Le 3e lien et le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine

Publié le 18 octobre 2021 | Temps de lecture : 4 minutes

Introduction

Confier au privé le soin de créer un lien routier traversant le fleuve Saint-Laurent à Québec coutera au moins dix-milliards de dollars, mais la création d’un tel lien à Montréal coutait autrefois vingt fois moins (en dollars constants) quand l’État s’en chargeait.

Le Troisième lien

Partie sous-fluviale du 3e lien

Reliant l’autoroute 40 (du côté de la ville de Québec) à l’autoroute 20 (du côté de la ville de Lévis), le tracé du 3e lien entre ces deux villes sera en partie terrestre et en partie souterrain (voire sous-fluvial).

Pour réaliser ce qui sera sous terre, on fera fabriquer en Allemagne le plus gros tunnelier au monde, au cout minimal d’un milliard de dollars.

Puisqu’il ne servira qu’une fois, le gouvernement du Québec ne l’achètera pas; on paiera pour sa fabrication sans l’acheter. Ce qui nous évitera les frais d’entreposage, pendant des années, d’une grosse machine devenue inutile.

Quant au fabricant, peut-être réussira-t-il à s’en servir pour un autre projet, mais cela n’est pas certain. Bref, nous devrons totalement en assumer les couts.

Sur les 8,3 km du tracé, seulement 1,5 km, approximativement, sera sous-fluvial.

Le 3e lien devrait couter dix-milliards de dollars… et plus, évidemment, s’il y a des dépassements de cout. Ce qui est probable.

Et comme il s’agit d’un projet pharaonique, il sera réalisé au privé puisque le ministère des Transports n’a pas les ressources internes pour réaliser un tel projet.

Le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine

Mais il y eut une époque où ce ministère n’hésitait pas à se doter de tous les talents dont il avait besoin.

C’était à l’époque où on confiait à Hydro-Québec la tâche de construire le plus gros barrage à voutes multiples au monde.

C’était aussi à l’époque où on confiait à un étudiant en architecture à McGill de concevoir Habitat 67, devenu un des chefs-d’œuvre mondiaux d’architecture du XXe siècle.

C’était également à l’époque où une poignée de jeunes Québécois talentueux réalisaient la plus grande exposition universelle tenue jusqu’à ce moment-là.

Et parmi ses grands projets réalisés par des gens d’ici, il y eut le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, réalisé par le ministère des Transports lui-même et non par le secteur privé.

Partie sous-fluviale de Louis-Hippolyte-La Fontaine

En 1959, deux ingénieurs québécois réalisent le tunnel sous-fluvial George-Massey en Colombie-Britannique. L’un d’eux a 29 ans. Il s’appelle Armand Couture.

En 1962, il apprend que le gouvernement du Québec compte construire un pont reliant l’extrémité orientale de l’ile de Montréal à la Rive-Sud. Il convainc alors le premier ministre Jean Lesage d’abandonner l’idée d’un pont et de construire plutôt un tunnel sous-fluvial.

Le 18 mai 1962, le gouvernement du Québec confie à cet ingénieur de 32 ans la tâche de réaliser ce qui était à l’époque la plus importante structure en béton au monde, longue de 1,5 km.

Débutés en 1963, les travaux furent parachevés en 1967 au cout de 75 millions$. Ce qui représente, en dollars d’aujourd’hui, la somme de 584 millions$, soit le vingtième de ce que coutera la traversée du fleuve entre les villes de Québec et de Lévis.

Références :
Centrale Manic-5
Feuille de calcul de l’inflation
La leçon d’Expo67
Le ministre Bonnardel coute cher
Le pont-tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine : une innovation québécoise
L’option parfaite, un pont-tunnel/a>
Pentes, bretelles, fleuve : les défis colossaux du tunnel Québec-Lévis
Rapport sur les affaires de l’Amérique du Nord britannique
Troisième lien entre Québec et Lévis
Un tunnelier monstre pour creuser le 3e lien

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Tire Sainte-Catherine et autoflagellation

Publié le 14 octobre 2021 | Temps de lecture : 7 minutes

Historique

Depuis le Xe siècle, la fête de la Sainte-Catherine est célébrée par les Catholiques le 25 novembre de chaque année.

Au Québec, c’était la fête des vieilles filles, c’est-à-dire des femmes de plus de 32 ans qui n’avaient pas encore trouvé un mari à leur gout.

Dans le premier quart du XXe siècle, mon grand-père paternel créa une confiserie qui, au fil des années, devint la principale entreprise de ce type des comtés de Joliette, de l’Assomption et de Montcalm.

Le 25 novembre était une des principales occasions d’affaires de l’année.

Puisque les trois premiers de ses enfants à atteindre l’adolescence furent des filles, ce sont trois de mes tantes qui eurent pour tâche de préparer la tire Sainte-Catherine.

Après avoir ajouté une grande quantité de sucre à de la mélasse, le tout devenait tellement épais que la seule manière d’en mélanger les ingrédients était de l’étirer dans le sens de la longueur pour en faire un gros câble, de suspendre ce câble collant à un mur par le moyen d’un crochet de métal, de l’étirer par les deux bouts, de le torsader, de suspendre par le milieu le câble torsadé au crochet, de l’étirer de nouveau, et ainsi de suite jusqu’à l’obtention d’une texture blonde relativement uniforme.

Puis il fallait couper le tout pour en faire des papillotes.

À l’époque, on appelait ces papillotes des klondikes en raison de leur couleur, semblable (avec un peu d’imagination) à celle de pépites d’or.

L’origine de cette coutume remonterait au XVIIe siècle. Selon la légende, c’est Marguerite Bourgeois, fondatrice de la Congrégation des sœurs de Notre-Dame, qui aurait institué cette coutume.

Sur le site du Réseau de diffusion des archives du Québec, on peut lire : “ Fait légendaire ou historique, on raconte qu’elle en aurait fabriqué pour attirer les enfants à son école, surtout les petites «sauvagesses».

