmente de valeur.

Celui qui paie une fortune pour acheter de l’air peut sembler être un imbécile. Mais il est plus fin qu’on pense s’il réussit à vendre son air le double qu’il a payé. Et ce fou qui a payé le double, il est peut-être plus intelligent qu’on pense s’il connaît quelqu’un intéressé à payer le triple. Et ainsi de suite.

Une bourse soufflée par la spéculation est une bourse qui récompense tout le monde, de l’investisseur avisé au parfait imbécile.

Bref, tous ces petits menés suiveux — qui paniquaient plus tôt cette semaine alors qu’un attentat, même réel, aurait représenté d’intéressants profits pour les entreprises chargées de reconstruire la Maison blanche — seront les mêmes qui paniqueront lorsque la bourse perdra ce qu’elle a pris en trop depuis seize mois.

Bref, d’ici le début de 2015, il serait raisonnable de s’attendre à une chute de l’ordre de 15% des indices boursiers… si ceux-ci ne retombent pas lentement d’ici là.

Références :
I Survived the Flash Crash of ’13
Tweet sparks Wall Street flash crash

Parus depuis :
L’épée de Damoclès de la Fed (2013-05-27)
Economists overvalue stock markets (2013-10-31)
La Bourse est-elle en train de perdre la boule? (2014-07-05)
Sell everything ahead of stock market crash, say RBS economists (2016-01-12)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le bulbe et la bulle (ou « La tulipe et l’éclatement de la première bulle spéculative »)

Publié le 21 mai 2012 | Temps de lecture : 4 minutes


 
La naissance d’une république

Bien avant la révolution française, avant même la révolution américaine, les Pays-Bas furent la première république moderne.

Jusque vers la fin du Moyen-Âge, cette partie marécageuse de l’Europe, habitée par quelques dizaines de milliers de pêcheurs incultes, loin des routes commerciales, n’intéressait personne. Au sein de l’aristocratie européenne, ce territoire ingrat constituait le prix de consolation que les princesses désargentées apportaient en dot ou qu’on s’échangeait par traité sans trop y faire attention.

Ce territoire passa de dynastie en dynastie pour finalement aboutir à la couronne d’Espagne.

Lorsque les habitants de cette région se convertirent au calvinisme, cette conversion parut intolérable à Philippe-II, le roi très catholique d’Espagne. Ce dernier résolut de les ramener par les armes dans le droit chemin. Mais il arrive, dit-on, que l’usage de la force ne donne pas les résultats escomptés.

En effet, déplacer de l’artillerie lourde sur un tel territoire est risqué. Si bien que, contre toute attente, les puissantes troupes espagnoles furent battues par la population locale. Les Provinces-Unis — c’était leur nom à l’époque — devinrent donc indépendantes en 1581. Mais sous l’autorité d’aucun membre de l’aristocratie européenne, ce nouveau pays était donc… une république.

Peu après, les Hollandais mettaient au point un bateau commercial révolutionnaire, plus gros et beaucoup plus stable en mer que les autres bateaux de l’époque. Se lançant à la conquête du monde, les marins hollandais ramenèrent d’Orient — surtout d’Indonésie — des épices, de la soie et des objets de luxe qu’on s’empressait de distribuer dans toute l’Europe.

Et pendant que les Français s’entre-déchiraient dans des guerres de religion, les Provinces-Unis — qui comprenaient, en gros, les Pays-Bas actuels et le nord de la Belgique — devenaient le pays le plus riche du continent.

Au lieu d’être accaparée par une aristocratie vorace, cette richesse nouvelle profitait à un peu tout le monde : les propriétaires de navires, leurs financiers, les ouvriers de la construction navale, les commanditaires des expéditions, les marins, les débardeurs, les distributeurs européens, etc.

Dans le reste de l’Europe, le haut clergé et les princes avaient seuls les moyens de décorer leurs palais d’œuvres d’Art : aux Provinces-Unies, des peintres aujourd’hui célèbres vendaient leurs toiles à des guildes et à de riches marchands.

