Forcer la gouverneure générale à parler français : une lutte futile

Publié le 2 octobre 2024 | Temps de lecture : 4 minutes

Madame Mary Simon est la première Autochtone à occuper le poste de gouverneur général du Canada. Sa nomination a suscité la controverse parce qu’elle ne parle pas le français.

Entre nous, si elle ne parlait ni le français ni l’anglais, si elle était même sourde et muette, est-ce que cela changerait quelque chose ? Du moment qu’elle peut voir le doigt qui pointe vers l’endroit où elle doit apposer la signature royale, c’est bien suffisant.

Le ‘scandale’ de sa méconnaissance du français, même trois ans après sa nomination, est essentiellement une indignation limitée à ceux qui n’ont pas encore compris ce qu’est le gouvernement canadien.

Pour ces derniers, ce qui leur vient à l’esprit lorsqu’on parle du fédéral, ce sont les traits de Justin Trudeau, de Mélanie Joly, de Pablo Rodriquez, de François-Philippe Champagne, entre autres.

Tous des Québécois à la mine sympathique.

En réalité, ces gens ne sont que l’interface ministérielle de l’État canadien. Derrière cette façade se cache une fonction publique qui, dans la capitale du pays, travaille en anglais.

Elle travaille en anglais parce qu’à Ottawa, elle est majoritairement composée d’Anglophones unilingues. Secondairement, on y trouve des Francophones bilingues et finalement des Anglophones bilingues. Tous ces fonctionnaires ont une chose en commun; la connaissance de l’anglais, leur langue de travail.

À la commission Rouleau (au sujet du ‘Convoi de la liberté’), tous les fonctionnaires francophones, sans exception, ont préféré témoigner en anglais, la langue qu’ils connaissent le mieux pour parler de leur travail.

Précisons que dans les portes satellites du fédéral au Québec, la majorité des employés sont des Francophones bilingues et secondairement des Anglophones (bilingues ou unilingues). Tous ces gens ont une chose en commun; la connaissance de l’anglais anglais puisque leurs rapports, destinés aux décideurs à Ottawa, doivent être rédigés dans cette langue.

Avant 1969, presque tous les jugements de la Cour suprême du Canada étaient publiés exclusivement en anglais. C’est l’élection d’un gouvernement indépendantiste à Québec en 1976 qui a sonné le réveil du plus haut tribunal du pays à l’importance du bilinguisme.

Depuis 1867, 17 des 30 gouverneurs généraux provenaient de la noblesse anglaise. Et à ce jour, tous les représentants de la monarchie britannique au pays (dont Mme Simon) ont une chose en commun : la connaissance de l’anglais.

L’adoption d’une nouvelle constitution canadienne en 1982 était une belle occasion d’abolir ce poste inutile. Mais puisqu’il a été reconduit, laissons donc cette pauvre Mary Simon terminer son mandat en paix.

À l’heure où un déluge migratoire voulu par Ottawa risque d’entrainer le déclin irréversible du français au Québec — et conséquemment, l’extinction du peuple francoQuébécois — il y a des combats plus importants que celui-là.

Références :
Anciens gouverneurs généraux
Aperçu du fonctionnement interne de l’État canadien
Français: la Cour suprême devrait être exemplaire
Incapable de parler français après trois ans comme gouverneure générale: les libéraux défendent leur nomination de Mary Simon
Incapacité à parler le français: le Bloc va demander à la gouverneure générale de témoigner en comité
La façade ministérielle de l’État canadien

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Ottawa finance la demande d’invalidation de toutes les lois du Québec

Publié le 21 mai 2018 | Temps de lecture : 8 minutes

Introduction

Aussi incroyable que cela puisse paraitre, l’ordre professionnel des avocats du Québec (appelé le Barreau) et sa branche montréalaise ont déposé le vendredi 13 avril dernier une requête destinée à faire invalider toutes les lois du Québec. Rien de moins.

Alors qu’on imagine très bien la profession juridique jouant le rôle de pilier de l’ordre établi, voilà que leur ordre professionnel souhaite l’instauration du chaos qui résulterait de l’abolition de toutes les lois civiles de la province.

Seul le Code criminel, de compétence fédérale, demeurerait en vigueur.

Mais quel est donc le problème qui nécessiterait un remède aussi draconien ?

Un processus qui serait vicié

Le Barreau estime que les lois actuelles du Québec ont été adoptées selon un processus qui n’a pas été suffisamment bilingue.

Selon l’article 133 du British North America Act — la loi britannique qui a servi de constitution au Canada de 1867 à 1982 — les débats entourant l’adoption d’une loi au Québec peuvent se dérouler en français ou en anglais, au choix de chaque parlementaire. De plus les lois du Québec doivent être imprimées et publiées dans ces deux langues.

La traduction française de cet article constitutionnel n’exige pas cela des projets de loi, mais uniquement des lois elles-mêmes. En effet, c’est seulement après qu’un texte soit devenu loi qu’il devient obligatoire de l’imprimer et de le publier dans les deux langues officielles du Canada.

La version anglaise de l’article 133 est encore plus explicite puis que la seule chose que le parlement québécois est tenu d’imprimer et de publier dans les deux langues, c’est un Act of Parliament. Or ce terme anglais ne s’applique pas à un projet de loi (appelé Bill) mais à une loi (Law), une fois celle-ci adoptée.

Nulle part est-il écrit qu’une loi québécoise doit même être adoptée dans les deux langues.

Mais la Charte de la langue française va plus loin. Son article 7 exige que les projets de loi soient imprimés, publiés, adoptés et sanctionnés à la fois en français et en anglais.

Mais cet article ne précise pas à partir de quand il doit en être ainsi.

