La rue Amherst ou l’art masochiste d’honorer nos conquérants

Publié le 17 septembre 2017 | Temps de lecture : 4 minutes


 
Introduction

Depuis 1817, une des rues nord-sud les plus importantes de Montréal porte le nom d’Amherst.

Cette semaine, le maire de Montréal a fait connaitre son intention de faire en sorte que cette rue soit renommée.

Rappel historique

Jeffery Amherst était l’ultime responsable des opérations militaires lors de la conquête anglaise de la Nouvelle-France.

En remontant le Saint-Laurent vers Québec, le général Wolfe fit détruire, en aout et septembre 1759, la moitié des villes et incendier la plupart des exploitations agricoles (plus de 4 000). Son supérieur, Amherst, était parfaitement au courant de ce qui se passait.

Amherst ne lui en avait pas spécifiquement donné l’ordre. Parce que tout cela était de la routine; c’était comme ça qu’opéraient les armées anglaises en temps de guerre.

Le révérend James Gibson, aumônier naval des forces britanniques, écrivait : « Je crains que la campagne militaire ne se solde par la ruine totale de ce pays. Nous avons brulé tous les champs de blé sur pied et toutes les maisons sur trente milles de chaque côté du fleuve, ce qui veut dire toutes les terres habitées jusqu’à Québec.»

Avant de prendre la ville d’assaut, Wolfe fit bombarder Québec durant deux mois et demi; les bombes incendiaires anglaises étaient dirigées spécifiquement contre la population civile de la Haute-Ville, plutôt que contre les batteries françaises de la Basse-Ville.

Après la chute de Québec et la reddition sans affrontement de Montréal, Amherst dut faire face à la révolte indienne du chef Pontiac.

Amherst donne alors l’ordre suivant : « Vous feriez bien d’infecter les Indiens au moyen de couvertures ayant servi à des vérolés ou de vous servir de tout autre moyen qui pourrait contribuer à exterminer cette race maudite.»

Même s’il est généralement admis que les armées britanniques ont utilisé l’arme bactériologique pour décimer les Autochtones, on ne possède pas de preuve que l’ordre d’Amherst, lui, a été exécuté. Ni de preuve à l’effet contraire.

Pourquoi nomme-t-on les rues ?

Certains opposants au changement du nom de la rue Amherst font valoir qu’assumer les épisodes douloureux de notre Histoire au lieu de les nier est un signe de maturité.

D’autres soulignent que si Amherst est un criminel de guerre selon nos critères d’aujourd’hui, on a tort d’appliquer rétroactivement nos valeurs morales pour juger les personnages du passé.

Ce qui nous amène à nous demander pourquoi on donne le nom de personnes célèbres à des rues, à des immeubles ou à des places publiques.

On n’honore jamais l’être humain. Que d’Iberville ait refusé de respecter les obligations de sa paternité, que Claude Jutras ait été pédophile, que Jean Talon ronflait au lit ou que Champlain ne se brossait pas les dents, tout cela n’a aucune importance.

En les nommant ainsi, on honore plutôt l’œuvre du personnage. Nous exprimons notre reconnaissance pour ce qu’ils ont fait de bien pour nous.

Voilà pourquoi il n’existe pas de rue Jeanne-d’Arc ni de rue Bonaparte à Londres. Mais il en existe à Paris. Et inversement, il y a une gare Waterloo à Londres, mais pas à Paris.

Cette commémoration sert également à affirmer fièrement : « Voilà comment des gens issus de cette nation peuvent être grands.» C’est implicitement un appel au dépassement pour chacun d’entre nous.

Par contre, qu’on oblitère les noms de nos conquérants (Amherst, Wolfe, etc.), cela est la moindre des choses pour tout peuple qui se respecte. Leur place est exclusivement dans nos manuels d’histoire, où leurs actions seront mises en perspective.

Références :
Jeffery Amherst
Bonne conscience à peu de frais
Jeffrey Amherst, 1st Baron Amherst
L’époque troublée du premier Irlandais au Canada
Le Régime britannique
Montréal veut reléguer Amherst aux oubliettes
Siège de Québec (1759)


Post-Scriptum : En juin 2019, la ville de Montréal a décidé de renommer la rue Amherst ‘rue Atataken’. Ce qui signifie Fraternité en mohawk.

Référence : La rue Amherst devient la rue Atateken (2019-06-21)

Laissez un commentaire »

| Histoire | Mots-clés : | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


‘Vive le Québec libre’

Publié le 15 juillet 2017 | Temps de lecture : 10 minutes

Le 24 juillet prochain marquera le cinquantième anniversaire du ‘Vive le Québec libre’ prononcé du haut du balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal par le général de Gaulle.

Avant les vivats

À l’Expo 67, la France était représentée par un pavillon imposant (aujourd’hui occupé par le Casino de Montréal).

En raison de la tenue de cette exposition universelle, plusieurs chefs d’État s’étaient rendus à Montréal dont le président de la République française.

Le général avait préféré effectuer la traversée de huit jours de l’Atlantique en bateau. Ceci dans le but exprès de visiter la capitale québécoise avant la capitale canadienne, contrairement à ce qu’aurait exigé le protocole s’il avait utilisé l’avion.

Déjà le 23 juillet 1967, la veille de son célèbre discours, le général avait tenu à Québec des propos annonciateurs de ce qui allait suivre.

Lors d’un diner officiel au Château Frontenac, en présence du premier ministre Daniel Johnson, de Gaulle déclarait :

« On assiste ici, comme dans maintes régions du monde, à l’avènement d’un peuple qui, dans tous les domaines, veut disposer de lui-même et prendre en main ses destinées.»

