Une nuit de noce mystérieuse…

Publié le 24 février 2011 | Temps de lecture : 4 minutes
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De la mi-janvier au 7 septembre 1200, toutes les églises de France furent verrouillées sur ordre du pape Innocent III. Pendant huit mois, pas une seule messe ne fut célébrée, aucun mariage ne fut consacré et tous les clochers du royaume demeurèrent silencieux.

À l’époque comme aujourd’hui, les saisons marquaient le passage du temps. Pour plus de précision, les fêtes des saints servaient de points de repère. Toutefois, il n’y avait pas suffisamment de saints pour meubler tous les jours du calendrier. Alors on disait « Nous nous marierons trois jours avant la St-Jean-Baptiste ». Sans messe dominicale, plus personne n’était certain de savoir quel jour de la semaine on était. Bref, ces huit mois furent interminables.

Mais quelle mouche avait donc piqué le pape pour qu’il en vienne à prendre une telle décision ? Une affaire de coeur, évidemment.

À l’âge de quinze ans, le roi Philippe II de France (1165 – 1223) épouse Isabelle de Hainaut. Celle-ci lui donne un héritier en 1187 et décède trois ans plus tard en donnant naissance à des garçons jumeaux qui ne vécurent pas.

En 1193, le roi de France épouse en secondes noces la jeune sœur du roi du Danemark, Ingeburge (1174 – 1236). Le lendemain de leur nuit de noce, Philippe II veut renvoyer sa nouvelle épouse : il demande aux ambassadeurs du Danemark de repartir avec elle. Évidemment ceux-ci, soumis au roi du Danemark, ne peuvent exécuter un tel ordre.

On n’a jamais su ce qui s’était passé au cours de cette nuit d’août 1193. À ce jour, aucun historien n’a réussi à lever le mystère qui entoure cette nuit fatidique.

La reine fut enfermée aussitôt dans un couvent et le roi entama une procédure d’annulation de mariage. Cette requête fut accordée le 5 novembre 1193 par une assemblée d’évêques complaisants dirigée par l’archevêque de Reims (et oncle du roi de France).

Désormais libre de remarier, le roi cherche une troisième épouse. La situation d’Ingeburge étant connue dans toutes les cours d’Europe, Philippe a beaucoup de mal à convaincre les candidates de la pureté de ses intentions. D’autant plus que le pape Célestin III déclare l’annulation illégale le 13 mars 1195. Mais Philippe passe outre à la décision pontificale et se remarie le 1er juin 1196 avec une princesse flamande, Agnès de Méranie (1180 – 1201). Elle a seize ans, elle est belle et le roi est fou d’elle.

Le roi est soulagé d’apprendre le décès du pape Célestin III, le 8 janvier 1198. Mais la quiétude royale est rapidement troublée quand le nouveau pape, Innocent III, décide de faire respecter l’annulation de ce mariage décrétée par son prédécesseur. Pour le Vatican, ce mariage est d’autant plus inacceptable que techniquement, le roi de France est bigame. Le pape somme donc Philippe II de renvoyer sa troisième épouse et de donner à la deuxième la place qui lui revient. Le roi refuse catégoriquement.

Le 13 janvier 1200, coup de théâtre : le pape excommunie Philippe II et lance l’interdit sur le royaume de France, entrainant la suspension de toutes les activités du clergé (sacrementelles et liturgiques).

Le roi demeure inébranlable. Mais ses conseillers sont inquiets. Le peuple ne comprend pas la rébellion du roi contre l’autorité de l’Église. La situation risque de créer des émeutes. La noblesse commence à s’agiter : des jeux de coulisse se trament dans le dos du roi. Des rumeurs de complots se multiplient. Philippe II finit par se soumettre, fait revenir Ingeburge. Mais il l’enferme aussitôt à Dourdan et reste auprès d’Agnès de Méranie. Toutefois, cette dernière meurt en donnant au roi un deuxième héritier mâle, en juillet 1201.

Philippe reprend la procédure d’annulation du mariage en 1205, cette fois sur motif de non consommation. Constatant définitivement que ces projets débouchent sur une impasse gênante, le roi se résigne et met fin brutalement aux négociations de rupture en 1212 : la malheureuse Ingeburge reprend alors sa place, non pas d’épouse, mais de reine, toujours vierge après neuf ans de mariage.

Références :
Agnès de Méranie
Ingeburge de Danemark
Philippe II de France

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectif M.Zuiko 12-40mm F/2,8 — 1/60 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 16 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’historien Henri Guillemin revit

Publié le 5 novembre 2010 | Temps de lecture : 2 minutes
© 1980 — TSR : Image tirée de la série « L’affaire Pétain »

Dans les deux décennies qui ont précédé son décès, survenu en 1992, le professeur Henri Guillemin avait réalisé pour le compte de la Télévision suisse romande (TSR), plusieurs séries d’émissions portant principalement sur l’histoire de France.

Ces émissions d’environ trente minutes chacune avaient été reprises par différentes chaines francophones dont Radio-Canada.

Un seul qualificatif résume ses conférences : brillantes ! Doué d’une mémoire phénoménale, le professeur Guillemin savait captiver son auditoire par le seul moyen de son élocution.

Polémiste et anticonformiste, usant du sarcasme et de la médisance comme peu d’historiens osent le faire, le professeur Guillemin déboulonnait les statues érigées à la gloire des tyrans et récompensait les véritables héros de son admiration non-dissimulée.

À écouter cet historien, on a constamment l’impression d’être le confident de secrets d’État. Pourtant son récit est parsemé d’anecdotes en apparence anodines, mais qui s’avèrent pertinentes à la compréhension intime de l’Histoire.

Ces conférences filmées, où l’orateur est enregistré en plan fixe, datent d’une autre époque. Mais pour quiconque peut s’astreindre à cette rigueur, la récompense est le récit passionnant d’un historien exceptionnel.

Émissions disponibles sur l’internet :
Jeanne-d’Arc (13 épisodes)
La Commune de Paris de 1871 (13 épisodes)
La Révolution française (un épisode de la série La Commune de Paris)
Napoléon (15 épisodes)
• L’affaire Dreyfus — Première, deuxième, et troisième parties
L’autre avant-guerre : 1871 – 1914 (13 épisodes)
La guerre est là (Première guerre mondiale)
• Lénine — Première et deuxième parties
L’affaire Pétain (13 épisodes)

Émissions disponibles en DVD :
Napoléon (1 DVD)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le Vatican et la vie

Publié le 28 mai 2010 | Temps de lecture : 3 minutes

Après avoir qualifié l’avortement de crime lors d’un discours prononcé devant un groupe opposé à l’interruption volontaire de la grossesse, le cardinal Ouellet nuance : c’est un désordre moral. En s’exprimant ainsi, le cardinal n’émet pas seulement un point de vue personnel; il parle au nom de l’Église catholique dont c’est la position officielle. De nos jours, cette dernière est un défenseur de la vie et ce, dès le moment de la conception. Toutefois, cet appui inconditionnel à la vie est relativement récent.

À l’époque où on brulait les sorcières, on ne se souciait pas de savoir si elles étaient enceintes. Si elles l’étaient, les flammes purificatrices du bûcher faisaient alors une pierre deux coups puisqu’on se débarrassait également du fruit du péché ou d’un enfant du diable puisque tout le monde sait que les sorcières s’accouplent avec Satan en personne…

Durant l’Inquisition espagnole, qui fit des milliers de morts, l’Église catholique n’était pas particulièrement obsédée par le respect de la vie, alors que ses Dominicains soumettaient les accusés à la question (c’est-à-dire à la torture) ou les condamnaient à mort. En fait, jusque vers 1600, toute conversion à une religion autre que chrétienne était passible de la peine de mort en Espagne.

Durant le massacre de la Saint-Barthélemy, en 1572, l’Église n’a pas levé le petit doigt pour calmer l’ardeur des exterminateurs catholiques contre les Huguenots français.

Au cours de la croisade contre les Cathares (des hérétiques du Sud de la France, au XIIIe siècle), Arnaud Amalric, le légat du pape, écrit à Innocent III au sujet du massacre de Béziers, en 1209 : « Les nôtres, n’épargnant ni le sang, ni le sexe, ni l’âge, ont fait périr par l’épée environ 20 000 personnes et, après un énorme massacre des ennemis, toute la cité a été pillée et brulée. La Vengeance Divine a fait merveille. »

C’est seulement après la séparation entre l’État et l’Église, que cette dernière ne pouvait plus se servir de l’appareil répressif de l’État (l’armée, la police, les tribunaux, les prisons et les bourreaux) pour lui faire faire la sale besogne. Privée de tout moyen de punir à part l’excommunication et la menace effrayante des feux de l’enfer, l’Église s’est redéfinie comme une religion d’amour et de pardon.

En conclusion, je ne reprocherai jamais à quelqu’un d’avoir des principes moraux. Toutefois, ce que je regrette, c’est cette manie de certains de vouloir imposer leurs principes à ceux qui ne les partagent pas. De plus, je me demande quel amour peut escompter le nourrisson affamé qui pleure, alors que ses cris incessants rappellent à sa mère ceux du géniteur au moment du viol qu’elle a subit.

Références :
Inquisition espagnole
Le débat sur l’avortement est rouvert et doit le rester, dit le cardinal Ouellet
Le fin mot de l’histoire: «Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens.» – Arnaud Amaury
Massacre de la Saint-Barthélemy

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Musée Éden et l’iPod de Charlemagne

Publié le 19 mai 2010 | Temps de lecture : 3 minutes
© 2010 — Toxa/Sovimage (image tirée d’un épisode sur Tou.TV)

Depuis déjà deux mois, j’écoute la série télévisée « Musée Éden » sur le site Tou.tv.

Ce téléroman est absolument extraordinaire. Le scénario est plein de rebondissements, la photographie est exceptionnelle, les acteurs généralement excellents, bref tout y est admirable. Chaque épisode a d’ailleurs coûté près d’un million de dollars (600 000 euros). Le neuvième et dernier épisode de la première saison se termine par un plan qui est l’un des plus beaux que j’ai vus à la télé de toute ma vie.

L’histoire tourne autour d’un musée ayant réellement existé au début du XXe siècle et sur l’hypothèse selon laquelle certains des meurtres de Jack l’Éventreur auraient été commis par un médecin montréalais d’origine écossaise.

Évidemment, c’est un téléroman de gars, avec des personnages plus grands que nature, une histoire sadique à souhait, un univers brutal et sale, mais aussi deux histoires d’amour en parallèle afin d’humaniser un peu le propos.

L’écueil de n’importe quel téléroman dont l’action se situe dans le passé, c’est l’anachronisme, par exemple Charlemagne écoutant son iPod.

Dans « Musée Éden », l’anachronisme, c’est cette montre que porte le comédien Jean-Nicolas Verreault (jouant le rôle de l’époux de la propriétaire du musée) dans le huitième épisode de la sérié (photo ci-dessus).

Donc, nous somme à Montréal en 1910. À cette époque, les hommes ne portent pas encore de montre-bracelet, mais plutôt des montres de gousset (ou montres de poche).

À la fin du XIXe siècle, on avait bien inventé des montres-bracelet pour femme mais lorsqu’on a voulu en faire pour homme, plusieurs années plus tard, ce fut un échec commercial retentissant, les hommes refusant d’en porter puisque cela faisait trop efféminé selon eux.

C’est seulement lors de la Première guerre mondiale, qu’on s’est rendu compte des inconvénients de la montre de poche.

En effet, lorsqu’on devait coordonner l’attaque simultanée de soldats de plusieurs tranchées contre des positions hostiles, on devait déclencher cette attaque à un moment très précis. Imaginez le soldat, chargé comme un mulet, qui doit déboutonner son long manteau imperméable — appelé « Trench-coat » du mot « Tranchée » — afin de consulter sa montre de gousset, puis reboutonner son manteau d’une main, tenant peut-être son fusil de l’autre, et finalement qui gravit l’escalier qui lui permet de sortir de sa tranchée pour s’exposer au feu de l’ennemi…

D’où l’habitude qu’on a prise alors d’attacher, à l’aide de lanières de cuir, sa montre à son poignet. On trouve encore aujourd’hui sur eBay de ces vieilles montres, énormes, datant de cette époque. Évidemment, après la guerre, la mode de la montre-bracelet s’est imposée d’elle-même.

Donc une montre-bracelet pour homme en 1910, c’est un peu comme l’iPod de Charlemagne…

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Écrit par Jean-Pierre Martel