En 1643, un teinturier de Leyde possédait 64 tableaux. Et dans les années 1670, deux autres teinturiers se targuaient de posséder, l’un 96 tableaux, l’autre 103.

Et dans les nouveaux développements domiciliaires d’Amsterdam, l’arrière de toutes les maisons donnait sur une grande cour verdoyante. Comparée aux autres capitales européennes, surpeuplées et insalubres, la capitale hollandaise était un petit paradis.

La première bulle spéculative

Bourse d’Amsterdam (1898-1903)

Et pour écouler rapidement toutes les richesses ramenées d’Orient, on créa en 1611 la première bourse au Monde, soit celle d’Amsterdam. N’importe qui pouvait y acheter n’importe quoi.

Quelques décennies plus tôt, le botaniste flamand Charles de l’Écluse avait introduit aux Provinces-Unis la tulipe, en provenance de la Turquie actuelle. Cultivée longtemps à petite échelle dans les jardins botaniques, cette plante devient peu à peu un article de luxe convoité et un signe de richesse.

En 1636, elle est l’objet d’un engouement soudain chez les nouveaux riches hollandais. Investir dans la tulipe est alors le moyen le plus sûr de s’enrichir puisque les prix ne font qu’augmenter.

Entre novembre 1636 et février 1637, le prix des contrats d’achat de tulipes est multiplié par douze. À son plus haut sommet, le prix d’un bulbe de tulipe se vendait dix à quinze fois le salaire annuel d’un paysan (en dollars d’aujourd’hui, environ 110 000$).

À partir de février 1637, les prix s’effondrent en seulement trois semaines : c’est la première bulle spéculative et financière de l’histoire, appelée depuis « krach des tulipes ».

Référence :
Charles de L’Écluse
Le Krach de la tulipe, 1re bulle financière
Histoire des Provinces-Unies
Siècle d’or néerlandais
Tulipomanie

Détails techniques :
1re photo : Olympus OM-D e-m5, objectif Cosina 28 mm Macro F/2,8 — 1/320 sec. — F/5,6 — ISO 200 — 28 mm
2e photo  : Canon Powershot G6 — 1/400 sec. — F/2,0 — ISO 50 — 7,1 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La bourse et le vent

Publié le 15 février 2011 | Temps de lecture : 6 minutes
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Toutes les entreprises possédant des titres financiers inscrits en bourse utilisent les marchés boursiers comme source de financement. Celui-ci survient au moment de l’émission d’actions ou d’obligations.

Par la suite, lorsqu’un titre est convoité, sa valeur en bourse augmente. Si, au contraire, une compagnie annonce des pertes importantes, la valeur de la compagnie diminue et conséquemment, ses actions en font autant. Mais une fois que ces titres ont trouvé preneurs, au départ, toute croissance ultérieure de la valeur en bourse — à l’occasion de changements de propriété de ces titres — ne donnent pas un sou de plus à la compagnie.

Beaucoup de petits investisseurs parient sur la valeur anticipée de titres financiers. Ces spéculateurs sont des parasites économiques. Lorsqu’ils font des gains, cet enrichissement n’apporte rien à la collectivité puisqu’il s’est fait exclusivement au dépend d’autres investisseurs. Cela ne crée pas d’emploi, cela ne stimule pas l’économie, cela ne fait rien d’autre que d’échanger de la richesse d’une personne à une autre.

Au cours des dernières décennies, les bourses se sont démocratisées. À l’époque où les taux d’intérêts favorisaient l’épargne, les bourses étaient réservées dans les faits aux détenteurs de cette épargne (banques, sociétés de fiducie, etc.) : de nos jours, la clientèle des bourses comprend des millions de particuliers. Ceux-ci réagissent au moindre signal annonciateur de la hausse ou du déclin de la valeur d’un titre, ce qui amplifie les variations des indices boursiers (par exemple le Dow Jones Index).