Distrait par la majesté du personnage, personne dans l’assistance n’a réalisé l’énormité de ce qu’il venait de dire.

Ce plaidoyer en faveur de l’autodétermination du Québec, le général le répètera à Louiseville, sur le Chemin du Roy :

« Je vois. Je sens. Je sais qu’à Louiseville en particulier — comme dans tout le Québec, dans tout le Canada français — une vague se lève.

Cette vague, c’est une vague de renouveau.

C’est une vague de volonté pour que le peuple français du Québec prenne en main ses destinées.»

Pour l’anecdote

Dans les années qui suivirent, les stratèges fédéraux — toujours heureux de réécrire l’Histoire à leur manière — tentèrent de minimiser la portée des propos de De Gaulle.

Officiellement, le programme de la journée ne prévoyait pas que de Gaulle s’adresse à la foule amassée devant l’Hôtel de Ville. Mais le général insiste.

D’un air désolé, le maire Drapeau lui dit :
— « C’est bien dommage, mon général, mais y a pas de micro.»

Et par un hasard mystérieux dont seule l’Histoire connait le secret, l’attention du général est attirée vers une magnifique gerbe de fleurs au rebord du balcon : or cette gerbe est surmontée d’un micro.

— « Et ça, monsieur le maire, ce n’est pas un micro ?»
— « Euh… oui mon général mais il est débranché.»

En entendant cela, un technicien de Radio-Canada — qui est aussi organisateur libéral dans ses temps libres — intervient pour offrir ses services :
— « Oh c’est pas grave, monsieur le maire; je peux vous le rebrancher.»

Alors que ni la spontanéité ni l’impulsivité ne sont des caractéristiques connues du général, ce dernier se serait laissé emporté, dit-on, par l’enthousiasme de la foule et aurait prononcé l’irréparable.

Selon cette version très répandue, le général aurait donc improvisé un discours alors qu’il était fatigué et, en s’inspirant du texte d’une banderole dans la foule, n’aurait pas réalisé qu’il commettait une gaffe diplomatique.

Voici une autre version des faits.

Le 31 janvier 1969, à l’occasion d’un voyage organisé à Ottawa par le Club des relations internationales, je m’étais retrouvé — moi, simple étudiant universitaire — en présence de l’honorable Gérard Pelletier, alors secrétaire d’État du Canada.

Interrogé au sujet de la célèbre déclaration de De Gaulle, l’ex-journaliste nous avait révélé, à notre grand étonnement, qu’il était présent aux côtés du général sur le balcon de l’Hôtel de Ville.

Selon lui, toute cette affaire découlait d’un malentendu.

Abaissant le ton comme s’il allait nous révéler un secret d’État, M. Pelletier avait soutenu que la déclaration complète du général était plutôt ‘Vive le Québec libre… dans un Canada uni’ mais que ses derniers mots s’étaient perdus en raison d’une panne de micro.

En entendait cela, j’imaginais le maire Drapeau, dans l’ombre, qui débranche le fil au mauvais moment.

Croyant à tort qu’il s’agissait-là d’une plaisanterie, je n’avais pu retenir un éclat de rire, créant ainsi un malaise dans mon entourage et provoquant l’air outré du ministre Pelletier.

En réalité, de Gaulle disait ceci :

« Je vais vous confier un secret que vous ne répèterez pas.

Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre… que celle de la Libération.

Et tout le long de ma route, outre cela, j’ai constaté quel immense effort de progrès, de développement et, par conséquent d’affranchissement, vous accomplissez ici. (…)

La France entière sait, voit, entend, ce qui se passe ici. Et je puis vous dire qu’elle en vaudra mieux.

Vive Montréal. Vive le Québec.

Vive le Québec libre !

Vive le Canada français. Et vive la France.»

De retour en France, de Gaulle confiera :

« Ah ! Si vous aviez vu cet enthousiasme. Ils s’attendaient à un appui de la France pour les aider. J’ai donc déclenché le contact.

En fait, il se peut que cela ait été un peu prématuré… Mais je suis vieux, c’était l’occasion ou jamais.

Qui d’autre, après moi, aurait eu le culot de dire cela si je ne l’avais pas dit ?»

Le contexte politique québécois

C’est au cours du mois de novembre suivant que sera créé le Mouvement Souveraineté-Association.

Au moment du discours du général, l’Union Nationale — un parti politique aujourd’hui disparu — est au pouvoir. Le Parti libéral du Québec (PLQ) est dans l’opposition. Le seul parti indépendantiste, le Rassemblement pour l’indépendance du Québec (RIN), n’a pas réussi à faire élire un député.

À l’époque, le RIN était capable de mobiliser des milliers de personnes. Mais avec seulement 3 000$ en caisse, le Conseil central du RIN décide d’exclure toute manifestation importante pour souligner la visite du général de Gaulle.

Tout au plus, les responsables montréalais mobiliseront quelques centaines de personnes dispersées parmi la foule de milliers de curieux devant l’Hôtel de Ville. Les partisans manifesteront leur présence grâce à des pancartes où on pourra lire ‘RIN’ et ‘Québec libre’.

Quand de Gaulle déclare ‘Vive le Québec libre’, il cite un slogan du RIN. Dans la foule, même les partisans de cette formation politique n’en croient pas leurs oreilles.

L’accélération de l’Histoire

La visite du général est écourtée. Le gouvernement fédéral est furieux. La visite de De Gaulle à Ottawa est annulée. Dans les faits, ce dernier est expulsé du pays.

À Québec, les députés du PLQ condamnent l’intervention de De Gaulle dans les affaires intérieures du pays. Seul le député libéral François Aquin fait exception. Quatre jours plus tard, il quitte le PLQ pour siéger comme indépendant.