Ainsi, comme la sorcière du conte ‘Hansel et Gretel’, Marguerite Bourgeois aurait utilisé cette friandise pour attirer des jeunes Autochtones à l’école, pour les séquestrer, les priver de leur culture, et leur imposer une autre religion. Et, selon cette légende, ils en sortaient aussi différents que les biscuits sortant du four de la méchante sorcière.

Apprenant cela, il n’en fallait pas plus pour que les dirigeants du Centre de santé communautaire du Grand Sudbury décident de bannir cette coutume, dans un effort de réconciliation avec les peuples autochtones du Canada.

Les politiques génocidaires anglo-saxonnes

L’idée qu’en Nouvelle-France, la tire Sainte-Catherine servait à piéger sournoisement les enfants Autochtones en vue de leur emprisonnement dans des pensionnats est le comble du ridicule. Pas un seul historien, même Autochtone, ne supporte cette thèse farfelue.

Tenter d’exterminer les peuples Autochtones pour ensuite assimiler les survivants furent des objectifs du colonialisme anglo-saxon.

Aux États-Unis, on a tué des millions de bisons dans le but précis d’affamer à mort les Sioux dont les troupeaux de bisons étaient le garde-manger.

Puis on a enfermé les survivants dans des prisons à ciel ouvert qu’étaient les réserves indiennes. Situés sur les terres les moins fertiles (préférablement désertiques) des États-Unis, ces réserves servaient à limiter leur croissance démographique.

On fit l’équivalent au Canada et en Australie.

Au Canada, on ne comptait pas sur des friandises pour attirer les enfants Autochtones dans des pensionnats. Il était tout simplement illégal pour les mères Autochtones de refuser d’envoyer leurs enfants au pensionnat. En clair, la police canadienne venait arracher les enfants des bras de leur mère.

D’autre part, en Nouvelle-France, il est vrai que les missionnaires se donnaient comme mission de convertir les Autochtones. C’était leur rôle. Comme aujourd’hui les preachers américains. Un missionnaire demeure un missionnaire.

Mais les missionnaires en Nouvelle-France n’utilisaient pas la force, ni la menace (autre que celle du purgatoire). Ont-ils utilisé des friandises ? C’est possible. Mais quelle importance ?

Va-t-on mettre sur le même pied les sévices subis par les enfants Autochtones dans les pensionnats financés par Ottawa et une offre de friandises par Marguerite Bourgeois ?

Ce qui intéressait la France en Nouvelle-France, c’était le commerce des fourrures. Paris y envoyait des commis-voyageurs appelés coureurs des bois.

Par troc, chacun d’eux devait se procurer les fourrures accumulées par les peuples Autochtones depuis sa dernière visite. Et s’il devait se quereller avec eux, il ne pouvait pas ‘appeler la police’; il était complètement à leur merci. Ce qui l’obligeait à bien s’entendre avec eux.

Conclusion

Si l’ethnie dominante du Canada se sent coupable des crimes commis par la colonisation anglaise, c’est son problème.

Grâce au Ciel, on ne nous a pas exterminé comme les Béothuks. On ne nous a pas enfermé non plus dans des réserves.

On a simplement exercé un colonialisme économique destiné à nous appauvrir. Ottawa a subventionné grassement l’annexe québécoise de la majorité anglo-canadienne par le biais des politiques destinées à soutenir les ‘minorités’ officielles du pays. Alors que la principale minorité linguistique du Canada, c’est nous.

Et pour nous forcer à adopter l’idéologie de l’ethnie dominante du pays — notamment le tribalisme anglo-saxon qui interdit toute forme de laïcité — cette ethnie nous a imposé une camisole de force constitutionnelle en 1982.

À cette occasion, les provinces anglophones ont tenu une séance ultime de négociation à l’insu du Québec et ont adopté le lendemain la Canadian Constitution sans nous.

Par des moyens très différents, Autochtones et nous devons lutter contre notre assimilation, entourés que nous le sommes d’un océan de gens qui ne partagent ni nos coutumes, ni notre manière de penser, et ni notre manière de vouloir vivre ensemble.

Du coup, nous les Québécois, n’avons pas à partager la culpabilité de l’ethnie dominante du Canada pour les crimes contre l’Humanité commis par son gouvernement colonial.

En conclusion (et pour revenir au sujet principal), si on veut éviter de manger de la tire Sainte-Catherine, que ce soit parce que cet aliment n’est pas inscrit au guide alimentaire canadien et non parce que nous devons expier une faute prétendument commise par Marguerite Bourgeois.

Références :
De coutume en culture
Fête de la Sainte-Catherine
Gabriel Sagard en Huronie
Le colonialisme économique ‘canadian’
Le génocide des Béothuks à Terre-Neuve
Le multiculturalisme ou le tribalisme des sociétés anglo-saxonnes
Pensionnats autochtones : la honte canadienne
Réconciliation avec les Autochtones – Le miroir australien
Vérité et réconciliation : devrait-on cesser de fêter la Sainte-Catherine?

Paru depuis :
Ottawa a versé des milliards pour l’anglais au Québec (2023-11-27)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés au prix que nous payons pour appartenir au Canada, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Balthasar, roi mage

Publié le 24 décembre 2020 | Temps de lecture : 4 minutes
Crèche de Kamenesky (1783) au Museu Nacional de Arte Antiga de Lisbonne

C’est après le décès de l’apôtre Matthieu que fut écrit en grec l’évangile qui porte son nom.

Au chapitre deux, dans le récit de la naissance de Jésus de Nazareth, l’évangéliste fait la première mention de ce qu’on appelle aujourd’hui ‘les rois mages’.

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand.

Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naitre ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui.»
(…)
Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’Enfant.

Quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie.

Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’Enfant avec Marie, sa mère. Et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Le nombre de ces mages n’est pas précisé. Ni leurs noms. Ni leur occupation.

Aucun des trois autres évangiles chrétiens n’en parle.

