Faire la grève

Publié le 8 mai 2019 | Temps de lecture : 3 minutes

Du latin ‘grava’ (qui signifie gravier), le mot grève est apparu en français au XIIe siècle. Il signifiait alors un terrain plat, couvert de gravier, situé au bord de la mer ou d’un cours d’eau.

L’Hôtel de Ville et la place de Grève (de Nicolas Raguenet, 1753)

Autrefois, devant l’Hôtel de Ville de Paris, était située la Place de Grève. On l’appelait ainsi parce qu’elle était reliée à la Seine toute proche par une grève à qui on donnait le nom de port de Grève.

Ce port était le plus animé de Paris. C’est là qu’on déchargeait le bois, le blé, le vin et le foin.

La perception des taxes était d’autant plus facile que l’Hôtel de Ville se trouvait à deux pas.

Dès qu’un bateau y accostait, son capitaine embauchait les hommes qui s’étaient justement rendus à la grève dans le but d’être utiles au déchargement des marchandises.

Dire de quelqu’un qu’il ‘était en grève’, cela signifiait qu’il était parti à la grève trouver du travail.

Et on disait de celui qui en revenait bredouille qu’il avait ‘fait la grève’. On faisait donc la grève comme d’autres faisaient le trottoir; dans l’espoir de gagner sa vie.

Ce sens a glissé au milieu du XIXe siècle vers ‘cesser collectivement de travailler pour faire valoir ses revendications’.

En 1830, la place de Grève fut renommée place de l’Hôtel de Ville.

Quant au port de Grève, il disparut quand on rehaussa, de 1836 à 1839, le bord de la Seine et qu’un mur fut dressé pour lutter contre les débordements du fleuve.

En 2013, la place fut rebaptisée ‘esplanade de la Libération’ afin de rendre hommage aux résistants, aux Français libres, aux alliés et à tous les insurgés qui ont libéré Paris dans la nuit du 24 au 25 aout 1944.

Place de l’Hôtel-de-Ville – Esplanade de la Libération

De nos jours, lorsqu’on voit les gens qui s’y prélassent au soleil, on a peine à croire que l’endroit fut, de 1310 à 1822, un lieu d’exécutions publiques : pendaisons et buchers y étaient régulièrement donnés en spectacle. Exceptionnellement, pouvait-on y voir un écartèlement.

La première utilisation publique de la guillotine eut lieu à cet endroit en 1792, à la grande déception des amateurs. Ceux-ci trouvèrent le procédé beaucoup trop expéditif…

Références :
Place de l’Hôtel de Ville
Place de l’Hôtel-de-Ville – Esplanade de la Libération

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectifs PanLeica 25 mm F/1,4 (1re photo) et M.Zuiko 12-40 mm F/2,8 (2e photo)
1re photo : 1/60 sec. — F/1,4 — ISO 200 — 25 mm
2e  photo : 1/400 sec. — F/6,3 — ISO 200 — 20 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La naissance de la poubelle

Publié le 2 mai 2019 | Temps de lecture : 3 minutes

Introduction

Avant la Révolution, la ville de Paris était dirigée par le prévôt des marchands. Le premier maire de Paris fut élu en 1789.

Face à une capitale si prompte à se révolter, le poste est aboli en 1800 par Bonaparte. Celui-ci remplace la fonction par deux préfets qu’il nomme; le préfet de la Seine (le département dans lequel se trouvait Paris) et le préfet de police.

Si on exclut deux brefs retours de la fonction en 1848 et en 1870-1871, les Parisiens n’ont le droit de choisir leur maire que depuis 1977.

Le plus célèbre des préfets parisiens fut le baron Haussmann.

De 1853 à 1870, celui-ci transforma radicalement Paris, faisant disparaitre ses ruelles médiévales et perçant la ville de larges voies de circulation.

Du baron Haussmann à Eugène Poubelle, huit préfets occupèrent la fonction brièvement, dont Louis Oustry (un avocat qui fut trouvé abandonné le jour de sa naissance).

Eugène Poubelle

À Louis Oustry succéda Eugène-René Poubelle, préfet de 1883 à 1896.

Pendant des siècles, les Parisiens jetaient leurs déchets sur la voie publique ou dans les fossés. Tout au plus, depuis 1799, devait-on balayer quotidiennement devant son logis.

Afin de lutter contre l’amoncèlement des déchets dans les rues de Paris, Eugène Poubelle oblige dès 1884 les propriétaires d’immeubles à fournir à leurs locataires des bacs communs pour la collecte des déchets ménagers.

Biodégradables, ces bacs étaient en bois garni de fer blanc à l’intérieur.

De plus, ces bacs devaient être munis d’un couvercle et posséder une capacité maximale de 120 litres (afin de ne pas être trop lourds pour les éboueurs).

L’arrêté prévoyait également le tri des déchets. Trois bacs étaient obligatoires; une pour les matières putrescibles, une pour les papiers et les chiffons, et une dernière pour le verre, la faïence et les coquilles d’huitres.

Les Parisiens prirent rapidement l’habitude de désigner les réceptacles à ordures du nom du préfet Poubelle. C’était des ‘boites Poubelle’, puis simplement des ‘poubelles’ (avec un ‘p’ minuscule).

Le mot apparait en 1890 dans le Dictionnaire Universel du XIXe siècle.

Il faudra attendre près d’un siècle entre l’invention de la poubelle et la création d’usines de recyclage des déchets (qu’anticipaient les poubelles du préfet).

En 1892, une épidémie de choléra se déclare pour la dernière fois à Paris. Le préfet Poubelle prend alors les grands moyens.

Après consultation auprès des experts, il décrète en 1894 que tous les propriétaires devront raccorder leurs immeubles au réseau d’égouts de la ville et payer les frais liés à la collecte des eaux usées.

On a peine à croire que le mot ‘poubelle’, si commun de nos jours, soit né aussi récemment qu’en 1884.

Références :
Eugène Poubelle
Liste des préfets de la Seine
Monsieur Poubelle
Poubelle
Préfet de Paris

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Histoire du restaurant en France

Publié le 1 mai 2019 | Temps de lecture : 3 minutes
Bouillon Chartier, à Paris

Au départ, ‘restaurant’ n’était que participe présent du verbe restaurer.

Puis, au Moyen-Âge, on prit l’habitude d’appeler ‘restaurant’ tout bouillon — composé de viande, mais aussi, selon la recette, de racines, d’ognons, d’herbes aromatiques, d’épices, de sucre, de pain, de raisins et de pétales de rose — ayant la propriété de donner des forces et ainsi restaurer la vigueur de la personne concernée.

C’est ainsi que Marguerite de Navarre, épouse d’Henri IV, écrivait : « L’on ne m’a fait manger que restaurants et les meilleures viandes que je mangeai jamais…»

Dans l’Histoire de Jenni, Voltaire écrit : « Le père tout tremblant le fait reposer; on lui fait prendre des restaurants…»

Avant 1765, il y avait en France quatre grands types de commerçants qui fournissent de la nourriture et des boissons à leur clientèle :
• les taverniers (qui ne servent que du vin),
• les cabaretiers (qui servent du vin et des viandes),
• les aubergistes (qui ne proposent qu’un seul plat à heure fixe) et
• les traiteurs (les seuls autorisés à vendre des sauces et ragouts).

En 1765, on ouvrit à Paris un établissement servant des bouillons restaurants. On y vendait aussi des volailles bouillies au gros sel et des œufs frais. Ce fut le premier restaurant au sens moderne du terme.

Lorsque la Révolution française éclate, presque tous les cuisiniers sont à l’emploi de particuliers (nobles et riches commerçants).

En raison de la fuite à l’Étranger ou de la décapitation d’une partie de la noblesse, des cuisiniers sans emploi ont alors l’idée d’ouvrir des établissements afin de nourrir les députés de province venus prendre part aux séances de l’Assemblée nationale.

En 1789, il y a une centaine de petits restaurants à Paris.

En 1793, Antoine Beauvilliers (un des derniers cuisiniers de la cour de Louis XVI) ouvre à Paris le premier restaurant de luxe, La Grande Taverne de Londres.

Au cours des deux décennies qui ont suivi la Révolution, le nombre de restaurants parisiens s’est multiplié par six.

Un autre vingt ans plus tard, on en comptait plus de trois-mille.

Au départ, les plats étaient servis à la française, c’est-à-dire tous en même temps.