Le 2 aout 1967, trois-mille partisans du RIN entonnent La Marseillaise au cours d’un rassemblement à Montréal.

Porté par cette ferveur nationaliste, René Lévesque dévoile publiquement, le 18 septembre 1967, le cadre constitutionnel canadien qu’il souhaite faire adopter le mois suivant au congrès du PLQ.

Beaucoup plus tard, René Lévesque qualifiera ce cadre de ‘manifeste souverainiste’. Il y propose…

…un régime dans lequel deux nations (…) s’associent librement dans une adaptation originale de la formule courante des marchés communs, formant un ensemble qui pourrait, par exemple (…) s’appeler l’Union canadienne.

Mais le 14 octobre, la proposition de René Lévesque est battue. Le débat est à ce point acrimonieux qu’avant même la tenue de ce vote à main levée, René Lévesque annonce aux congressistes qu’il démissionne du PLQ. Sous les huées, il quitte aussitôt la salle accompagné de soixante personnes.

Un mois plus tard, les 18 et 19 novembre, à l’appel de René Lévesque, quatre-cents délégués fondent le Mouvement Souveraineté-Association (MSA), précurseur du Parti Québecois.

Pour justifier à postériori, son manque d’enthousiasme de l’époque face à la déclaration du général, René Lévesque écrira en 1970 :

« Au moment où de Gaulle passait au balcon, nous étions au contraire tout un groupe à terminer un manifeste souverainiste sur lequel nous n’avions pas eu l’occasion de le consulter !

Je me rappelle que le cri gaulliste — dont la valeur ‘publicitaire’ demeure inestimable — eut même pour effet de retarder un peu notre démarche. Nous ne voulions pas qu’elle parût accrochée à cette intervention du dehors, si prestigieuse fût-elle.»

Les quatre mois qui ont changé l’histoire du Québec

Entre le ‘Vive le Québec libre’ et la fondation du MSA, il ne s’est écoulé que quatre mois.

À l’étranger, le mouvement indépendantiste n’était connu que par les bombes que des terroristes avaient fait exploser au Québec quelques années plus tôt.

Par ce discours du général, la France annonce officiellement qu’elle est favorable à la création d’un État indépendant au Québec.

Parmi les intellectuels francoQuébécois, on passe soudainement du pleurnichage contre cette France monarchique qui a abandonné le Québec au lendemain de la conquête anglaise, à la joie face à cette France républicaine, soucieuse d’accompagner le Québec dans ses choix.

Au-delà des attitudes bienveillantes, la coopération franco-québécoise connait à partir de 1967 un essor remarquable.

Le général de Gaulle n’a pas provoqué l’émergence du nationalisme québécois. Il a servi d’accélérateur à un bouillonnement plus ou moins clandestin qui devait émerger de toute manière et dont l’élan sera stoppé beaucoup plus tard par deux défaites référendaires.

Références :
En 1967, le général de Gaulle lançait le célèbre « Vive le Québec libre »
Le général de Gaulle de René Lévesque
Les agapes du général de Gaulle au Château Frontenac en 1967
Mouvement Souveraineté-Association

Secrets d’Histoire
L’intégrale du discours du général

Laissez un commentaire »

| Histoire | Mots-clés : , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Ô Canada et la laïcité

Publié le 30 juin 2017 | Temps de lecture : 4 minutes

Tous les Canadiens adultes connaissent le premier couplet de l’Ô Canada, appris à l’école et chanté en ouverture de joutes sportives.

Il est basé sur un poème écrit en 1880 par l’écrivain et avocat Adolphe-Basile Routhier. Longtemps chant patriotique des Canadiens français, il ne sera reconnu officiellement comme l’hymne national du Canada qu’en 1980.

Son premier couplet — le seul généralement connu — est le suivant :

Ô Canada ! Terre de nos aïeux,
Ton front est ceint de fleurons glorieux !
Car ton bras sait porter l’épée,
Il sait porter la croix !
Ton histoire est une épopée
Des plus brillants exploits.
Et ta valeur, de foi trempée,
Protégera nos foyers et nos droits,
Protégera nos foyers et nos droits.

Contrairement à beaucoup d’autres, cet hymne n’est pas un chant militaire ni un appel aux armes. Toutefois, il est fortement teinté par les valeurs culturelles des Canadiens français du XIXe siècle.

Dans les strophes généralement ignorées — mais qui font également partie de l’hymne national — on y parle d’un fleuve géant (le Saint-Laurent), du patron religieux des Canadiens-français (Saint Jean Baptiste), du vrai Dieu (celui des Chrétiens, évidemment), et on y proclame sa loyauté envers Jésus de Nazareth et le roi d’Angleterre.

Quant à la race dont il est question — qui se distingue des races ‘étangères’ — il s’agit de cette population, bénie de Dieu, qui a pris racine le long de ce fleuve et qui est protégée par un même patron religieux. En somme, il s’agit de la ‘race canadienne-française’, conformément à la manière de s’exprimer du temps.

Aujourd’hui, on parlerait plutôt du peuple canadien-français.

Voici les autres strophes :

Sous l’œil de Dieu, près du fleuve géant,
Le Canadien grandit en espérant.
Il est né d’une race fière,
Béni fut son berceau.
Le ciel a marqué sa carrière
Dans ce monde nouveau.
Toujours guidé par sa lumière,
Il gardera l’honneur de son drapeau,
Il gardera l’honneur de son drapeau.

De son patron, précurseur du vrai Dieu,
Il porte au front l’auréole de feu.
Ennemi de la tyrannie
Mais plein de loyauté,
Il veut garder dans l’harmonie,
Sa fière liberté.
Et par l’effort de son génie,
Sur notre sol asseoir la vérité,
Sur notre sol asseoir la vérité.

