Gabriel Sagard en Huronie

Publié le 31 mars 2019 | Temps de lecture : 20 minutes
Éric Bouchard et Alain Beaulieu

L’histoire d’un récit de voyage

Le 13 mars 2019, la Fondation Lionel-Groulx invitait l’historien Alain Beaulieu à prononcer une conférence au sujet du frère Gabriel Sagard (1590-1640).

Ce Récollet a effectué un voyage en Huronie en 1623-1624. Il y fait une description minutieuse des us et coutumes des Hurons-Wendats.

À l’époque, les Hurons étaient appelés ainsi en raison de leur chevelure en hure, c’est-à-dire dressée sur le milieu de la tête. De nos jours, la hure est mieux connue sous le nom de crête iroquoise ou de coupe Mohawk.

Les écrits du frère Gabriel sont ceux d’une personne que les Autochtones ont adoptée comme un des leurs, qui a vécu parmi eux et qui témoigne de ce qu’il a vu. Non pas avec la rigueur d’un anthropologue ou d’un ethnographe moderne, mais avec les yeux d’un Européen de son temps.

En s’installant au Canada en 1625, les Jésuites mettent ainsi fin au monopole des Récollets. Peu à peu, une rivalité s’installe entre les deux ordres religieux.

Afin de défendre leur implication missionnaire, les Récollets publient les écrits du frère Gabriel en 1632.

Il est improbable que l’auteur ait composé son livre à chaud, en Huronie. Le début de l’écriture s’est probablement fait de retour à Québec ou dans les années qui suivirent le retour en France.

À Paris, le frère Gabriel pouvait consulter toutes les sources qui lui permettaient d’étoffer son récit, notamment en s’inspirant des témoignages de prédécesseurs en Nouvelle-France que furent André Thevet, Samuel de Champlain et Marc Lescarbot.

Intitulé Le Grand voyage au pays des Hurons, le récit de voyage du frère Gabriel était complété d’un dictionnaire huron-français.

Ce dictionnaire était la plus importante publication relative à une langue autochtone d’Amérique du Nord. La langue dont il est question était la plus employée par les peuples avec lesquels les Européens étaient en contact.

Les Jésuites soulignèrent les fautes typographiques et les inexactitudes du dictionnaire du frère Gabriel et insinuèrent qu’il en était probablement de même de son récit de voyage.

Tout comme saint François d’Assise s’émerveillait devant une fleur, ce Récollet s’est émerveillé naïvement — disaient les Jésuites — devant les coutumes barbares des Amérindiens.

Et, reproche suprême, il n’a pas converti grand monde.

L’intérêt contemporain pour la culture autochtone a provoqué une réévaluation du travail de Gabriel Sagard, considéré aujourd’hui comme un grand précurseur de l’ethnographie; ses écrits témoignent de la vie d’un des plus importants peuples autochtones d’Amérique du Nord au moment où ceux-ci avaient très peu été exposés à la culture européenne.

Le seul exemplaire que j’ai trouvé de l’édition originale se vend 32 500$US. Heureusement, des fac-similés électroniques (54,5 Mo) sont disponibles gratuitement sur l’internet.

Avant de nous concentrer sur le voyage du frère Gabriel, revenons en arrière de quelques années.

Le contexte géopolitique

Au XVIIe siècle, la Nouvelle-France était constituée de trois territoires contigus : l’Acadie, le Canada et la Louisiane. En gros, le Canada correspondait à la vallée du Saint-Laurent.

Des prêtres séculiers, puis des Jésuites en 1611, avaient déjà fondé des missions en Acadie.

Mais il fallut attendre le voyage que Samuel de Champlain effectua en 1615 en Nouvelle-France pour que le Canada accueille ses premiers religieux; c’était quatre Récollets.

Cette année-là, l’un d’eux (Joseph Le Caron) fait partie d’une expédition de douze hommes en Huronie, rejoints quelques jours plus tard par Samuel de Champlain.