De 1808 à 1812, le prince Alexandre Kourakine, ambassadeur russe à Paris, fait connaitre à la nouvelle aristocratie révolutionnaire le service à la russe en vertu duquel les plats sont servis les uns à la suite des autres.

Cette mode se répandra rapidement dans les restaurants.

En 2018, on comptait plus de 780 000 restaurants en France. Ce qui en fait le pays avec le plus grand nombre de restaurants par mille habitants.

Références :
Histoire du restaurant en France
Pas bien dans leur assiette ?

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectif M.Zuiko 12-40mm F/2,8 — 1/100 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 17 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Gabriel Sagard en Huronie

Publié le 31 mars 2019 | Temps de lecture : 20 minutes
Éric Bouchard et Alain Beaulieu

L’histoire d’un récit de voyage

Le 13 mars 2019, la Fondation Lionel-Groulx invitait l’historien Alain Beaulieu à prononcer une conférence au sujet du frère Gabriel Sagard (1590-1640).

Ce Récollet a effectué un voyage en Huronie en 1623-1624. Il y fait une description minutieuse des us et coutumes des Hurons-Wendats.

À l’époque, les Hurons étaient appelés ainsi en raison de leur chevelure en hure, c’est-à-dire dressée sur le milieu de la tête. De nos jours, la hure est mieux connue sous le nom de crête iroquoise ou de coupe Mohawk.

Les écrits du frère Gabriel sont ceux d’une personne que les Autochtones ont adoptée comme un des leurs, qui a vécu parmi eux et qui témoigne de ce qu’il a vu. Non pas avec la rigueur d’un anthropologue ou d’un ethnographe moderne, mais avec les yeux d’un Européen de son temps.

En s’installant au Canada en 1625, les Jésuites mettent ainsi fin au monopole des Récollets. Peu à peu, une rivalité s’installe entre les deux ordres religieux.

Afin de défendre leur implication missionnaire, les Récollets publient les écrits du frère Gabriel en 1632.

Il est improbable que l’auteur ait composé son livre à chaud, en Huronie. Le début de l’écriture s’est probablement fait de retour à Québec ou dans les années qui suivirent le retour en France.

À Paris, le frère Gabriel pouvait consulter toutes les sources qui lui permettaient d’étoffer son récit, notamment en s’inspirant des témoignages de prédécesseurs en Nouvelle-France que furent André Thevet, Samuel de Champlain et Marc Lescarbot.

Intitulé Le Grand voyage au pays des Hurons, le récit de voyage du frère Gabriel était complété d’un dictionnaire huron-français.

Ce dictionnaire était la plus importante publication relative à une langue autochtone d’Amérique du Nord. La langue dont il est question était la plus employée par les peuples avec lesquels les Européens étaient en contact.

Les Jésuites soulignèrent les fautes typographiques et les inexactitudes du dictionnaire du frère Gabriel et insinuèrent qu’il en était probablement de même de son récit de voyage.

Tout comme saint François d’Assise s’émerveillait devant une fleur, ce Récollet s’est émerveillé naïvement — disaient les Jésuites — devant les coutumes barbares des Amérindiens.

Et, reproche suprême, il n’a pas converti grand monde.

L’intérêt contemporain pour la culture autochtone a provoqué une réévaluation du travail de Gabriel Sagard, considéré aujourd’hui comme un grand précurseur de l’ethnographie; ses écrits témoignent de la vie d’un des plus importants peuples autochtones d’Amérique du Nord au moment où ceux-ci avaient très peu été exposés à la culture européenne.

Le seul exemplaire que j’ai trouvé de l’édition originale se vend 32 500$US. Heureusement, des fac-similés électroniques (54,5 Mo) sont disponibles gratuitement sur l’internet.

Avant de nous concentrer sur le voyage du frère Gabriel, revenons en arrière de quelques années.

Le contexte géopolitique

Au XVIIe siècle, la Nouvelle-France était constituée de trois territoires contigus : l’Acadie, le Canada et la Louisiane. En gros, le Canada correspondait à la vallée du Saint-Laurent.

Des prêtres séculiers, puis des Jésuites en 1611, avaient déjà fondé des missions en Acadie.

Mais il fallut attendre le voyage que Samuel de Champlain effectua en 1615 en Nouvelle-France pour que le Canada accueille ses premiers religieux; c’était quatre Récollets.

Cette année-là, l’un d’eux (Joseph Le Caron) fait partie d’une expédition de douze hommes en Huronie, rejoints quelques jours plus tard par Samuel de Champlain.

Champlain séjourne brièvement en Huronie, laissant derrière lui le père Joseph Le Caron. Celui-ci demeure alors sur place durant un an, plus précisément jusqu’au printemps 1616.

La Huronie est alors un territoire de 880 km² situé aujourd’hui dans la comté ontarien de Simcoe.

Région des Grands Lacs en 1755

Datée du siècle suivant, la carte ci-dessus situe la Huronie au cœur de la région des Grands Lacs, plus précisément au sud-est du lac Huron.

Sur cette carte, elle est décrite comme ‘Ancien pays des Hurons’ parce qu’elle n’existait déjà plus, conquise par les Iroquois en 1649.

Avant cette conquête, le territoire de la Huronie est une presqu’ile au milieu des Grands Lacs.

Ces vastes étendues d’eau permettaient de transporter des marchandises sur de grandes distances en se fatiguant beaucoup moins que par voie terrestre.

La Huronie occupait donc une position stratégique dans le commerce des fourrures.

En tant que peuple sédentaire et exportateur de maïs, les Hurons-Wendats jouissaient de l’amitié de nombreux autres peuples autochtones qui eux étaient nomades. Ce sont les fourrures obtenues en échange de maïs qui permettaient aux Hurons-Wendats d’être impliqués dans leur commerce.

Rapidement, les Hurons-Wendats en étaient venus à fournir entre 50% et 60% des peaux de castor exportées vers la France.

Au cours des années qui suivent le retour du père Le Caron au Canada, une inquiétude grandit au sein des autorités coloniales.

En absence de contact diplomatique avec les chefs hurons, ne faut-il pas craindre une réconciliation entre les Hurons-Wendats et les Iroquois qui les feraient basculer dans le camp des Hollandais ou des Anglais ?

Aux yeux de tous, la Huronie apparait clairement comme la clé de voute de l’expansion française en Amérique du Nord. Il faut faire quelque chose.

Finalement, il fallut attendre jusqu’en 1623 pour qu’une nouvelle expédition soit organisée.

Cette fois-ci, le père Le Caron est accompagné de deux religieux fraichement arrivés dans la colonie : le père Nicolas Viel et le frère Gabriel Sagard.

Les trois Récollets profitent d’un voyage de retour de quelques Hurons venus écouler leurs fourrures à Cap-de-la-Victoire (aujourd’hui Sorel). Dans des canots différents, les trois Récollets partent le 2 aout 1623 et arrivent en Huronie le 20 aout. Ils se dispersent alors chacun dans son village.

Gabriel Sagard demeurera en Huronie jusqu’en mai ou juillet 1624.

Voilà le contexte. Laissons-lui maintenant la parole.

Quelques extraits du Grand Voyage


Avant-propos : Les extraits suivants sont tirés de la version critique de Jack Warwick publiée en 1998 aux Presses de l’Université de Montréal. Le numéro de page donné en référence est donc celui de cette édition.

J’ai modernisé le texte afin de faciliter sa compréhension (par exemple, ‘maïs’ au lieu de ‘bled d’Inde’).

De plus, j’ai évité le mot ‘Sauvage’ puisqu’il a acquis un sens péjoratif qu’il n’avait pas à l’époque de Gabriel Sagard.

En dépit du fait qu’il ait vieilli lui aussi, j’ai préféré utiliser le mot ‘Amérindien’ parce que — contrairement à ‘Autochtone’ — il permet de distinguer le féminin du masculin.

 
L’hospitalité huronne

Arrivé dans son village huron, le frère Gabriel est accueilli par tous ses habitants.

Amené dans la maison longue de son hôte, le frère Gabriel est ‘naturalisé’ à l’occasion d’une adoption symbolique.

Les père et mère de mon Amérindien me firent un fort bon accueil à leur manière et, par des caresses extraordinaires, me témoignèrent de l’aise et du contentement qu’ils avaient à ma venue. Ils me traitèrent aussi doucement que leur propre enfant (…).

Mon Amérindien, qui m’estimait en qualité de frère, m’avisa d’appeler sa mère sendoué, c’est-à-dire ma mère, puis lui et ses frères ataquen, mon frère, et ainsi de suite pour les autres membres du clan familial.