Amour sacré du trône et de l’autel,
Remplis nos cœurs de ton souffle immortel !
Parmi les races étrangères,
Notre guide est la loi :
Sachons être un peuple de frères,
Sous le joug de la foi.
Et répétons, comme nos pères,
Le cri vainqueur : « Pour le Christ et le roi ! »
Le cri vainqueur : « Pour le Christ et le roi ! ».

En découvrant la totalité de l’hymne, on réalise que les valeurs ‘québécoises’ actuelles n’ont pas toujours été dominantes. C’est ainsi que dans l’esprit de nos aïeuls, Dieu et la Patrie étaient intimement liés.

Strictement parlant, les ‘valeurs québécoises’ n’existent pas. Ce sont plutôt des valeurs occidentales auxquelles le Québec a adhéré assez tardivement.

De nos jours, nous les partageons avec le reste de l’Occident. L’hymne national témoigne donc que cela n’a pas toujours été le cas. Un hymne qui, soit dit en passant, a très mal vieilli.

Références :
Le nationalisme de peccadille de la CAQ
Ô Canada

Laissez un commentaire »

| Histoire | Mots-clés : , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


L’époque troublée du premier Irlandais au Canada

Publié le 3 avril 2017 | Temps de lecture : 6 minutes

Le premier Irlandais à s’établir en Nouvelle-France fut Tadhg-Cornelius O’Brennan.

O’Brennan est la forme anglicisée de Ua Braonáin. En gaélique, ce nom signifie descendant de Braonáin. Il s’agit d’un clan établi en Osraige, un royaume celte qui — du Ier au XIIe siècle — s’étendait sur une bonne partie du comté actuel de Fassadinin, en Irlande (en vert pâle sur la carte ci-dessous).

Né en 1632 à Dysart-on-the-Dinen (aujourd’hui appelé Dysart Glebe), il immigre au Canada en 1661.

À l’époque, Canada est le nom porté par une des trois colonies de la Nouvelle-France. Vaguement délimitée, elle correspond à la vallée du Saint-Laurent. Les deux autres sont l’Acadie et de la Louisiane.

Quelles sont les raisons qui ont motivé Tadhg-Cornelius O’Brennan à quitter son pays ?

Cliquez sur l’image pour l’agrandir

Dans les décennies qui ont précédé sa naissance, la couronne anglaise avait entrepris la colonisation de l’Irlande; on dépossédait les Irlandais de leurs terres afin de les confier à des colons anglais.

La carte ci-dessus s’arrête à 1620. On y voit que la baronnie de Fassadinin (dans laquelle est localisé Dysart-on-the-Dinen) n’était pas touchée par ces confiscations massives.

Toutefois, cette colonisation s’est poursuivie sous Charles Ier. C’est précisément sous son règne que les O’Brennan furent dépossédés de leurs terres au profit de Christopher Wandesford.

Ce dernier était un membre influent du parlement anglais. Après avoir été nommé Garde des Sceaux d’Irlande, celui-ci s’est servi de cette position pour prouver en 1635 — Tadhg-Cornelius O’Brennan n’avait que quatre ans — que les O’Brennan n’avaient aucun droit de propriété sur les terres qu’ils habitaient depuis des siècles.

En somme, les O’Brennan subirent le même sort que celui des Métis du Manitoba, quelques siècles plus tard.

Cette dépossession les poussa à la clandestinité et à la résistance armée. Tadhg-Cornelius O’Brennan passa donc la majorité de son enfance et de son adolescence dans le maquis.

De nos jours, les citoyens qui s’opposent à l’envahissement de leur pays par des troupes américaines ou britanniques sont qualifiés de ‘terroristes’.

À l’époque, les Irlandais qui s’opposaient à la colonisation de leur pays étaient sanctionnés par les tribunaux anglais en tant que malfaiteurs et fauteurs de trouble. Ce fut le cas des O’Brennan.

En 1641, près de 125 000 colons anglais s’installent en Irlande, ce qui déclenche la Rébellion irlandaise.

Au cours de cette rébellion, des milices catholiques réglèrent leurs comptes avec les colons anglais. Des milliers d’entre eux furent massacrés.

Les Irlandais catholiques s’étaient regroupés au sein d’une confédération dont le siège était situé à Kilkenny, au centre de la baronnie de Fassadinin.

Les troupes envoyées par Charles Ier pour rétablir l’ordre en 1642 furent victorieuses. Mais pas complètement. Elles auraient totalement anéanti les rebelles irlandais n’eut été du déclenchement in extrémis de la guerre civile anglaise cette même année.

Les troupes anglaises furent donc rapatriées aussitôt, ce qui sauva miraculeusement la Confédération de Kilkenny.

Si, du point de vue anglais, le dossier irlandais était en suspens, en réalité les Catholiques et les Protestants se livrèrent à un nettoyage ethnique qui concentra leur population respective dans différents parties de l’ile.

Dans le vide laissé par le départ des troupes royales, la Confédération de Kilkenny étendit son autorité sur environ les deux tiers de l’ile.

Elle gouverna jusqu’en 1649 dans un contexte de tensions interreligieuses qui s’atténua lorsque la confédération prêta allégeance (du bout des lèvres) au roi d’Angleterre.

C’est durant cette période que des négociations furent entreprises en vue de la restitution des biens confisqués aux O’Brennan.

Mais le 30 janvier 1649, Oliver Cromwell fait décapiter Charles Ier. Farouchement anticatholique, Cromwell se trouve en situation conflictuelle avec les confédérés (théoriquement) royalistes d’Irlande.

Cromwell envahit l’Irlande le 22 juin 1649, à la tête d’une armée de 12 000 soldats.