Lorsque la valeur d’un titre financier augmente lentement, les perspectives de gain (ou de pertes) sont beaucoup moindre que lorsque la valeur d’un titre subit de grandes variations. D’où la tentation de déstabiliser un titre (par de fausses rumeurs) afin de créer des occasions d’affaires. Dans une bonne mesure, l’assaut contre la monnaie européenne est essentiellement spéculatif alors que plus spécifiquement, le discrédit des bons du trésor de la Grèce ne l’est pas.

Normalement, la valeur d’un titre boursier est liée à la valeur d’une entreprise. Si une compagnie vaut un million de dollars et si cette compagnie a émis un million d’actions, chacune de ces actions devrait valoir un dollar, majoré de la perspective de profit au cours des prochaines années.

Pour le spéculateur, cela n’a pas d’importance. Il peut très bien acheter du vent s’il a la conviction de trouver un imbécile assez fou pour acheter ce vent plus cher qu’il ne l’a payé. Et cet imbécile est peut-être moins fou qu’on pense s’il peut trouver, lui, quelqu’un d’autre prêt à payer encore plus cher pour cette marchandise. En somme, l’important, c’est de ne pas se retrouver avec ce titre sans valeur réelle lorsque plus personne n’en voudra.

C’est ce qui explique le succès phénoménal du « papier commercial » et le krach boursier qui en était la conséquence inéluctable. De manière analogue, ce n’est qu’une question de temps pour que le prix de l’or chute de son prix actuel (plus de 1 300$ l’once) à son prix réel (environ 350$ à 400$ l’once).

Mais comment savoir lorsque la valeur d’un titre boursier est purement spéculative ? C’est simple. Lorsque la valeur totale des actions et obligations d’une compagnie équivaut à plusieurs fois la valeur réelle de l’entreprise, c’est que ses titres boursiers sont du vent.

De manière analogue, on peut prévoir un krach boursier quand la croissance des indices boursiers est bien au-delà de celle de l’économie mondiale.

D’août 1921 à septembre 1929, l’indice Dow Jones a gagné 468%. Si les années ’20 sont qualifiées d’années folles, elles l’ont été seulement pour une minorité de privilégiés. A titre d’exemple, c’est à cette époque que Montréal comptait un des taux les plus élevés de tuberculose en Amérique du nord alors des fermiers dans la misère quittaient la campagne pour s’installer dans des logis insalubres de l’est de la ville dans l’espoir d’une vie meilleure.

De septembre 1929 à juin 1932, l’indice Dow Jones perd 89% de sa valeur.

Tout comme ce qui s’est passé dans les années ’20, le Dow Jones a connu une croissance phénoménale durant les années ’90. Le 17 avril 1991, cet indice clôture pour la première fois au-dessus des 3 000 points. Le 3 mai 1999, il franchit des 11 000 points. Au cours de cette période, les pays ont construit des infrastructures (routes, hôpitaux, écoles, systèmes d’aqueduc, etc.), les particuliers ont accumulé des biens durables (maison, automobile, appareils électro-ménagers, etc.). Bref, les pays occidentaux se sont enrichis. Mais se sont-ils enrichis de 3,6 fois au cours de cette décennie comme l’a fait le Dow Jones ?

Le krach de 2008 était donc inévitable. Ce qui est étonnant, c’est que cette correction ait pris tant de temps à survenir. On peut présumer que les taux d’intérêts anormalement bas durant cette période ont découragé l’épargne et favorisé l’achat aveugle de titres boursiers. Si bien que la valeur de l’ensemble des titres, gonflée par la spéculation, s’est maintenue artificiellement pendant cette période.

Il a fallu la pourriture générale du système financier américain — à la faveur de la dérégulation néo-libérale — pour placer l’économie mondiale au bord du gouffre et la faillite colossale de la banque d’investissement Lehman Brothers pour réveiller les investisseurs.

Référence :
Il était une fois le Dow Jones…

Complément de lecture :
La dictature des actionnaires coûte cher

Paru depuis :
Wall Street vit le plus long cycle de hausse de son histoire (2018-08-23)

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Écrit par Jean-Pierre Martel