Pour mon aise, ils m’attribuèrent autant de place qu’en occupait une petite famille qu’ils firent sortir de la maison longue dès le lendemain de mon arrivée. (p.162-3)

L’habitat huron

Le frère Sagard évalue la population huronne à trente ou quarante-mille personnes. (p.181)

Le village du frère Gabriel était peuplé de deux ou trois-cents familles habitant trente ou quarante maisons longues. Faite de branches et d’écorces, chaque maison mesurait de cinquante à soixante mètres de profondeur et douze mètres de large (dont deux pour l’allée centrale). (p.182)

Couvertes d’écorces d’arbres, leurs maisons sont construites en forme de tonnelle ou de berceau de jardin.

© 2012 — Centre d’interprétation du site archéologique Droulers/Tsiionhiakwatha

À l’intérieur, le long de chaque côté, il y a une profonde banquette située à environ un mètre et demi du sol sur laquelle on couche en été et sous laquelle on entrepose le bois de chauffage.

En hiver, on couche par terre sur des nattes de jonc, près du feu. Les gens se disposent les uns près des autres; les enfants forment une couronne autour du feu, leurs parents derrière eux.

Il y a huit à douze feux par habitation, à raison de deux familles par feu.

L’évacuation de la fumée se fait par une ouverture au sommet puisque la maison longue est dépourvue de fenêtre. (p.183)

Pour dormir, ils se couchent là où ils étaient assis, déposant la tête sur un vêtement replié, sans autre couverture ni lit. (p.182)

Les poissons fumés et les grains de maïs secs sont entreposés dans de grandes cuves en écorce placées à l’une ou l’autre des porches situés aux extrémités.

Les vêtements sont suspendus à l’intérieur, soit pour les faire sécher ou pour les protéger des rongeurs. (p.183)

L’alimentation des Hurons-Wendats

L’alimentation huronne est peu carnée. Essentiellement, ils se nourrissent d’épis de maïs séchés et de poisson, le tout complété d’huile de tournesol, de courges, de légumineuses, de baies et de prunes.

Le peu de viande qu’ils consomment, ce sont des souris, du chien, du cerf, de l’ours ou du renard. (pp.172 et 199)

Le festin qui nous fut fait à notre arrivée fut composé de grains de maïs pilés (…) avec un petit morceau de poisson fumé cuit dans l’eau. On me servit l’eau de cuisson et les légumineuses le lendemain (…)

Nous mangions parfois de la citrouille bouillie ou cuite sous la cendre (que je trouvais très bonne), tout comme les épis de maïs que nous faisions rôtir ou les grains de maïs grillés comme des pois dans la cendre.

Notre Amérindienne m’apportait souvent des mures sauvages pour déjeuner, ou bien des tiges de maïs à sucer. (p.163)

Il est vrai qu’on passe d’ordinaire des semaines et des mois entiers sans boire. Ne mangeant jamais rien de salé ni d’épicé et le manger quotidien n’étant que de maïs bouilli, cela sert à la fois de boisson et de mangeaille. Nous nous trouvions fort bien de ne pas manger de sel, étant à près de trois-cents lieues (120 km) de toute eau salée (…). Et à mon retour au Canada, je me trouvais mal au commencement d’en manger, pour l’avoir discontinué trop long temps. Ce qui me fait croire que le sel n’est pas nécessaire à la conservation de la vie, ni à la santé humaine. (p.170)

Après avoir créé un potager, le frère Gabriel peut enfin parfumer sa nourriture de quelques aromates.

Notre nourriture ordinaire était des mêmes mets et viandes que celles que les Amérindiens usent ordinairement sinon que nos plats étaient un peu plus nettement accommodés; nous y mêlions parfois de petites herbes, comme de la marjolaine sauvage, afin de leur donner gout et saveur (…).

Mais s’apercevant qu’il y en avait, les Amérindiens n’en voulaient nullement gouter, disant que cela sentait mauvais… (p.172)

Les Hurons-Wendats n’utilisent pas de chat pour protéger leurs récoltes des rongeurs puisque cette espèce ne fait pas partie de leurs animaux domestiques. (pp.205 et 339)

L’utilisation des métaux se limitant à la fabrication d’ornements corporels, les aliments ne sont pas cuits dans des marmites ou des chaudrons de métal, mais dans de la poterie fabriquée par les femmes. (p.190)

Lorsque l’allaitement au sein ne suffit plus à assurer leur croissance, les bébés reçoivent leurs premiers aliments solides de la bouche même de leur mère, après que celle-ci ait bien mastiqué l’aliment destiné à l’enfant. De la même manière…

…quand la mère vient à mourir avant que l’enfant ne soit sevré, le père prend de l’eau, dans laquelle il aura bouilli longuement du maïs. Il en emplit sa bouche et, joignant celle de l’enfant contre la sienne, lui fait recevoir et avaler la bouillie…

De la même invention se servent aussi les Amérindiennes pour nourrir les chiots orphelins (ce que je trouvais répugnant) en joignant ainsi leur bouche au museau des chiots (qui ne sont pas souvent très propres). (p. 214)

Chez les Hurons-Wendats, le printemps est le temps des sucres.

Au temps où les bois étaient en sève, nous faisions parfois une fente dans l’écorce de quelques gros arbres, et tenant au-dessous une écuelle, nous recevions le jus et la liqueur qui en tombait goutte à goutte. (p.172)

Le confort

Le frère Gabriel décrit ainsi sa première nuit en Huronie :

Puisque les Hurons dorment sans oreiller, je me servis d’un billot de bois ou d’une pierre placé sous la tête tandis que je m’allongeais sans couverture sur ma natte, comme ils le font. Le tout était tellement dur que je me levai le lendemain tout rompu et brisé de la tête et du corps. (p.164)

Après s’être construit leur propre cabane destinée à servir sommairement de résidence, d’école et d’église, les Récollets découvrent l’envers de la vie missionnaire :

Ayant construit notre cabane à nous hors de saison, celle-ci fut couverte de très mauvaise écorce qui se fendit de partout. De sorte qu’elle ne nous protégeait peu ou pas des pluies qui nous tombaient dessus et que nous ne pouvions éviter ni de jour ni de nuit. Non plus que des neiges (…) dont nous nous trouvions parfois couverts au lever.

Lorsque la pluie était forte, elle éteignait notre feu (…) Il n’y avait pas un seul petit coin dans notre cabane où il ne pleuvait pas comme au-dehors. Ce qui nous obligeait à passer des nuits entières sans dormir, préférant nous tenir debout ou assis dans un coin pendant les orages. (p.171)

L’agriculture et la propriété foncière

Toutes les forêts, prairies et terres non défrichées sont en commun. Il est permis à un chacun d’en défricher et d’en ensemencer autant qu’il veut, qu’il peut, et qui lui est nécessaire.

Cette terre ainsi défrichée demeure à la personne autant d’années qu’il continue de la cultiver et de s’en servir. Abandonnée par son maitre, s’en sert après qui veut. (p.192)

Les Hurons-Wendats ne labourent pas le sol. Ils arrachent les mauvaises herbes manuellement et enfouissent les graines de maïs dans des trous creusés à l’aide d’une petite pelle de bois. Cela empêche les oiseaux de dévorer leurs semences, un problème rencontré par les Européens qui, à l’époque, sèment encore à tout vent. (p.193)

Le grain murit en quatre mois, et en de certains lieux en trois mois. Ensuite on cueille les épis, les lie par leurs feuilles retroussées vers le haut et on les assemble par grappes suspendues à l’intérieur des habitations. (…)

Le grain étant bien sec et bon à remiser, les femmes et les filles l’égrainent, le nettoient et le mettent dans leurs grandes cuves placées dans les porches ou dans quelque coin de leurs maisons. (p.193)

La vie sociale

Quand ils se visitent les uns les autres, ils se font mutiellement des présents. (…)

Ils n’aiment pas marchander et se contentent de ce qu’on leur offre honnêtement et raisonnablement, méprisant et blâmant les façons de faire de nos marchands qui négocient une heure pour obtenir une peau de castor. (…)

Victorieux, ils ont de la mansuétude et de la clémence envers les femmes et les enfants de leurs ennemis, auxquels ils sauvent la vie bien qu’ils demeurent leurs prisonniers pour servir. (p.224)

L’exercice du jeu est tellement fréquent et coutumier chez eux, qu’ils y consacrent beaucoup de temps, tant les hommes que les femmes. Ils parient parfois tout ce qu’ils ont, perdant aussi gaiment et patiemment que s’ils avaient gagné. J’en ai vu s’en retourner dans leur village tout nus et chantant après avoir tout perdu. (p.185)

Ils aiment la peinture et y réussissent assez industrieusement, pour des personnes qui n’y ont point d’art ni d’instruments propres.