Durant l’année que dura la reconquête de l’ile, entre le tiers et la moitié de la population de l’Irlande fut massacrée. Les registres paroissiaux des naissances, baptêmes, mariages et décès furent systématiquement détruits.

En 1650, on interdit aux marchands catholiques d’Irlande d’exercer des activités commerciales, les condamnant à la ruine.

En 1652, lorsque l’armée irlandaise capitule, environ 30 000 rebelles furent autorisés à partir pour la France ou l’Espagne tandis que des milliers d’autres Irlandais, hommes, femmes et enfants, furent déportés aux Antilles.

À 24 ans, Tadhg-Cornelius O’Brennan fait partie des rebelles déportés en France en 1652.

À l’époque, la Compagnie des Cent-Associés, responsable du peuplement de la Nouvelle-France, peine à trouver des volontaires pour l’Amérique.

En effet, les colons français ont créé des relations harmonieuses avec tous les peuples autochtones sauf les Iroquois. Or ces derniers mènent une guérilla incessante contre les colons français et ne seront pacifiés qu’en 1667.

Tadhg-Cornelius O’Brennan en a vu d’autres. Il a vécu toute sa jeunesse menacé par des ennemis. Il s’inscrit donc comme volontaire pour le Canada. Il y arrive en 1661.

À son arrivée au pays, Tadhg-Cornelius O’Brennan n’est pas un Anglophone puisqu’avant la Grande Famine, les Irlandais parlaient le gaeilge (le gaélique irlandais, une langue celte). Toutefois, il parle aussi français en raison de son séjour en France.

Comme la grande majorité des gens de son temps, M. O’Brennan est analphabète. Au recensement du 30 juin 1663, le recenseur l’inscrit phonétiquement sous le nom de ‘Thècle-Cornelius Aubrenan’.

Parmi les 3 035 habitants de la Nouvelle-France, seulement six ne sont pas nés en France ni dans la colonie. L’un d’eux est irlandais : c’est lui.

En 1670, il épouse Jeanne Chartier, fille du Roy née à Paris.

Au recensement de 1681, on le retrouve inscrit sous le nom de Jacques Tecaubry. Toutefois c’est sous une variante de ce nom, Aubry, que s’appelleront ses sept enfants.

Ces derniers eurent une abondante progéniture. Si bien que de nos jours, la majorité des Aubry du Canada et des États-Unis descendent de lui plutôt que d’un Aubry venu de France (puisque ce patronyme existe dans ce pays).

Références :
Cerball mac Dúnlainge
Christopher Wandesford
Confédération irlandaise
Conquête cromwellienne de l’Irlande
Guerres confédérées irlandaises
Histoire de l’Irlande
Irlande (pays)
Nos ancêtres
Osraige
Plantations en Irlande

Sur un sujet analogue :
As the toll of Australia’s frontier brutality keeps climbing, truth telling is long overdue (2019-03-03)

11 commentaires

| Histoire | Mots-clés : , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


L’enseignement de l’histoire du Québec

Publié le 5 novembre 2016 | Temps de lecture : 8 minutes

De 1982 à 2006

Pendant un quart de siècle, l’enseignement de l’histoire au Québec ne s’est étalé que sur une seule année du secondaire.

En 1996, le rapport Lacoursière suggérait une augmentation du nombre d’heures d’enseignement de l’histoire du Québec.

À la suite de ce rapport, la gestation du cours Histoire et éducation à la citoyenneté prit une décennie. Ce fut long parce que cette gestation s’est faite parallèlement à la mise au point du Renouveau pédagogique.

Celui-ci est une vase réforme destinée à axer l’éducation sur le développement de l’aptitude à apprendre plus que sur l’apprentissage lui-même; les élèves sont évalués selon leurs compétences transversales (une notion subjective, difficile à évaluer) plutôt que sur leur acquisition de la connaissance (c’est-à-dire la mémorisation des faits, facilement vérifiable).

De plus, l’accession au pouvoir du gouvernement Charest a été une occasion de purger l’enseignement de l’histoire des évènements susceptibles de favoriser le nationalisme québécois.

Histoire et éducation à la citoyenneté (2006)

Le cours Histoire et éducation à la citoyenneté fut adopté en 2006 et mis en vigueur de 2006 à 2009. Il est enseigné en troisième et quatrième années du secondaire.

En troisième année, on survole l’histoire de la société québécoise de ses origines à nos jours. Puis, l’année suivante, les élèves revoient la même histoire sous quatre grands thèmes :
• population et peuplement,
• économie et développement,
• culture et mouvement de pensée, et
• pouvoir et pouvoirs.

Ce cours postnationaliste passe sous silence le rapport Durham et évite toute référence à René Lévesque ou à l’affirmation nationale. Qualifié d’enseignement ‘amnésique’ de l’histoire, il n’a cessé d’être critiqué depuis son entrée en vigueur.

Les professeurs avaient l’impression d’être redondants, racontant l’histoire plusieurs fois selon différentes perspectives.

Commandé par le gouvernement péquiste de Mme Marois en 2013, le cours Histoire du Québec et du Canada a été adopté l’année suivante par le gouvernement libéral de M. Couillard.

Histoire du Québec et du Canada (2016)

En dépit de son titre, ce cours n’aborde l’histoire canadienne que dans la mesure où celle-ci a influencé le développement du Québec. Essentiellement, l’accent est donc mis sur l’histoire du Québec dont la trame chronologique est étalée sur deux ans.

C’est l’année 1840 (qui a vu la naissance de l’Acte d’Union) qui sera la charnière qui séparera ce qui sera enseigné à l’une ou l’autre de ces deux années.