Dans le processus d’adoption des lois du Québec, leur version française est généralement celle qui est soumise à l’attention des parlementaires et la version anglaise apparait à la toute fin du processus d’adoption.

De plus, il est fréquent qu’on découvre des erreurs de traduction après la publication d’une loi. C’est ainsi que lors de la révision du Code civil, on a apporté des milliers de corrections mineures à la version anglaise afin de la concilier avec la version française.

Le Barreau estime que la version anglaise de plusieurs lois n’est pas l’œuvre du législateur, mais plutôt le fruit de l’interprétation à postériori qu’en ont fait les traducteurs de l’Assemblée nationale. Il réclame donc l’invalidation de toutes les lois du Québec.

À l’appui de sa thèse, le Barreau présente deux jugements opposés relatifs à l’utilisation d’un téléphone portable au volant. Un jugement basé sur la version anglaise et l’autre sur la version française.

Une contestation contestable

En réalité, dans le cas dont nous venons de parler, cette contradiction ne serait pas survenue si on avait respecté les directives de la Cour suprême du Canada au sujet de l’interprétation des lois.

Celle-ci a invité explicitement les tribunaux inférieurs à interpréter le sens des lois (dont celles du Québec) à la lumière des faits historiques, juridiques et parfois même politiques ayant entouré ou mené à leur adoption.

Ce qui signifie qu’il faut tenir compte des débats à l’Assemblée nationale et en commission parlementaire.

Même si, théoriquement, les deux versions (française et anglaise) ont la même valeur juridique, que fait-on lorsqu’ils se contredisent ? Eh bien l’article 8 de la Charte de la langue française qui précise que dans ce cas, le texte français prévaut.

De toute évidence, le juge francophone qui s’est basé sur la version anglaise n’a pas tenu compte de l’article 8 de la Charte.

La faiblesse de l’argumentation du Barreau ne l’empêche pas d’aller de l’avant.

Un sondage réalisé auprès d’un échantillon de 125 lecteurs de la revue spécialisée Droit Inc a révélé que 19,2% d’entre eux approuvent la démarche du Barreau et que 80,8% s’y opposent.

Un certain nombre d’avocats ont obtenu la convocation — le jeudi 24 mai prochain  — d’une assemblée générale spéciale afin de discuter de cette question.

Que vient faire le fédéral là-dedans ?

Le Barreau entend consacrer une somme d’un demi-million de dollars à sa contestation juridique. Cette somme est financée à 25% par le gouvernement fédéral, par le biais du Programme de contestation judiciaire (PCJ).

Le PCJ dépend du ministère du Patrimoine canadien dont la titulaire est Mélanie Joly. Ce fonds est géré par l’Université d’Ottawa.

Il serait facile pour le fédéral de s’en laver les mains et de soutenir que l’appui du PCJ à cette cause est une décision prise indépendamment de lui par l’Université d’Ottawa.

Mais comme le tocsin de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois annonçait le début de la Saint-Barthélemy, à moins d’une semaine de l’Assemblée générale spéciale du Barreau, la ministre a publié dans Le Devoir un plaidoyer demandant d’aller plus loin en matière de bilinguisme sans toutefois faire allusion à la demande d’invalidation des lois du Québec qu’elle finance en sous-main.

On peut se demander si cette intervention publique de la commanditaire de cette contestation ne serait pas une manière détournée d’appeler en renfort les magistrats nommés par le fédéral et les avocats qui espèrent l’être afin qu’ils soutiennent le Barreau du Québec, sévèrement critiqué par ses membres.

Sur l’utilité de se tenir debout

Il est ironique de penser que l’article 55 de la Canadian Constitution de 1982 oblige le gouvernement fédéral à traduire dans les meilleurs délais toutes les dispositions du British North America Act de 1867 qui sont encore valides de nos jours.

Adoptés évidemment en anglais par le Parlement de Londres au XIXe siècle, ces articles ont été traduits depuis. Mais cette traduction n’est pas officielle parce qu’elle n’a jamais été adoptée par le parlement canadien comme l’exige depuis 36 ans la constitution actuelle…

Certains citoyens du Québec croyaient qu’en portant au pouvoir un gouvernement provincial à plat ventre devant Ottawa, on prévenait les querelles fédérales-provinciales.

Avec cette attaque frontale où le fédéral finance — en partie, grâce à nos taxes — l’abolition de toutes nos lois, on doit réaliser que plus on rampe devant Ottawa, plus on nous traite comme des vers de terre.

Et pendant ce temps, le gouvernement Couillard est silencieux, probablement pour ‘ne pas faire le jeu des séparatistes’ (l’argument ultime pour justifier sa lâcheté).

Jeudi prochain, on ne comptera donc finalement que sur des avocats de bonne foi — autant indépendantistes que fédéralistes — pour contrer l’assaut des apôtres de la bilinguisation du Québec, cette étape intermédiaire avant notre dissolution dans le grand magma anglophone de l’Amérique du Nord.

Références :
Article 133 du British North America Act de 1867
Charte de la langue française
Demande d’invalidation des lois: le Barreau se défend
La façade ministérielle du gouvernement fédéral
La liste des traitres
Langues officielles: il faut aller plus loin
La version française de la Constitution, toujours pas officielle après 28 ans
Le Barreau veut faire invalider les lois du Québec
Les barreaux veulent invalider les lois québécoises !
7,5 millions de dollars pour le Programme d’appui aux droits linguistiques de l’Université d’Ottawa

Post-Scriptum : À l’occasion de l’Assemblée générale spéciale du 24 mai 2018, par un vote de 52,5 %, les membres du Barreau du Québec ont demandé à leur ordre professionnel d’abandonner ses démarches juridiques en vue de l’invalidation des lois du Québec.

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Écrit par Jean-Pierre Martel