Ils font néanmoins des représentations d’hommes, d’animaux, et d’oiseaux, de même que d’autres décorations peintes sur divers matériaux ou sur leur peau.

Ils décorent certains objets, non pas dans le but de les idolâtrer, mais pour se contenter la vue, embellir leurs calumets et leurs pipes, de même que pour orner le devant de leurs maisons. (p.187)

Comme chez les Européens, le noir est porté en signe de deuil. Toutefois, dépourvus d’habillements de cette couleur, les Hurons-Wendats la portent à leur manière au cours des cérémonies funéraires. Le frère Gabriel écrit :

Ils sont accoutumés de se peindre le visage de noir à la mort de leurs parents et amis. Ce qui est un signe de deuil : ils peignent aussi le visage du défunt… (p.282)

La vie sexuelle

Les femmes quittent facilement leurs maris quand ils ne leur agréent point : il arrive souvent que l’une d’elles passe ainsi sa jeunesse à avoir successivement plus de douze ou quinze maris.

Toutefois, ces derniers ne sont pas seuls à apprécier leur femme, tout mariés qu’ils soient. Car la nuit venue, les jeunes femmes courent d’une maison à l’autre comme le font, en cas pareil, les jeunes hommes de leur côté.

Ceux-ci en prennent par où bon leur semble, sans aucune violence toutefois, remettant le tout à la volonté de la femme.

Le mari fera le semblable à sa voisine et à la femme à son voisin. Aucune jalousie ne se mêle entre eux pour cela, et n’en éprouve aucune honte, infamie ou déshonneur. (p.211)

La santé et l’aspect physique

Ils sont tous généralement bien formés et proportionnés (…) et sans difformité aucune. Et je peux dire en vérité avoir vu d’aussi beaux enfants qu’il y en a en France. (…)

(Les adultes) ne sont ni trop gras ni trop maigres ce qui les maintient en santé et exempts de beaucoup de maladies auxquelles nous sommes sujets. (p.220)

On n’y voit pas non plus de rouquin, ni blond de cheveux, mais les ont tous noirs (excepté quelques-uns qui les ont châtains). (…)

Ayant la barbe tellement en horreur, (…) aussi croient-ils qu’elle rend les personnes plus laides et amoindrit leur esprit. Et à ce propos, je dirai qu’un jour un Amérindien voyant un Français barbu, se retournant vers ses compagnons leur dit (…): « Ô que voilà un homme laid ! Est-il possible qu’aucune femme ne voulut regarder d’un bon œil un tel homme…» (p.221)

Ils s’endurcissent tellement au mal et à la peine, qu’étant devenus grands, vieux à la chevelure blanche, ils restent toujours forts et robustes. Ils ne ressentent presque aucune incommodité ni indisposition.

Et même les femmes enceintes sont tellement fortes qu’elles accouchent d’elles-mêmes et n’ont pas, en général, à subir de convalescence. J’en ai vu une arriver de la forêt chargée d’un lourd ballot de branches, accoucher dès son arrivée, puis aussitôt remise sur pied, vaquer à ses tâches ordinaires. (p.216)

C’est seulement au XIXe siècle que les caractéristiques raciales ont pris une importance démesurée. À l’époque Gabriel Sagard, la pigmentation de la peau n’est ni plus ni moins distinctive que la couleur des cheveux ou des yeux.

Les nations et les peuples américains que nous avons vus (…) sont tous de couleur basanée (excepté les dents qu’ils ont merveilleusement blanches) non qu’ils naissent ainsi : ils sont de même nature que nous.

Mais c’est à cause de la nudité, de l’ardeur du soleil (…) et du fait qu’ils (…) s’enduisent assez souvent le corps d’huile ou de graisse avec des pigments de différentes couleurs qu’ils appliquent et mêlent pour sembler plus beaux. (p.220)

Au sujet de leur tempérament, le frère Gabriel écrit  :

Les Amérindiens, en général, ont l’esprit et l’entendement assez bons (…) et sont d’une humeur assez joyeuse et contente. (p.224)

Mais ils estiment que les Français parlent trop et qualifient de ‘femmes’ les grands parleurs. (p.224)

Lieu rituel, le sauna autochtone est également un lieu de socialisation.

Lorsque quelqu’un veut assister à une séance de sudation (qui est le remède le plus propre et le plus commun qu’ils aient pour se conserver en santé, prévenir les maladies ou les combattre), il appelle plusieurs de ses amis pour suer avec lui…

Ils font donc rougir quantité de cailloux dans un grand feu à l’extérieur, puis les en retirent pour faire un tas au milieu de la cabane…

Les hommes nus doivent suer, les uns joignant les autres, bien serrés et pressés tout autour du tas de pierres, assis contre terre avec les genoux repliés… Parfois ils boivent de grands pots d’eau froide…

Ayant sué suffisamment, ils sortent et vont se jeter à l’eau s’ils sont proches d’une rivière. Sinon, ils se lavent à l’eau froide… (p.273)

Conclusion

Depuis deux semaines, je me suis immergé dans le monde de Gabriel Sagard.

Au-delà du pittoresque des expressions — atténué par la transposition en français moderne — ce qui est frappant dans les écrits du frère Gabriel, c’est à quel point les êtres humains ne changent pas.

Loin de vous avoir rassasiés, amis lecteurs, j’espère que ce recueil d’extraits de son ‘Grand Voyage…’ vous donnera le gout de vous plonger également dans le XVIIe siècle pour découvrir ce qu’il peut nous apprendre sur ce que nous sommes.

Références :
Arrivée des Récollets en Nouvelle-France
Frères mineurs récollets
Hurons-Wendat
Joseph Le Caron
Les Récollets en Nouvelle-France
Loi sur les Indiens
Monuments intellectuels de la Nouvelle-France et du Québec ancien — Aux origines d’une tradition culturelle
Sagard (1623-1624)
Sagard, Gabriel

Complément de lecture : Proximité autochtone québécoise d’hier à aujourd’hui (2021-03-01)

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Carte de 1755 : © Geographicus Rare Antique Maps et Wikipédia

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Colonisation et esclavage en Nouvelle-France

Publié le 19 février 2019 | Temps de lecture : 11 minutes
Carte de l’Amérique du Nord, réalisée en 1689 (© — Musée Stewart)

Introduction

Le Canada — qui correspondait en gros à la vallée du Saint-Laurent — de même que l’Acadie et la Louisiane étaient les trois territoires constituants de la Nouvelle-France.

À eux trois, ils formaient un immense croissant qui partait du golfe du Saint-Laurent et qui traversait l’Amérique du Nord jusqu’à l’embouchure du Mississippi.

Le colonialisme ibérique en Amérique du Sud

Règle générale, le colonialisme consiste à asservir des peuples afin de s’emparer par la force de leurs richesses.

Ce fut le cas au Mexique et en Amérique du Sud où sévissait la colonisation ibérique (Espagne et Portugal).

Les bateaux de la flotte royale espagnole en provenance du Mexique et du Pérou — chargés des trésors pillés aux Aztèques et aux Incas — se ravitaillaient à La Havane avant d’entreprendre, chaque printemps, la traversée de l’Atlantique vers l’Espagne, où ces trésors servaient à consolider la puissance du roi.

Cette prédation fut possible parce que les Aztèques, les Mayas et les Incas fabriquaient des parures en or et élevaient des temples sacrificiels aux riches décors sculptés où s’accumulaient les offrandes.

Le colonialisme anglais en Amérique du Nord

Les populations indigènes d’Amérique du Nord pratiquaient une économie de subsistance. Leurs parures étaient en plumes, en dents et en fragments d’os. Leurs habitations temporaires étaient en bois, en peaux et en écorces.

Bref, rien à voler.

À différence de la colonisation ibérique, la colonisation anglaise en Amérique du Nord fut prédatrice d’une autre manière; elle visait à déposséder les Autochtones de leurs territoires afin d’y installer des colons.

La Nouvelle-Angleterre servait alors de déversoir pour accueillir les surplus de population que n’arrivait pas à nourrir le sol anglais. Ce déversement démographique nécessitait la disparition des peuples qui habitaient la colonie jusque là.

Les troupes anglaises ont fait pareil en Acadie en déportant la population française afin de faire place à des colons britanniques.

Le colonialisme anglo-saxon a pour coutume de massacrer les populations qui résistent à leur dépossession et, bien des siècles plus tard, à s’en excuser lorsque ces populations ont disparu ou en voie d’extinction.

Le colonialisme français en Amérique du Nord

Ailleurs dans le monde, le colonialisme français ne se distingue pas des autres.

Mais en Nouvelle-France, ce colonialisme a adopté un ‘modèle d’affaires’ complètement différent.

Du point de vue économique, ce qui intéressait le pouvoir royal au Canada, c’était essentiellement la traite des fourrures.

Depuis les écrits de l’historien David Hackett-Fisher, on sait qu’à cela, il faut ajouter les motivations mystiques et utopistes des premiers responsables du peuplement de la colonie.

Pour ceux-ci, la richesse de la Nouvelle-France, ce n’est pas la présence de métaux précieux, mais son réservoir d’âmes à convertir. Non pas par la force, mais par un prosélytisme insistant, mais relativement bienveillant.

Il s’agit là d’une différence fondamentale entre le colonialisme français en Amérique du Nord et les colonialismes anglais, espagnol et portugais.

Le rêve de Champlain

Au sujet du ‘Rêve de Champlain’, écrit par l’historien David Hackett-Fisher, l’éditeur résume :

Lui qui était né dans un pays ravagé par les guerres de religion, il a encouragé les mariages entre colons et Indiens, il a prêché la tolérance envers les protestants.

Il a inlassablement tenté de maintenir la paix entre les nations indiennes, mais il a su quand il le fallait prendre les armes et imposer un nouvel équilibre politique, se révélant ainsi un guerrier et un stratège redoutables.

Il a été un leader visionnaire, surtout si on le compare à ses contemporains anglais et espagnols, un homme qui rêvait d’un monde plus humain et vivant en paix, dans une époque marquée par la cruauté et la violence.

Le commerce des fourrures a déterminé les liens entre Français et Autochtones.

Les coureurs des bois français étaient des commis voyageurs dont l’activité commerciale exigeait de bons rapports avec leurs clients autochtones.

Si les explorateurs français ont souvent été accompagnés d’un Jésuite (qui leur servait de cartographe), les coureurs des bois préféraient la compagnie d’une conjointe autochtone (qui leur servait d’interprète).

Menacé, le coureur des bois ne pouvait pas appeler personne à l’aide : sa survie dans l’immensité du territoire dépendait d’une attitude amicale réciproque avec les Autochtones.

Les Métis s’appellent ainsi parce qu’ils sont nés de la fusion de deux peuples; les francoQuébécois et des Autochtones. Parce que les Anglais, eux, ne se mêlent pas « à ces gens-là.»

Longtemps, les locuteurs français de ce pays et des autochtones partageaient la même dure condition humaine soumise à l’adversité du climat.

En commentaire à un article du Devoir, Jean-Paul Picard écrit :

Dès le début avec Champlain en Acadie, les relations entre les Français et les premières nations étaient régies par des alliances avec eux. Ces alliances toujours verbales couvraient surtout la coopération militaire, la présence des missionnaires et le commerce des fourrures.

Elles étaient retravaillées, renégociées, améliorées et convenues de nouveau pratiquement chaque année au gré des deux parties. Parfois, ces alliances étaient revues d’un commun accord juste avant chaque campagne militaire.

Conformément à la tradition amérindienne, ces alliances verbales se concluaient par des échanges de wampums. Les Français et les Amérindiens signataires étaient donc des alliés et des amis. (…)

(Contrairement aux Anglais,) les Français ne faisaient pas signer de traités de cession de territoire.

C’est la création des réserves, typique du colonialisme anglo-saxon, qui a fait des autochtones un sous-prolétariat d’une pauvreté extrême avec lequel les autres Québécois ne pouvaient plus avoir les mêmes affinités.

La dépossession des terres occupées par les peuples autochtones, leur caractérisation en fonction de la pureté du sang, leur concentration dans des réserves (où on pouvait les affamer) s’inscrivait dans la grande politique génocidaire de John-A. Macdonald.

Ce colonialisme prédateur est intimement lié à l’histoire du Dominion du Canada, celui des 150 dernières années. Mais cela est étranger à l’histoire de la Nouvelle-France.

Et l’esclavage dans tout cela ?

En 1998, Dorothy-W. Williams publiait ‘Les Noirs à Montréal’. Dans ce livre, l’auteure fait, entre autres, l’historique de l’esclavage en Nouvelle-France.

Les exploitations agricoles du Canada étaient trop petites pour justifier le recours important à des esclaves. À l’époque, seule une production agricole de masse — comme au sud des États-Unis — aurait pu nécessiter une main-d’œuvre abondante.

Le premier Noir au Canada se nomme Matthieu da Costa. Il s’agit d’un marin polyglotte d’origine inconnue que Champlain avait choisi en 1606 pour lui servir d’interprète. Mais il n’est pas un esclave.

Le premier en Nouvelle-France sera Olivier Le Jeune. Celui-ci arrive à Montréal en 1629 en provenance de l’ile de Madagascar.

La naissance officielle de l’esclavage au Canada date du 1er mai 1689. Ce jour-là, Louis XIV accorde le droit à ses sujets de Nouvelle-France d’importer des esclaves africains.

Déjà, au sein de la haute bourgeoisie et du haut-clergé parisien, il est bien vu de posséder un esclave noir.

En 1671, la marquise de Coëtlogon donne naissance à un bébé au teint foncé. Dans sa correspondance, Madame de Sévigny impute ironiquement cet évènement au gout immodéré de la marquise pour le chocolat. Signalons que le majordome de la marquise était originaire des Antilles…

L’esclavage autochtone

Contrairement à la France, les esclaves au Canada sont principalement des Autochtones.

En 1759, à la veille de la conquête anglaise, le nombre d’esclaves au Canada est de 3 604 personnes, dont les deux tiers sont des Autochtones. Ceux-ci servent principalement aux travaux agricoles et aux tâches ardues.

Comment justifiait-on l’esclavage ?

Lorsque Jean de Brébeuf et ses sept compagnons sont torturés à mort par les Iroquois, ils ne font que subir le sort infligé aux vaincus.

Les traditions guerrières amérindiennes voulaient que les vaincus expient la honte de leur défaite en subissant courageusement la torture. Et parfois même la mort.

Pour ces peuples qui avaient quitté l’Asie il y a des millénaires, cela s’apparentait au pouvoir rédempteur du harakiri japonais.

En Nouvelle-France, on justifiait donc l’esclavage autochtone par des motifs ‘charitables’; butins de guerre, ces Autochtones seraient morts sous la torture, disait-on, n’eût été leur achat comme esclave.

En réalité, les perdants des guerres indiennes n’étaient pas systématiquement tués. Ce fut le cas de Jean de Brébeuf. Certains Français, capturés par les Iroquois, ont été libérés après amputation d’un ou de plusieurs doigts. D’autres ont eu plus de chance; en 1661, Tadhg-Cornelius O’Brennan, le premier Irlandais au Canada, alors âgé de 23 ans, est libéré sans une égratignure après des mois de captivité chez les Iroquois.

L’esclavage noir

En 1759, les 1 132 esclaves noirs travaillent dans 962 foyers.

Alors que les esclaves autochtones sont généralement des travailleurs manuels agricoles, les esclaves noirs travaillent en ville en tant qu’aides-domestiques ou aides-soignants.

Au sujet des esclaves noirs, Dorothy-W. Williams écrit :

…ils sont de plus considérés comme des propriétés de valeur : ils sont les symboles de prestige social pour leurs propriétaires.

Compte tenu de leur état de domestique, de leur cout élevé et de la difficulté à s’en procurer, la plupart des esclaves africains bénéficient d’un traitement « indulgent » tout simplement parce qu’on veut les garder longtemps à son service.

Les Noirs en Nouvelle-France n’étaient pas tous esclaves puisque leur émancipation était encouragée et pratiquée par le clergé.

En déclin durant les dernières années de la Nouvelle-France, l’esclavage prit un nouvel essor après la conquête anglaise selon l’auteure.

Conclusion

Depuis la conquête, le racisme anglo-saxon a sournoisement perverti l’ensemble de la société canadienne, y compris au Québec.

Ici comme ailleurs, dès le XIXe siècle, des institutions ont entrepris de collaborer aux politiques génocidaires décidées au plus haut sommet de l’État canadien.

De peuple frère des Autochtones, nous avons laissé la suspicion s’installer entre nous.

Mais qu’en est-il de nous, antérieurement à la conquête ?

L’histoire de la Nouvelle-France n’a pas besoin d’être idéalisée.

De part et d’autre de l’Atlantique, deux civilisations ont vécu leur propre épopée.

D’une part, quelques tribus asiatiques ont traversé le pont de glace et de pierre qui recouvrait le détroit de Béring pour se lancer à la conquête d’un continent vierge et y donner naissance à une grande variété de peuples, de langues et de coutumes.

Et d’autre part, à la Renaissance, des Français traversent un océan capricieux dans l’espoir d’y bâtir un monde meilleur que celui qu’ils quittent.

Au-delà du choc des mentalités, Autochtones et Français se sont liés d’amitié, ont développé des liens commerciaux et ont écrit une des pages les plus lumineuses de l’histoire de l’Humanité. Une page qui s’est terminée par la conquête anglaise.

À ceux qui voudraient nous faire partager la culpabilité qu’ils éprouvent en raison des crimes commis par leurs ancêtres anglo-saxons, notre meilleure manière de résister à cela est de mieux connaitre notre propre histoire, très différente.

Celle-ci a été écrite par des géants qui devraient servir de modèles à l’Humanité tout entière.

Références :
La disparition de l’Empire aztèque
L’époque troublée du premier Irlandais au Canada
Williams DW. Les Noirs à Montréal. vlb éditeur, Montréal, 1998, 212p.
Martyrs canadiens
Olivier Le Jeune
When Winconsin was New France

Parus depuis :
Le Canada accusé de «génocide» envers les femmes autochtones (2019-06-01)
Des traces de l’esclavage se retrouvent également au Canada (2019-08-23)
Un musée national racontera l’histoire du Québec (2024-05-08)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Rencontres sur la Nouvelle-France

Publié le 6 décembre 2018 | Temps de lecture : 1 minute
Éric Bouchard et Biz

Durant l’année 2018-2019, à l’auditorium de la Grande Bibliothèque de Montréal, la Fondation Lionel-Groulx organise une série de neuf conférences gratuites au sujet de personnalités marquantes de notre histoire.

Le 7 novembre dernier, j’assistais à celle, très intéressante, donnée par l’historienne Catherine Ferland au sujet de Jean Talon.

Hier soir devant une salle pleine, c’était le tour de Biz — rappeur et romancier bien connu — de nous entretenir au sujet du plus grand héros de notre histoire (portant riche à ce sujet) : d’Iberville.

Tantôt drôle, toujours passionné, Biz s’est avéré un extraordinaire vulgarisateur.

À mettre sur votre agenda : la prochaine rencontre se tiendra le 6 février 2019. Elle portera sur la grande famille d’explorateurs et de militaires que furent les La Vérendrye. Cette conférence sera donnée par l’anthropologue Serge Bouchard.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Quand le Labrador était gouverné par François Martel, sieur de Brouage

Publié le 18 octobre 2018 | Temps de lecture : 7 minutes
Carte de l’Amérique du Nord, réalisée en 1689 (© — Musée Stewart)

Introduction

Il y a plusieurs lignées de Martel au Québec.

Celle dont je suis descendant est d’origine parisienne.

Apparues dans la colonie quelques années plus tard, deux autres lignées sont dites ‘de Brouage’.

Elles sont issues de deux frères nés d’une famille originellement installée à Brouage. Ce port est situé dans le sud-ouest de la France, dans une commune d’où provient Samuel de Champlain.

Bien avant leur naissance, les Martel de Brouage avaient quitté ce port pour la ville de Bastide-Clairence, située à 360 km plus au sud.

Ces deux frères sont Pierre-Gratien et Raymond Martel de Brouage. Ce dernier, le plus jeune, abandonnera son nom ‘de Brouage’ à son arrivée dans la colonie.

Voici quelques personnages qui marqueront l’ascension sociale des Martel de Brouage, de leur arrivée dans la colonie jusqu’à la fin du régime français.

François Bissot (1613-1673)

Sur ordre de Louis XIII, une première seigneurie fut créée en 1636 sur la rive sud du Saint-Laurent.

C’était la seigneurie de Lauzon. Son territoire correspondait aux limites de l’actuelle ville de Lévis, en face de Québec.

Pendant longtemps, aucun colon français n’y demeurait puisque ce territoire était périodiquement le théâtre de razzias d’Iroquois venus de ce qui est aujourd’hui l’État de New York.

Tout au plus, y venait-on pêcher l’anguille sur ses rives.

En 1647, un premier colon s’y installa, suivi de François Bissot l’année suivante.

Le 25 octobre de cette année-là, ce dernier épousa la petite-fille de Louis Hébert, premier apothicaire de la colonie.

François Bissot était plein d’audace et s’illustra rapidement par son sens de l’entreprise en construisant un moulin en 1655 et, grâce aux revenus qu’il en tira, la première tannerie de Nouvelle-France en 1668.

On y travaillait les peaux de bœufs, d’élans, de chevreuils, et même de marsouins et de phoques.

L’entreprise approvisionnait en bottes et souliers les troupes de la colonie. On estime que sept ans après sa fondation, la manufacture fabriquait huit-mille paires de souliers par année.

En 1670, sa fille Catherine Bissot (son 4e enfant) épouse Étienne Charest (dont nous parlerons dans quelques instants).

Deux ans après le décès de François Bissot en 1673, sa fille Claire-Françoise Bissot (son 5e enfant) épouse Louis Jolliet, qui deviendra le plus grand explorateur de l’Amérique du Nord.

Étienne Charest (1635-1699)

À son mariage avec Catherine Bissot en 1670, Étienne Charest est déjà l’associé et l’homme de confiance de son beau-père.

Lorsque ce dernier décède trois ans plus tard, c’est Étienne Charest qui prend ses affaires en main. Si bien qu’à son propre décès, 26 ans plus tard, Étienne Charest a acquis l’essentiel de la fortune de François Bissot.

Mais entretemps, en 1687, la plus âgée de ses filles, Marie-Charlotte, épouse Pierre-Gratien Martel de Brouage (1662-1696). Elle a alors 14 ans, lui 25.

Le jeune couple s’installe à Québec où tout le monde se connaissait.

Étienne Charest habitait une maison (située sur la rue du Sault-au-Matelot) qui avait une vocation commerciale puisque c’était également un des commerces les plus florissants de la capitale.

Non seulement y venait-on pour trouver chaussure à son pied, mais le commerce offrait une grande variété de produits.

Et pour approvisionner son commerce de Québec et sa manufacture de Lévis, Étienne Charest brassait des affaires jusqu’au Labrador où il s’occupait de la pêche de la morue et de la chasse aux phoques.

Sans avoir obtenu de concession du roi, Pierre-Gratien Martel de Brouage avait pris l’initiative d’y construire un poste de traite, acheter des goélettes et procéder à des aménagements à divers endroits le long de la côte de Labrador afin d’approvisionner le commerce de son patron Étienne Charest.

C’est d’ailleurs au cours d’une de ses tournées au Labrador que Pierre-Gratien Martel de Brouage disparut, le 1er septembre 1696.

Il laisse orphelin son fils, François Martel de Brouage (1692-1761), alors âgé de quatre ans.

Augustin Le Gardeur de Courtemanche (1663-1717)

L’année suivante, en 1697, sa veuve épouse en secondes noces Augustin Le Gardeur de Courtemanche. Ce denier était un brillant militaire et un diplomate.

Après ce mariage, Augustin Le Gardeur de Courtemanche décida de prendre en main les intérêts au Labrador de son épouse.

En 1702, il se fait accorder pour dix ans des concessions royales qui légalisent les activités qu’on y mène déjà.

En 1714, ces concessions sont transformées en concessions à vie alors que Louis XIV le nomme ‘Commandant pour le roi de la côte de Labrador’.

À sa mort, quatre ans plus tard, son beau-fils François Martel de Brouage lui succède grâce aux représentations que Philippe de Rigaud de Vaudreuil, gouverneur de Nouvelle-France, effectue en sa faveur auprès du duc d’Orléans, Régent du royaume depuis la mort de Louis XIV.

Dans les documents officiels signés à Versailles, François Martel de Brouage est appelé ‘le sieur de Brouage’. Ni son prénom ni son véritable nom de famille ne sont mentionnés.

François Martel, sieur de Brouage

À 25 ans, François Martel devient donc commandant du roi de la côte du Labrador, poste qu’il occupa de 1718 à 1761.

Ses fonctions l’obligent à revenir régulièrement à Québec pour se ravitailler et faire rapport de ses activités. Puis à regagner le Labrador de mai à novembre, quand les icebergs ne sont plus une menace à la navigation. Durant l’été, il est rejoint par son épouse et ses cinq filles.

Contrairement à la vallée du Saint-Laurent où règne l’harmonie depuis la Grande Paix de Montréal de 1701, les relations sont conflictuelles entre les Esquimaux et les pêcheurs venus de France écumer les riches bancs de poissons du Labrador.

De plus, des conflits surgissent entre les marins qui évacuent les frustrations accumulées en mer en se battant dans les débits de boissons où ils s’entassent. Sans compter les capitaines frustrés de rester en retrait en mer parce que les quais sont encombrés.

Malgré le confort relatif dont il s’entoure, François Martel connait une difficulté croissante à convaincre ses filles de passer tout l’été au Labrador.

Si bien qu’il multipliera ses absences à Québec, surtout à partir de 1754.

Informé que des capitaines français procurent illégalement des armes et des munitions aux Esquimaux, Louis XV écrit en 1759 au gouverneur Vaudreuil pour l’informer des lacunes du travail du sieur de Brouage.

À la veille de la conquête, le blocus qu’imposait la flotte anglaise empêcha cette lettre d’atteindre son destinataire.

Si bien que François Martel conserva son poste jusqu’à la fin du régime français.

Références :
François Bissot
Jean Talon
La famille Martel de Brouage
Martel, Raymond
Sarrazin J. Quand le Labador était français… Forces 1970; no 13: 4-18.
Seigneurie de Lauzon

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La disparition de l’Empire aztèque

Publié le 28 janvier 2018 | Temps de lecture : 2 minutes


 
En 1519, lorsque l’Espagne entame la conquête de l’Empire aztèque, celui-ci est peuplé de vingt-deux millions d’habitants.

Huit décennies plus tard, il n’en compte que deux, soit une chute démographique de 90 %.

La première cause était connue. Quelques années après le début de la conquête, une épidémie de varicelle tua cinq à huit millions de personnes.

De 1545 à 1560, une deuxième épidémie, différente de la première, décima quinze millions d’Aztèques. Le décès survenait trois ou quatre jours après le début des symptômes.

Celle-ci fut l’une des trois épidémies les plus meurtrières qui décimèrent ce peuple après l’arrivée des Européens.

Or, justement, entre 1545 et 1576, le climat anormalement pluvieux favorisa l’explosion des populations de rats, vecteurs probables de la deuxième épidémie.

La troisième fut une réapparition de la deuxième, de 1576 à 1578. Elle tua la moitié des survivants.

Pendant longtemps, la nature exacte des deux dernières grandes épidémies demeura incertaine.

Effectuée à partir de l’ADN prélevé de la pulpe dentaire de 29 squelettes exhumés d’un cimetière aztèque, une étude publiée le 15 janvier 2018 a en finalement révélé la responsable; la Salmonella enterica du sérotype Parathyphi C, une bactérie apparentée à celles qui causent le choléra et la fièvre thyphoïde.

Références :
500 years later, scientists discover what probably killed the Aztecs
La fièvre typhoïde, fléau des Amériques ?
Mexique

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Des dieux et des jours

Publié le 17 janvier 2018 | Temps de lecture : 3 minutes

Introduction

C’est en Mésopotamie (une région située dans l’Irak actuel) qu’est née l’astronomie.

Vers le VIIe siècle avant notre ère, des astrologues y divisent le cycle lunaire en quatre phases égales de sept jours.

Ces derniers portaient le nom babylonien des sept astres connus à l’époque : Saturne, le soleil, la lune, Mars, Mercure, Jupiter et Vénus.

À la suite des conquêtes, ces connaissances ont été transmises aux Grecs puis aux Romains. Ces derniers nommèrent leurs jours non pas en hommage aux astres mais, strictement parlant, aux dieux qui avaient donné leur nom à un astre.

En français

Le mot lundi vient du latin Lunis diem, ce qui signifie ‘jour de la déesse de la lune’.

Martis diem, le deuxième jour de la semaine, rend hommage à Mars, le dieu romain de la guerre.

Mercredi vient de Mercure, le messager des dieux.

Le nom du quatrième jour de la semaine, jeudi, vient de Jovis diem, ce qui signifie ‘jour de Jupiter’, l’être suprême selon les Romains.

Du latin Veneris diem, le vendredi honore Vénus, la déesse de l’amour et de la beauté.

Chez les Romains, le jour suivant honorait Saturne. Mais dès la christianisation de Rome, ce jour fut appelé Sambati diem (ou ‘jour du sabbat’), c’est-à-dire le jour consacré au culte divin chez les Juifs. En français, c’est devenu samedi.

Le lendemain, les Romains honoraient Sol, le dieu du soleil, de la lumière et de la chaleur. Mais ce jour fut christianisé en die dominicu, ce qui signifie ‘jour du Seigneur’.

Dimanche est le seul jour de la semaine qui commence par la syllabe ‘di’ au lieu de se terminer par elle.

En anglais

Lorsque les peuples du nord-ouest de l’Europe furent confrontés aux légions romaines, ils réalisèrent la supériorité de certains aspects de la civilisation gréco-romaine.

Tout comme les Romains avaient adopté la mythologie des Grecs tout en latinisant le nom de leurs dieux, les Anglo-Saxons ont cherché dans leur propre mythologie quels étaient les dieux qui possédaient les attributs les plus apparentés aux dieux romains et ont décidé que les jours seraient nommés, si possible, en l’honneur de leurs équivalents nordiques.

On conserva néanmoins l’hommage à certains dieux romains.

Le samedi demeura le jour de Saturne (Saturday). Tout comme le dimanche et le lundi : ceux-ci honorèrent respectivement le Soleil (Sunday) et la lune (Monday, déformation de ‘Moon Day’).

Mais dès le mardi, c’est au dieu Tiw (probablement dieu nordique de la guerre) qu’on rendit hommage. Tuesday est la déformation de ‘Tiw’s Day’.

Le mercredi, on pensa au dieu Woden, apparenté à Mercure. Ce qui donna Wednesday.

Alors que Jupiter est souvent représenté un foudre à la main, le jeudi (ou Thursday) s’appela ‘Thunresdæg’ en hommage à Thunor, dieu du tonnerre (hérité du dieu Thor des Vikings).

Tout comme Vénus donna en français son nom au vendredi, c’est la déesse équivalente Frig qui donna en anglais son nom à Friday.

Conclusion

Les mots sont souvent forgés par l’histoire.

Le nom des jours provient d’une décision prise il y a presque trois millénaires par des astrologues mésopotamiens. Une décision imitée par les Grecs, puis les Romains et transmise jusqu’à nous sous leur influence.

Références :
Astronomie mésopotamienne
Why Wednesday? The days of the week have a convoluted religious heritage

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La leçon d’Expo67

Publié le 22 septembre 2017 | Temps de lecture : 8 minutes

Une fois par semaine, j’avais pris l’habitude de passer la journée à l’Expo67.

Pour ce faire, je prenais l’autobus tôt le matin et je revenais le soir à Joliette par le dernier autobus. Quelques fois, l’ayant raté, je faisais de l’autostop et rentrais à la maison un peu avant minuit.

À part ce souvenir pris dans la cabine photographique Expo Service E, je n’ai conservé aucune photo de mes visites à l’expo.

Si la photographie argentique (c’est-à-dire sur film) n’avait pas été si dispendieuse, j’aurais probablement tout photographié tant mon émerveillement était grand.

Aux pavillons de la Russie et de la Tchécoslovaquie, la file d’attente était tellement longue qu’à chaque tentative, je remettais la visite à la prochaine fois dans l’espoir que l’achalandage y diminuerait avec le temps. En vain. Si bien que ce furent les deux seuls pavillons que je n’ai pas vus.

Dans tous les autres, j’ai vu tous les films (parfois à plus d’une reprise) et entendu tous les enregistrements. Il n’y a pas une seule ligne de texte en français que je n’ai pas lue.

Au papillon de la France, à toutes les dix minutes, on faisait jouer une œuvre de Xenakis, un compositeur de musique atonale qui me tombait sur les nerfs. J’en sortais exaspéré. C’était comme si on voulait éviter que les gens s’éternisent à visiter les lieux.