On y a ajouté des notions qu’on n’enseignait pas avant comme l’esclavagisme en Nouvelle-France, de même que les conflits avec les Amérindiens et avec les Anglais, en dépit de la nature délicate de ces sujets.

Le nouveau cours sera obligatoire en 2017 mais les professeurs qui sont déjà prêts peuvent l’enseigner dès maintenant.

C’est le cas de la majorité des professeurs d’histoire de troisième année du secondaire. Les professeurs de quatrième ne peuvent le donner dès maintenant puisqu’il doivent attendre la première cohorte d’étudiants ayant reçu le nouveau cours en troisième année.

Des projets pilotes concernant ce qui doit être enseigné en quatrième du secondaire ont révélé que les professeurs trouvent qu’il y a trop d’évènements de grande importance à couvrir et qu’il leur est difficile d’y aller en profondeur.

Le nouveau cours a la faveur de la majorité des enseignants et historiens du Québec, qui le trouvent mieux construit et plus simple à assimiler pour les élèves

La principale critique vient de certains organismes anglophones.

Pour sa part, sans donner d’exemples précis, la Quebec Community Groups Network aurait aimé que l’histoire soit racontée de façon plus ‘neutre’ et ‘inclusive’, notamment à l’égard des autochtones, des anglophones et des immigrants.

Dans l’édition d’aujourd’hui du Devoir, Mme Nicole Ste-Marie signale à nos amis anglophones que leur souhait, aussi bon chic bon genre qu’il soit à première vue, signifie qu’on devrait enseigner l’histoire :
• des Chinois qu’on a fait venir pour construire le chemin de fer transcanadien sous des conditions proches de l’esclavage (plusieurs y ont trouvé la mort),
• de la dépossession des Métis de leurs terres dans le centre du pays pour les donner à des colons anglais,
• de la pendaison de Louis Riel, chef des Métis,
• du génocide des Béothuks à Terre-Neuve par les troupes anglaises,
• des Innus déportés dans l’Arctique tout en leur interdisant de chasser à leur arrivée, les condamnant à mourir de faim,
• des réserves amérindiennes, créées par le régime anglais, et qui ont servi de modèle à l’établissement de l’Apartheid en Afrique du Sud,
• de l’internement des Canadiens d’origine japonaise et leur dépossession pendant la 2e guerre mondiale,
• du kidnappage (encouragé par le Département des Affaires indiennes du Canada) des jeunes autochtones dans des pensionnats où ils étaient battus et abusés sexuellement.

Anecdote personnelle et conclusion

Il y a quelques années, dans un commerce où je travaillais, je me suis retrouvé seul à seul à parler d’histoire avec une vieille dame assez distinguée, unilingue anglaise.

Alors que je mentionnais être descendant d’une fille du Roy, cette dame m’a demandée — un peu gênée de poser la question — s’il n’était pas exact que les colons français étaient des repris de justice et que les filles du Roy étaient des prostituées.

Un peu surpris par sa question, je lui ai répondu que l’Angleterre déportait en Australie une partie de ses condamnés aux galères mais que ce n’était pas le cas de la France en Nouvelle France.

Mon ancêtre masculin (Honoré Martel) était le fils d’un vendeur de chevaux à Paris et la fille du Roy de laquelle je descends (Marguerite Lamirault) était la fille du cocher de la reine de France.

Après le départ de cette dame, j’ai réalisé qu’une partie des Anglophones québécois ont appris de telles conneries à notre sujet. Si ce n’est pas à l’école, leurs professeurs n’ont rien fait pour corriger ces préjugés.

D’où l’importance, essentielle à mes yeux, que tous les Québécois reçoivent à l’école le même enseignement de base en histoire, quitte à ce que les professeurs soient libres de compléter cela en enseignant des particularités propres aux différents groupes ethniques qui composent leurs classes.

Mais il doit y avoir un tronc commun auquel tous les Québécois doivent s’identifier.

À titre d’exemple, s’il est concevable que Pierre Le Moyne d’Iberville soit présenté comme un vilain pirate (ce qui est faux) par l’histoire du Royaume-Uni, nous ne sommes pas au Royaume-Uni. Conséquemment, il ne peut être présenté par l’histoire d’ici que comme le plus grand héros québécois (ce qu’il est), que cette histoire soit enseignée à un Québécois francophone ou à un Québécois anglophone.

En somme, l’Anglophone d’ici doit voir l’histoire du Québec en tant que Québécois et non en tant que descendant de Britannique (ce qu’il n’est pas nécessairement).

Tout comme Leonard Cohen doit être vu comme un grand poète et auteur-compositeur, peu importe notre langue maternelle.

Il faut donc cesser de considérer les personnages historiques d’ici différemment selon le groupe ethnique auquel on appartient.

Cela signifie, par exemple, qu’on doit enseigner que nous sommes tous redevables (Anglophones comme Francophones) à Jacques Parizeau, en dépit des paroles regrettables qu’il a tenues un soir de défaite référendaire.

Références :
Apprendre de nos particularités
Cours d’histoire: la ministre Courchesne réfute les critiques
Le nouveau cours d’histoire du Québec
Le nouveau cours d’histoire déplaît aux écoles anglophones
Nouveau cours d’histoire: «réparer l’erreur» de 2006
Nouveau programme d’histoire du Québec et du Canada : moins redondant et plus complet
Un nouveau cours d’histoire qui divise

Laissez un commentaire »

| Histoire | Mots-clés : | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Le jour du drapeau

Publié le 21 janvier 2016 | Temps de lecture : 2 minutes

Aujourd’hui est l’anniversaire du drapeau du Québec.

Il y a exactement 68 ans, le 21 janvier 1948, le Conseil des ministres du Québec — appelé alors Conseil exécutif — adoptait le fleurdelisé comme étendard national.