Dans l’évangile selon saint Matthieu, le mot grec utilisé pour les décrire (μάγοι) se prononce ‘mágos’ — l’accent tonique est sur le ‘a’ — et signifie ‘magicien’.

En raison des présents luxueux qu’ils apportèrent, on leur prêta une origine royale au IIIe siècle. Peu de temps après, le théologien Origène (un des pères de l’Église chrétienne) déduisit leur nombre à partir du nombre de leurs présents.

Vers le VIIIe siècle, on les nomma Gaspard, Balthazar et Melchior.

Portail de l’église priorale Notre-Dame-et-Sainte-Croix (milieu du XIIe siècle)

Au VIIIe siècle, un texte attribué à un moine anglais précisa un peu l’aspect des rois mages; Gaspar est imberbe et rose de peau, Balthasar y est décrit comme un barbu au visage sombre, et Melchior est un vieillard barbu aux cheveux blancs.

En somme, les rois mages symbolisaient des trois âges de la vie. En plus de représenter l’Humanité tout entière rendant hommage à l’Enfant Jésus.

Très lentement, cette conception des rois mages se répandit dans toute l’Europe.

L’Adoration des Mages (XVe), de Giovanni Boccati

C’est le cas, par exemple, de cette œuvre du XVe siècle où nous avons atténué les couleurs des personnages secondaires.

Toutefois, dans son Historia Trium Regum, paru en 1375, l’écrivain et frère carmélite Jean de Hildesheim fit de Balthasar un roi éthiopien (donc africain), descendant de la reine de Saba.

Dès lors, Balthasar cesse d’être simplement un adulte à la peau hâlé pour devenir très précisément un ‘Noir’.

Mais il faudra attendre l’âge des grandes découvertes maritimes — alors que des aventuriers européens entrent en contact avec des peuples d’aspect très différent d’eux — pour que des artistes de la Renaissance apprennent comment représenter correctement les Humains à la peau très pigmentée.

L’Adoration des Mages (~1461) d’Andrea Mantegna
Tiré du Livre d’heures de la Vierge selon l’usage romain (France, 1524)

C’est alors que la représentation artistique de Balthasar se fixe définitivement sous les traits d’un Africain.

Références :
Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu
L’invention des races humaines
Myrrh mystery: how did Balthasar, one of the three kings, become black?
Rois mages

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Une maison shoebox

Publié le 10 octobre 2020 | Temps de lecture : 2 minutes

Historique

Les maisons shoebox sont nées de l’affranchissement des ouvriers qui, dès la fin du XIXe siècle, ont désormais les moyens d’acquérir un petit lopin de terre dans le but d’y construire leur propre maison.

Cette démocratisation de l’accès à la propriété s’est faite à la faveur du développement du tramway et des trains de banlieue. Ce qui leur a permis de s’établir dans ce qui était à l’époque les banlieues rurales de Montréal, là où les terrains s’achetaient pour une bouchée de pain.

Description

Shoebox (qui signifie ‘boite à chaussure’) qualifie donc des maisons rectangulaires à un étage construites au début du XXe siècle. Elles se caractérisent par leur toit plat et leur absence de sous-sol.

Ce sont des maisons de bois recouvertes de briques. Dans le cas particulier que nous verrons dans un instant, ces briques (probablement endommagées) ont été recouvertes d’un crépi inélégant.

Construites sur un terrain modeste, ces maisons disposent d’un peu d’espace à l’avant et d’une cour à l’arrière.

Parfois surmontée d’une corniche décorative, leur façade est percée d’une porte centrale encadrée de deux fenêtres et devant laquelle se trouve un balcon généralement surmonté d’une marquise.

À l’intérieur, les pièces se disposent de part et d’autre d’un couloir central.

Un exemple de maison shoebox

Maison du 2284 rue Hogan

La vente récente d’une de ces maisons, construite en 1900, fut l’occasion d’en effectuer une visite virtuelle, grâce aux photos publiées sur l’internet par la société immobilière qui l’offrait au plus offrant.

Sur un terrain de 192 m², cette maisonnette de 2 chambres, d’une salle de bain, d’un salon et d’une cuisine & salle à diner permettait à son ancien propriétaire (un musicien) de pratiquer son art sans incommoder ses voisins.
 





 
Référence : Shoebox house

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les cimetières anciens de Montréal — suite et fin

Publié le 6 septembre 2020 | Temps de lecture : 5 minutes


Avant-propos : Pour consulter la première partie de cette série, on cliquera sur ceci.

L’interdit de 1795

Pour des raisons sanitaires, la ville adopta en 1795 un règlement interdisant la présence de cimetières à l’intérieur des fortifications.

Jusque là, les cimetières intramuros de Montréal avaient servi de lieux de sépulture à plus de 21 000 personnes.

La création du cimetière Saint-Antoine

Afin de se soumettre à la règlementation municipale, la paroisse Notre-Dame acquiert en 1799 un terrain de 13 672 m² situé à l’ouest des fortifications.

Agrandi en 1807, 1823 et 1842, le site finit par comprendre (de nos jours) la totalité de la Place du Canada et une bonne partie du square Dorchester qui lui fait face, au nord.

Un petit terrain adjacent était même réservé pour les excommuniés. Officiellement, il ne faisait pas partie du cimetière proprement dit. C’est là qu’en 1839, on enterra onze des douze patriotes pendus à la prison du Pied-du-Courant.

Le nouveau cimetière catholique fut appelé cimetière Saint-Antoine (du nom du faubourg dans lequel il était situé). Une chapelle y fut érigée en 1806.

La translation des corps

En anglais, translation signifie ‘traduction’. En français, ce mot désigne l’action de transporter les restes humains d’un lieu à un autre.

Le règlement municipal de 1795 ne faisait pas qu’interdire toute nouvelle inhumation dans la ville fortifiée; il signifiait l’expulsion des corps qui s’y trouvaient déjà.

À cette époque, une dépouille était sacrée. Conséquemment, le transfert des dépouilles fut une opération délicate qui prit des années.

En 1821, on fit 54 voyages pour translater les corps des cimetières de Pointe-à-Callière et de l’ancienne église Notre-Dame. Au cours des années qui suivirent, on fit de même pour tous les autres cimetières situés à l’intérieur des fortifications.

De nos jours, il arrive que des excavations mettent à jour des squelettes ‘oubliés’ dans les anciens cimetières de la ville. L’absence d’inscription funéraire indiquant la présence d’un corps pourrait expliquer ces oublis.

Le cimetière Saint-Antoine accueillit donc, théoriquement, toutes les dépouilles catholiques de Montréal depuis la fondation de la ville.

De plus, entre 1799 et 1854, 55 000 nouvelles dépouilles s’ajoutèrent à la ‘collection’ du cimetière.

Un grand projet immobilier

Au début des années 1850, l’urbanisation de la ville avait fini par atteindre le cimetière Saint-Antoine. De plus, ce cimetière était presque plein.

En 1853, la paroisse acheta un immense terrain sur le mont Royal afin de donner naissance au cimetière Notre-Dame-des-Neiges (surnommé cimetière Côte-des-Neiges).

Mais plutôt que d’avoir à gérer deux cimetières catholiques, les administrateurs de la paroisse décidèrent de translater toutes les dépouilles dans le nouveau cimetière et transformer l’ancien cimetière Saint-Antoine en complexe résidentiel.

Cette fois, la translation n’était pas gratuite; seules les familles qui achetèrent un lot dans le nouveau cimetière bénéficièrent d’une translation en bonne et due forme.

Dans les autres cas, les corps furent déterrés au pic et à la pelle. Des charrettes furent remplies de tas d’os et de débris de cercueils. Le tout était enfoui pêlemêle dans une fosse commune au nouveau cimetière.

En avril 1869, cent-trente charrettes transporteront dix-mille dépouilles. Au total, entre 1855 et 1871, on procéda à la translation d’un nombre inconnu de corps.

Une fois ce travail brouillon accompli, les grands projets immobiliers de la paroisse pouvaient enfin se réaliser.

En novembre 1867, l’arpenteur Henri-Maurice Perrault soumettait à la paroisse le plan de la subdivision en lots de l’ancien cimetière.

Mais avant même qu’on ait eu le temps d’en vendre, un scandale éclate : la Sanitary Association of Montreal révèle que le cimetière contient les dépouilles des personnes décédées de l’épidémie de choléra de 1832.

Son message était clair : les enfants qui grandiront sur ces terrains pourraient accidentellement avaler de la terre contaminée et mourir de choléra.

Les autorités religieuses venaient à peine de terminer la lecture de l’article du journal que la rumeur publique s’était déjà répandue dans toute la ville.

La vente des lots fut donc immédiatement interrompue.

De cimetière en places publiques

La Sanitary Association réclamait que le cimetière soit transformé en parc urbain, une suggestion retenue par la ville.

En 1871, le terrain en friche de l’ancien cimetière n’avait plus de valeur marchande. La ville s’en porte acquéreur pour une somme modeste.

Au cours de l’aménagement du parc, on enleva les pierres tombales restantes et la multitude de croix de bois qui s’y trouvaient. Puis on nivela le terrain.

Selon certains témoignages de l’époque, il resterait encore les ossements de 40 000 à 45 000 personnes sous le square Dorchester et la Place du Canada.

Croix gravée au sol du square Dorchester

Rien n’indique leur présence, sinon quelques croix dépourvues de texte explicatif gravées au sol du square Dorchester.

Ainsi se clôt l’histoire des anciens cimetières de Montréal.

Références :
Ancien cimetière des Pauvres (Montréal)
Basilique Notre-Dame de Montréal
De la première église Notre-Dame à la basilique actuelle
Historique du square Dorchester et de la place du Canada
Le cimetière catholique Saint-Antoine
Les cimetières de la ville
Les cimetières de Montréal
Un déménagement inhabituel ! La translation des restes du cimetière Saint-Antoine vers le cimetière Notre-Dame-des-Neiges (1854-1871)
Vivre ses morts

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les cimetières anciens de Montréal — 1re partie

Publié le 5 septembre 2020 | Temps de lecture : 5 minutes

Avant-propos

Depuis sa fondation, la ville de Montréal a annexé de nombreuses municipalités dans lesquelles se trouvaient des cimetières.

Le texte qui suit présente l’histoire des cimetières de la ville de Montréal, en ignorant ceux des autres municipalités de l’ile. De plus, le document passe sous silence les cryptes d’édifices religieux.

De 1643 à 1654

Dans la tradition chrétienne, on aménage les cimetières à proximité d’une église. Comme si la maison de Dieu protégeait les défunts.

En 1642, les premiers habitants de Montréal s’étaient établis sur une bande de terrain triangulaire qu’on appelle aujourd’hui la Pointe-à-Callière.

Celle-ci se trouvait à l’embouchure de la rivière Saint-Pierre (recouverte depuis 1832).

Dès 1643, on y trouvait une chapelle et, à l’extérieur de la palissade, un petit cimetière. De 1643 à 1654, c’est là qu’une trentaine de personnes furent ensevelies.

À l’époque, les corps étaient enterrés à faible profondeur, soit entre trente et cinquante centimètres de la surface.

Dans les décennies qui suivirent, la ville se développa au nord-est de la rivière Saint-Pierre. De 1718 à 1744, on la ceintura d’une muraille.

Plan de Montréal en 1758 (Cliquez sur la carte pour l’agrandir)

Sur la carte ci-dessus, le cimetière de Pointe-à-Callière est représenté par le ‘A’ rouge au sud-ouest de la ville fortifiée.

Sous l’effet du gel et du dégel, les basses terres annuellement inondées de la Pointe-à-Callière finirent par laisser émerger les ossements des premiers colons. On décida donc de choisir un nouveau lieu d’inhumation.