Aller à l’expo, c’était comme visiter le monde sans décalage horaire, sans transporter de lourds bagages, sans attente dans des aéroports et sans se fatiguer.

Au Québec, l’Expo67 changea radicalement les mentalités. Lointains et étranges, les autres pays devenaient soudainement familiers, beaux et amicaux.

Ce fut la plus grande exposition universelle tenue jusqu’à ce moment-là.

Elle fut l’œuvre de quelques Canadiens anglophones et d’une majorité de Francophones. C’était à l’époque où les femmes n’avaient pas encore pris la place qui est la leur aujourd’hui dans la sphère publique. C’était donc tous des hommes.

Quelques-uns d’entre eux étaient de grande expérience.

Il y a d’abord Pierre Dupuy, commissaire général. En d’autres mots, c’était le patron. Théoriquement.

Dans les faits, son rôle a été d’ordre diplomatique. Profitant de la bonne réputation internationale du Canada, ce diplomate de carrière recueillit l’adhésion d’un nombre record de pays participants, soit une soixantaine.

Il y a surtout le colonel Edward Churchill, directeur de l’aménagement, sans qui Expo67 n’aurait jamais été prêt à temps. En seulement trois ans — plus précisément du 20 juin 1964 au 28 avril 1967 — voici ce qu’il fallait faire :
• l’érection de 847 édifices,
• 82 km de routes ou de chemins piétonniers,
• 27 passerelles et ponts,
• 162 km de canalisations pour l’eau, le gaz, l’électricité et l’éclairage,
• 37 km d’égouts et de tuyaux d’écoulement,
• 84,5 km de conduits de communication,
• 88 500 km de fils et câbles de communication,
• des espaces de stationnement pour près de 25 000 véhicules,
• 14 950 arbres et 89 000 arbustes, plantes et bulbes,
• 0,8 km² de gazon,
• 256 piscines, fontaines et sculptures,
• des bancs pouvant assoir 6 200 personnes,
• 4 330 bacs à déchets et
• 6 150 lampadaires extérieurs.

À pester contre les entrepreneurs qui tentaient d’avoir plus de temps, à botter le derrière des employés qui se trainaient la patte, le colonel finit par faire un infarctus.

Le téléphone à la main, les yeux rivés sur le schéma du cheminement critique des travaux collé aux murs de sa chambre d’hôpital, le colonel a continué de diriger le chantier. Au grand désespoir de ses médecins qui lui recommandaient le repos.

Parmi les hommes d’expérience, il faut ajouter Édouard Fiset, architecte en chef, responsable de concevoir tous les pavillons thématiques.

À l’opposé, on trouvait Pierre Bourque. À 23 ans, celui-ci commandait une troupe de 700 personnes œuvrant à l’aménagement paysager.

Entre ces deux extrêmes, on trouvait une majorité d’hommes dans la vingtaine, la trentaine ou la quarantaine.

Voici leur âge en 1964, lors de leur entrée en fonction :
• Philippe de Gaspé Beaubien, directeur de l’exploitation (36 ans)
• Pierre de Bellefeuille, directeur des exposants (41 ans)
• Dale Rediker, directeur des finances (âge inconnu)
• Edward Churchill, directeur de l’aménagement (âge inconnu)
• Édouard Fiset, architecte en chef (54 ans)
• Moshe Safdie, étudiant à McGill dessine Habitat 67 (24 ans)
• Yves Jasmin, directeur de l’information (42 ans)
• Julien Hébert, designer du symbole graphique (47 ans)
• Georges Huelm, graphiste en chef (34 ans)
• Paul Arthur, responsable de la signalétique (40 ans)
• Michel Robichaud, styliste, responsable des uniformes (27 ans)
• Pierre Bourque, responsable de l’aménagement paysager (23 ans)
• Stéphane Venne, compositeur de la chanson-thème (23 ans)

De nos jours, il est rare qu’un projet d’une telle envergure soit confié à autant de jeunes dirigeants.

Pourquoi fut-ce le cas à l’Expo67 ?

Le 8 mars 1960, le Bureau international des Expositions accorde à la Russie la permission d’organiser une grande exposition universelle de catégorie A à Moscou.

La Russie voulait ainsi célébrer de manière éclatante le cinquantième anniversaire de la Révolution de 1917.

Mais bientôt on déchanta. Des critiques s’élevèrent contre le danger représenté par ces étrangers qui traverseraient le Rideau de fer, parmi eux de nombreux espions occidentaux, mêlés à des millions de visiteurs occidentaux qui — par leur tenue proprette et leurs accessoires dernier-cri — risqueraient d’exercer une mauvaise influence et corrompre l’esprit du prolétariat soviétique.

En 1962, coup de théâtre; Moscou se désiste.

Mais il est trop tard pour recommencer un nouveau concours. On se tourne aussitôt vers le Canada, qui avait perdu contre la Russie deux ans plus tôt.

Le Canada accepte.

Le premier ministre canadien, John Diefenbaker, offre d’abord au maire de Toronto la possibilité d’organiser l’exposition.

Celui-ci refuse puisque son administration est occupée à réaliser un vaste projet d’amélioration des infrastructures municipales. « Donnez-ça à Drapeau (le maire de Montréal) pour qu’il s’y casse la gueule » dit le maire de Toronto en plaisantant (à moitié).

Mais Drapeau accepte.

Une première administration est nommée. Des conflits avec la ville surgissent au sujet du choix du site.

Malgré son opposition, les contrats sont accordés en vue de la création de l’ile Notre-Dame et la fusion de l’ile Sainte-Hélène et l’ile Ronde (sur laquelle se trouve aujourd’hui le parc d’attractions La Ronde).

Ridiculisée, cette première administration démissionne au début de 1964. Il ne reste plus que trois ans.

Aux yeux de tous, l’exposition universelle de Montréal est en très sérieuse difficulté. Qui voudra prendre la relève ?

Lorsqu’on sollicite des personnalités connues pour prendre en charge l’évènement, ceux-ci hésitent. Leur carrière, jusque-là brillante, pourrait être entachée d’un échec cuisant dont tout le monde se rappellera pendant des années.

Alors les portes se ferment. Poliment.

En désespoir de cause, on se tourne vers des jeunes talentueux qui, moins par ambition que par insouciance, se lancent à l’aventure, totalement inconscients du piège qu’on leur tend.

Et ces jeunes décident de n’écouter personne et de faire les choses à leur manière.

Au lieu d’un long titre (ex.: Exposition universelle de Montréal de 1967), tel qu’attendu, ce sera Expo67.

Au lieu d’un symbole graphique qui rappelle les raisons pour lesquelles le Canada a obtenu cette exposition (le Centenaire du Dominion du Canada), ce sera un cercle formé d’êtres humains stylisés, deux par deux, sans aucune référence au Canada. Des couples d’êtres humains dont on ignore le sexe.

Pour éviter les pressions des pays en faveur d’une signalétique dans leur langue nationale, on crée des symboles graphiques dépourvus de texte descriptif, même pas dans les langues nationales du Canada.

Par leur audace et leurs provocations répétées, ces jeunes suscitent les critiques de toutes parts, particulièrement au Canada anglais. Si bien que leurs adversaires se réjouissent d’avance de leur échec anticipé.

Lorsque s’ouvrent les portes d’Expo67, la foule se presse aux guichets et se rue sur les pavillons. Au cours des six mois que durera l’exposition, quinze-millions de visiteurs et cinquante-millions d’entrées seront enregistrées. Le plus grand succès jusque là et probablement l’évènement le plus important de l’année… après la parution de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, évidemment.

Mais pourquoi n’a-t-on pas appris la leçon d’Expo67 ? Cette leçon est simple : faites confiance aux jeunes. La prudence étouffe. C’est l’audace qui délivre.

De nos jours, qui oserait confier un projet de 432 millions$ — ce qui vaut 3,1 milliards$ en dollars d’aujourd’hui — à des gens talentueux, mais qui ont si peu d’expérience ?

C’est à croire que la génération des Babyboumeurs — à qui les générations qui ont souffert de la guerre ont tellement fait confiance — a oublié de rendre la pareille à ceux qui l’ont suivie…

Références :
Exposition universelle de 1967
La construction d’Expo 67
La magie d’expo et son magicien en chef

Paru depuis :
Habitat 67, modèle d’une nouvelle génération d’appartements en Asie (2019-09-04)

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Écrit par Jean-Pierre Martel