Dans la mesure où le drapeau canadien actuel ne fut adopté que le 15 février 1965, celui du Québec est le plus ancien au pays.

Il est composé d’une croix blanche centrée sur fond azur, ornée de quatre fleurs de lys.

Autrefois symbole de la monarchie française, la fleur de lys est également devenue le symbole héraldique de la francophonie nord-américaine.

Au moment de son dévoilement, les fleurs de lys pointaient vers le centre du drapeau et ce dernier portait le nom de ‘Carillon moderne’.

Après les vives protestations d’héraldistes, les fleurs de lys furent toutefois redressées quelques jours plus tard et la version définitive du drapeau québécois fut nommée ‘Fleurdelisé’.

En 1998, au cinquantième anniversaire de cet emblème, la date du 21 janvier fut promulguée ‘Jour du drapeau’.

Références :
Drapeau du Canada
Drapeau du Québec
Le Québec, ce désert commémoratif
L’histoire de la Fleur de Lys
7 faits méconnus sur le drapeau du Québec

Un commentaire

| Histoire | Mots-clés : , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


L’histoire de la Fleur de Lys

Publié le 24 juin 2015 | Temps de lecture : 1 minute
Iris des marais ‘Donau’

C’est au cours de la seconde croisade, en 1147, que le roi de France Louis VII le Jeune décida de faire d’une représentation stylisée de l’iris des marais (ou iris jaune), le symbole de la France.

On l’appela d’abord Flor de Loys, c’est-à-dire fleur du roi Louis. Prononcé « flore de lôhice » (en roulant le ‘r’), ce nom fut déformé au cours des siècles pour devenir « Fleur de Lys ».

Voilà pourquoi ce symbole héraldique n’a pas la forme en trompette caractéristique des lys.

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectif Helios 85mm F/1,5 — 1/1600 sec. — F/1,5 — ISO 200 — 85 mm

Un commentaire

| Histoire | Mots-clés : , , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Arithmétique et géométrie médiévales

Publié le 7 juin 2014 | Temps de lecture : 1 minute

 

Cliquez sur l’image pour démarrer

Je remercie monsieur Pierre Pinsonnault de m’avoir fait connaître cette vidéo intéressante que je m’empresse de partager avec vous.

Entre autres, on y apprend le sens originel du verbe multiplier (ou multi-plier)…

4 commentaires

| Architecture, Histoire | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Les invasions militaires anglaises

Publié le 3 septembre 2013 | Temps de lecture : 1 minute

L’Angleterre conquérante
 
Invasions
 
Si on ajoute le Vatican et le Kosovo aux 192 États membres des Nations-Unies, 89% des pays ont été l’objet d’une invasion partielle ou d’une conquête totale de la part de troupes britanniques au cours de leur histoire.

Certains de ces pays — par exemple le Costa Rica, l’Équateur and le San Salvador — n’ont été l’objet que de raids de pirates soutenus par la couronne britannique. D’autres, comme Cuba, ont été conquis pendant quelques mois à peine.

En raison de sa proximité et de sa richesse, le pays le plus souvent envahi par les Anglais fut évidemment la France.

L’Angleterre conquise

Pour la dernière fois de son histoire, l’Angleterre fut conquise en 1066 par Guillaume le Conquérant, duc de Normandie.

Toutefois, le sol britannique fut partiellement occupé 73 fois depuis ce temps, la dernière étant l’occupation des îles Anglo-Normandes par les Nazis au cours de la Deuxième guerre mondiale.

Références :
British have invaded nine out of ten countries – so look out Luxembourg
Enemies at the gates: the 73 ‘invasions’ of Britain since 1066

Un commentaire

| Histoire | Mots-clés : , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Petite histoire de l’État moderne

Publié le 8 mai 2013 | Temps de lecture : 7 minutes

La naissance de l’État

MésopotamieTant que l’Humanité était nomade, elle pouvait s’organiser en tribus mais seule la sédentarisation permettra la naissance de l’État.

Bien avant la Chine, c’est en Mésopotamie (dans l’Irak actuel) qu’est née l’agriculture, il y a environ 11 500 ans. L’agriculture y est née parce que le climat de l’époque s’y prêtait et parce que cela était plus commode; au lieu de marcher des dizaines de kilomètres afin de trouver les aliments dont ils avaient besoin, les chasseurs-cueilleurs ont rapproché ces plantes d’eux et les ont cultivées. Précisons que les premiers agriculteurs étaient des femmes : les hommes se réservant la chasse comme chasse gardée.

Mille ans plus tard, entre la Perse et la Mésopotamie, la domestication de la chèvre, du mouflon (ancêtre du mouton), du sanglier et de l’aurochs (ancêtre du bœuf) achève la sédentarisation des anciens peuples nomades de la région. Ces ongulés sont parqués, nourris et soignés dans le but d’obtenir leur lait, leur fourrure, leur cuir et leur viande.

Deux milles ans plus tard, on y invente l’irrigation. Or jusque là, seule une tout petite partie de la Mésopotamie recevait les 25 cm de pluie annuelle nécessaires à l’agriculture sèche (sans irrigation). Avec la construction de canaux d’irrigation, l’agriculture s’étendra à toute la région.

Au départ, seules les terres bordant les rivières (le Tigre et l’Euphrate) en profitent. Mais avec la diminution de la famine et l’explosion de la population, un nouveau phénomène apparait.

Jusque là, lorsqu’une colonie devenait trop importance, le sol devenait incapable de nourrir tout le monde. Le clan se brisait; un groupe essaimait vers un territoire situé plus loin. En Mésopotamie, il suffisait d’étendre le réseau d’irrigation pour que la capacité nourricière du sol augmente. Pour la première fois, la nécessité de collaborer — afin d’accroitre l’irrigation — finit par dominer.