De 1654 à 1660

Les jardins de l’Hôtel-Dieu de Saint-Joseph (en B) prirent la relève de 1654 à 1660.

Construit depuis 1644, cet hôpital fut le premier en Amérique du Nord. Il était situé sur un site qui comprenait une chapelle, de même qu’un couvent hébergeant les sœurs hospitalières de Saint-Joseph.

Avant la construction de l’ancienne église Notre-Dame, la chapelle de l’Hôtel-Dieu était le seul lieu public de culte religieux.

De 1660 à 1682

De 1660 à 1680, la population de Montréal passa de 407 à 493 habitants.

Au cours de cette période, les inhumations se firent dans un cimetière (qualifié de grand à l’époque) situé vraisemblablement de part et d’autre de la rue Saint-Éloi (C1 et C2).

En raison d’une espérance de vie relativement courte, près de quatre-cents personnes y furent inhumées. Ce qui veut dire que Montréal comptait presque autant de dépouilles que de personnes vivantes.

Malheureusement, tout comme le cimetière de Pointe-à-Callière, le site était sujet à des inondations au printemps et à l’automne.

De 1682 à 1694

Les deux églises Notre-Dame, de Georges Delfosse (1830)

Peu avant l’achèvement de la première église paroissiale de Montréal — soit la première église Notre-Dame, construite de 1672 à 1683 — le terrain au sud de cette église en construction devint le cimetière de la ville (en D).

Il ne semble pas qu’on y ait transféré les corps ensevelis dans les trois premiers cimetières de Montréal; ceux-ci auraient perdu leur fonction sacrée, sans égard aux sépultures.

Le cimetière de l’ancienne église Notre-Dame fut utilisé de 1682 à 1694. Abandonné depuis longtemps, il fut détruit en 1824 pour faire place à la nouvelle basilique Notre-Dame.

De 1694 à 1799

À partir de 1694, les inhumations se feraient, selon certaines sources, près de l’intersection des rues Saint-Paul et Saint-Pierre (en E1)

Ce monopole durera un demi-siècle; en 1749, on créa également le cimetière des Pauvres (appelé aussi cimetière de la Poudrière). Les démunis, les enfants abandonnés, les esclaves noirs et les Amérindiens convertis y étaient inhumés.

D’une superficie d’environ trois-cents mètres carrés, ce dernier était situé près du coin nord-ouest des fortifications (en E2).

Construit sur la Pointe-à-Callière, l’Hôpital général de Montréal (appelé aussi hôpital des frères Charron) soignait les plus démunis de la société. Ceux qui y décédaient étaient ensevelis dans le minuscule cimetière de l’hôpital (en E3).

Dans les faubourgs, de 1776 à 1854

Au moment de la conquête anglaise, Montréal était essentiellement peuplée de Catholiques.

Mais bientôt, on dut créer des cimetières pour chacune des religions pratiquées par les Montréalais.

C’est ainsi que fut aménagé dans le faubourg Saint-Antoine, situé à l’ouest des fortifications, le premier cimetière juif en Amérique. Il se trouvait à l’intersection (de nos jours) des rues Peel et De La Gauchetière.

Le 22 octobre 1776, David Lazarus y fut la première personne enterrée.

Puis, de 1797 à 1854, dans le faubourg Saint-Laurent (au nord de la ville), le St. Lawrence Burial Ground desservait la communauté protestante de Montréal. Ce cimetière était situé là où se trouve aujourd’hui la Place Guy-Favreau.

De 1815 à 1854, dans le faubourg Québec (à l’est de la ville), le St. Mary’s Protestant Burial Ground était situé là où se trouve de nos jours l’entrée du pont Jacques-Cartier. Il était constitué de deux cimetières-jumeaux, l’un pour les civils, l’autre pour les militaires.

Complément de lecture :
Les cimetières anciens de Montréal — suite et fin

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La verrue du cimetière Saint-Antoine

Publié le 31 août 2020 | Temps de lecture : 7 minutes
Statue de John-A. Macdonald avant sa destruction

Introduction

Une des nombreuses formes gouvernementales adoptées par le Canada au cours de son histoire fut le Dominion du Canada, créé en 1867 par une loi britannique.

Le tout premier de ses premiers ministres fut John-A. Macdonald. C’est principalement sous sa gouverne que s’est accomplie l’expansion territoriale du pays d’un océan à l’autre.

Voilà pourquoi on lui a longtemps voué un culte — à titre de ‘père’ de la Confédération — qui justifiait l’érection de monuments à son honneur d’un bout à l’autre du pays.

Père pour les uns, tyran pour les autres

Le ‘nouveau’ Canada qu’a édifié Macdonald est né du vol par Ottawa des territoires occupés par les Autochtones, le don des terres confisquées à des colons européens, le confinement des Autochtones dépossédés dans de vastes camps de concentration (régis par un apartheid juridique), et l’adoption de politiques génocidaires qui visaient leur extermination physique ou culturelle.

En 2013, le professeur James Daschuk de l’Université du Manitoba publiait la thèse universitaire intitulée ‘La destruction des Indiens des Plaines. Maladies, famines organisées, disparition du mode de vie autochtone’.

Faisant aujourd’hui école, ce livre est un accablant réquisitoire qui accuse John-A. Macdonald d’avoir voulu exterminer par la famine les Amérindiens des Prairies.

Corriger les erreurs du passé

Les monuments ne racontent pas l’histoire; c’est le rôle des livres d’histoire.

Les monuments qui représentent quelqu’un lui rendent hommage. Or il est normal qu’un hommage injustifié soit remis en question. En pareil cas, détruire un monument, ce n’est pas détruire l’histoire; c’est retirer un hommage non mérité.

L’histoire, elle, est irrévocable.

Dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, la statue montréalaise dédiée à Macdonald a été détruite il y a deux jours.

Les réactions

Les touristes

Ce monument ne portait pas de plaque explicative. Seulement le nom ‘MACDONALD’.

Sa destruction attristera sans doute les nombreux touristes américains qui croyaient que les Canadiens honoraient ainsi la mémoire du fondateur d’une chaine de restauration rapide, persuadés que la trainée de peinture rouge qui éclaboussait sa statue faisait allusion à l’excellent ketchup qui garnit ses hamburgers…

Au Québec

La mairesse de Montréal a déploré cet acte de vandalisme. Quant au premier ministre du Québec, il a déclaré : « Il faut combattre le racisme, mais saccager des pans de notre histoire n’est pas la solution.»

Mme Plante et M. Legault ignorent sans doute que l’aménagement de ce monument (et de la place tout autour) a nécessité la profanation du cimetière Saint-Antoine.

C’est sous le sol de cette place qu’on trouve les sépultures de cinquante-mille Montréalais francophones, enterrés là de 1799 à 1854.

En 1854, l’actuel cimetière sur le mont Royal lui a succédé comme cimetière municipal. On avait débuté le transfert de dépouilles lorsqu’on s’est rappelé que parmi celles-ci, il y avait les morts de l’épidémie de choléra de 1832.

Pour des raisons sanitaires, on a interrompu ce transfert, laissant là des dizaines de milliers de dépouilles, alors qu’on poursuivait l’aménagement du parc urbain qu’on avait projeté de faire pour célébrer le Dominion du Canada.

Dès lors, plus aucun de leurs descendants ne pouvait se faire ensevelir à côté de leurs ancêtres ni se recueillir sur leurs tombes.

C’est donc l’aménagement du Square Dominion (devenu Place du Canada) et l’érection du monument à Macdonald qui correspond à l’oblitération d’un pan de notre histoire puisque presque plus personne ne se souvient de ce cimetière.

Au Canada

De son côté, le nouveau chef du Parti conservateur du Canada a déclaré que notre pays n’existerait pas sans Macdonald.

C’est probablement ce qu’il a appris à l’école.

En réalité, le Canada est né à la Renaissance. La Nouvelle-France comprenait alors trois parties : l’Acadie, le Canada — qui correspondait, en gros, à la vallée du Saint-Laurent — et la Louisiane.

Au fil des siècles, s’étendant vers l’ouest et vers l’est, le Canada en est venu à couvrir son territoire actuel (définitif depuis l’annexion volontaire de Terre-Neuve en 1949).

Mais il est vrai que l’expansion territoriale du Canada s’est opérée principalement sous Macdonald, grâce à la dépossession sanglante des Autochtones par ce tyran.

Conclusion

Il arrive que des peuples soient plus sages que leurs dirigeants.

On ne rend pas hommage à un chef d’État génocidaire. Les Allemands l’ont bien compris. Je ne vois pas pourquoi on devrait agir autrement au Canada.

Lorsque les pouvoirs publics demeurent sourds au gros bon sens, il est acceptable que les citoyens se substituent à eux.

Je remercie donc ceux qui ont supprimé la verrue du cimetière Saint-Antoine et j’espère qu’on en profitera pour s’excuser du manque de jugement des élus municipaux colonisés qui ont choisi au XIXe siècle de profaner les tombes de cinquante-mille de nos ancêtres pour glorifier ce gars-là.

Références :
Ce cimetière sur lequel les Montréalais marchent tous les jours
Épidémie de choléra à Québec en 1832
John A. Macdonald
La destruction des Indiens des Plaines. Maladies, famines organisées, disparition du mode de vie autochtone
Nettoyer la statue de Macdonald, un gaspillage des fonds publics
Place du Canada (Montréal)
Une statue déboulonnée, des divisions ravivées


Postscriptum : Après les avoir avisés de la parution d’un texte, je ne publie jamais les réponses automatisées que je reçois de décideurs publics.

Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une réponse personnalisée, je me fais un devoir de la publier.

En réponse à mon texte, voici le message reçu de M.  Kargougou au nom de la mairesse de Montréal.

 
Bonjour Monsieur Martel,

Au nom de la mairesse de Montréal, madame Valérie Plante, nous vous remercions d’avoir pris le temps de nous écrire concernant le déboulonnement de la statue de John A. Macdonald.

Comme vous le mentionnez dans votre billet, la mairesse déplore fermement les actes de vandalisme sur la statue de John A. Macdonald. De tels gestes ne peuvent en effet être acceptés ni tolérés. Cela étant dit, nous tenons à préciser que nous entendons vos revendications. Comme vous, nous souhaitons réfléchir au rôle de mémoire collectif des monuments et des statues. Sachez que la Ville de Montréal a amorcé une réflexion pour mieux nous outiller et nous guider sur ces questions. Un cadre de reconnaissance/commémoration, qui prendra en compte les divers points de vue qui ont jalonné notre histoire, est en voie de réalisation afin de favoriser la commémoration de valeurs plus universelles.

En ce qui a trait plus précisément à l’avenir de la statue de l’ancien premier ministre du Canada, le bureau d’art public s’occupe actuellement de sa conservation. Il est de notre responsabilité comme administration publique de prendre soin de tous les éléments constitutifs de notre collection d’art, par égard pour les artistes qui les ont créés. En consultation avec les experts en patrimoine à la Ville, nous prendrons le temps d’analyser la suite à donner pour le monument.

Nous vous prions de recevoir, Monsieur Martel, nos meilleures salutations.

Régis Kargougou pour :

Katherine Fortier
Responsable du soutien aux élus

Bureau de la correspondance de la mairesse de Montréal
mairesse.montreal.ca

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Quand la pureté dominait le monde

Publié le 9 septembre 2019 | Temps de lecture : 5 minutes

La bière allemande

Bières allemandes

C’est en raison de son adoption plus précoce de la pomme de terre comme principale source calorique que l’Allemagne est devenue le pays le plus populeux d’Europe en dépit du fait que c’est en France qu’on trouve une bonne partie des terres les plus fertiles du continent.

En effet, ce tubercule est moins sujet aux mauvaises récoltes que les céréales. Donc son adoption protégeait des famines.

Mais au début du XVIe siècle, la patate n’a pas encore été rapportée des Amériques.

Afin de réserver le blé à la fabrication du pain et obliger l’utilisation du houblon, Guillaume IV, duc de Bavière, promulgue le 23 avril 1516 le Décret de pureté sur la bière. C’est un des plus vieux décrets alimentaires européens.

Celui-ci stipule que la bière bavaroise ne pouvait contenir que trois ingrédients : l’orge, le houblon et l’eau.

Même si ces restrictions ont été assouplies, notamment pour se conformer à la règlementation européenne, la majorité des bières allemandes se conforment volontairement au décret de 1516.

De nos jours, dans les pays germaniques, le 23 avril est célébré comme le Jour de la bière allemande.

La baguette française

Dans leur désir de rendre leur pain plus blanc et plus digestible, d’en uniformiser les trous, de le rendre plus moelleux, d’en équilibrer les protéines et d’en prolonger la conservation, les boulangeries industrielles ont transformé leur pain en un produit qu’ils sont les seuls à pouvoir fabriquer.

Et le plus merveilleux, c’est qu’en dépit de tout, cela rappelle encore vaguement le gout du pain.

Au fur et à mesure des ‘améliorations’, la liste officielle des ingrédients s’allonge. Et ce, sans compter les contaminants qui sont permis en quantité croissante par les autorités sanitaires.

Par exemple, au fil des années, la teneur maximale permise de glyphosate dans le blé canadien a augmenté de 50 fois afin de légitimer les abus des producteurs de céréales.

Heureusement, ni au Québec ni en France, on a pris l’habitude d’empoisonner le blé au glyphosate avant de le faucher, comme c’est le cas en Saskatchewan.

En plus, dans le cas précis des baguettes, leur production est sévèrement règlementée en France; elles ne peuvent contenir que de la farine de blé, de l’eau, de la levure (ou de la poudre à lever), et du sel.

Ces contraintes garantissent la qualité du pain. Contrairement à ce qu’on aurait pu s’attendre, elles n’entrainent pas l’uniformisation du produit.

L’excellence en boulangerie est le sujet de plusieurs concours et même d’émissions télévisées.

Le pain nature a donc encore de belles années devant lui.

Le savon de Marseille

Tout comme certains aliments, d’autres produits de consommation ont su résister aux assauts de la modernité; le savon de Marseille fut l’un d’eux entre 1688 et 1820.

Les Romains fréquentaient les bains publics, mais ne se lavaient pas avec de l’eau et du savon.

À domicile, debout dans une cuvette, ils s’enduisaient et se massaient la peau avec de l’huile d’olive. Et ils se débarrassaient de l’huile souillée à l’aide de petits racloirs de bois (appelés strigiles) dont la courbure épousait le corps. Le mince film d’huile résiduel servait à lubrifier et parfumer la peau.

À la faveur des croisades, la recette syrienne du savon (à base d’huile d’olive ou de laurier) se propagera en Europe.

Dès le IXe siècle, on fabrique de manière saisonnière du savon à Marseille à partir de l’huile d’olive produite en Provence. L’histoire retiendra le nom de Crescas Davin, premier véritable savonnier marseillais en 1371.

Au cours de la Guerre de Quatre-Vingts Ans (1568 à 1648), Marseille augmente sa production et assure les approvisionnements en savon d’une bonne partie de l’Europe occidentale.

La paix revenue, Louis XIV promulgue en 1688 un édit qui fait du savon de Marseille un produit de qualité. Sous peine de confiscation, seule l’huile d’olive sera utilisée comme corps gras dans la fabrication de ce savon.

Ce savon rencontra un immense succès.

Mais à partir de 1820, on utilisera diverses huiles végétales et parfois même du gras animal (saindoux et suif).

Peu à peu, le savon de Marseille, dégénéré, fut délaissé au profit de savons moins chers.

De nos jours, on ne produit plus de savons faits exclusivement avec de l’huile d’olive dans cette ville. Mais un très petit nombre d’entreprises fabriquent, ailleurs en France, du ‘savon de Marseille’ selon la recette originale dont le Savon ‘Antique’ d’Alepia et la Savonnerie de la Goutte noire.

Références :
Des boulangeries à la française
Guillaume IV de Bavière
Histoire de la pomme de terre
La Meilleure Boulangerie de France
Les céréales canadiennes contaminées au glyphosate
Reinheitsgebot
Savon
Savon de Marseille

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 mark II, objectif M.Zuiko 12-40 mm F/2,8 — 1/250 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 40 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Quand l’année débutait en septembre

Publié le 8 septembre 2019 | Temps de lecture : 4 minutes

L’année n’a pas toujours débuté en janvier.

Chez les peuples dont la mythologie puise sa source des forces de la nature, le milieu de l’hiver n’a rien de particulier. C’est donc au printemps, lorsque la nature s’éveille, que les Celtes faisaient commencer l’année.

Mais ce n’était pas le cas sous la République romaine, née en 509 avant notre ère.

La vie politique y était rythmée par l’élection des consuls dont l’entrée en fonction était le premier janvier. Ce mois était ainsi nommé en l’honneur de Janus, ce dieu à deux visages, l’un tourné vers le commencement, l’autre vers la fin.

À cette époque, l’année ne compte que dix mois. Voilà pourquoi, encore aujourd’hui, le nom ‘septembre’ fait référence au chiffre 7 (alors que c’est le neuvième mois), ‘octobre’ à 8, ’novembre’ à 9 et ‘décembre’ à 10.

En 46 avant notre ère, Jules César ordonne de faire débuter l’année le premier du mois de Mars (notez la majuscule), dieu de la guerre.

En 532, le pape Libère (c’est son nom) ordonne plutôt que l’année débute avec la célébration d’un évènement qu’il juge très important; le jour de la Circoncision du Christ, soit le premier janvier.

Cette décision sera évidemment controversée. Selon les pays, le début de l’année sera le jour de la naissance du Christ ou de sa circoncision ou encore le 1er mars.

Ce n’est qu’au XVIe siècle que l’idée de faire du 1er janvier le début de l’année se généralisera en Europe occidentale.

Entre le Xe siècle et 1700, le monde byzantin demeura attaché au 1er mars. Non pas en hommage au dieu de la guerre, mais parce qu’il commémorait la création du monde survenue, croyait-on, le 1er mars de l’an 5509 avant notre ère.

Romanisée tout en étant encore attachée à ses traditions celtiques, la France fera également partie des résistants; on conservera le réveil de la nature comme signe du début d’année.

Symboliquement, la fête de Pâques — qui marque la résurrection du Christ — y est choisie pour faire débuter l’année.

Mais voilà, il y a un problème; Pâques n’est pas à date fixe. C’est le premier dimanche qui suit l’équinoxe du printemps.

En 1564, le roi Charles IX aligne la France avec le reste de la chrétienté et ordonne que le 1er janvier marque officiellement le début de l’année dans le royaume.

Survient la Révolution française. On élabore alors un calendrier républicain. Celui-ci proclame que l’année commence par l’équinoxe d’automne. Selon les années, celui-ci tombe entre le 22 et le 24 septembre.

Si les Romains choisissaient l’équinoxe du printemps afin de rendre hommage à Mars, les révolutionnaires choisissent l’équinoxe d’automne pour célébrer les vendanges; le premier mois du calendrier révolutionnaire est même appelé le Vendémiaire.

Mais 14 ans plus tard, on se rend à la nécessité pour la France d’avoir le même calendrier que le reste de l’Europe. Pragmatique, Napoléon Bonaparte ordonne l’abandon du calendrier républicain en 1805.

De nos jours, six pays ont leur propre calendrier qui fait débuter l’année autrement :
• l’Afghanistan (à l’équinoxe du printemps),
• l’Arabie saoudite (cette année, le 31 aout),
• l’Éthiopie (le 11 ou 12 septembre),
• l’Iran (à l’équinoxe du printemps),
• le Népal (entre le 12 et le 15 avril),
• le Vietnam (entre le 21 janvier et le 19 février).

Dans le cas de la Chine, on doit distinguer le début officiel de l’année (le 1er janvier) du début des fêtes traditionnelles du début d’année (entre le 21 janvier et le 19 février).

Quant à certains pays catholiques orthodoxes, leur 1er janvier est décalé par rapport au nôtre en raison de leur attachement au calendrier julien.

Références :
Calendrier julien
Pourquoi l’année commence-t-elle le 1er janvier ?

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La pétanque et les rhumatismes de Jules Lenoir

Publié le 19 mai 2019 | Temps de lecture : 3 minutes
Au parc Lalancette

Dans la vitrine d’une boutique près de chez moi, j’avais été surpris de voir un nécessaire de pétanque. On ne pouvait pas le manquer; ses boules chromées resplendissaient au soleil.

Qui peut bien jouer à la pétanque dans Hochelaga-Maisonneuve ? avais-je demandé au vendeur.
Vous seriez surpris, mon cher monsieur. Ce jeu est de plus en plus populaire.

Pourtant, je n’avais jamais vu personne en jouer dans mon quartier. Ou plus exactement, je n’avais jamais remarqué qu’on en jouait dans mon quartier.

Il aura suffi que je l’apprenne pour me mettre à voir des gens en jouer ici et là.

À titre d’exemple, à une résidence pour personnes âgées — hors-champ sur la photo ci-dessus — les locataires traversent la rue et vont au parc jouer à la pétanque dès qu’il fait beau.

Ce jeu ne nécessite aucun entrainement préalable, n’exige pas d’efforts violents, se pratique généralement au grand air, et représente une manière peu couteuse d’occuper ses temps libres.

Le mot ‘pétanque’ est bizarre. On croirait une onomatopée créée pour imiter le bruit des boules qui se frappent et sont projetées sur d’autres.

Mais ce n’est pas cela.

C’est à La Ciotat qu’est née la pétanque en 1907. Dans ce port à 31 km de Marseille, vivait un amateur d’un jeu semblable, appelé jeu provençal.

En raison de l’arthrite aux jambes qui le faisait souffrir, celui-ci avait décidé d’adapter ce jeu à son handicap.

Selon les règles qu’il avait créées, on devait lancer la boule sans prendre d’élan. Privé de l’énergie transférée par cet élan à la boule, on ne pouvait plus lancer aussi loin. Conséquemment, on jouait sur un terrain plus court.

Ce vieil amateur de jeux de boules n’était pas n’importe qui; c’était Jules Lenoir, le grand champion de jeu provençal dont il avait dominé la discipline pendant des années.

À La Ciotat, on le connaissait sous son vrai nom, Jules Hugues. Afin de pouvoir continuer à se mesurer à l’idole sportive de la ville, les habitants de La Ciotat abandonnèrent rapidement le jeu provençal pour la variante créée par le grand Jules.

À travers le midi de la France, lorsque la rumeur se répandit que Jules Lenoir n’avait pas pris sa retraite, mais brillait dans un jeu semblable qu’il avait mis au point, ses centaines de milliers d’admirateurs exigèrent qu’on crée des compétitions où leur héros pouvait encore les émerveiller.

Le premier concours officiel eut lieu à La Ciotat en 1910.

Tout cela ne nous dit toujours pas pourquoi ce nouveau jeu est appelé ‘pétanque’. J’y arrive.

Le mot ‘pétanque’ est né de l’occitan, en combinant ‘’ (qui signifie ‘pied’) et ‘tanca’ (qui signifie ‘piquet’). À l’origine, on disait qu’il fallait ‘jouer à pétanque’, c’est-à-dire en ayant le pied comme un piquet.

Lors de la première compétition, créée expressément par amour pour ce champion, on nomma ce jeu ‘pétanque’.

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 mark II, objectif M.Zuiko 12-40 mm F/2,8 — 1/2000 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 13 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel