Le briquet et l’essence

Publié le 16 février 2023 | Temps de lecture : 11 minutes

L’affaire Tigana Mbidi Kiata

Le 14 octobre 2020, peu après 16h30, une ainée de 82 ans effectuait sa promenade quotidienne quand elle fut heurtée mortellement par une voiture qui roulait à environ 80 km/h sur le trottoir.

L’accident est survenu dans l’arrondissement de Saint-Léonard, plus précisément dans une zone de 30 km/h en raison de la proximité d’une école primaire.

La voiture a d’abord frôlé deux piétons, puis est montée sur le trottoir pour ensuite percuter la victime et finalement s’écraser contre un arbre.

Même si son véhicule est une perte totale, le chauffard n’a pas été blessé en raison de sa ceinture de sécurité et de son sac gonflable.

Défendu par l’aide juridique, le chauffard a été accusé de conduite dangereuse ayant causé la mort.

L’accusé travaillait cinquante heures par semaine. L’accident est survenu après une journée de douze heures commencée à 4h du matin.

Après l’accident, l’accusé s’est endormi sur le siège arrière de la voiture de police qui le conduisait au poste pour interrogation.

Lors de son témoignage, l’accusé a affirmé n’avoir conservé aucun souvenir des instants qui ont précédé la collision.

À l’issue récente du procès, la juge Dominique-B. Joly de la Cour du Québec a estimé qu’elle était en présence d’un cas de perte momentanée de contrôle inexpliquée. Du coup, elle a déclaré l’accusé non coupable.

La clé de l’énigme

L’explication de cette perte de contrôle se trouve dans le témoignage des policiers; l’accusé s’est endormi sur le siège arrière de leur autopatrouille.

Même si l’accusé a témoigné sous serment qu’il n’était pas fatigué du tout pendant qu’il conduisait, on doit se poser la question suivante : comment un assisté social (puisqu’il avait droit à l’aide juridique) peut-il s’endormir après avoir subi la perte totale de sa voiture et après avoir tué quelqu’un ?

La réponse est simple; parce qu’il était épuisé. Et parce qu’épuisé, il s’est endormi au volant.

La médiocrité des juges libéraux

L’avocate Dominique-B. Joly a accédé à la magistrature en 2005 alors qu’elle fut nommée juge à la Cour municipale de la ville de Montréal par le gouvernement libéral de Jean Charest.

À l’époque, selon la Commission Bastarache, le critère premier pour être nommé juge, ce n’était pas la compétence; c’était d’avoir contribué à la caisse du Parti libéral du Québec.

En 2014, elle fut promue à la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec par le gouvernement libéral de Philippe Couillard.

En huit ans à la Chambre criminelle, on peut présumer qu’elle a déjà entendu des témoins se parjurer.

Pourtant, lorsqu’un accusé affirme sous serment qu’il n’était pas du tout fatigué après son quart de travail, la magistrate le croit dur comme fer.

Ce serait donc les yeux grands ouverts que le chauffard aurait passé proche de tuer deux piétons, aurait dévié sa course sur le trottoir pour y heurter mortellement sa victime et se précipiter sur un arbre.

Tout s’est passé tellement rapidement, écrit la juge Joly, qu’il n’est pas étonnant que l’accusé ait peu de souvenirs des évènements.

Parions que si, au cours du procès, le policier qui assurait la sécurité des lieux avait soudainement dégainé son arme et tiré en direction de la juge Joly, celle-ci conserverait de ce bref moment un souvenir indélébile…

Meurtre ou conduite dangereuse ?

Selon le Code criminel, on ne peut condamner un accusé pour meurtre que s’il n’existe aucun doute quant à sa culpabilité. Et dans le cas précis d’une accusation de meurtre au premier degré, on doit prouver la préméditation et l’intention coupable.

Dans l’accusation de conduite dangereuse ayant causé la mort, il faut, hors de tout doute raisonnable, prouver seulement deux choses. Premièrement, que la conduite était dangereuse; or rouler en voiture à 80 km/h sur un trottoir est clairement une conduite dangereuse. Et deuxièmement, que cette conduite dangereuse ait causé la mort de quelqu’un; or l’ainée est réellement morte d’avoir été happée par le véhicule conduit par l’accusé.

Prouver l’intention coupable n’est pas nécessaire. Pourtant, dans son jugement, la juge Dominique-B. Joly écrit :

« Il n’y a aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un danger pour les autres usagers de la route. Il y a perte momentanée de contrôle inexpliquée. Tout ce qui a précédé semble toutefois s’inscrire dans le comportement usuel de tout conducteur automobile.»

Il n’est pas exclu de penser qu’en plus de la personne happée, cet accident de la route ait fait une deuxième victime; le conducteur lui-même, exploité par un employeur qui l’oblige à travailler indument, et dont le véhicule est une voiture de fonction.

Serait-ce par pitié que la juge Dominique-B. Joly a innocenté l’accusé ?

On en trouve peut-être des indices dans le texte de la magistrate, un document dont je n’ai pu obtenir de copie malgré mes très nombreuses démarches.

En dépit de cela, instaurer une jurisprudence selon laquelle tout automobiliste peut tuer un piéton du moment qu’il ne le fait pas par exprès est une connerie.

Les conséquences

Le 24 octobre 2021 dans un village de trois-mille habitants situé à 50 km à l’est de Montréal, un adolescent de 15 ans roulant en scooter était tué par le conducteur d’un véhicule utilitaire qui avait dévié de sa route.

La preuve recueillie par les policiers démontrait que le chauffard était en train d’utiliser son téléphone avant et pendant l’impact mortel. Ce que le conducteur a lui-même reconnu aux policiers lorsque ces derniers sont arrivés sur les lieux.

Le 13 février dernier — soit deux semaines après le jugement dans l’affaire Tigana Mbidi Kiata — l’avocat de la Direction des poursuites criminelles et pénales (la DPCP) annonçait sa décision d’abandonner ses accusations dans ce cas-ci.

Pour expliquer cette décision, la porte-parole de la DPCP a déclaré : « À la suite d’une analyse complète du dossier d’enquête, la DPCP a conclu qu’aucune accusation ne pouvait être portée relativement à cet évènement tragique, n’ayant pas la conviction d’une perspective raisonnable de condamnation.»

En d’autres mots, puisque la jurisprudence établie récemment par la juge Dominique-B. Joly exige qu’on prouve hors de tout doute raisonnable l’intention coupable d’un chauffard lorsqu’il happe mortellement un piéton, un cycliste ou un motocycliste, nous abandonnons la cause puisque nous n’avons pas la preuve qu’il l’a fait par exprès.

La plainte privée

Lorsque la DPCP refuse de porter plainte, les citoyens peuvent recourir à un processus rarement utilisé, soit la plainte privée.

Michel Gauvin est le père de Caroline, grièvement blessée dans un accident d’auto impliquant des tracteurs de déneigement en 2013.

Après que la DPCP eut refusé de poursuive les responsables de l’accident, M. Gauvin a décidé de donner une seconde chance au système judiciaire en déposant une plainte privée.

Mais devant les tribunaux criminels, seule la DPCP est habilitée à porter plainte. Mais si la DPCP avait remporté cette cause privée, elle aurait démontré sa faute à intenter d’elle-même les poursuites contre les coupables.

Après une préenquête bâclée, la DPCP a ordonné un arrêt de procédure pour insuffisance de preuve. Or il ne peut y avoir de procès sans plaignant. On peut avoir tous les témoins qu’on veut, pas de plaignant, pas de procès.

Au lieu d’acquiescer sommairement à la demande de la DPCP, le juge a néanmoins décidé de justifier une décision qu’il rendait à contrecœur.

Inconduite flagrante, partialité évidente, conduite répréhensible. Voilà les mots utilisés par le magistrat pour blâmer la DPCP d’avoir commis un abus de procédure en nuisant à un père de famille en quête de justice pour sa fille.

Les tribunaux civils

Lorsque les tribunaux criminels refusent de jouer leur rôle, les conjoints et les enfants endeuillés peuvent se tourner vers les tribunaux civils afin d’obtenir justice.

Se pose alors le problème de l’accessibilité économique au système judiciaire.

Dans une cause criminelle, c’est l’État (par le biais de la DPCP) qui se charge de punir les conducteurs fautifs d’avoir causé la mort d’un autre utilisateur de la voie publique.

Toutefois, dans une cause civile, les proches de la victime, en plus d’assumer leur deuil, doivent se choisir un avocat et entreprendre à leurs frais de longues et couteuses démarches juridiques en vue d’obtenir réparation. Ce qui peut prendre des années.

Dans les faits, les personnes aisées sont les seules qui peuvent se permettre le luxe d’entreprendre de telles procédures.

Pour l’assisté social, le travailleur à faible revenu et même le travailleur moyen — bref, pour la grande majorité de la population — la seule voie qui reste, c’est de se faire justice soi-même.

Quand l’État refuse d’assumer ses responsabilités, les citoyens doivent se tourner vers le privé. Or dans une cause criminelle, le privé, c’est le briquet et l’essence.

Se sortir de la faillite de l’État canadien

L’ordre professionnel des avocats du Québec (appelé le Barreau) déposait en 2018 une requête (financée en sous-main par Ottawa) qui était destinée à faire invalider toutes les lois du Québec. Cette entreprise insensée fut arrêtée par un vote obtenu de justesse lors d’une assemblée générale spéciale des membres du Barreau.

D’autre part, plus récemment, Julie Rondeau, juge en chef de la Cour du Québec, a ordonné une grève du zèle de tous les magistrats sous son autorité en leur demandant de ne siéger qu’un jour sur deux alors qu’en Ontario et en Colombie-Britannique, les juges en Chambre criminelle consacrent deux fois et demie plus de temps à entendre les causes qui leur sont soumises.

En favorisant une thrombose judiciaire, la juge Rondeau veut forcer le ministre de la Justice du Québec à instaurer une discrimination à l’embauche contre tous les avocats québécois qui ne sont pas parfaitement bilingues alors qu’un avocat unilingue anglais peut librement accéder à la magistrature au Canada anglais.

Bref, la profession juridique est minée de l’intérieur par un cancer que sont tous ces juges incompétents nommés par le fédéral ou par le Parti libéral du Québec.

Le seul moyen de s’en débarrasser est de faire table rase de cette monarchie constitutionnelle sclérosée qu’est le Canada et de repartir à neuf en créant un nouveau pays, digne du XXIe siècle, où le système judiciaire sera au service du peuple.

Références :
Acquitté après avoir fauché une piétonne en roulant sur le trottoir à 80 km/h
Adolescent happé mortellement en scooter: le conducteur distrait par son téléphone ne sera pas accusé
Aînée happée mortellement : «Le véhicule s’en venait rapidement»
L’esprit de caste de la juge Lucie Rondeau
Ottawa finance la demande d’invalidation de toutes les lois du Québec
L’utilité de la Commission Bastarache
Un chauffard tue une aînée dans une zone de 30 km/h
Un procureur du DPCP malmené par un juge

Postscriptum : Pendant que ce texte était l’objet d’une révision de dernière minute, Paul-Jean Charest, conseiller en communications de la Cour du Québec, nous expédiait une copie de la décision de la juge Dominique-B. Joly. À sa lecture, ce jugement ne remet pas en question le texte publié.

Ceci étant dit, nous remercions M. Charest pour son aimable collaboration.

Référence : Décision de l’honorable Dominique-B. Joly

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les droits linguistiques à géométrie variable

Publié le 29 août 2022 | Temps de lecture : 8 minutes

Avant-propos

On appelle personne morale tout groupement d’individus auquel la loi reconnait une existence juridique. La personne morale se distingue donc d’un particulier.

Ce peut être une compagnie, un club sportif, une association, etc.

Introduction

Le 12 aout dernier, l’honorable juge Chantal Corriveau — nommée par Ottawa à la Cour supérieure du Québec en 2005 — invalidait deux articles de la loi 96 (qui vise à protéger le français au Québec).

Ces deux articles exigent que tout document juridique rédigé en anglais émanant d’une personne morale doive être accompagné d’une version française certifiée provenant d’un traducteur agréé afin d’en permettre le dépôt au tribunal.

Selon la juge Corriveau, les couts supplémentaires et les délais pour obtenir une telle traduction créent un obstacle à l’accès à la Justice.

La barrière économique

La magistrate semble ignorer que ce sont les frais d’avocats qui sont le principal obstacle à l’accessibilité économique aux tribunaux canadiens.

Comment peut-on faire du chichi pour des frais de 12 à 40 cents du mot — le tarif demandé par un traducteur agréé — quand l’avocat qui représentera cette personne morale anglophone la saignera à blanc à raison de 400$ à 1 000$ de l’heure…

Les délais

De manière générale, ce qui allonge les causes, ce sont les requêtes, les motions, les mandamus, les brefs d’évocation et toute la panoplie des moyens juridiques que les avocats utilisent pour étirer les procès et faire gonfler leurs honoraires.

Mais il est vrai que dans le cas d’une demande d’injonction, par exemple, l’obligation de traduire une demande rédigée en anglais crée un délai qui peut être incompatible avec l’urgence de la situation.

Dans La Presse du 8 aout dernier, les avocats Guillaume Rousseau et Étienne-Alexis Boucher écrivent :

[Avant la loi 96], il n’était pas rare qu’une entreprise poursuivant des francophones déposât ses actes de procédure en anglais, rendant la défense de ces derniers plus compliquée. […] On voit mal en quoi l’accès à la justice de quelques entreprises refusant de traduire leurs actes de procédure en français serait davantage entravé aujourd’hui que l’accès à la justice de millions de […] francophones avant l’adoption de la loi 96.

De toute manière, l’argument du délai-qui-fait-obstacle-à-la-Justice n’est vrai que si l’avocat de la compagnie choisit de soumettre sa demande d’injonction en anglais sachant très bien que cela l’obligera à la faire traduire.

En réalité, rien n’empêche cet avocat de soumettre dans l’urgence sa requête en français, puis de prendre le temps qu’il faut pour la traduire en anglais pour sa société cliente.

Quand l’apartheid canadien sert de prétexte

Dans n’importe quel hôpital du Québec, on n’a pas besoin d’une autorisation pour admettre à l’urgence un patient non autochtone.

Le paragraphe 50 du jugement de l’honorable Chantal Corriveau nous apprend que le Kateri Memorial Hospital de Kahnawa:ke est obligé de soumettre à Québec une demande d’autorisation de soins avant de les prodiguer, une mesure qui vise à s’assurer qu’Ottawa en remboursera le cout au gouvernement québécois.

Parce qu’Ottawa a toujours refusé que les ‘Indiens’ (au sens de la loi) soient couverts par les programmes provinciaux d’assurance médicaments et d’assurance maladie. C’est le fédéral qui rembourse aux provinces les soins qui répondent à ses critères tatillons.

Au lieu de réclamer l’abolition des tracasseries administratives dues au racisme systémique d’Ottawa — tracasseries qui mettent en danger, selon la magistrate, les personnes concernées — cette dernière préfère trouver des puces à la loi 96.

À l’autre bout du Canada

Contrairement à ce qu’on pense, dans les causes civiles (et non criminelles), il n’existe pas au Canada de droit constitutionnel d’être jugé dans sa langue ailleurs qu’au Nouveau-Brunswick.

En 2013, la Cour suprême du Canada a reconnu le droit des tribunaux de Colombie-Britannique d’exiger la traduction anglaise de tous les documents en français qui leur sont soumis à titre de preuves.

Pour convaincre le plus haut tribunal du pays, l’avocat représentant le gouvernement de cette province a sorti de sa manche une loi adoptée par Londres en 1731 qui imposait l’usage exclusif de l’anglais devant les tribunaux.

En d’autres mots, cette loi interdisait d’y être jugé dans une autre langue que l’anglais.

La Cour suprême écrit que les provinces ont le pouvoir constitutionnel de légiférer sur la langue utilisée devant les tribunaux. Puisque le parlement de cette province n’a pas senti le besoin de légiférer autrement, la loi de 1731 s’applique toujours.

Textuellement, dans son jugement de 2013, le plus haut tribunal du pays écrit :

La Charte [canadienne des droits et libertés] n’oblige aucune province, sauf le Nouveau-Brunswick, à assurer le déroulement des instances judiciaires dans les deux langues officielles. Elle reconnait l’importance non seulement des droits linguistiques, mais aussi du respect des pouvoirs constitutionnels des provinces.
[…]
[Or] les provinces ont le pouvoir constitutionnel de légiférer sur la langue utilisée devant leurs tribunaux, un pouvoir qui découle de leur compétence en matière d’administration de la justice.

La législature de la Colombie-Britannique a exercé ce pouvoir pour règlementer la langue des instances judiciaires dans la province par l’adoption de deux règles législatives différentes qui prescrivent le déroulement des procès civils en anglais, des règles qui valent aussi pour les pièces jointes aux affidavits déposés dans le cadre de ces instances.

Les rédacteurs de la constitution canadienne auraient pu décider de consacrer explicitement le droit fondamental d’être jugé dans sa langue. Ils ont préféré s’en abstenir, s’en remettant plutôt au pouvoir discrétionnaire des provinces.

L’article 133 de la Canadian constitution de 1982 ne fait que permette aux personnes qui témoignent ou qui plaident devant un tribunal du Québec, de s’exprimer dans la langue officielle de leur choix. Mais elle me garantit pas à la personne accusée d’avoir un procès dans sa langue puisque la poursuite et le tribunal sont libres d’utiliser une langue qu’elle ne comprend pas.

Puisque l’article 133 est sujet au pouvoir dérogatoire des provinces, le Québec peut — comme le fait déjà la Colombie-Britannique — imposer l’unilinguisme à son système judiciaire, sauf en ce qui concerne les procès au criminel qui, eux, relèvent du fédéral.

Personnellement, je serais totalement opposé à une telle mesure si le Québec l’adoptait. Mais Québec en a le pouvoir.

Alors que la loi 96 invoque expressément la clause dérogatoire de la constitution de 1982, la Cour supérieure invalide deux articles qui exigent des personnes morales du Québec une toute petite partie de ce que la Colombie-Britannique exige de tous ses citoyens depuis des siècles.

Conclusion

Plus tôt nous nous affranchirons du régime colonial canadian, plus tôt nous pourrons défendre notre langue et notre culture sans avoir à obtenir l’assentiment des juges à la solde d’Ottawa.

Ceux-ci trouvent toujours les prétextes les plus tordus pour invalider les moyens légitimes qu’on prend pour défendre notre langue et à interdire au Québec d’imiter ce que les autres provinces sont libres de faire.

Références :
À la défense du français devant les tribunaux
Être condamné dans une langue qu’on ne comprend pas
Jugement au sujet des documents en français présentés en Cour
Jugement au sujet des documents en anglais présentés en Cour
La Cour supérieure tranche: la réforme de la loi 101 suspendue en partie
Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français
Une juge suspend deux articles de la loi 96 sur la langue française au Québec

Parus depuis :
Italian government seeks to penalize the use of English words (2023-04-01)
« It’s very english » sur la voie maritime du Saint-Laurent (2023-05-19)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Quand la Cour du Québec viole la Loi 101

Publié le 7 février 2022 | Temps de lecture : 7 minutes

Introduction

L’article 46 de la Charte de la langue française (ou Loi 101) se lit comme suit :

Il est interdit à un employeur d’exiger pour l’accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que [le français], à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance.

Selon un jugement rendu le 2 février par le juge Christian Immer, la Cour du Québec aurait le droit de violer cette loi.

Selon ce magistrat (nommé par Ottawa), le ministre de la Justice du Québec — qui est également responsable de l’application de la Loi 101 — n’aurait pas le pouvoir de s’opposer à l’exigence du bilinguisme à grande échelle chez les candidats à la magistrature.

Note : Dans le texte qui suit, les numéros placés entre des crochets (ex.: [NN]) réfèrent aux numéros des alinéas (ou paragraphes) de ce jugement.

Résumé du conflit

Il y a plus d’un an, Me Lucie Rondeau, à titre de juge en chef de la Cour du Québec, s’est adressée au ministre de la Justice pour qu’il publie des appels de candidatures à la magistrature dans plusieurs régions du Québec.

Dans une bonne partie des cas, la juge Rondeau exigeait que les avocats désirant être nommés juges soient bilingues. [10]

Le 1er septembre 2020, elle justifie cette demande à partir de considérations générales relativement à l’administration du système judiciaire. En deux mots, le bilinguisme mur-à-mur rendrait sa tâche plus simple. [239]

Pourtant l’article 46 — qui est rédigé au singulier — exige que le bilinguisme soit justifié pour chaque emploi.

Un des principes qui guident l’interprétation des lois, c’est que Le législateur ne parle pas pour rien. Si un employeur n’a qu’à dire que le bilinguisme simplifie sa gestion du personnel pour se soustraire à l’article 46, le législateur a adopté cet article inutilement.

Afin d’éviter que le ministère de la Justice soit complice d’une violation de la Loi 101, le ministre a préféré rendre ces appels de candidatures conformes à la loi en supprimant l’exigence du bilinguisme. [240]

D’autant plus que les données du ministère démontraient que les régions concernées possédaient déjà suffisamment de juges bilingues pour répondre au droit constitutionnel des angloQuébécois d’y être jugés dans leur langue. [176]

L’exigence injustifiée du bilinguisme constituait donc une discrimination à l’embauche envers les avocats francophones qui possèdent une connaissance limitée de l’anglais. Une discrimination à laquelle le ministre responsable de la Loi 101 ne pouvait pas souscrire. [237]

Signalons que quatre-millions de Québécois — soit la moitié de la population — sont unilingues français selon le Recensement de 2016.

Le jugement de l’honorable Christian Immer

Après que le ministre eut ordonné que les appels de candidatures soient modifiés de manière à respecter la Loi 101, la juge en chef de la Cour du Québec a tenté à postériori de justifier leur exigence du bilinguisme.

Me Lucie Rondeau a effectué un sondage auprès de tous les magistrats sous son autorité pour leur demander s’ils ont besoin ne serait-ce qu’une seule fois par jour de connaitre l’anglais. [242]

Pourtant, au cours d’un procès, un juge qui ne maitrise pas l’anglais peut faire appel à un interprète. [173]

De plus, s’il doit prendre connaissance d’un texte électronique (preuve, lettre ou courriel) en anglais, il suffit d’utiliser Google Translation pour en obtenir une traduction d’assez bonne qualité.

Dans les appels téléphoniques qu’il reçoit dans son cabinet, le juge peut demander à une secrétaire bilingue de lui servir d’interprète.

Bref, il n’arrive jamais qu’un angloQuébécois soit condamné en français.

À l’opposé, contrairement au beau principe que l’honorable Christian Immer présente à [48], certains juges nommés par le fédéral connaissent si peu notre langue qu’ils rendent jugement en anglais dans des causes où l’accusé est un francoQuébécois unilingue. Ce qui est le comble du mépris.

Et lorsque l’avocat de ce dernier proteste au nom de son client, cet avocat est condamné par le Barreau du Québec pour défaut de soutenir l’autorité des tribunaux.

Dans sa tâche de répartir les causes entre les magistrats, la juge en chef pourrait consulter les avocats afin de savoir dans quelle langue ils entendent plaider, celle des témoins qu’ils veulent faire entendre et des preuves qu’ils soumettront.

Ce pourrait être un simple formulaire constitué de cases à cocher.

Mais il est plus simple d’exiger le bilinguisme de tous les juges… au cas où. C’est la solution de facilité retenue par la juge en chef de la Cour du Québec.

Le juge Christian Immer justifie cela en invoquant l’indépendance administrative du système judiciaire. Celle-ci découle d’un principe constitutionnel non écrit. [197]

Comme argument, c’est aussi faible qu’invoquer une clause non écrite d’un contrat. Surtout lorsqu’il s’agit de justifier la violation d’une loi supra-législative comme la Charte de la langue française.

Conclusion

La décision du juge Christian Immer est de nature à perpétuer le marasme dans lequel se trouve le système judiciaire.

Selon lui, le ministre de la Justice n’a aucun pouvoir quant à la rédaction des appels de candidatures.

Selon le juge Immer, le ministre ne pourrait même pas s’opposer à leur publication, dussent-ils être illégaux, nuls et invalides. [205-206]

En somme, son ministère doit se contenter de les publier aveuglément et d’enclencher le lourd processus de sélection des juges. Un processus au cours duquel des juges et des avocats se graissent généreusement la patte.

Et une fois qu’il reçoit la liste des candidats retenus, le ministre n’a plus d’autres choix que de suggérer au Conseil des ministres de refuser leur nomination afin que la juge en chef recommence tout le processus, cette fois en respectant la Loi 101.

Depuis le mois dernier, celle-ci orchestre une grève du zèle de ses magistrats en leur ordonnant de ne siéger qu’un jour sur deux (plutôt que deux jours sur trois). Et ce, afin d’engorger le système judiciaire dans le but de forcer le ministre à nommer au plus tôt ses juges bilingues.

Que de mesquinerie de la part d’une juge en chef. Une mesquinerie dont les contribuables font les frais.

À quand une révolution du système judiciaire afin d’obliger celui-ci à être au service du peuple ?

Références :
Charte de la langue française
Décision du juge Christian Immer
Doit-on interdire l’accès à la magistrature aux avocats québécois unilingues français ?
Être condamné dans une langue qu’on ne comprend pas
Le ministre de la Justice n’a « aucun mot à dire »
L’esprit de caste de la juge Lucie Rondeau
Ottawa finance la demande d’annulation de toutes les lois du Québec
Quatre-millions de Québécois victimes de discrimination à l’embauche
Repenser les tribunaux

Paru depuis :
Multiplication des postes de juges bilingues depuis 15 ans au Québec (2022-03-02)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’esprit de caste de la juge Lucie Rondeau

Publié le 31 janvier 2022 | Temps de lecture : 7 minutes

Introduction

La Cour du Québec est le tribunal de première instance en matière civile, criminelle et pénale ainsi que dans les matières relatives à la jeunesse.

Me Lucie Rondeau en est la juge en chef depuis 2016. À ce titre, elle coordonne et répartit le travail des juges en plus de voir à l’allocation des ressources afin d’assurer la bonne marche de la justice sous son autorité.

Il y a quelques jours, celle-ci a donné l’ordre aux juges de ne siéger qu’un jour sur deux, l’autre devant être consacré à la rédaction de leurs décisions.

Actuellement, les juges siègent deux jours sur trois.

Provoquer artificiellement une crise

De l’aveu même de la juge Rondeau, cela réduira le temps que consacrent les juges à prendre connaissance des preuves et à entendre les plaidoiries. Ce qui prolongera les délais judiciaires actuels.

Les procès dureront donc plus longtemps. Certains d’entre eux avorteront en raison des limites maximales de temps imposées par la Cour suprême du Canada. Des criminels échapperont ainsi à la justice.

Pour diminuer le nombre croissant de causes en attente, les avocats de la poursuite seront sous pression d’éviter des procès en acceptant le plus possible les offres de règlement à l’amiable présentées par l’avocat de la défense.

Conséquemment, les criminels s’en tireront avec des peines dérisoires qui scandaliseront leurs victimes.

Un exemple récent de ces ententes secrètes est le procès de ce contrebandier condamné à cinq ans de prison pour avoir importé illégalement 250 armes de poing. Ce qui équivaut à sept jours du pistolet alors que sévit à Montréal un grave problème de violence par arme à feu.

Ce contrebandier sera libéré sous caution après avoir purgé vingt mois.

La clémence du tribunal avait été réclamée par les deux parties à la suite d’une négociation secrète.

On peut donc se demander ce qui justifie l’ordre donné par la juge Rondeau ?

Invoquant une pénurie de magistrats, elle veut obliger le ministre de la Justice du Québec à faire passer le nombre de juges sous son autorité de 308 à 349.

Et pour lui forcer la main, elle a décidé d’aggraver la situation actuelle en déclenchant une grève du zèle des magistrats.

Dans le fond, c’est la même stratégie corporatiste que celle adoptée en 2018 par le Barreau du Québec. À l’époque, cet ordre professionnel s’était adressé aux tribunaux — financé en sous-main par Ottawa — pour faire invalider toutes les lois du Québec dans le but de forcer le ministère de la Justice à embaucher quelques avocats anglophones de plus pour traduire les projets de loi du Québec.

Un système judiciaire désuet

En recourant à la multitude des moyens juridiques qui permettent de faire trainer une cause en longueur, les avocats ont transformé le système judiciaire en machine à sous au service de leur caste sociale.

La profession juridique s’autoalimente ainsi de procédures et d’appels. Elle fait coïncider son intérêt avec celui de ses riches clients en étirant les procédures dans le but de ruiner les plaignants ou de les forcer à accepter des ententes à l’amiable qui sont des dénis de justice.

Même si on doublait le nombre de juges, on ne serait pas plus avancé. Le mot d’ordre donné par la juge Rondeau prouve que sa profession peut à sa guise accroitre les besoins en magistrats en retardant arbitrairement le système judiciaire.

La solution

Il est nécessaire de réserver la profession juridique aux affaires criminelles, aux délits majeurs et à la défense des droits fondamentaux des citoyens.

Le système judiciaire canadien souffre d’un important problème d’accès économique à la justice. Si demain on voulait corriger cela, on aurait besoin de milliers de juges supplémentaires.

La meilleure solution est de créer des tribunaux populaires sur lesquels des citoyens élus pourraient siéger. Ces citoyens n’auraient pas besoin d’avoir une formation juridique. Et les sanctions qu’ils pourraient imposer seraient des amendes inférieures à un plafond relativement bas. Ce qui permettrait de régler des conflits mineurs.

La création de tribunaux populaires (et abordables) allègerait la tâche des tribunaux traditionnels.

Le remède souhaité par la juge Rondeau pour régler la thrombose judiciaire est une solution à courte vue. Cela ne règle pas le problème fondamental de la justice canadienne qui en est un d’accessibilité économique.

Le système judiciaire a besoin d’un changement radical. Toutefois, je doute que cela soit possible dans le cadre du fédéralisme canadien puisqu’il serait soumis au droit de véto des juges eux-mêmes.

D’où l’idée de faire table rase de cette monarchie constitutionnelle sclérosée qu’est le Canada et de faire du Québec un pays neuf, idéal, digne du XXIe siècle.

Références :
Doit-on interdire l’accès à la magistrature aux avocats québécois unilingues français ?
La richesse des juges
Les délais judiciaires risquent d’augmenter
Ottawa finance la demande d’annulation de toutes les lois du Québec
R. c. Jordan
Repenser les tribunaux
Sept jours par pistolet

Parus depuis :
Jolin-Barrette veut que la Cour du Québec renonce à faire siéger ses juges moins souvent (2022-05-26)
La juge en chef remporte la première manche contre Québec (2022-11-07)
Explosion de délais : La justice près du « point de rupture » (2022-11-23)
Multiplication des longs délais dans des enquêtes : « On va frapper un mur » – UPAC (2022-12-03)
Réforme de la juge Rondeau : 9000 causes criminelles en péril, selon Québec (2023-01-19)


Postscriptum : En Ontario et en Colombie-Britannique, les juges en Chambre criminelle consacrent en moyenne une journée sur cinq à la rédaction de leurs jugements.

Référence : Congestion au palais de justice


Postscriptum du 21 avril 2023 : Le ministre de la Justice du Québec et la juge Rondeau sont parvenus aujourd’hui à un compromis. Malheureusement, cette entente prend l’aspect d’une capitulation du premier à la seconde.

En contrepartie de la nomination de quatorze juges supplémentaires, les magistrats sous l’autorité de la juge Rondeau, au lieu de siéger 50 % du temps — l’autre moitié étant consacrée à la rédaction de leurs jugements — siègeront à peine plus, soit 58 % du temps, ce qui est loin du 80 % qui prévaut dans les Cours criminelles des provinces anglophones du pays.

Bref, la thrombose judiciaire voulue par la juge Rondeau pour parvenir à ses fins se poursuivra, dans une moindre mesure, jusqu’à la capitulation complète du ministre, c’est à dire jusqu’à ce qu’il nomme tous les magistrats bilingues qu’elle réclame.

Références :
Québec trouve un terrain d’entente avec la juge en chef et ajoutera 14 nouveaux juges

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| 2018-202X (années Legault), Justice, le prix du fédéralisme, Politique québécoise | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


L’abondance des armes et les homicides

Publié le 10 janvier 2022 | Temps de lecture : 1 minute


 
Le droit de posséder une arme à feu est garanti par le deuxième amendement de la Constitution américaine. Le fort pourcentage d’Américains armés explique le nombre important de tueries de masse et d’homicides dans ce pays.

La contrebande canadienne d’armes de poing achetées aux États-Unis — un commerce sanctionné mollement par les tribunaux — est responsable de nombre croissant d’homicides au Canada.

À Montréal, l’année 2011 fut la plus meurtrière depuis onze ans. Sur les 37 homicides montréalais, 26 ont été des féminicides. Et c’est sans compter les tentatives de meurtre : du 1er janvier à la mi-décembre, il y en avait eu 139 (un sommet depuis 2007).

Références :
Contrôle des armes à feu aux États-Unis
Homicides en 2021: jamais autant de femmes tuées en 13 ans au Québec
Sept jours par pistolet

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| Fait divers, Justice, Sécurité | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Le boomerang de l’arrestation citoyenne

Publié le 17 novembre 2021 | Temps de lecture : 3 minutes

Dans plus d’une trentaine de pays, la loi permet à une personne qui n’est pas policier de procéder à une arrestation.

Dans la plupart des cas, il s’agira d’un citoyen armé qui arrête un malfaiteur qui vient de commettre un méfait sur sa propriété ou qui y est entré par effraction.

Il peut s’agir également d’un gardien de sécurité armé qui arrête un malfaiteur qui vient de commettre un délit dans un commerce sous sa surveillance.

Dans tous les cas, la loi exige que le citoyen qui procède à l’arrestation ait été témoin du crime et que l’individu appréhendé soit remis à la police dans les plus brefs délais.

Dans certains pays, la loi ordonne la fin de l’arrestation citoyenne dès que le suspect a fait la preuve de son identité — ce qui est le présage de poursuites éventuelles devant les tribunaux — à moins que la gravité de l’acte exige la remise aux mains des forces policières.

Contrairement à un policier, un citoyen qui procède à l’arrestation d’une autre personne peut être accusé de violation de droits civiques si l’arrestation est injustifiée.

Au Canada, on ne peut procéder à une arrestation citoyenne qu’en cas de délit en vertu du Code criminel canadien. En d’autres mots, un citoyen ne peut pas arrêter une personne sur le motif de la violation d’un règlement municipal ou d’une loi provinciale, sauf en Ontario où cela est permis dans des cas très précis.

En France, la personne appréhendée doit avoir été prise en flagrant délit d’un crime punissable d’une peine d’emprisonnement. L’usage de la force n’est permis qu’en cas d’autodéfense.

Aux États-Unis, tout citoyen peut arrêter une personne lorsqu’il est témoin d’un crime. La liste des crimes qui peuvent donner lieu à une arrestation citoyenne varie d’un État à l’autre. Dans certains États américains, on peut arrêter quelqu’un d’autre au simple motif de tapage nocturne.

En conclusion, au Canada, un citoyen témoin de la commission d’un crime (au sens du Code criminel) peut arrêter le malfaiteur sur-le-champ et le remettre aux autorités policières dans les plus brefs délais.

Toutefois, s’il ne s’agit pas d’une offense selon le Code criminel canadien, c’est celui qui arrête l’autre qui viole la loi.

Références :
Ce qu’il faut savoir au sujet de l’arrestation par de simples citoyens
Citizen’s arrest
L’État de la Géorgie radie la loi sur les arrestations citoyennes
Loi sur l’arrestation par des citoyens et la légitime défense
Que comprendre des gens qui croient avoir le droit d’arrêter des politiciens

Paru depuis :
Un conspirationniste blessé lors d’une tentative d’« arrestation citoyenne » de policiers (2022-08-18)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Se moquer d’un garçon handicapé est un droit constitutionnel au Canada

Publié le 30 octobre 2021 | Temps de lecture : 4 minutes

Vendredi dernier, la Cour Suprême du Canada a infirmé deux jugements antérieurs qui avaient condamné un humoriste pour avoir choisi un jeune handicapé comme souffre-douleur.

De septembre 2010 à mars 2013, au cours de 230 représentations vues au total par cent-trente-cinq-mille personnes, Mike Ward a présenté un numéro dans lequel il se moquait de certaines caractéristiques physiques de Jérémy Gabriel à l’époque où ce dernier avait entre 10 et 13 ans.

Les blagues de l’humoriste étaient des descriptions péjoratives basées sur le handicap du garçon, atteint du syndrome de Treacher Collins.

À l’école, les autres enfants répétaient les insultes et exacerbaient la moquerie.

Du strict point de vue juridique, toute cette affaire se résume à la conception qu’on se fait de la discrimination (au sens d’ostracisme).

Les articles de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (sur lesquels s’appuie cette cause) se lisent comme suit :

Article 4 : Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

Article 10 : Toute personne a droit […] à l’exercice […] des droits et libertés de la personne, sans distinction […] fondée sur […] le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction […] a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit

Dans un premier temps, les instances québécoises — le Tribunal des droits de la personne et la Cour d’appel du Québec — avaient estimé qu’en exposant Jérémy Gabriel à la moquerie en raison de son handicap, Mike Ward a porté atteinte à la dignité humaine du garçon.

Toutefois, en appel à la Cour Suprême, celle-ci estime que pour prouver qu’il y a ostracisme, on doit démontrer que les propos incitent à mépriser la victime ou à détester son humanité pour un motif de distinction illicite (dans ce cas-ci, son handicap physique).

On doit ensuite établir que ces propos, placés dans leur contexte, peuvent vraisemblablement avoir pour conséquence de frapper cette victime d’exclusion sociale.

Pour la plus haute instance du pays, le sort infligé à Jérémy Gabriel ne répond pas à ces critères, en dépit des apparences.

Qu’est-ce qui explique cet aveuglement ?

À deux reprises dans le jugement majoritaire de la Cour suprême, celle-ci déclare que la Charte québécoise des droits et libertés possède un champ d’application plus vaste que celui de la Charte canadienne (synonyme de la Canadian Constitution).

Selon la Cour, au chapitre des droits individuels, la Charte québécoise lie non seulement l’État, mais aussi toutes les personnes physiques et morales situées sur le territoire du Québec.

En atténuant la protection offerte par celle-ci, la Cour Suprême l’érode pour la mettre davantage en phase avec les dispositions moins contraignantes de la Canadian Constitution.

Tout comme pour la Loi 101, la Cour Suprême poursuit ainsi son travail de sape de la spécificité québécoise.

Ceux parmi nous qui voulons vivre dans une société où le mot civisme a un sens devons remettre en question notre appartenance à ce pays où l’expression publique du mépris et de l’intolérance se justifie au nom de la liberté d’expression.

Références :
Décision de la Cour suprême : Mike Ward vs Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
Mike Ward ou le harceleur public

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La richesse des juges

Publié le 13 octobre 2021 | Temps de lecture : 7 minutes

Des hausses de 21,8 % à 47,8 %

La Loi sur les tribunaux judiciaires prévoit la formation d’un Comité de la rémunération des juges chargé d’évaluer tous les quatre ans le salaire que devrait recevoir la profession juridique.

La composition du comité est décidée par des regroupements de juges (appelées ‘conférences’) de chacune des instances juridiques concernés. La liste qu’ils dressent est ensuite entérinée par le gouvernement.

En mars 2021, le Conseil des ministres les nommait et en profitait pour hausser de 40 % la rémunération de son nouveau président, l’avocat Pierre Laplante, en comparaison avec celle de son prédécesseur. Le ton était donné.

En plus de ce dernier, le comité est composé de l’avocat Raymond Clair, de l’avocat George-R. Hendy, de Bernard Turgeon (ancien sous-ministre et détenteur d’un doctorat en économique), et d’Huguette St-Louis (ex-juge de la Cour du Québec).

En somme, à l’exclusion d’un économiste, les conférences de juges ont pris soin de nommer des personnes qui sont, à des degrés divers, en conflit d’intérêts.

Les contribuables, qui paient la note, n’y sont pas représentés.

On ne sera donc pas surpris d’apprendre que le comité recommande des hausses substantielles de rémunération.

À la Cour du Québec, les salaires annuels passeraient de 254 518 $ à 310 000 $ (+ 21,8 %).

À la Cour municipale de Montréal, Québec et Laval, ils passeraient de 216 849 $ à 310 000 $ (+ 42,9 %).

Quant aux juges de paix magistrats, leurs salaires annuels passeraient de 144 960 $ à 217 000 $ (+ 48,7 %).

Alors que des milliers d’entrepreneurs — propriétaires de restaurants, de bars, de salles de conditionnement physique, de salons de coiffure, etc.— ont été appauvris par la pandémie, que des centaines de milliers de personnes ont été contraintes de changer de métier en raison de la fermeture prolongée de l’entreprise pour laquelle ils travaillaient, voilà qu’on propose d’enrichir considérablement la profession juridique.

Une profession juridique déjà coupée du peuple

Une caste sociale privilégiée

Selon le recensement canadien de 2016, la ligne de démarcation qui sépare le club du ‘1 %’ du reste de la population québécoise, c’est un revenu annuel de 190 000 $.

En définitive, la suggestion du Comité de la rémunération des juges ferait basculer tous les juges du Québec dans ce club de privilégiés.

Avec l’armée, les policiers et les gardiens de prison, les tribunaux font partie des pouvoirs répressifs de l’État. Mais contrairement aux premiers, le système judiciaire dispose d’une indépendance relative qui se justifie par la mission qu’il s’est donnée d’être le rempart paternaliste contre les dérives autoritaires de l’État.

L’inaccessibilité économique

Déjà, le système judiciaire souffre d’un grave problème d’accessibilité économique; la très grande majorité des citoyens n’ont pas les moyens d’intenter une poursuite ou de subir un procès.

Dans les causes civiles, tout l’appareil juridique est essentiellement au service du 1 %.

Pour 99 % des citoyens, intenter des recours juridiques n’est une solution envisageable que lorsque le préjudice subi est tel qu’il est substantiellement au-delà des frais d’avocat que pourrait entrainer un procès. Mais pour le 1 %, c’est un moyen d’assurer sa suprématie sociale et son impunité face aux simples citoyens.

L’inégalité des citoyens face à la loi

Beaucoup de Canadiens ont trouvé injuste qu’une riche citoyenne chinoise en attente de son extradition vers les États-Unis ait été ‘incarcérée’ dans sa riche résidence de Vancouver.

En réalité, toutes les personnes fortunées peuvent se prévaloir de ce privilège et écouler leur peine d’emprisonnement dans leur luxueuse villa, entourées de toutes les commodités, et même y donner des réceptions.

Parce qu’au Canada, il y a une justice pour les riches et une justice pour les pauvres. Pourtant, dans un pays démocratique, tous les citoyens devraient être égaux devant la loi.

L’inégalité des citoyens face à loi n’est inscrite dans aucune loi; c’est le résultat d’une jurisprudence créée par une magistrature coupée du ‘vrai monde’ et plus sensible aux inconvénients de l’emprisonnement pour des gens de la même condition sociale qu’eux.

Les juges, valets de la colonisation anglaise du Québec

Selon le recensement de 2016, sur 8 066 560 de Québécois, 4 032 640 étaient unilingues français. En somme, c’est un Québécois sur deux.

Quand la juge en chef de la Cour du Québec entreprend sa croisade pour obliger la connaissance de l’anglais comme condition à l’accession à la magistrature au Québec — alors que jamais un juge unilingue anglais n’a été empêché de faire carrière au Canada — elle est le valet de la colonisation anglaise du Québec.

D’autre part, quand une juge anglophone rend son jugement en anglais dans une cause entièrement plaidée en français et où l’accusé est unilingue français, elle n’est pas consciente qu’il est inconcevable qu’un tribunal rende un jugement dans une langue que ne comprend pas l’accusé.

Plutôt que de se récuser parce que sa connaissance du français était insuffisante, elle a préféré empocher le pognon et imposer sa langue à elle. Voilà, concrètement, ce que donne une magistrature égoïste, vivant dans sa tour d’ivoire.

Financé en sous-main par Ottawa, quand le Barreau du Québec — c’est-à-dire l’ordre professionnel des avocats et des juges du Québec — s’adresse aux tribunaux en 2018 pour tenter de faire invalider toutes les lois du Québec, cela n’est rien de moins qu’une trahison envers le Québec.

Ce complot a échoué parce qu’une assemblée générale spéciale des membres du Barreau a voté de justesse (à 52,5 %) en faveur de l’abandon de cette initiative insensée.

Même si elle a échoué, cette trahison est demeurée impunie. Et la meilleure punition serait de geler le salaire des juges pour les quatre prochaines années. Ou mieux : réduire leur salaire.

Ce qui nécessitera l’adoption d’un règlement de délégation d’actes en vue de la création de tribunaux populaires et un décret qui menacera d’emprisonnement les juges qui chercheront à saboter le système judiciaire.

Conclusion

Puisque les recommandations du Comité de la rémunération des juges sont sujettes à l’approbation par le Conseil des ministres, il serait préférable de refuser d’accorder à la magistrature les augmentations de salaire qu’elle réclame et de commencer dès maintenant à atténuer l’écart de rémunération qui se creuse depuis des décennies entre les couches sociales les plus riches et le reste de la société.

Références :
Comité de rémunération des juges – Des hausses de salaire de 22 % à 50 %, recommande un rapport
2100$ par jour pour examiner la paye des juges
Doit-on interdire l’accès à la magistrature aux avocats québécois unilingues français ?
Être condamné dans une langue qu’on ne comprend pas
Huawei : les différences de détention au Canada et en Chine
La DPCP et l’esprit de caste
Les tribunaux et la vieille au déambulateur
Ottawa finance la demande d’annulation de toutes les lois du Québec
Qui fait partie du fameux 1% le plus riche au Québec?
Rapport sur la rémunération des juges
Repenser les tribunaux

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’affaire Camara : la justice différenciée

Publié le 6 septembre 2021 | Temps de lecture : 16 minutes

Le rapport Dionne

Le juge Louis Dionne a fait enquête au sujet de l’arrestation musclée de Mamada III Fara Camara et remis son rapport le 26 aout dernier. Une version très caviardée a été rendue publique.

Une de ses conclusions, c’est que M. Camara n’a pas fait l’objet de profilage racial. Cette conclusion heureuse a fait la manchette de tous les journaux.

Mais est-ce la seule conclusion qu’on peut tirer de cette affaire ?

Les faits

Le 28 janvier 2021, à 16h51, le policier Sanjay Vig intercepte un véhicule dont le chauffeur est pris en flagrant délit d’usage de son téléphone en conduisant; c’est M. Camara.

Les preuves obtenues plus tard auprès de l’opérateur téléphonique de M. Camara ne font aucun doute : celui-ci a expédié deux messages textes alors que son auto était en mouvement.

Mais au moment de son interception, M. Camara proteste avec vigueur de son innocence. Il est fâché. Ce qu’il reconnaitra dans sa déclaration faite aux policiers le lendemain.

Il obéit de mauvaise grâce aux ordres du policier et remet à ce dernier les documents exigés.

Toutefois, en retournant à son autopatrouille, le policier est agressé par-derrière.

Il reçoit plusieurs coups, tombe au sol. Alors que son assaillant s’empare de son arme à feu, le policier réussit à se relever et à prendre la fuite.

À 16h59, l’agent Sanjay Vig appelle à l’aide

Tout en courant, le policier appelle à un centre d’aide à l’aide de son appareil portable radio. Il est 16h59.

Le code qu’il active est le code ultime que peut invoquer un policier. Quand on l’utilise, tout l’appel du policier en détresse est transmis en direct à la radio de tous les patrouilleurs de sa région.

Certains des policiers qui entendent cela en sont à leur première expérience d’un collègue menacé de mort. En direct.

L’agent Sanjay Vig signale qu’il s’est fait tirer dessus, il y a quelques secondes. Il n’a pas été touché par les tirs. Il court afin d’échapper à la mort. D’un ton haletant, il explique qu’il vient de se retourner et que son agresseur essaie de le rattraper.

Les policiers à l’écoute ne savent pas si leur collègue, lourdement équipé, réussira à s’en sortir vivant.

Leur premier réflexe est d’allumer le gyrophare de leur autopatrouille et de foncer pour tenter de sauver leur collègue pendant qu’il est temps.

Et à chaque feu rouge, ils pestent contre les automobilistes qui hésitent à leur céder le passage.

L’agent Sanjay Vig réussit à entrer dans un immeuble à appartements et à se réfugier dans l’un d’eux. Il donne l’adresse de son refuge.

En peu de temps, près de 150 policiers sont arrivés. Dans le désordre, quelques-uns sont allés au lieu où M. Camara se trouve encore, les autres au refuge de l’agent Sanjay Vig.

À 17h00, M. Camara appelle au 9-1-1

Pendant ce temps, Mamada III Fara Camara trouve le temps long. Il a assisté au combat entre le policier et son agresseur. Il a vu le policier déguerpir. Mais il fait quoi, lui ?

Est-ce que le policier doit bientôt revenir lui donner sa contravention ? S’il quitte avant de l’avoir reçue, est-ce un délit ?

Quarante secondes après le début de l’appel de détresse du policier, M. Camara décide d’en avoir le cœur net. Il appelle au centre d’urgence 9-1-1 (comme trois autres témoins).

Son ton est calme. Il explique ce qu’il a vu et justifie sa présence sur les lieux par le fait qu’il est en attente de la contravention que devait lui remettre le policier.

Il n’a pas le temps de demander s’il peut quitter les lieux qu’un autre policier arrive, écoute son témoignage et lui permet de partir.

En moins de six minutes, les premiers policiers arrivent

Les premiers policiers arrivés au refuge du policier Sanjay Vig trouvent leur collègue en piteux état. Il n’a pas été atteint par les balles. Mais il a le visage ensanglanté en raison des coups qu’il a reçus. Également maculées de sang, ses mains tremblent. Il n’a jamais eu aussi peur de sa vie.

Il leur dit qu’il est certain que son agresseur est M. Camara. Cela ne fait aucun doute.

Plus tôt, en tentant de se protéger des coups, le policier n’a pas très bien vu son assaillant puisqu’en fin d’après-midi, en janvier, il fait déjà nuit.

Mais quand il s’est retourné en fuyant, celui qui courait derrière lui était un homme à la peau très pigmentée. Or le policier ne peut pas imaginer qui d’autre aurait pu l’agresser sinon M. Camara, furieux à cause de sa contravention.

Tout était filmé

Là où l’agression a eu lieu, une des caméras du ministère des Transports a tout enregistré.

Vers 17h, un chef d’équipe du Centre intégré de gestion de la circulation (CIGC) a remarqué le grand nombre de voitures de police qui arrivent soudainement à cet endroit.

Dans ce centre, il y a aussi des écrans qui diffusent les nouvelles en continu. Une demi-heure plus tard, quand la chaine LCN diffuse la nouvelle selon laquelle un policier s’est fait désarmer et tiré à cette intersection, ce chef d’équipe décide de visionner les images, puis de contacter le service de police.

Le soir même, deux sergents-détectives se rendent au CIGC pour faire une copie de la scène sur leur téléphone multifonctionnel.

Toutefois, cette copie sur téléphone, de même qu’une copie numérique parfaite de la bande originale ne seront transmises aux responsables de l’affaire Camara que le soir du 2 février (la veille de l’abandon des procédures)

Au visionnement, c’est clair. La déduction de l’agent Sanjay Vig ne tient plus la route; M. Camara est innocent.

Mais retournons au soir du 26 janvier.

L’arrestation de M. Camara

Pour les policiers, il n’y a pas pire bandit que celui qui tue ou qui tente de tuer l’un d’eux.

Parmi les patrouilleurs qui partent sillonner les rues à sa recherche,
une autopatrouille a reçu l’ordre d’aller au domicile de M. Camara.

Effectivement, à leur arrivée, la Toyota Corolla 2014 grise de M. Camara est stationnée là, les phares allumés. Il est donc encore au volant.

Est-ce un guet-apens ? Après avoir échoué à tuer l’agent Sanjay Vig, attend-il là comme une bête prête à foncer sournoisement et causer de nouvelles victimes policières ?

À 17h14, un policier descend de son autopatrouille. Il dégaine son arme sans la pointer. Il s’approche lentement. Puis il contourne le véhicule; à l’arrière, la plaque d’immatriculation est bien celle de la voiture de M. Camara. Donc il n’y a plus de doute, c’est bien lui.

Son coéquipier est lui aussi descendu de l’autopatrouille. S’approchant au milieu de la rue, il est d’abord aveuglé par les phares de l’auto. Sur les ondes radio, il déclare « 44-2. On a le gars en visuel.».

Ce coéquipier dégaine son arme et le pointe, prêt à tirer sur la silhouette du conducteur puisqu’à tout moment, l’auto pourrait foncer sur lui.

S’approchant davantage, il distingue mieux M. Camara. Toute son attention est alors portée sur ses mains, toujours convaincu que le suspect est en possession de l’arme avec laquelle il a tenté de tuer le patrouilleur Sanjay Vig.

Quand M. Camara voit s’approcher les deux policiers, il ne comprend pas ce qui arrive; il n’est pas en train de téléphoner ni de texter un message. Tout à l’heure, dans sa contrariété lors de son interception, a-t-il dit au policier quelque chose qu’on ne doit pas dire ? Il baisse la vitre de son véhicule.

Le premier policier passe devant l’auto, s’approche de M. Camara et lui ordonne de montrer ses mains et de ne pas faire de gestes brusques. Le suspect coopère et sort ses deux bras par la fenêtre du véhicule.

Entretemps, une autre autopatrouille est arrivée sur les lieux et ses deux policiers se sont eux aussi approchés de M. Camara, l’arme pointée.

En raison du caviardage du rapport du juge Dionne, on ne sait plus très bien, de ces quatre policiers, qui fait quoi.

Ce qu’on sait, c’est qu’un policier agrippe le bras gauche de M. Camara tandis qu’un collègue fait la même chose avec le bras droit. Ils le sortent — ’vigoureusement’ selon le témoignage de l’un d’eux — par la fenêtre. Le suspect se retrouve aussitôt au sol sur le ventre, le visage plaqué sur l’asphalte par un autre policier.

Dans son témoignage, ce dernier affirme qu’il ne s’est pas servi de son pied pour immobiliser la tête du suspect, mais de l’intérieur de sa cuisse, ce qui n’est possible que si l’agent est accroupi devant lui ou agenouillé au-dessus sa tête.

Au lieu de l’extraire manu militari de son auto, si le premier policier lui avait simplement passé les menottes alors que M. Camada avait les bras sortis par la fenêtre puis lui avait lentement ouvert la portière, M. Camara aurait été arrêté en douceur.

Et si le suspect avait fait un geste brusque, les trois autres policiers l’avaient déjà en joue : il aurait été criblé de balles de manière aussi expéditive qu’un Noir arrêté à Repentigny…

Menotté, M. Camara est fouillé sur-le-champ, tout comme son véhicule. On ne trouve pas l’arme de patrouilleur Sanjay Vig.

Juste avant qu’on l’emmène pour être incarcéré, un policier remarque qu’en dépit de la poudre de calcium sur les vêtements de M. Camara du fait qu’il vient d’être plaqué sur la voie publique, ses vêtements sont relativement propres et non froissés. Il est calme et non essoufflé. Il n’a pas de trace de transpiration.

Bref, il n’a pas l’aspect ni le comportement attendus de quelqu’un qui, un quart d’heure plus tôt, se serait battu au sol avec le patrouilleur Sanjay Vig et se serait lancé à vive allure à sa poursuite.

Tout au plus, a-t-il une petite égratignure sur une joue, compatible avec son plaquage au sol, il y a quelques instants.

Tôt le lendemain matin de son incarcération, un sergent-détective vérifie les mains de M. Camara et constate qu’elles ne portent aucune marque de combat.

De 8h01 à 12h33, M. Camara est interrogé par un sergent-détective à qui il répète sa version disculpatoire des faits.

À 15h07, il se présente devant un juge pour comparaitre, c’est-à-dire plaider coupable ou non coupable à l’accusation portée contre lui.

Cette accusation, c’est celle portée par la procureure de la DPCP (dont nous reparlerons dans un instant). Cette avocate n’a pas encore vu la bande-vidéo qui innocente M. Camara. Mais à partir de preuves circonstancielles, elle a déjà acquis la conviction de sa culpabilité. Elle est tellement convaincue de sa dangerosité qu’elle s’opposera à sa remise en liberté en attente de son procès.

Au sujet de la DPCP

En doit civil, n’importe qui peut porter plainte devant les tribunaux.

Mais en droit criminel, seul un organisme gouvernemental (appelé Direction des poursuites civiles et pénales ou DPCP) peut saisir les tribunaux d’une affaire criminelle.

La DPCP est dirigée et composée d’avocats. Ce qui ne l’empêche pas de confier une multitude de dossiers à des centaines d’avocats de pratique privée qui collaborent avec elle.

Puisqu’en droit criminel, un accusé ne peut être condamné que s’il ne subsiste aucun doute raisonnable quant à sa culpabilité, la DPCP sert à ‘filter’ les causes où un plaignant est absolument convaincu de la culpabilité de quelqu’un d’autre sans en posséder la preuve irréfutable.

En somme, la DPCP sert à éviter que le système judiciaire croupisse sous le poids des causes vouées à l’échec.

Toute affaire criminelle débute par une enquête policière.

Après avoir recueilli l’ensemble de la preuve, lorsque le policier responsable de l’enquête en arrive à la conclusion qu’il a trouvé le coupable du crime, il transmet l’ensemble du dossier à la DPCP accompagné d’une déclaration sous serment affirmant sa conviction de la culpabilité du suspect.

La DPCP en a vu d’autres. C’est seulement lorsqu’il est convaincu lui aussi que la preuve policière est irréfutable qu’il porte l’affaire devant les tribunaux.

Dans son rapport, le juge Dionne écrit : ‘ Bien qu’elle soit consciente que l’agent Vig ne peut pas identifier formellement le suspect et qu’il y va par déduction, pour elle, son témoignage est central, puisque ce dernier est d’une crédibilité sans faille.’

L’excuse n’est pas forte; le juge Dionne sait parfaitement qu’une montagne de soupçons d’un policier, aussi crédible soit-il, ne vaut pas l’ombre d’une preuve.

En s’abstenant de blâmer la DPCP, si le juge Dionne voulait protéger la crédibilité du système judiciaire (dont il fait partie), il n’agirait pas différemment.

La vérité, c’est que le travail de la DPCP est trop souvent d’une extrême médiocrité. Que ce soit en refusant de porter plainte contre les véritables responsables de la catastrophe de Lac-Mégantic, en réclamant des peines ridicules à l’encontre des coupables de contrebande d’armes à feu au Québec, ou leur extrême indulgence à l’égard d’Anita Obodzinski dans l’affaire de la vieille au déambulateur.

Le témoignage des policiers

Dans un autre ordre d’idée, dans cette affaire, il y a trop de preuves qui ne se sont jamais rendues à l’enquêteur-chef, responsable de ce dossier.

Si ce dernier avait interrogé lui-même les policiers présents au moment de l’arrestation de M. Camara, il aurait recueilli tous ces indices incompatibles avec le fait que M. Camara vient, quinze minutes plus tôt, de lutter au corps-à-corps avec un policier, de le frapper au point de lui ensanglanter le visage et de courir à vive allure à ses trousses.

Plusieurs de ces policiers (mais pas tous) avaient pourtant consigné leurs observations dans leurs rapports.

Dans l’urgence de déposer des accusations criminelles, l’enquêteur-chef s’est contenté des rapports qu’on a bien voulu lui transmettre.

D’où la question : entre les sergents-détectives et l’enquêteur-chef, a-t-on filtré ce que dernier devait savoir ?

Quand tout tombe à l’eau

Le 3 février, les policiers retournent sur les lieux pour une reconstitution des évènements en compagnie du principal témoin oculaire. Son témoignage met en doute la version retenue jusque là.

Informée le jour même, la DPCP ordonne l’arrêt des procédures et libère définitivement M. Camara de toutes les accusations portées contre lui.

Depuis, c’est Ali Ngarukiye qui est accusé des faits dont a été victime l’agent Sanjay Vig.

Conclusion

Je suis de ceux qui croient que les policiers exercent un métier dangereux et nécessaire.

Avant d’entreprendre la lecture du rapport Dionne, mon préjugé de départ était que l’affaire Camara était un exemple de la détestation des policiers pour toute personne qui s’en prend à l’un d’eux. Peu importe la pigmentation de la peau du coupable.

Toutefois à la lecture du rapport, on voit d’innombrables exemples de la bienveillance des simples policiers à l’égard de M. Camara, si on fait exception de son arrestation musclée (que le juge Dionne justifie du bout des lèvres).

Le déni de justice fait à Mamada III Fara Camara ne repose pas seulement sur l’aveuglement obstiné d’un patrouilleur victime d’une agression armée.

Cette injustice a été rendue possible grâce à de graves lacunes internes qui vont au-delà des simples problèmes de communication soulignés par le rapport.

Il y a trop de preuves ou d’indices de l’innocence M. Camara recueillis par des inspecteurs qui ne se sont pas rendus à l’enquêteur-chef.

Du coup, l’explication la plus probable, c’est que dans la hiérarchie policière, on a cherché à ‘simplifier’ la preuve dans le but d’obtenir rapidement une accusation criminelle par crainte d’un mécontentement des troupes si l’enquête prenait trop de temps.

Et tout cela n’aurait pas été possible sans l’extraordinaire amateurisme de la DPCP.

Un déni de justice est presque toujours la faute de ceux qui accusent ou qui condamnent.

Au lieu d’être un simple chargé de laboratoire à Polytechnique, si M. Camara avait été un riche financier, la DPCP y aurait pensé deux fois avant de l’accuser d’une tentative de meurtre à partir de preuves circonstancielles.

L’affaire Camara n’est pas un exemple de profilage racial; c’est un cas de justice différenciée selon la couche sociale, c’est-à-dire un exemple de l’écart entre la justice pour les riches et celle pour les pauvres.

Références :
La DPCP et l’esprit de caste
Les tribunaux et la vieille au déambulateur
Rapport d’enquête administrative sur les circonstances entourant les événements ayant mené à l’arrestation, à la détention et à la mise en accusation de Mamadi III Fara Camara
Sept jours par pistolet

Complément de lecture : Comment on étouffe légalement une affaire (2023-02-04)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Sept jours par pistolet

Publié le 17 juillet 2021 | Temps de lecture : 3 minutes

Introduction

Plus tôt cette semaine, le juge Bertrand St-Arnaud condamnait à cinq ans de prison un ex-conseiller financier chez Desjardins qui avait voulu écouler sur le marché noir québécois près de 250 armes de poing achetées aux États-Unis.

Tout indique que l’accusé n’avait pas l’intention d’assassiner quelqu’un, de commettre des vols à main armée, ou de menacer des citoyens respectables. Son seul but était de faire de la contrebande d’armes.

La culpabilité des contrebandiers

Est-ce qu’on innocente celui qui commandite un meurtre sans le commettre lui-même ? Évidemment pas; on juge plus sévèrement celui qui ordonne que celui qui obéit.

De la même manière, toute personne qui, en toute connaissance de cause, rend possible des centaines de meurtres est plus coupable que celui qui en commet un seul.

Afin de dissuader la contrebande d’armes à feu, il est essentiel que les tribunaux soient impitoyables envers ceux qui s’y adonnent.

Dans son jugement, le juge St-Arnaud ne semble pas avoir tenu compte de cela.

Invoquant l’absence d’antécédents criminels de l’accusé, la reconnaissance de sa culpabilité, ses remords qui semblent sincères, la détention risquée de l’accusé en temps de pandémie, le juge a imposé une sanction qui équivaut à sept jours de prison par pistolet.

Une farce.

Cette clémence s’explique par le jeu de compromission qui se joue dans les antichambres de l’appareil judiciaire.

En échange d’un plaidoyer de culpabilité et du consentement à la confiscation du lieu du crime — la maison à cheval sur la frontière canado-américaine achetée tout spécialement par l’accusé pour faciliter sa contrebande,— la poursuite et la défense se sont entendues pour réclamer d’un commun accord une sanction particulièrement clémente. Ce à quoi le juge a consenti. Ce qu’il n’était pas tenu de faire.

Conclusion

Alors que la ministre de la Sécurité publique du Québec, Geneviève Guilbault, est préoccupée par la hausse importante des incidents impliquant des armes à feu dans la région de Montréal, voilà qu’un juge impose une sanction molle et insignifiante à la suite de la plus importante saisie d’armes au Québec depuis des années.

Allouer cinq-millions$ en vue de la création d’une équipe policière dédiée à la lutte contre le trafic d’armes d’une part, et d’autre part consentir implicitement à ce que les tribunaux sabotent les efforts des policiers pour nous protéger, cela n’est pas logique.

Du coup, on devrait s’attendre à ce que le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, porte cette cause en appel et réclame la prison à perpétuité pour ce contrebandier.

Voilà comment faire réfléchir tous ceux qui songeraient à l’imiter.

Références :
Trafic d’armes : William Rainville écope de cinq ans de prison
Québec viendra en aide à Montréal dans la lutte contre le trafic d’armes à feu
William Rainville plaide coupable et est condamné à cinq ans

Parus depuis :
Fusillades à Montréal : « Assez, c’est assez! » dit le SPVM (2021-08-04)
« Leur magot, ils l’ont investi dans des armes à feu » (2021-12-08)

Complément de lecture : Pourquoi les juges entérinent-ils parfois à contrecœur certaines peines clémentes ? (2025-01-19)

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Écrit par Jean-Pierre Martel