L’affaire Raïf Badawi : le toupet de l’Arabie saoudite

Publié le 1 avril 2015 | Temps de lecture : 6 minutes
© 2010 — Google Maps

Introduction

Le 11 février 2015, l’Assemblée nationale du Québec adoptait une motion réclamant la libération du blogueur saoudien Raïf Badawi, dont l’épouse et les trois enfants sont réfugiés à Sherbrooke, au Québec.

On apprend aujourd’hui que l’ambassadeur d’Arabie saoudite a officiellement protesté, le 10 mars suivant, contre cette motion, la qualifiant d’ingérence dans les affaires intérieures de son pays.

L’ingérence mondiale de l’Arabie saoudite

L’Arabie saoudite s’est mêlée des affaires intérieures de l’Irak en commanditant la guerre qui a renversé Saddam Hussain.

En Syrie, elle finance des milices ayant pour objectif le renversement de Bachar el-Assad, président de ce pays.

Au Yémen, elle se mêle de la guerre civile qui s’y déroule en y bombardant les milices chiites.

L’Arabie saoudite se mêle de la politique énergétique de l’Iran en s’opposant vigoureusement à son programme nucléaire.

Mais il y a plus.

Selon les dépêches secrètes des ambassadeurs américains révélées par WikiLeaks, l’Arabie saoudite est la plaque tournante du financement du terrorisme international.

Financé entre autres par des princes saoudiens et leurs épouses, Al-Qaida possède des camps d’entrainement qui visent à former spécifiquement des combattants afin qu’ils commettent des actes terroristes partout à travers le monde.

Bref, l’Arabie saoudite est une menace pour tous les citoyens canadiens, où que nous soyons.

Et ce pays, qui a l’audace de semer la mort partout où il le juge approprié, qui répand sournoisement son fondamentalisme religieux arriéré par le biais d’imams voués à son idéologie rétrograde, a l’audace de nous sommer de nous mêler de nos affaires ?

La nature de la monarchie saoudienne

L’Arabie saoudite n’est pas une monarchie constitutionnelle comme l’est la Grande-Bretagne. C’est une monarchie absolue. En d’autres mots, c’est une dictature monarchique.

Ce pays n’a même pas de constitution. La Charia y fait office de code pénal.

L’ordre social qui y règne permet à des milliers de princes saoudiens de s’en mettre plein les poches. De fait, ceux-ci comptent parmi les hommes les plus riches au monde.

Dans les pays occidentaux, les juges sont nommés par le pouvoir politique selon un processus qui se veut impartial (mais qui ne l’est pas toujours, si on se rappelle des ‘Post-it Notes’ du gouvernement Charest).

L’Arabie saoudite étant une dictature, les juges sont évidemment les valets des tyrans du pays. La justice qui s’y pratique est une farce.

Dans ce pays, prêcher la laïcité et la Démocratie — comme le fait Raïf Badawi — remet en question cet ordre social profitable aux tyrans du pays. Pour ces derniers, Raïf Badawi doit se taire.

Mais pour continuer à tuer les opposants sous différents prétextes, l’Arabie saoudite a besoin de le faire à l’abri de l’attention publique. Il est donc important qu’on cesse de parler de cette affaire.

Pourquoi défendre Raïf Badawi plus qu’un autre ?

Premièrement, on possède une copie des écrits publiés sur son blogue. Elle est dans la cache des moteurs de recherche.

On sait donc que les accusations portées contre lui sont ridicules. Dans bien d’autres cas, on ne connait pas avec certitude la preuve présentée en cour : l’Arabie saoudite peut jouer sur le doute. Pas dans le cas de Badawi.

Deuxièmement, Badawi a réussi à placer sa femme et ses enfants en sécurité au Québec. Ils se sont réfugiés à Sherbrooke. Ils sont parmi nous. Ce sont des nôtres.

Troisièmement, on ne peut pas se tromper. Raïf Badawi n’est pas une boite à surprise. Ce que pense Raïf Badawi, on le sait déjà. Il a écrit. Ses idées sont progressistes et modernes. Il aurait pu y renoncer sous la torture des coups de fouet. Il a choisi de se tenir debout. Ce n’est pas seulement une victime; c’est un grand homme.

Quatrièmement, son cas est cautionné par des autorités internationales. Le parlement européen s’est prononcé pour sa libération inconditionnelle le lendemain de la motion québécoise. La Suède a mis fin à sa coopération militaire avec l’Arabie saoudite dans la foulée du cas Badawi.

Le combat en faveur de Badawi n’est rien d’autre qu’un combat contre un système juridique barbare qui est une façade à la tyrannie des dirigeants de ce pays.

Contrer l’influence obscurantiste de l’Arabie saoudite

L’Autriche a récemment adopté une loi qui interdit tout financement étranger de ses mosquées (tant pour la construction que pour leur fonctionnement).

Cela empêche l’Arabie saoudite d’y diffuser sa conception arriérée de l’Islam. C’est par le biais d’imams radicaux — qu’elle subventionne et qui lui sont fidèles — que l’Arabie saoudite répand sournoisement son influence.

En protestant contre le sort réservé à Raïf Badawi, on prépare l’opinion publique québécoise à l’adoption d’une législation comme celle de l’Autriche.

Ce n’est pas gagné d’avance. Rappelons que le gouvernement Couillard n’est opposé qu’au radicalisme violent. Pas de violence, pas de problème.

Les imams radicaux financés par l’Arabie saoudite ont donc de beaux jours devant eux au Québec. Mais ceci pourrait changer sous la pression de l’opinion publique. D’où l’importance de poursuivre cette lutte.

Références :
Affaire Badawi : l’Arabie saoudite demande à Québec de se mêler de ses affaires
Couillard combattra la radicalisation
Droits de l’Homme: Raif Badawi; fosses communes à Chypre; Bob Rugurika
L’Arabie saoudite lance des frappes aériennes au Yémen
La Suède met fin à la coopération militaire avec l’Arabie saoudite au nom des droits de l’homme
L’Autriche adopte une nouvelle loi pour encadrer l’islam
Raïf Badawi : une motion adoptée à l’Assemblée nationale
Syrie : une guerre par procuration entre l’Iran et l’Arabie saoudite

Parus depuis :
Oui, l’islamisme radical existe ici (2015-09-14)
Où sévit le terrorisme islamiste dans le monde? La réponse en carte (2016-03-24)
L’Arabie saoudite dévoilée (2016-11-15)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les contraires s’attirent… ou se repoussent

Publié le 31 décembre 2014 | Temps de lecture : 2 minutes
Édifice du ministère de l’Intérieur à Cuba

On apprend aujourd’hui qu’une douzaine de dissidents ont été arrêtés à Cuba pour avoir participé à une minuscule manifestation non autorisée.

L’artiste cubaine Tania Bruguera, à l’origine de cette manifestation, voulait organiser une séance de discussion libre « à micro ouvert » sur la place de la Révolution — devant les bureaux du redoutable ministère de l’Intérieur — sans avoir obtenu les autorisations nécessaires.

Pour les autorités cubaines, il s’agissait d’une provocation politique. Au contraire, pour le département d’État américain, c’est une tentative de brimer la liberté d’expression.

En septembre 2012, 130 personnes ont été arrêtées à New York parmi les 600 qui marchaient dans les rues de cette ville pour souligner le premier anniversaire du mouvement Occupy Wall Street. C’est dix fois plus d’arrestations qu’hier à Cuba.

Afin de débusquer le terrorisme qui sommeille dans chacun de ses citoyens, les États-Unis espionnent leurs courriels, épient leurs appels téléphoniques, et localisent leurs déplacements par le biais de leurs téléphones multifonctionnels. Il est temps que les autorités cubaines fassent du respect des droits de l’Homme aux États-Unis une condition de la normalisation avec ce pays.

Mais qu’est-ce que je suis en train d’écrire ? Suis-je en train de réaliser que la vérité est une chose relative, et qu’elle peut être déformée par l’aveuglement idéologique…

En réalité, chaque pays possède ses propres dissidents. Et il les réprime comme il peut. Les participants au Printemps érable en savent quelque chose…

Références :
Anniversaire d’Occupy Wall Street : 135 arrestations
Cuba arrête une douzaine de dissidents, Washington « préoccupé »

Détails techniques de la photo : Olympus OM-D e-m5, objectif Lumix 12-35mm — 1/640 sec. — F/8,0 — ISO 200 — 31 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La torture par les États-Unis : un crime de guerre impuni

Publié le 11 décembre 2014 | Temps de lecture : 6 minutes

En 2009, le Sénat américain a entrepris une étude bipartisane sur les méthodes employées par la CIA dans sa lutte contre le terrorisme. Le rapport de 6 000 pages, prêt depuis des mois, a été publié cette semaine dans une version censurée de 524 pages.

Dans la mesure où les dirigeants du pays autorisaient ouvertement l’utilisation de la torture et fermaient complaisamment les yeux sur les moyens utilisés, les dirigeants de la CIA ont vite compris que le seul moyen d’éviter les reproches de négligence, c’était d’y aller à fond. Si jamais un autre attentat survenait, il serait plus facile de se justifier s’ils ont manifestement tenté par tous les moyens de le prévenir.

Les États-Unis se faisaient donc les grands défenseurs de la démocratie parlementaire et les champions de la liberté de commerce. Toutefois, simultanément, ils donnaient l’exemple d’un État totalitaire qui bafoue les libertés civiles de ses citoyens en espionnant leurs correspondances et leurs déplacements, de même qu’en torturant les étrangers patriotes qui s’opposent à l’invasion militaire de leur pays par les troupes américaines.

Le long texte que j’ai écrit sur la traque de Ben Laden reflète la controverse de l’époque au sujet de l’efficacité des méthodes utilisées par la CIA. Cette prudence a aussi guidé les scénaristes d’Opération avant l’aube, un film qui, contrairement à ce qu’on a prétendu, a évité de prendre position sur ce sujet.

Mais l’analyse minutieuse des informations obtenues sous la torture n’a trouvé aucune preuve indiquant que ces interrogatoires ont permis de déjouer des complots imminents.

En effet, après avoir épluché près de six millions de documents fournis par la CIA, les enquêteurs du Sénat n’ont découvert aucun cas d’information inédite ayant permis de sauver des vies américaines et ce, en dépit de méthodes qui ont laissé certains détenus dans un état suicidaire et en proie à des hallucinations.

On peut juger du sérieux de ce rapport par le fait qu’il contredit celui de l’U.S. Naval Criminal Investigative Service. Ce dernier concluait qu’à Guantánamo, les méthodes utilisées avaient entrainé la mort de cinq détenus, trois par torture à mort le 9 juin 2006 et deux par suicide.

Si les membres de la commission sénatoriale avaient voulu noircir le tableau de l’administration Bush, ils auraient abondé dans le même sens que leurs prédécesseurs : or le rapport sénatorial ne parle que d’un suicide réussi (et d’aucun cas de torture à mort, à moins que cela ait été censuré).

Malheureusement, aucun de ceux qui ont pratiqué la torture, aucun de ceux qui l’ont commandé et aucun de ceux qui l’ont permise, n’a été sanctionné. Tous ceux qui ont été compromis dans cette affaire occupent encore des fonctions importantes de l’appareil de l’État américain ou du Parti républicain. Tout ce beau monde poursuit sa désinformation afin de se justifier et d’échapper aux poursuites pour crimes de guerre.

Conséquemment, ce rapport ne fait autorité qu’auprès de ceux qui veulent bien y croire et qui ont les dispositions morales pour se scandaliser de son contenu.

On peut donc craindre que cette pratique — qui rappelle les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale — revienne à la première occasion.

La fascination des criminels de gerre

Conference_Bush2On est d’autant plus justifié de le craindre que la Droite américaine et ses alliés continuent de récompenser les criminels de guerre américains pour leurs loyaux services.

C’est ainsi qu’en 2009, G.W.Bush est venu prononcer trois conférences au Canada, gratifié d’un honoraire de 100 000$ à chaque fois.

La conférence montréalaise, sous le patronage de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, était commanditée par la firme de transactions en ligne Optimal Payments, les consultants financiers Ernst & Young, le cabinet d’avocats Osler, Hoskin & Harcourt, et la minière Nayarit Gold.

À Montréal, plus de 1 300 hommes d’affaires se sont déplacés pour entendre l’ex-président dans un hôtel qui appartiendrait en partie à des intérêts saoudiens.

Le milieu des affaires justifie une telle initiative en prétextant que nos entrepreneurs viennent apprendre comment mieux percer le marché américain. Cela est bon pour leur entreprise et cela crée des emplois, dit-on.

Malheureusement, ce n’était pas le thème de cette rencontre. Il s’agissait plutôt d’une conférence à bâtons rompus au cours de laquelle l’ex-président évoquait avec nostalgie ses années de pouvoir et justifiait ses politiques (dont la torture), sous les applaudissements de ses admirateurs. Ces hommes d’affaires ont donc payé le prix d’entrée pour avoir la chance d’être photographiés en serrant la main de leur idole.

Les hommes d’affaires sont libres de dépenser leur argent comme ils l’entendent. Néanmoins, quand une telle somme est déductible d’impôt en tant que frais de représentation, quand la dépense résiduelle passe dans les frais généraux de l’entreprise — et est donc refilée aux consommateurs — les contribuables et le public ont le droit d’en discuter.

À mon avis, aucun argument ne peut justifier qu’on paie un criminel de guerre à venir prononcer une conférence chez nous.

Si on veut que la pratique méprisable de la torture soit abandonnée, il faut que ceux qui en sont coupables soient punis et non récompensés.

Peut-être devrait-on suivre l’exemple de la Suisse où G.W. Bush s’est vu forcé d’annuler la conférence qu’il devait donner à Genève en raison de la menace d’arrestation qui pesait sur lui pour crime contre l’Humanité…

Références :
À Montréal, George W. Bush est accueilli par des manifestants – Applaudi dedans, hué dehors
Guantánamo : dix ans de honte
Le dossier clos
Le président George W. Bush annule sa venue en Suisse
Les interrogatoires de la CIA inefficaces et brutaux
Tortures : critiques et demandes de poursuites contre la CIA

Paru depuis :
US army and CIA may be guilty of war crimes in Afghanistan, says ICC (2016-11-15)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Préoccupations chinoises

Publié le 17 octobre 2012 | Temps de lecture : 4 minutes


 
Le Pew Research Center (PRC) est un organisme américain sans but lucratif créé en 1948 par le fondateur de la Sun Oil Company, Joseph-N. Pew, et son épouse Mary Anderson-Pew.

Cet organisme jouit d’une réputation internationale flatteuse qui fait en sorte que même le gouvernement chinois lui permet d’effectuer des sondages parmi sa population. Sous Mao Zedong, les sondeurs auraient immédiatement été arrêtés et condamnés pour espionnage.

Mais les temps ont changé. Les dirigeants actuels du pays voient dans ces sondages un moyen commode et gratuit de savoir exactement ce que pense la population du pays. Les sondeurs du PRC sont donc devenus de « bons espions », au bénéfice — je ne dis pas au service — des autorités chinoises.

Entre le 18 mars et le 15 avril dernier, le PRC a effectué un sondage auprès de 3 117 Chinois.

La principale préoccupation des Chinois est l’inflation : six personnes sur dix jugent qu’il s’agit d’un problème important. Je soupçonne que les taux d’intérêts sur les comptes bancaires chinois offrent des taux d’intérêts inférieurs à l’inflation, ce qui diminue la valeur réelle de leurs économies. Il est à noter que cette préoccupation est en déclin, passant de 72% à 60% en quatre ans.

En second lieu, 50% des Chinois jugent maintenant la corruption des politiciens préoccupante, alors que cette proportion n’était que de 30% en 2008. Quant à la préoccupation face à la corruption des entrepreneurs, elle est passée de 21% à 32%.

L’an dernier, 9% des Chinois croyaient que leur pays était devenu la première puissance économique mondiale (« Leading economic power ») : cette proportion a sautée à 29% cette année. Il est à noter que 41% des Américains sont également de cet avis. Toutefois, 48% des Chinois estiment que la première place est occupée par les États-Unis, une opinion que ne partagent, étonnamment, que 40% des Américains.

Face à la croissance économique de leur pays, les Chinois sont ambivalents. La grande majorité d’entre eux, soit 70%, s’estiment plus riches qu’il y a cinq ans. De plus, presque tous les sondés (92%) croient même mener une vie plus agréable que leurs parents à leur âge. Globalement, 74% des Chinois estiment positives les réformes économiques qu’a subi leur pays depuis 40 ans.

Sans que ceci soit jugé préoccupant, 81% des Chinois considèrent que les riches s’enrichissent alors que les pauvres s’appauvrissent. Par contre, ceux qui jugent cela préoccupant sont passés de 41% en 2008 à 48% en 2012.

Interrogés quant à savoir s’ils estiment que la réussite récompense l’effort, 62% des Chinois riches croient que la plupart des personnes peuvent réussir s’ils travaillent suffisamment fort alors que cette opinion est partagée par 45% des Chinois de la classe moyenne en par 44% de ceux qui gagnent moins que la moyenne.

De plus, 57% des personnes interrogées s’inquiètent de la disparition du mode de vie traditionnel chinois et 71% des gens estiment qu’on devrait le protéger de l’influence étrangère.

Mais la montée la plus rapide dans l’opinion publique est l’inquiétude face aux aliments. Depuis quelques années de nombreux scandales ont éclaté relativement à la sécurité des aliments, du maïs transgénique raticide, aux laits maternisés contaminés à la mélamine. Cette préoccupation est passée de 12% en 2008 à 41% en 2012.

La sécurité des médicaments, souvent falsifiés en Chine, est jugée préoccupante par 28% des gens (comparativement à 9% en 2008), soit à-peu-près la même opinion relativement à la sécurité de l’ensemble des biens manufacturés (33% de préoccupation en 2012 vs 13% en 2008).

La pollution atmosphérique inquiète 36% des Chinois et la pollution de l’eau, 33%.

Référence : Growing Concerns in China about Inequality, Corruption

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Guantánamo : dix ans de honte

Publié le 13 janvier 2012 | Temps de lecture : 3 minutes

Des 779 prisonniers de la base américaine de Guantánamo, sur l’île de Cuba, 171 y sont encore détenus dont 89 en attente de transfert vers d’autres pays. On y compte maintenant dix-sept fois plus de gardiens que de détenus. Cette détention coûte aux contribuables américains la somme annuelle de 800,000$ par prisonnier.

Les tortures infligés aux détenus allaient de l’anodin (le Coran jeté sous leurs yeux dans un seau d’urine) à la noyade simulée (à laquelle le cerveau des attentats du 11 Septembre 2001 et numéro 3 d’Al-Qaida, Khaled Cheikh Mohammed, a été soumis 183 fois).

Vingt-neuf d’entre eux y ont fait 41 tentatives de suicide. Cinq de ces tentatives, toutes survenues depuis 2006, ont été réussies.

Toutefois, trois de ces « suicides » sont en réalité des tortures à mort survenues le 9 juin 2006. Les détails entourant leur décès sont tellement accablants qu’ils ont été maintenus confidentiels jusqu’ici. Toutefois, environ 1,700 pages du rapport d’enquête de l’U.S. Naval Criminal Investigative Service, ont été déchiffrées est reconstituées par une armée d’étudiants de la faculté de droit de l’Université Seton Hall du New Jersey, à partir des copies abondamment censurées publiées par le Pentagone.

Seulement six des prisonniers de Guantánamo ont été condamnés par des tribunaux militaires à l’issue de procès qui ont été un total déni de justice.

Un de ces six condamnés est Omar Ahmed Khadr. Même si sa famille était voisine et amie de celle d’Osama Ben Laden en Afghanistan, les militaires américains n’ont jamais réussi à prouver l’implication terroriste du jeune Kahdr, encore adolescent au moment des actes reprochés.

Celui-ci a été retrouvé évanoui sous des débris, le visage contre le sol, une balle tirée dans le dos : il fut condamné pour le meurtre d’un soldat tué lors de l’assaut du lieu où il se trouvait, comme si s’opposer par les armes à des envahisseurs constituait un acte terroriste.

Au cours des années, cinq des procureurs chargés d’obtenir la condamnation des prisonniers ont démissionné pour protester contre le déni de justice des procédures.

Bref, cette prison est le symbole de la faillite morale de l’administration républicaine de G.W. Bush; parmi une multitude de miliciens simplement hostiles aux États-Unis, elle renferme une quinzaine de terroristes contre lesquels dix ans de torture n’ont pas suffi à recueillir les preuves indiscutables de leur culpabilité.

Elle a compromis un grand nombre de gardiens, d’officiers, de professionnels de la santé, d’avocats et de dirigeants politiques américains qui partagent aujourd’hui la responsabilité des crimes de guerre qu’on y a commis.

Références :
Guantanamo Bay detention camp suicide attempts
Guantánamo: still a part of America’s conscience, a decade on
The Guantánamo “Suicides”: A Camp Delta sergeant blows the whistle

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’Iran joue avec le feu

Publié le 7 janvier 2012 | Temps de lecture : 5 minutes
© 2009 — Pethrus (pour Wikipedia)

Du point de vue de la navigation maritime, le golfe persique est un cul-de-sac dont il n’existe qu’une seule issue : le détroit d’Ormuz.

C’est par là que transite le tiers du pétrole transporté par voie maritime dans le monde (et le cinquième du trafic, tous modes confondus). L’essentiel du pétrole exporté d’Arabie saoudite, d’Iran, des Émirats arabes unis, du Koweït et de l’Irak transite par ce passage étroit de 6,4 km.

Pendant dix jours à partir du 22 décembre dernier, l’Iran y menait officiellement des exercices militaires, sans toutefois interrompre le trafic maritime.

Mais voilà que quelques jours après le début des exercices, ce pays donne une idée de ce qui pourrait être ses véritables intentions. En effet, le premier vice-président iranien déclare que son pays n’hésitera pas à fermer le détroit si l’ONU devait adopter de nouvelles sanctions économiques contre son pays. Comme si cet exercice n’était qu’une préparation en vue de cette fermeture.

L’amiral Mahmoud Moussavi, porte-parole des manoeuvres navales, précise : « À partir (du 31 décembre), une majorité de nos unités navales — de surface, sous-marine et aérienne — vont se positionner selon une nouvelle formation tactique destinée à rendre impossible le passage de tout navire par le détroit d’Ormuz si la République islamique en décide ainsi. »

Or la libre circulation par ce détroit est essentielle à l’économie mondiale. Tout blocus iranien représente un risque certain d’un conflit armé dans la région.

Il existe deux alternatives terrestres à Ormuz; par le pipeline qui court d’Arabie saoudite vers la mer Rouge et par celui qui relie les Émirats arabes unis à la mer d’Oman. Mais ces alternatives ne concernent pas la production pétrolière du Koweït et du Qatar.

Le blocus du détroit est une arme à double tranchant puisqu’il toucherait aussi la production du pétrole iranien. Toutefois l’économie de l’Iran est beaucoup plus diversifié que celle de son grand rival régional, l’Arabie saoudite. En effet, le pétrole ne représente que 8% du Produit intérieur brut (PIB) de l’Iran — mais 80% de ses exportations — alors que le pétrole représente 53% du PIB d’Arabie (et 90% de ses exportations).

On comprend donc que l’Arabie saoudite, dont l’économie est à la merci de l’Iran, souhaite ardemment une guerre éclair qui anéantirait la menace iranienne. Rien ne ferait plus plaisir à l’Arabie que les « Impies » américains tuent des hérétiques iraniens (car à 89% chiites) pendant que l’Arabie saoudite (officiellement à 100% sunnite) assiste au spectacle gratuit de l’autre côté de la rive en sirotant son thé à la menthe.

Or il est très improbable que les États-Unis déclarent une troisième guerre en une décennie contre autant de pays musulmans. Pour plusieurs raisons.

Premièrement, le peuple américain a été très complaisant relativement à la guerre en Irak : il a supporté l’entrée en guerre comme il appuie généralement aveuglément son club de football local. Il regrette aujourd’hui cet engagement. C’est pourquoi une nouvelle guerre, aussi justifiée soit elle, est politiquement indéfendable auprès des Américains.

Deuxièmement, l’organisme National Priorities Project estime à plus de 800 milliards de dollars le coût de la guerre en Irak et à plus de 488 milliards de dollars le coût de la guerre en Afghanistan. Les guerres républicaines récentes représentent donc une dépense de plus de quatre mille dollars pour chaque Américain (homme, femme ou enfant). Or une guerre totale contre l’Iran sera définitivement plus coûteuse que la somme des deux guerres précédentes.

L’Iran a une population de 78 millions de personnes, soit d’avantage que l’Irak (31.2 millions) et l’Afghanistan (29.8 millions) réunis. Alors que le régime de Saddam Hussein ne pouvait pas compter sur la mobilisation enthousiaste des minorités qu’il avait faites massacrer — soit les Kurdes (dans le nord du pays) et les Irakiens chiites (au sud) — la population iranienne est beaucoup plus homogène du point de vue ethnique (perse à 70%, turcophone à 26%) et religieux (chiite à 89%). Des envahisseurs y rencontreraient une population beaucoup plus hostile et beaucoup plus unie derrière ses dirigeants.

Non seulement une telle guerre porterait le prix du pétrole à 150$ ou 200$ le baril, mais l’Iran pourrait être tenté d’envahir le sud de l’Irak afin de « délivrer » ses coreligionnaires chiites, victimes des attentats terroristes dans ce pays, et réunir des populations qui faisaient partie autrefois de la Perse antique (et qui se distinguent aujourd’hui par la langue; les Iraniens parlent surtout le perse alors que les Irakiens sont arabes).

Références :
Guerre d’Afghanistan (2001)
Guerre d’Irak
La guerre en Irak ou L’aveuglement collectif américain
L’Iran menace Ormuz pour éviter des sanctions
La guerre en Irak ou L’aveuglement collectif américain
L’Iran teste des missiles sur fond de nouvelles sanctions
Paix mondiale – L’Iran représente la plus grande menace, selon Harper
« Plus une goutte de pétrole ne passera par Ormuz » en cas de sanctions, avertit l’Iran

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les États-Unis : No 1 pour l’éternité…

Publié le 17 juillet 2011 | Temps de lecture : 4 minutes


 
Le Pew Research Center (PRC) est un organisme américain sans but lucratif créé en 1948 par le fondateur de la Sun Oil Company, Joseph-N. Pew, et son épouse Mary Anderson-Pew.

Entre le 18 mars et le 15 mai dernier, le PRC a effectué un sondage dans vingt-deux pays relativement la possibilité qu’éventuellement la Chine remplace les États-Unis comme première puissance mondiale. Dans les résultats, ce qui m’a intéressé ce sont ceux qui croient que jamais les États-Unis ne seront surpassés par la Chine.

Ceux-ci sont nombreux un peu partout, mais moins au Mexique, en Europe occidentale et dans le sous-continent indo-pakistanais.

Les Libanais, les Indonésiens et les Japonais sont même plus convaincus de la pérennité de la suprématie américaine que les Américains eux-mêmes.
 

La Chine remplacera-t-elle les ÉU comme première puissance mondiale ?

Pays Chine déjà No 1 Oui, un jour Non, jamais
       
États-Unis 13 % 37 % 49 %
Mexique 23 % 40 % 37 %
Brésil 12 % 32 % 56 %
       
Allemagne 12 % 53 % 36 %
Espagne 14 % 54 % 31 %
France 23 % 49 % 28 %
Royaume-Uni 12 % 59 % 29 %
Lithuanie 14 % 36 % 50 %
Pologne 27 % 33 % 40 %
Russie 20 % 40 % 40 %
Ukraine 19 % 32 % 49 %
       
Kenya 8 % 43 % 49 %
       
Israël 16 % 35 % 48 %
Jordanie 18 % 33 % 49 %
Liban 16 % 26 % 58 %
Palestine 18 % 40 % 41 %
Turquie 19 % 27 % 53 %
       
Chine 9 % 71 % 21 %
Inde 26 % 39 % 35 %
Indonésie 10 % 32 % 58 %
Japon 12 % 26 % 62 %
Pakistan 15 % 70 % 15 %


 
Quant à savoir si l’émergence de la Chine est perçue positivement ou non, il semble que la réaction des répondants soit différente selon qu’on envisage cette question d’un point de vue économique ou militaire.

L’émergence économique de la Chine est un phénomène qui nous est déjà familier. Ceux qui perçoivent la Chine comme une puissance économique rivale (l’Amérique du Nord, l’Europe, la Turquie et l’Inde) sont à peu près les seuls à craindre la poursuite de l’ascension économique de la Chine. Partout ailleurs, cette montée est perçue comme une occasion d’affaires.

Si la suprématie militaire des États-Unis nous est familière — on peut aimer ou non mais on sait ce que ça donne — la suprématie militaire chinoise est du domaine de l’inconnu et suscite l’inquiétude partout sauf dans les pays où on est convaincu qu’un nouvel ordre mondial ne pourrait pas être pire que l’actuel.


Perception négative face à l’émergence de la Chine en tant que puissance…

  …militaire …économique
     
États-Unis 88 % 59 %
Mexique 68 % 52 %
Brésil 64 % 36 %
     
Allemagne 87 % 52 %
Espagne 86 % 43 %
France 83 % 59 %
Royaume-Uni 85 % 38 %
Lithuanie 85 % 36 %
Pologne 84 % 59 %
Russie 86 % 53 %
Ukraine 83 % 47 %
     
Kenya 32 % 12 %
     
Israël 78 % 36 %
Jordanie 65 % 38 %
Liban 70 % 34 %
Palestine 32 % 27 %
Turquie 88 % 83 %
     
Inde 69 % 58 %
Indonésie 45 % 28 %
Japon 92 % 38 %
Pakistan 6 % 6 %


 
Pour terminer, voyons le cas de deux voisins de la Chine, le Japon et l’Inde. Ces pays ont des réactions très différentes.

Les compagnies japonaises font faire beaucoup de sous-traitance en Chine : ce dernier pays est donc perçu comme un partenaire économique important.

Par opposition, l’Inde aspire (comme la Chine) à devenir la première puissance économique mondiale. Cette rivalité a pour conséquence que l’Inde fait partie des pays les moins favorables à la montée de la puissance économique de la Chine.

Des conflits frontaliers en mer de Chine ont opposé récemment la Chine et le Japon.

L’Inde n’a pas ce problème depuis des années. Ce pays craint bien davantage le Pakistan dont la population est dévorée par une haine viscérale à l’égard de l’Inde et dont les services de renseignements sont infiltrés au plus haut niveau par des officiers favorables au terrorisme anti-occidental et anti-indien.

Conséquemment, le Japon craint la montée de la puissance militaire chinoise tandis que l’Inde partage cette inquiétude, mais moins que la moyenne des pays.


Post-scriptum : Les chiffres indiqués ci-dessus diffèrent légèrement de ceux publiés par le PRC parce que j’ai réparti les indécis parmi ceux qui s’étaient prononcés.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’élimination d’Osama Ben Laden

Publié le 6 mai 2011 | Temps de lecture : 14 minutes

Dès que la Guerre d’Afghanistan fut gagnée, G.W. Bush donne l’ordre aux services de renseignement américains de se tourner prioritairement vers l’Irak, en préparation de la guerre qu’il voulait y mener.

Ceux-ci réduisent donc de manière importante les moyens mis en œuvre pour trouver Osama Ben Laden et ce dernier en profite pour se réfugier au Pakistan, le pays voisin.

Pour le quotidien français Le Monde, la traque qui devait mener ultimement au décès de Ben Laden commence le 1er mars 2003.

Ce jour-là, le cerveau des attentats du 11 Septembre 2001 et numéro 3 d’Al-Qaida, Khaled Cheikh Mohammed, est capturé. Dans la prison américaine de Guantanamo (à Cuba), il est soumis à différentes formes de torture dont 183 séances de noyade simulée.

À l’une de ces occasions, il livre à ses tortionnaires le pseudonyme ou nom de guerre d’un messager de Ben Laden : « al-Kuwaiti », c’est-à-dire « Le Koweitien ».

Cette information est capitale puisque le chef d’Al-Qaida n’utilise pas de téléphone portable ni aucun autre moyen électronique de communication qui permettrait aux Américains de le retracer. Ben Laden doit donc recourir à des messagers pour communiquer ses volontés à ses lieutenants.

La version du quotidien français est en contradiction avec celle du New York Times. Dans un éditorial publié mercredi, ce dernier soutient que le numéro 3 d’Al-Qaida n’a fourni que des informations trompeuses et contradictoires au cours de ses innombrables séances de torture.

Selon le quotidien américain, ce serait plutôt Hassan Ghul, capturé en Irak en 2004, qui aurait fourni non seulement le pseudonyme du messager de Ben Laden mais aussi qui a fait réaliser l’importance stratégique de ce modeste intermédiaire dans l’organisation d’Al-Qaida. Ce prisonnier, qualifié de coopératif, n’a jamais été soumis à des séances de noyade simulée.

Quant à savoir si ses séances d’interrogation ont toutes été conformes au droit international, on ne le saura sans doute jamais, tant il est difficile de percer l’écran opaque des justifications et contre-vérités des officiels de l’administration Bush afin de s’attribuer le mérite de la découverte du repère de Ben Laden.

Mais quoi qu’il en soit, à ce stade-ci on n’est pas très avancé puisqu’on ignore toujours le nom véritable de ce messager. Grâce à ses espions en Afghanistan et au Pakistan, la CIA finit par récupérer le nom de famille du messager. C’est peu : dans cette partie du Monde, des dizaines de milliers de personnes partagent ce nom de famille.

La National Security Agency, spécialisée dans la collecte et l’analyse des communications, entreprend alors d’intercepter tous les appels téléphoniques et courriels des personnes portant ce nom de famille.

En 2007, on finit par connaître le nom complet du messager.

En juillet dernier, des Pakistanais travaillant pour la CIA repèrent une Suzuki blanche circulant dans les rues de Peshawar, une ville située à proximité des régions tribales abritant les Talibans. Ils notent le numéro de plaque du véhicule.

Dans les registres d’immatriculation du Pakistan, le nom du propriétaire de la Suzuki correspond exactement à celui du messager. Pour la première fois, on peut suivre quelqu’un qui a accès directement à Ben Laden.

En août 2010, le messager finit par mener les services de renseignement américains à Abbottabad, un lieu de villégiature prisé par les anciens gradés de l’armée pakistanaise. Cette ville est située à 50 km au nord de la capitale du pays, loin des zones tribales où se cache — croit-on toujours — Ben Laden.

Le messager y habite dans un bunker construit en 2005 et d’apparence assez austère. À l’origine, l’édifice était plutôt isolé au bout d’un chemin poussiéreux. Depuis, d’autres maisons se sont construites dans les alentours. Il est à noter que le bunker bénéficie de la zone d’exclusion de vol aérien décrétée en faveur de la plus importante académie militaire de Pakistan, située à seulement 300 mètres de là.

Remarque : Depuis plusieurs jours, les médias répètent que le complexe serait luxueux et aurait une valeur dépassant le million de dollars. Ceci vise à discréditer Ben Laden aux yeux de ses partisans. Le père du chef d’Al-Qaida est un multimillionnaire saoudien : son fils aurait les moyens d’une résidence d’une telle valeur, mais en réalité ce bunker est tout sauf luxueux.

Il s’agit d’un complexe assez vaste, huit fois plus grand que les autres demeures du quartier. Il occupe un immense terrain et est entouré de murs de 5,5 mètres de haut surmontés de barbelés. Mais c’est une habitation assez moche. Dans une vidéo publiée sur l’Internet, on y voit le bout d’un lit et des rideaux dans la chambre de Ben Laden : c’est d’une pauvreté qui rappelle la décoration intérieure des maisons de paysans chinois.

L’accès est contrôlé par deux portes et les habitants brulaient leurs déchets sur place plutôt que de les laisser au ramassage comme le font leurs voisins.

Le complexe possède l’électricité mais n’est pas relié à un réseau téléphonique, ni à l’internet. De plus, selon les listes d’abonnés, aucun propriétaire de téléphone portable n’y demeure. Les Américains en viennent donc à la conclusion que cette résidence pourrait bien être celle du chef d’Al-Qaida.

Les familles du messager et de son frère vivent dans ce bunker, de même qu’une troisième famille. La composition de cette dernière, et l’âge de ses membres, correspondent aux proches de Ben Laden : conséquemment, en février 2011, les Américains acquièrent la certitude que cette troisième famille est celle du chef d’Al-Qaida.

Après cinq réunions du Conseil national de sécurité auxquelles assiste le Président américain, celui-ci décide, le vendredi le 29 avril 2011 à 8h20, d’autoriser l’opération visant à éliminer Osama Ben Laden. Pourquoi cet assassinat ? Afin d’éviter le risque d’une multiplication des prises en otage d’Occidentaux pour exiger sa libération.

Suivant la recommandation de ses conseillers, le Président ordonne que l’attaque soit menée au sol par un commando, en dépit des risques plus grands que cela représente en comparaison avec l’attaque aérienne par des bombardiers furtifs ou par des drones. Ce choix se justifie par le désir du Président de minimiser les victimes collatérales et la volonté de prendre possession du corps de Ben Laden pour pouvoir l’identifier avec certitude.

L’opération mobilise quatre hélicoptères, de même qu’un chien et de 79 membres des « Navy SEALs » (des troupes d’élite employées notamment pour des missions antiterroristes, de reconnaissance ou de guerre non conventionnelle). Tenue secrète, l’opération s’effectue dimanche après-midi (heure de Washington) sans l’autorisation du Pakistan de survoler son territoire.

En vidéoconférence, le Directeur de la CIA fait le récit des événements qui se déroulent au même moment au Pakistan. Réunie dans la salle de crise de la Maison Blanche, son assistance est composée du Président, de ses conseillers les plus proches, du Vice-président, et de la Secrétaire d’État (Hillary Clinton).

Au Pakistan, on est déjà dans la nuit du dimanche soir au lundi matin. C’est la nouvelle lune ; il fait particulière sombre. Vers 1h du matin, les quatre hélicoptères décollent de la base américaine de Ghazi située à 50km d’Abbottabad. Dans la version officielle, deux hélicoptères doivent prendre part à l’offensive alors que deux autres sont prévus en cas de problème.

Les commandos fonctionnent en vision infrarouge : idéalement, ils doivent priver l’adversaire de toute source lumineuse afin d’être les seuls à voir distinctement ce qui se passe cette nuit-là, ce qui minimise les pertes au cours de l’assaut.

Du toit de sa maison, le seul témoin Pakistanais décrit la scène : « Après minuit, un grand nombre de commandos ont encerclé le complexe. Trois hélicoptères étaient en survol. Tout à coup, des tirs ont éclaté en provenance du sol et en direction des hélicoptères (…). Il y a eu des échanges de tirs intenses et j’ai vu un hélicoptère chuter. »

Le raid dure quarante minutes. Après avoir coupé l’approvisionnement électrique et défoncé le lourd portail métallique orangé du complexe, les Navy SEALs ne rencontrent qu’une faible résistance.

En effet, durant toute l’opération, un seul coup de feu est tiré contre les membres du commando et ce, dès le début de l’assaut. Les tirs entendus par le voisin sont donc principalement ceux des Américains.

Ben Laden n’a pas été tué dans son sommeil. Un hélicoptère, c’est bruyant. Lorsque trois hélicoptères volent à proximité d’une maison, il faut dormir très dur pour ne pas les entendre. De plus, au moment où Ben Laden est abattu, plusieurs coups de feu ont déjà été tirés.

Selon une version officielle, la femme tuée au cours de l’attaque l’aurait été parce que Ben Laden se serait servi d’elle comme bouclier humain, suggérant ainsi que le chef d’Al-Qaida aurait été lâche, faisant face à la mort en se cachant derrière une femme. Cette information a été démentie depuis mais circule toujours.

En réalité, des trois épouses de Ben Laden présentes dans le complexe, une seule est présente dans la chambre du troisième étage où Ben Laden sera assassiné. Soumise aux volontés de son mari, Amal — c’est son nom — n’a pas quitté cette pièce depuis cinq ans.

Lorsque le commando pénètre dans la chambre, elle reçoit aussitôt une balle dans la jambe et perd connaissance. Puis Ben Laden est tué de deux balles — reçues à la tête et dans le dos — sous les yeux horrifiés de sa fille de 12 ou 13 ans, également présente dans la pièce.

L’opération se solde par la mort de cinq personnes :
• Osama Ben Laden
• Khalid Ben Laden (né en 1989, fils d’Osama)
• Abu Ahmed al-Kuwaiti et son frère (les deux messagers du chef d’Al-Qaida).
• Bouchra, l’épouse du frère d’al-Kuwaiti.

Des dix-sept ou dix-huit survivants, seize sont des femmes et des enfants majoritairement originaires d’Arabie saoudite.

Pendant ce temps, le voisin qui est témoin de l’opération — il se nomme Sohaib Athar — ne sait pas ce qui se passe. Dans une série de messages sur Twitter, il se plaint du bruit des hélicoptères qui l’empêchent de dormir.

Il décrit en temps réel le souffle d’une puissante explosion, le crash d’un hélicoptère, et le bouclage du quartier par des militaires qui perquisitionnent chaque maison. Involontairement, ses messages sur l’Internet valident le raid américain.

Après l’annonce de la mort de Ben Laden, il devient une vedette instantanée, des milliers de personnes veulent devenir ses amis (à son grand désespoir, lui qui n’aspire qu’à une vie tranquille… pour l’instant).

Puis, le corps de Ben Laden est transporté par hélicoptère pour identification puis est déposé sur le porte-avions USS Carl-Vinson, qui croise en mer d’Oman. Allongée sur une planche, sa dépouille est basculée dans les flots afin d’éviter qu’une sépulture terrestre ne devienne un lieu de pèlerinage pour ses partisans.

La Maison blanche a prétendu faussement que jeter à la mer la dépouille de Ben Laden serait conforme à l’Islam. En vérité, à moins d’une noyade, cela n’est permis par cette religion que si un navire ne peut accoster rapidement afin que la dépouille soit enterrée en direction de La Mecque dans un délai maximal de 24h après le décès.

Cette méconnaissance profonde de l’Islam a l’avantage politique de contrer cette légende, soigneusement entretenue par les Républicains, à l’effet que le Président américain serait musulman. S’il l’était, comment aurait-il pu autoriser qu’on viole sa religion ?

De plus, on ne rendra pas public les photos démontrant la mort de Ben Laden. Si ces photos étaient publiées, les partisans du complot crieraient à l’imposture et une rumeur de photos truquées se répandraient aussitôt comme une trainée de poudre.

Mon impression est que la Convention de Genève ne permet que les photos qui respectent la dignité de l’ennemi, ce qui n’est pas le cas des photos macabres obtenues par les Américains. De plus, la longue controverse qui s’annonce à ce sujet a le mérite d’être un rappel que c’est le Président Obama qui a réussi à débarrasser l’Amérique de son pire ennemi. C’est une publicité gratuite dont le Président américain bénéficiera lors du renouvellement de son mandat. Il a donc intérêt à ce qu’on en parle longtemps.

Avec la mort de Ben Laden, l’Égyptien Al-Zawahiri, 59 ans, apparait comme son successeur probable. Dans les faits, il serait déjà le chef du réseau terroriste depuis la maladie de Ben Laden en 2004. Toutefois, il manque totalement de charisme et on peut s’attendre à ce que les revenus importants qu’Al-Qaida obtient d’Arabie saoudite chutent à un niveau qui force cette organisation à réduire le nombre de ses projets terroristes.

Dans un texte publié il y a cinq ans sur mon site Web, j’écrivais : « l’occupation militaire (de l’Afghanistan) vise à prévenir le retour au pouvoir des Talibans. (…) Plutôt que de détruire, à l’aide de missile de croisière par exemple, les camps d’entrainement qui pourraient réapparaitre en Afghanistan, les États-Unis ont choisi une solution plus coûteuse qu’est l’occupation perpétuelle de ce pays. Du strict point de vue de l’analyse des coûts-bénéfices, cette occupation est une aberration. »

Le succès du raid « chirurgical » contre Ben Laden et le fiasco de l’occupation militaire de l’Afghanistan nous obligent à nous interroger sur l’opportunité de la participation des militaires canadiens à l’occupation de ce pays.

Références :
Abu Ahmed al-Kuwaiti
Account Tells of One-Sided Battle in Bin Laden Raid
Bin Laden Raid Revives Debate on Value of Torture
CIA spied on bin Laden from safe house
Des armes dans la chambre de Ben Laden, les détails du raid se précisent
La fin de Ben Laden (1/4) : la traque
La fin de Ben Laden (2/4) : l’assaut
La fin de Ben Laden (3/4) : un mort sans cadavre
La fin de Ben Laden (4/4) : l’image manquante
La mission canadienne en Afghanistan ou La perpétuation de coutumes arriérées
Mort de Ben Laden : un journal saoudien évoque une trahison de Zawahiri
Quatre ans de surveillance avant l’opération contre Ben Laden
Senate Intel Chair: Torture Did Not Lead To Bin Laden In Any Way
The Myth of Bin Laden
The Torture Apologists
“UH OH” – L’homme qui a twitté la mort de Ben Laden en direct

Articles parus depuis :
Pakistan petitioned to release Osama bin Laden’s youngest wife (2012-02-14)
La mort de ben Laden en direct (2012-12-07)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Mouawad et la guerre civile libanaise

Publié le 26 avril 2011 | Temps de lecture : 6 minutes

Le dramaturge Wajdi Mouawad

Wajdi Mouawad est né au Liban le 16 octobre 1968. Il quitte son pays natal en 1976, émigre d’abord en France (où il demeurera sept ans) puis s’installe définitivement au Québec en 1983.

À 23 ans, il reçoit son diplôme de l’École nationale de théâtre du Canada. Lauréat du Prix littéraire du Gouverneur général du Canada dans la catégorie théâtre en 2000, il est récipiendaire en 2009 du Grand prix du théâtre de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre dramatique.

La guerre civile libanaise

La guerre civile libanaise déchira ce pays de 1975 à 1990. Elle fit entre 130,000 et 250,000 victimes civiles. Elle débute par une tentative d’assassinat à Beyrouth, la ville natale de Wajdi.

Le matin du 13 avril 1975, Pierre Gemayel (un ministre libanais) se rend à l’inauguration d’une église catholique dans la banlieue ouest de Beyrouth. Des miliciens pro-syriens échouent dans leur tentative de le tuer mais atteignent mortellement son garde du corps.

Quelques heures plus tard, en représailles, les miliciens de Pierre Gemayel arrêtent un autobus transportant 27 travailleurs palestiniens, l’aspergent d’essence, y mettent le feu et mitraillent tous ceux qui tentent de s’en échapper.

Je me rappelle vaguement d’une entrevue télévisée au cours de laquelle — si ma mémoire est bonne — Wajdi aurait déclaré avoir été témoin de ce massacre. Il avait six ans.

Cette journée du 13 avril 1975 marque le début officiel de la guerre civile libanaise. La tuerie survenue ce jour-là provoque une série d’actes de violence entre Musulmans et Chrétiens, chaque groupe enterrant ses martyrs et jurant de venger ses morts.

Au cours d’un samedi de décembre 1975, près de la capitale libanaise, les milices chrétiennes tuent 600 Musulmans pour venger la découverte, plus tôt cette journée-là, de quatre Chrétiens trouvés tués à coups de hache.

Le 18 janvier 1976, les milices chrétiennes tuent environ 1,500 Musulmans dans un quartier de Beyrouth-Est. Deux jours plus tard, les Palestiniens répliquent en attaquant la ville de Damour, située à 20 km au sud de Beyrouth, et y massacrent entre 300 et 1,500 Chrétiens.

Alors que s’accélère la violence inter-religieuse, la famille Mouawad quitte le Liban en 1976. Il est probable qu’à l’étranger, la famille de Wajdi a suivi les événements qui se déroulaient au Liban.

De tous les massacres qui ont jalonné cette guerre civile, le plus connu est celui de Sabra et de Chatila, du nom de deux camps palestiniens situés à la périphérie de Beyrouth.

Le massacre de Sabra et de Chatila

Le 6 juin 1982, l’armée israélienne envahit le Liban et s’arrête aux portes de la capitale libanaise. Le 20 août suivant, les États-Unis obtiennent un accord de cessez-le-feu en vertu duquel les soldats de l’Organisation de libération de la Palestine quittent Beyrouth tandis que l’armée israélienne accepte de ne pas avancer davantage dans la ville.

Le 23 août 1982, Bachir Gemayel (le fils de Pierre Gemayel, dont il a été question plus haut) est élu président du Liban.

Le 14 septembre 1982, il meurt assassiné par un militant pro-syrien.

Le 15 septembre, l’armée israélienne répond à l’assassinat de leur allié en investissant Beyrouth-Ouest, contrairement à l’accord de cessez-le-feu signé un mois plus tôt. Israël justifie ce redéploiement par la nécessité de maintenir l’ordre et de détruire l’infrastructure laissée par les terroristes.

Les 16 et 17 septembre, alors que les camps de Sabra et Chatila sont encerclés par l’armée israélienne et que la population y est désarmée, l’armée israélienne laisse entrer les milices chrétiennes qui y tueront hommes, femmes et enfants pendant ces deux jours et ce, afin de venger la mort de Bachir Gemayel. Le massacre fit entre 800 et 3,500 victimes.

Dès les premières heures de la tuerie, de sa chambre de l’hôtel Hilton, l’ambassadeur américain en avait été choqué et en avait informé aussitôt Washington : l’administration Reagan était intervenue promptement auprès du gouvernement israélien mais s’était fait répondre sèchement que les opérations cesseraient lorsqu’elles seraient terminées.

L’implication indirecte de l’armée israélienne dans ce massacre avait fait scandale au sein même de la population israélienne ; sur la principale place de Tel-Aviv, des dizaines de milliers de Juifs manifestaient leur indignation contre ces massacres.

Le gouvernement de ce pays avait dû créer une commission d’enquête dont le rapport blâma mollement le ministre de la Défense d’Israël de l’époque, Ariel Sharon.

Toutefois, l’enquête avait révélé que les milices chrétiennes du Liban étaient financées par Israël et que le chef de la milice qui procéda au massacre, Elie Hobeika, recevait ses ordres directement d’Ariel Sharon.

En 2001, Elie Hobeika déclarait que si un tribunal international était institué pour juger Ariel Sharon — devenu Premier ministre d’Israël — pour crime de guerre, il serait prêt à témoigner contre lui. Quelques semaines plus tard, Hobeika décédait dans un attentat à la voiture piégée.

La guerre dans l’œuvre de de Wajdi Mouawad

Je n’ai vu que deux œuvres de Wajdi Mouawad.

D’abord le film « Littoral », qui raconte les complications que connait une famille libanaise désirant enterrer la dépouille d’un des leurs et qui découvre horrifiés que les soldats syriens (occupant le Liban) profanent les cercueils libanais afin d’y voler les bijoux et arracher l’or des obturations dentaires des cadavres.

J’ai assisté également à la pièce de théâtre « Ciels » qui décrit le fonctionnement d’une équipe d’experts chargés d’intercepter et de décrypter des messages afin de prévenir des attentats terroristes.

À partir de cet aperçu de l’œuvre de Wajdi, il m’apparait évident que l’auteur dramatique québécois a été profondément marqué par les événements tragiques de son pays d’origine et par le cycle de représailles et de vengeances qui y ont alimenté la guerre civile.

Dans sa réponse à l’affaire Cantat, Wajdi Mouawad écrivait dans Le Devoir : « je tiens la justice comme l’espace pacificateur auquel je me dois de me rallier coûte que coûte, si je veux faire barrage à la barbarie de la vengeance que j’exècre plus que tout tant elle a déchiré le pays qui m’a vu naître

Références
Aimée, ma petite chérie
Elie Hobeika
Guerre du Liban
Karantina massacre
Massacre de Damour
Massacre de Sabra et Chatila
Wajdi Mouawad

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Quelques dettes nationales

Publié le 21 février 2011 | Temps de lecture : 2 minutes

En valeur absolue, les États-Unis sont le pays le plus endetté au monde alors que la Chine est celui qui possède les plus importantes réserves monétaires. Voici une carte du monde où sont représentés les pays en fonction du montant de leur dette. Plus précisément, il s’agit des réserves de devises et d’or, diminuées de leur dette extérieure totale, publique et privée.

© 2010 — Peace01234 (pour Wikipedia)

Toutefois, cette carte ne tient pas compte de la puissance économique des pays. Lorsqu’on exprime cette dette en pourcentage du produit intérieur brut, on obtient le graphique qui suit.

Ce graphique permet de comprendre le caractère spéculatif de l’assaut récent des milieux financiers contre la monnaie européenne. Cette perte de confiance est alimentée par le préjugé selon lequel l’économie de ces pays (perçus comme des États-providence) serait plombée par un filet de sécurité sociale ruineux.

Pour terminer, il est à noter que 94% de la dette nipponne est détenue par des Japonais, ce qui place ce pays à l’abri des spéculateurs étrangers.

Références :
Dumas A, Endettés jusqu’au cou, La Revue, 2010; 8: 24.
Marbot O, Europe — La course à la dette, La Revue, 2010; 9: 21
Réserves de change

Sur le même sujet :
Dettes nationales par pays européen
Les incendiaires

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Écrit par Jean-Pierre Martel