Champlain séjourne brièvement en Huronie, laissant derrière lui le père Joseph Le Caron. Celui-ci demeure alors sur place durant un an, plus précisément jusqu’au printemps 1616.

La Huronie est alors un territoire de 880 km² situé aujourd’hui dans la comté ontarien de Simcoe.

Région des Grands Lacs en 1755

Datée du siècle suivant, la carte ci-dessus situe la Huronie au cœur de la région des Grands Lacs, plus précisément au sud-est du lac Huron.

Sur cette carte, elle est décrite comme ‘Ancien pays des Hurons’ parce qu’elle n’existait déjà plus, conquise par les Iroquois en 1649.

Avant cette conquête, le territoire de la Huronie est une presqu’ile au milieu des Grands Lacs.

Ces vastes étendues d’eau permettaient de transporter des marchandises sur de grandes distances en se fatiguant beaucoup moins que par voie terrestre.

La Huronie occupait donc une position stratégique dans le commerce des fourrures.

En tant que peuple sédentaire et exportateur de maïs, les Hurons-Wendats jouissaient de l’amitié de nombreux autres peuples autochtones qui eux étaient nomades. Ce sont les fourrures obtenues en échange de maïs qui permettaient aux Hurons-Wendats d’être impliqués dans leur commerce.

Rapidement, les Hurons-Wendats en étaient venus à fournir entre 50% et 60% des peaux de castor exportées vers la France.

Au cours des années qui suivent le retour du père Le Caron au Canada, une inquiétude grandit au sein des autorités coloniales.

En absence de contact diplomatique avec les chefs hurons, ne faut-il pas craindre une réconciliation entre les Hurons-Wendats et les Iroquois qui les feraient basculer dans le camp des Hollandais ou des Anglais ?

Aux yeux de tous, la Huronie apparait clairement comme la clé de voute de l’expansion française en Amérique du Nord. Il faut faire quelque chose.

Finalement, il fallut attendre jusqu’en 1623 pour qu’une nouvelle expédition soit organisée.

Cette fois-ci, le père Le Caron est accompagné de deux religieux fraichement arrivés dans la colonie : le père Nicolas Viel et le frère Gabriel Sagard.

Les trois Récollets profitent d’un voyage de retour de quelques Hurons venus écouler leurs fourrures à Cap-de-la-Victoire (aujourd’hui Sorel). Dans des canots différents, les trois Récollets partent le 2 aout 1623 et arrivent en Huronie le 20 aout. Ils se dispersent alors chacun dans son village.

Gabriel Sagard demeurera en Huronie jusqu’en mai ou juillet 1624.

Voilà le contexte. Laissons-lui maintenant la parole.

Quelques extraits du Grand Voyage


Avant-propos : Les extraits suivants sont tirés de la version critique de Jack Warwick publiée en 1998 aux Presses de l’Université de Montréal. Le numéro de page donné en référence est donc celui de cette édition.

J’ai modernisé le texte afin de faciliter sa compréhension (par exemple, ‘maïs’ au lieu de ‘bled d’Inde’).

De plus, j’ai évité le mot ‘Sauvage’ puisqu’il a acquis un sens péjoratif qu’il n’avait pas à l’époque de Gabriel Sagard.

En dépit du fait qu’il ait vieilli lui aussi, j’ai préféré utiliser le mot ‘Amérindien’ parce que — contrairement à ‘Autochtone’ — il permet de distinguer le féminin du masculin.

 
L’hospitalité huronne

Arrivé dans son village huron, le frère Gabriel est accueilli par tous ses habitants.

Amené dans la maison longue de son hôte, le frère Gabriel est ‘naturalisé’ à l’occasion d’une adoption symbolique.

Les père et mère de mon Amérindien me firent un fort bon accueil à leur manière et, par des caresses extraordinaires, me témoignèrent de l’aise et du contentement qu’ils avaient à ma venue. Ils me traitèrent aussi doucement que leur propre enfant (…).

Mon Amérindien, qui m’estimait en qualité de frère, m’avisa d’appeler sa mère sendoué, c’est-à-dire ma mère, puis lui et ses frères ataquen, mon frère, et ainsi de suite pour les autres membres du clan familial.

Pour mon aise, ils m’attribuèrent autant de place qu’en occupait une petite famille qu’ils firent sortir de la maison longue dès le lendemain de mon arrivée. (p.162-3)

L’habitat huron

Le frère Sagard évalue la population huronne à trente ou quarante-mille personnes. (p.181)

Le village du frère Gabriel était peuplé de deux ou trois-cents familles habitant trente ou quarante maisons longues. Faite de branches et d’écorces, chaque maison mesurait de cinquante à soixante mètres de profondeur et douze mètres de large (dont deux pour l’allée centrale). (p.182)

Couvertes d’écorces d’arbres, leurs maisons sont construites en forme de tonnelle ou de berceau de jardin.

© 2012 — Centre d’interprétation du site archéologique Droulers/Tsiionhiakwatha

À l’intérieur, le long de chaque côté, il y a une profonde banquette située à environ un mètre et demi du sol sur laquelle on couche en été et sous laquelle on entrepose le bois de chauffage.

En hiver, on couche par terre sur des nattes de jonc, près du feu. Les gens se disposent les uns près des autres; les enfants forment une couronne autour du feu, leurs parents derrière eux.

Il y a huit à douze feux par habitation, à raison de deux familles par feu.

L’évacuation de la fumée se fait par une ouverture au sommet puisque la maison longue est dépourvue de fenêtre. (p.183)

Pour dormir, ils se couchent là où ils étaient assis, déposant la tête sur un vêtement replié, sans autre couverture ni lit. (p.182)

Les poissons fumés et les grains de maïs secs sont entreposés dans de grandes cuves en écorce placées à l’une ou l’autre des porches situés aux extrémités.

Les vêtements sont suspendus à l’intérieur, soit pour les faire sécher ou pour les protéger des rongeurs. (p.183)

L’alimentation des Hurons-Wendats

L’alimentation huronne est peu carnée. Essentiellement, ils se nourrissent d’épis de maïs séchés et de poisson, le tout complété d’huile de tournesol, de courges, de légumineuses, de baies et de prunes.

Le peu de viande qu’ils consomment, ce sont des souris, du chien, du cerf, de l’ours ou du renard. (pp.172 et 199)

Le festin qui nous fut fait à notre arrivée fut composé de grains de maïs pilés (…) avec un petit morceau de poisson fumé cuit dans l’eau. On me servit l’eau de cuisson et les légumineuses le lendemain (…)

Nous mangions parfois de la citrouille bouillie ou cuite sous la cendre (que je trouvais très bonne), tout comme les épis de maïs que nous faisions rôtir ou les grains de maïs grillés comme des pois dans la cendre.

Notre Amérindienne m’apportait souvent des mures sauvages pour déjeuner, ou bien des tiges de maïs à sucer. (p.163)

Il est vrai qu’on passe d’ordinaire des semaines et des mois entiers sans boire. Ne mangeant jamais rien de salé ni d’épicé et le manger quotidien n’étant que de maïs bouilli, cela sert à la fois de boisson et de mangeaille. Nous nous trouvions fort bien de ne pas manger de sel, étant à près de trois-cents lieues (120 km) de toute eau salée (…). Et à mon retour au Canada, je me trouvais mal au commencement d’en manger, pour l’avoir discontinué trop long temps. Ce qui me fait croire que le sel n’est pas nécessaire à la conservation de la vie, ni à la santé humaine. (p.170)

Après avoir créé un potager, le frère Gabriel peut enfin parfumer sa nourriture de quelques aromates.

Notre nourriture ordinaire était des mêmes mets et viandes que celles que les Amérindiens usent ordinairement sinon que nos plats étaient un peu plus nettement accommodés; nous y mêlions parfois de petites herbes, comme de la marjolaine sauvage, afin de leur donner gout et saveur (…).

Mais s’apercevant qu’il y en avait, les Amérindiens n’en voulaient nullement gouter, disant que cela sentait mauvais… (p.172)

Les Hurons-Wendats n’utilisent pas de chat pour protéger leurs récoltes des rongeurs puisque cette espèce ne fait pas partie de leurs animaux domestiques. (pp.205 et 339)

L’utilisation des métaux se limitant à la fabrication d’ornements corporels, les aliments ne sont pas cuits dans des marmites ou des chaudrons de métal, mais dans de la poterie fabriquée par les femmes. (p.190)

Lorsque l’allaitement au sein ne suffit plus à assurer leur croissance, les bébés reçoivent leurs premiers aliments solides de la bouche même de leur mère, après que celle-ci ait bien mastiqué l’aliment destiné à l’enfant. De la même manière…

…quand la mère vient à mourir avant que l’enfant ne soit sevré, le père prend de l’eau, dans laquelle il aura bouilli longuement du maïs. Il en emplit sa bouche et, joignant celle de l’enfant contre la sienne, lui fait recevoir et avaler la bouillie…

De la même invention se servent aussi les Amérindiennes pour nourrir les chiots orphelins (ce que je trouvais répugnant) en joignant ainsi leur bouche au museau des chiots (qui ne sont pas souvent très propres). (p. 214)

Chez les Hurons-Wendats, le printemps est le temps des sucres.

Au temps où les bois étaient en sève, nous faisions parfois une fente dans l’écorce de quelques gros arbres, et tenant au-dessous une écuelle, nous recevions le jus et la liqueur qui en tombait goutte à goutte. (p.172)

Le confort

Le frère Gabriel décrit ainsi sa première nuit en Huronie :

Puisque les Hurons dorment sans oreiller, je me servis d’un billot de bois ou d’une pierre placé sous la tête tandis que je m’allongeais sans couverture sur ma natte, comme ils le font. Le tout était tellement dur que je me levai le lendemain tout rompu et brisé de la tête et du corps. (p.164)

Après s’être construit leur propre cabane destinée à servir sommairement de résidence, d’école et d’église, les Récollets découvrent l’envers de la vie missionnaire :

Ayant construit notre cabane à nous hors de saison, celle-ci fut couverte de très mauvaise écorce qui se fendit de partout. De sorte qu’elle ne nous protégeait peu ou pas des pluies qui nous tombaient dessus et que nous ne pouvions éviter ni de jour ni de nuit. Non plus que des neiges (…) dont nous nous trouvions parfois couverts au lever.

Lorsque la pluie était forte, elle éteignait notre feu (…) Il n’y avait pas un seul petit coin dans notre cabane où il ne pleuvait pas comme au-dehors. Ce qui nous obligeait à passer des nuits entières sans dormir, préférant nous tenir debout ou assis dans un coin pendant les orages. (p.171)

L’agriculture et la propriété foncière

Toutes les forêts, prairies et terres non défrichées sont en commun. Il est permis à un chacun d’en défricher et d’en ensemencer autant qu’il veut, qu’il peut, et qui lui est nécessaire.

Cette terre ainsi défrichée demeure à la personne autant d’années qu’il continue de la cultiver et de s’en servir. Abandonnée par son maitre, s’en sert après qui veut. (p.192)

Les Hurons-Wendats ne labourent pas le sol. Ils arrachent les mauvaises herbes manuellement et enfouissent les graines de maïs dans des trous creusés à l’aide d’une petite pelle de bois. Cela empêche les oiseaux de dévorer leurs semences, un problème rencontré par les Européens qui, à l’époque, sèment encore à tout vent. (p.193)

Le grain murit en quatre mois, et en de certains lieux en trois mois. Ensuite on cueille les épis, les lie par leurs feuilles retroussées vers le haut et on les assemble par grappes suspendues à l’intérieur des habitations. (…)

Le grain étant bien sec et bon à remiser, les femmes et les filles l’égrainent, le nettoient et le mettent dans leurs grandes cuves placées dans les porches ou dans quelque coin de leurs maisons. (p.193)

La vie sociale

Quand ils se visitent les uns les autres, ils se font mutiellement des présents. (…)

Ils n’aiment pas marchander et se contentent de ce qu’on leur offre honnêtement et raisonnablement, méprisant et blâmant les façons de faire de nos marchands qui négocient une heure pour obtenir une peau de castor. (…)

Victorieux, ils ont de la mansuétude et de la clémence envers les femmes et les enfants de leurs ennemis, auxquels ils sauvent la vie bien qu’ils demeurent leurs prisonniers pour servir. (p.224)

L’exercice du jeu est tellement fréquent et coutumier chez eux, qu’ils y consacrent beaucoup de temps, tant les hommes que les femmes. Ils parient parfois tout ce qu’ils ont, perdant aussi gaiment et patiemment que s’ils avaient gagné. J’en ai vu s’en retourner dans leur village tout nus et chantant après avoir tout perdu. (p.185)

Ils aiment la peinture et y réussissent assez industrieusement, pour des personnes qui n’y ont point d’art ni d’instruments propres.

Ils font néanmoins des représentations d’hommes, d’animaux, et d’oiseaux, de même que d’autres décorations peintes sur divers matériaux ou sur leur peau.

Ils décorent certains objets, non pas dans le but de les idolâtrer, mais pour se contenter la vue, embellir leurs calumets et leurs pipes, de même que pour orner le devant de leurs maisons. (p.187)

Comme chez les Européens, le noir est porté en signe de deuil. Toutefois, dépourvus d’habillements de cette couleur, les Hurons-Wendats la portent à leur manière au cours des cérémonies funéraires. Le frère Gabriel écrit :

Ils sont accoutumés de se peindre le visage de noir à la mort de leurs parents et amis. Ce qui est un signe de deuil : ils peignent aussi le visage du défunt… (p.282)

La vie sexuelle

Les femmes quittent facilement leurs maris quand ils ne leur agréent point : il arrive souvent que l’une d’elles passe ainsi sa jeunesse à avoir successivement plus de douze ou quinze maris.

Toutefois, ces derniers ne sont pas seuls à apprécier leur femme, tout mariés qu’ils soient. Car la nuit venue, les jeunes femmes courent d’une maison à l’autre comme le font, en cas pareil, les jeunes hommes de leur côté.

Ceux-ci en prennent par où bon leur semble, sans aucune violence toutefois, remettant le tout à la volonté de la femme.

Le mari fera le semblable à sa voisine et à la femme à son voisin. Aucune jalousie ne se mêle entre eux pour cela, et n’en éprouve aucune honte, infamie ou déshonneur. (p.211)

La santé et l’aspect physique

Ils sont tous généralement bien formés et proportionnés (…) et sans difformité aucune. Et je peux dire en vérité avoir vu d’aussi beaux enfants qu’il y en a en France. (…)

(Les adultes) ne sont ni trop gras ni trop maigres ce qui les maintient en santé et exempts de beaucoup de maladies auxquelles nous sommes sujets. (p.220)

On n’y voit pas non plus de rouquin, ni blond de cheveux, mais les ont tous noirs (excepté quelques-uns qui les ont châtains). (…)

Ayant la barbe tellement en horreur, (…) aussi croient-ils qu’elle rend les personnes plus laides et amoindrit leur esprit. Et à ce propos, je dirai qu’un jour un Amérindien voyant un Français barbu, se retournant vers ses compagnons leur dit (…): « Ô que voilà un homme laid ! Est-il possible qu’aucune femme ne voulut regarder d’un bon œil un tel homme…» (p.221)

Ils s’endurcissent tellement au mal et à la peine, qu’étant devenus grands, vieux à la chevelure blanche, ils restent toujours forts et robustes. Ils ne ressentent presque aucune incommodité ni indisposition.

Et même les femmes enceintes sont tellement fortes qu’elles accouchent d’elles-mêmes et n’ont pas, en général, à subir de convalescence. J’en ai vu une arriver de la forêt chargée d’un lourd ballot de branches, accoucher dès son arrivée, puis aussitôt remise sur pied, vaquer à ses tâches ordinaires. (p.216)

C’est seulement au XIXe siècle que les caractéristiques raciales ont pris une importance démesurée. À l’époque Gabriel Sagard, la pigmentation de la peau n’est ni plus ni moins distinctive que la couleur des cheveux ou des yeux.

Les nations et les peuples américains que nous avons vus (…) sont tous de couleur basanée (excepté les dents qu’ils ont merveilleusement blanches) non qu’ils naissent ainsi : ils sont de même nature que nous.

Mais c’est à cause de la nudité, de l’ardeur du soleil (…) et du fait qu’ils (…) s’enduisent assez souvent le corps d’huile ou de graisse avec des pigments de différentes couleurs qu’ils appliquent et mêlent pour sembler plus beaux. (p.220)

Au sujet de leur tempérament, le frère Gabriel écrit  :

Les Amérindiens, en général, ont l’esprit et l’entendement assez bons (…) et sont d’une humeur assez joyeuse et contente. (p.224)

Mais ils estiment que les Français parlent trop et qualifient de ‘femmes’ les grands parleurs. (p.224)

Lieu rituel, le sauna autochtone est également un lieu de socialisation.

Lorsque quelqu’un veut assister à une séance de sudation (qui est le remède le plus propre et le plus commun qu’ils aient pour se conserver en santé, prévenir les maladies ou les combattre), il appelle plusieurs de ses amis pour suer avec lui…

Ils font donc rougir quantité de cailloux dans un grand feu à l’extérieur, puis les en retirent pour faire un tas au milieu de la cabane…

Les hommes nus doivent suer, les uns joignant les autres, bien serrés et pressés tout autour du tas de pierres, assis contre terre avec les genoux repliés… Parfois ils boivent de grands pots d’eau froide…

Ayant sué suffisamment, ils sortent et vont se jeter à l’eau s’ils sont proches d’une rivière. Sinon, ils se lavent à l’eau froide… (p.273)

Conclusion

Depuis deux semaines, je me suis immergé dans le monde de Gabriel Sagard.

Au-delà du pittoresque des expressions — atténué par la transposition en français moderne — ce qui est frappant dans les écrits du frère Gabriel, c’est à quel point les êtres humains ne changent pas.

Loin de vous avoir rassasiés, amis lecteurs, j’espère que ce recueil d’extraits de son ‘Grand Voyage…’ vous donnera le gout de vous plonger également dans le XVIIe siècle pour découvrir ce qu’il peut nous apprendre sur ce que nous sommes.

Références :
Arrivée des Récollets en Nouvelle-France
Frères mineurs récollets
Hurons-Wendat
Hurons-Wendats
Joseph Le Caron
Les Récollets en Nouvelle-France
Loi sur les Indiens
Monuments intellectuels de la Nouvelle-France et du Québec ancien — Aux origines d’une tradition culturelle
Sagard (1623-1624)
Sagard, Gabriel

Complément de lecture : Proximité autochtone québécoise d’hier à aujourd’hui (2021-03-01)

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 Mark II, objectif M.Zuiko 40-150mm F/2,8
1re photo : 1/250 sec. — F/2,8 — ISO 2000 — 110 mm
Carte de 1755 : © Geographicus Rare Antique Maps et Wikipédia

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Écrit par Jean-Pierre Martel