Le village bordant la rivière se transforme en une ville traversée par elle. Déjà on voit apparaitre des métiers spécialisés (forgerons, menuisiers, ébénistes, tailleur de pierre, etc.).

Puis nait la cité-État lorsque l’étendue du territoire à irriguer nécessite une autorité apte à coordonner la construction de réseaux de digues et de barrages amenant l’eau sur de très longues distances, et lorsque la vulnérabilité de tout le réseau aux envahisseurs en font un enjeu stratégique.

Il y a 5 000 ans, les grands ouvrages collectifs apparaissent. Il y a 3 000 ans, ces ouvrages deviennent colossaux. Le roi assyrien Sennacherib fait construire un canal de 80km de long et 20m de large pour alimenter en eau la capitale de son royaume.

Évidemment, chaque royaume possède son armée. Puisqu’un peuple doté de soldats entrainés est avantagé par comparaison avec les populations laissées à leur sort, tous les autres peuples sont forcés de suivre l’exemple des premières cités-États. Au fil des conquêtes et des alliances féodales, les Nations se construisent. Et ce que les guerres échouent à accomplir, les alliances matrimoniales entre dynasties font le reste…

La guerre et la naissance de la finance

Au VIIIe siècle, pour financer la guerre aux Musulmans qui avaient envahi le Sud de la France, Charles Martel avait confisqué les avoirs des églises de France et avait fait fondre le métal précieux des objets liturgiques. Mais quelques siècles plus tard, les armes lourdes et l’obligation d’engager des mercenaires rendent les guerres trop onéreuses pour les États.

On doit alors solliciter des emprunts auprès de marchands fortunés établis hors des frontières du royaume. Mais ces prêts sont risqués et leurs taux d’intérêts prohibitifs. Peu à peu, ces prêteurs délaissent le négoce de biens (responsable jusque-là de leur fortune), au profit du prêt usuraire. C’est la naissance de la finance.

Au cours des siècles qui suivront, finance et noblesse feront bon ménage. Attiré par la perspective d’anoblissement (et les privilèges qui en découlent), les marchands fortunés prêteront aux nobles qui vivent au-dessus de leurs moyens.

Et quand Bonaparte envahira l’Europe et ce faisant, menacera la solvabilité d’une multitude de princes allemands endettés, les grands financiers autrichiens donneront à Wellington les moyens de battre Napoléon à Waterloo.

Puis tout au cours du XIXe siècle, c’est autour de la table de grands financiers que se règleront les petits conflits dynastiques susceptibles de dégénérer en effusion de sang.

La naissance de l’État-providence

De garant de l’intégralité du territoire et de protecteur de sa population contre les envahisseurs, l’État le transforme peu à peu en dispensateur de services.

Dès l’antiquité, il est le seul suffisamment puissant pour arbitrer les différents. La Justice devient sa prérogative. Il fait les lois qui régissent la vie collective.

Et pour faciliter les échanges au sein du royaume et conséquemment, sa prospérité, les États construisent des routes (et beaucoup plus tard, des voies ferrées, et des aéroports).

Dès Henri IV, on installe à Paris quelques fontaines publiques dans le but de faciliter l’approvisionnement en eau potable de la population.

Depuis la Réforme luthérienne, la nécessité de lire la Bible dans le texte est un puissant motivateur pour l’apprentissage de l’écriture et de la lecture chez les peuples protestants. Cette motivation n’existe pas alors dans les pays catholiques. Or, lorsqu’arrive la révolution industrielle, une main d’œuvre qualifiée est un avantage concurrentiel pour n’importe quel pays.

Les États mettent alors sur pied l’instruction publique qui, par le biais de l’enseignement de l’histoire, contribuent également au sentiment d’appartenance à la Nation. Quelques siècles plus tard, l’instruction publique est gratuite au niveau primaire et secondaire, et est très largement subventionnée (ou est gratuite, selon les pays) au niveau universitaire.

Dans le but de réduire l’insalubrité séculaire des grandes villes européennes, on repoussera vers la périphérie l’abattage des animaux de boucherie, on mettra sur pied la collecte des ordures domestiques, et l’approvisionnement en eau potable.

Dès la fin du XIXe siècle en Amérique du Nord, les bénévoles responsables du combat des incendies sont remplacés par des pompiers payés et équipés par les gouvernements municipaux.

Pendant la Grande dépression des années 1920, l’État américain met en place une politique de grands travaux pour relancer l’activité économique.

Au XXe siècle, l’État prend la relève des sociétés de secours et crée l’assurance-chômage et la pension de vieillesse. Puis, afin que les entrepreneurs disposent d’une main-d’œuvre saine et vigoureuse, on crée l’assurance-maladie et dans certains pays, l’assurance-médicaments.

Depuis quelques années au Québec, les mères désirant retourner au travail bénéficient d’un réseau de garderies publiques.

Les familles sont également soulagées du fardeau de soutenir leurs aïeux grâce à un réseau d’hospices et de résidences publiques pour personnes âgées.

Toutes ces mesures sociales sont financées par les taxes et les impôts payés par les citoyens et gérés par l’État. Et pour assumer ces services, les gouvernements doivent faire construire des édifices, payer des employés, acheter des fournitures, etc.

Et plus ces mesures sont coûteuses, plus grande est la place de l’État dans l’économie. Donc, plus les citoyens sont taxés. Parce que tout se paie.

Dans le même ordre d’idées : L’entraide au temps de la COVID-19

5 commentaires

| Histoire, Sociologie, Urbanisme | Mots-clés : | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel