Les baisses d’impôts, l’inflation et la guerre

Publié le 30 août 2022 | Temps de lecture : 4 minutes

Au début de la pandémie au Covid-19, Ottawa et Washington ont soutenu financièrement les ménages afin de compenser les pertes de revenus qu’ils subissaient lors du confinement obligatoire.

De nos jours, il est fréquent d’entendre les milieux conservateurs accuser ces mesures d’avoir causé de l’inflation.

Ce qu’ils veulent dire par là, c’est que ces mesures ont été trop efficaces à stimuler l’économie. Au point d’avoir créé un déséquilibre entre l’offre (devenue insuffisante) et cette forte demande des consommateurs. Ce qui a incité des fabricants à hausser leurs prix, causant ainsi de l’inflation.

Multicausale, l’inflation a connu plusieurs vagues.

La première est apparue lors de la reprise économique consécutive à la levée des mesures sanitaires. La brutale augmentation de la demande qui en a résulté a provoqué la rupture des chaines d’approvisionnement avec l’Asie et l’engorgement des ports américains qui donnent sur l’océan Pacifique.

À cette inflation d’environ 3 %, s’est ajouté depuis l’effet des sanctions occidentales contre la Russie.


 
La Russie étant un important fournisseur d’hydrocarbures et de matières premières, les pays qui ont provoqué la rupture de leurs relations commerciales avec elle ont dû, en catastrophe, essayer de s’approvisionner ailleurs.

Ne disposant pas de contrats à long terme, ils ont été forcés de payer le gros prix pour trouver des produits de substitution. C’est la cause de la deuxième vague inflationniste, beaucoup plus importante que la première.

Malheureusement, tous les experts s’entendent pour dire que l’inflation actuelle n’est qu’un aperçu de ce qui nous attend l’hiver prochain si la guerre russo-ukrainienne n’est pas terminée.

Les sanctions économiques contre la Russie s’étant avérées inefficaces, les généraux à la retraite et les va-t-en-guerre anglo-saxons qui se succèdent aux chaines de nouvelles en continu plaident en faveur d’une récession économique.

À leur avis, celle-ci entrainerait une diminution de la consommation mondiale des hydrocarbures, d’où une chute des revenus d’exportation de la Russie et une diminution du financement de sa guerre en Ukraine.

L’augmentation rapide des taux d’intérêt vise donc deux objectifs. Un objectif officiel qui est de réduire l’inflation. Et un objectif inavoué, soit de provoquer volontairement une récession économique.

D’autre part, en ce début de campagne électorale, nous assistons à la surenchère des promesses de réduction de taxes et d’impôts. Ces mesures ont pour but d’aider les ménages à faire face à l’augmentation des prix.

Ici et ailleurs, les politiciens promettent des remises d’impôt et des allocations pour faire face à l’inflation. Quand ce n’est pas carrément la promesse d’une diminution des taxes sur l’essence.

Plutôt que de laisser les peuples occidentaux assumer les conséquences des sanctions économiques décidées par leurs gouvernements, on adoptera des mesures de mitigation qui rendront nécessaires des hausses encore plus importantes des taux d’intérêt.

Comme un pompier qui tente d’éteindre un feu en l’aspergeant de combustible, on compte combattre l’inflation par des mesures inflationnistes.

En dépit du fait que leur filet de protection sociale est en lambeaux, nos gouvernements ajoutent la lutte à l’augmentation du prix de l’essence parmi leurs mesures sociales, au même titre que l’assurance maladie, l’éducation gratuite ou les garderies. Comme si c’était le rôle de l’État de protéger le marché de l’automobile.

En réalité, plus on combattra l’inflation par des mesures inflationnistes, plus les banques centrales augmenteront leurs taux d’intérêt afin de provoquer la récession mondiale qu’elles estiment nécessaire.

Bref, on n’est pas sorti du bois…

Références :
German inflation hits 40-year high as calls mount for bigger ECB rate rises
La CAQ et les libéraux promettent des baisses d’impôt
Putin to blame for UK’s high energy bills, says Johnson on surprise visit to Kyiv
Quand Macron exhorte les Français à accepter de payer «le prix de la liberté» pour l’Ukraine

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’inflation européenne en juillet 2022

Publié le 20 août 2022 | Temps de lecture : 1 minute


 
Devant acheter à prix fort sur les marchés internationaux l’énergie dont elles ont besoin, les trois républiques baltes connaissent un taux d’inflation record.

Celui qui a cours au Royaume-Uni est le plus élevé depuis février 1982.

Au sein de la Zone euro, la France est le pays où l’inflation est la moindre. Toutefois, le cout de l’énergie pourrait y augmenter d’ici peu puisque la sècheresse actuelle a fait dangereusement baisser le niveau des cours d’eau qui normalement refroidissent ses réacteurs nucléaires.

Référence : ‘I am not blaming anyone’: Estonians shrug off 23% inflation

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’Ukraine sous le respirateur artificiel américain

Publié le 16 août 2022 | Temps de lecture : 5 minutes

Introduction

La capacité des États à rembourser leurs dettes est évaluée par les agences de notation financière.

Selon le cas, celles-ci qualifient les bons du Trésor d’un pays, les obligations d’épargne d’une province, ou les obligations municipales, de placements de première qualité, de haute qualité, de qualité moyenne supérieure, de qualité moyenne inférieure ou de placement spéculatif.

Mais il y a pire.

Elles peuvent qualifier l’achat de ces titres financiers de placement très spéculatif, de placement à risque élevé, ou d’ultra spéculatif.

Et, tout au bas de la grille, il y a ‘en défaut avec quelques espoirs de recouvrement’ ‘en défaut sélectif’ ou finalement, ‘en défaut de paiement’.

On apprend aujourd’hui que deux des plus importantes agences de notation financière au monde — S&P Global Ratings et Fitch Ratings — ont rétrogradé les finances de l’Ukraine au niveau de l’avant-dernier échelon de leur grille; en défaut de paiement sélectif. En somme, l’Ukraine est presque en faillite.

Cela n’est pas nouveau.

Déjà, en 2013

En novembre 2013, le trésor ukrainien n’avait plus que 18,79 milliards de dollars de devises alors que le pays devait rembourser une tranche de sept-milliards de dollars à ses créanciers, dont la Russie (à qui elle devait au total dix-sept-milliards de dollars de gaz fossile impayé).

À l’époque, Vladimir Poutine offrait secrètement au gouvernement ukrainien la levée des barrières tarifaires entre l’Ukraine et la Russie, une baisse du prix de son gaz fossile, de même qu’un prêt de quinze-milliards de dollars.

En contrepartie, l’Ukraine devait renoncer à appartenir à l’Otan.

De son côté, l’Union européenne ne promettait rien de concret.

Le 21 novembre de cette année-là, le président prorusse annonce qu’il accepte les conditions de Moscou.

Aussitôt, la population qui habite près de la capitale se révolte et déclenche une révolution à l’issue de laquelle le président est destitué. Pour le peuple ukrainien, la liberté n’a pas de prix.

Sept ans plus tard, plus précisément en septembre 2020, le président Zelensky adopte une nouvelle stratégie de sécurité nationale qui prévoit le développement d’un partenariat en vue de l’adhésion de ce pays à l’Otan.

De tous les projets caressés à ce sujet par l’Ukraine depuis son indépendance, c’est le plus concret.

Si, de manière générale, la liberté n’a pas de prix, devenir l’ennemi militaire de son puissant voisin comporte un cout très élevé puisque cela mène inévitablement à la guerre.

Si le Mexique décidait de se doter de missiles capables d’anéantir les États-Unis, ces derniers feraient au Mexique ce qu’ils ont fait en Irak et ce que Moscou fait actuellement en Ukraine.

Guerroyer à crédit

Si la dette de la Russie correspond approximativement au cinquième de son PIB — un endettement six fois moindre que celui de la France — les finances de l’Ukraine, elles, ne lui permettent pas de financer une guerre.

Dans ce pays, le PIB par habitant est inférieur à quatre-mille dollars par année. Les analystes prévoient qu’il chutera de moitié d’ici douze mois.

Avant même le premier coup de fusil, ce pays riche en ressources naturelles était dirigé par un gouvernement central ruiné. Donc incapable d’acheter quoi que ce soit pour défendre le pays.

L’Ukraine est donc totalement dépendante de l’équipement militaire que lui fournissent les pays occidentaux, au premier rang desquels, les États-Unis.

Ceux-ci espèrent remplacer la Russie comme fournisseur principal d’hydrocarbures à l’Europe et salivent à l’idée de faire main basse sur le pétrole de schiste de l’ouest du pays.

La paix viendra peut-être d’Europe occidentale

Les sanctions contre la Russie placent l’Europe au seuil de grandes difficultés économiques, particulièrement en Allemagne.

L’hiver qui vient sera la saison des privations.

Or, on doit se rappeler que les peuples ont la mèche courte quand ils sont bousculés trop longtemps; la révolte des Gilets jaunes en France, le Convoi de la liberté au Canada, et la révolte actuelle des tracteurs aux Pays-Bas en sont des exemples.

Après deux ans de Yo-yo sanitaire qui a ruiné des milliers de petites entreprises, jamais n’a-t-on vu autant d’incivilités entre les citoyens. En deux mots, nous sommes à l’âge des Révoltes.

Si les dirigeants européens ne réussissent pas à faire entendre raison aux va-t-en-guerre anglo-saxons, et s’ils ne laissent pas l’Ukraine assumer ses choix, c’est leur propre sécurité nationale qui sera menacée. Non pas à cause d’une invasion armée, mais plutôt en raison de la colère populaire.

Références :
Aux Pays-Bas, la révolte des agriculteurs contre la réduction des émissions d’oxyde d’azote
Covid-19 : du Yo-yo à la roulette russe
Jordan-bound Ukrainian cargo plane carrying weapons crashes in Greece
La délicate restructuration de la dette ukrainienne
L’engrenage ukrainien
Les États-Unis et le gaz fossile ukrainien
L’expansionnisme toxique de l’Otan
L’Ukraine placée à un cran du défaut de paiement
S&P Global Ratings

Parus depuis :
Au Royaume-Uni, nouvel épisode des grèves de la colère face à l’inflation (2022-08-18)
Au Royaume-Uni, la vague de grèves salariales se durcit (2022-08-23)
En Belgique, la colère sociale gronde face à l’explosion des factures énergétiques (2022-09-09)
En Tunisie, des pénuries alimentaires à répétition (2022-09-14)
All aboard the gravy train: an independent audit of US funding for Ukraine (2023-06-27)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Accueil des réfugiés : l’usure de la bonne volonté

Publié le 15 août 2022 | Temps de lecture : 3 minutes

La Moldavie

Ni membre de l’Otan ni membre de l’Union européenne, la Moldavie est le pays le plus pauvre d’Europe.

Voisine de l’Ukraine, elle a accueilli cent-mille réfugiés ukrainiens. Proportionnellement à sa population de 2,7 millions d’habitants, c’est plus de réfugiés que n’importe quel autre pays au monde.

Dans tous les pays limitrophes où on entasse les réfugiés dans des camps, ils sont d’abord accueillis favorablement.

Puis, au fil des mois, ils sont victimes de désinformation destinée à susciter de l’animosité à leur égard. On exagère l’importance des services qui leur sont offerts. Et on propage des rumeurs au sujet des méfaits qu’ils commettraient.

La Moldavie dépend presque totalement sur la Russie comme fournisseur d’hydrocarbures. L’inflation y est de 27 %.

Il est donc facile de faire des Ukrainiens les responsables des problèmes économiques actuels de la Moldavie.

La Pologne

La majorité des Ukrainiens qui ont fui leur pays ont été accueillis en Pologne. Non pas sous la tente, dans des camps de réfugiés comme c’est généralement le cas, mais plutôt chez l’habitant.

Plus précisément, des centaines de milliers de Polonais ont pris leur voiture et se sont rués aux frontières pour choisir des gens au hasard parmi le lot des personnes qui arrivaient en Pologne.

Ils ont pris des femmes et des enfants épuisés par la marche. Des personnes aux yeux rougis qui descendaient des trains. Des inconnus souvent sales et couverts de sueur. Des types désespérés qui ont tout perdu.

Et c’est à des millions de ces gens-là que les Polonais offrent gratuitement le gite, la nourriture, des vêtements de rechange et sortent des placards quelques jouets qui pourraient aider les enfants à surmonter les traumatismes de la guerre.

Les jours où le nombre d’arrivants a dépassé le nombre de bons Samaritains, ceux qui n’ont pas été choisis trouvent place dans des centres d’hébergement d’urgence.

De son côté, le gouvernement polonais a débloqué une aide d’urgence de 1,6 milliard d’euros. Il a délivré des permis de travail. Il a ouvert les écoles aux enfants ukrainiens et a garanti à tous l’accès aux soins médicaux.

Conclusion

Le présent texte ne vise pas à opposer les vilains Moldaves aux bons Polonais.

On ne peut pas demander à un peuple d’être d’une hospitalité exemplaire quand la vague migratoire est d’une telle ampleur qu’elle provoque un appauvrissement marqué de la société d’accueil.

L’accueil est une réussite quand les immigrants peuvent très tôt s’intégrer, combler la pénurie de main-d’œuvre, accroitre la consommation et de ce fait, la prospérité des fournisseurs de biens et de services.

C’est quand la société d’accueil y trouve son compte que l’immigration est une réussite.

Références :
L’immigration et l’extrême droite
Ukrainians at risk from anti-refugee tensions in host countries, report warns
Warm welcomes, lurking tensions

Paru depuis :
Un an après le début de la guerre, l’intégration réussie de 1,4 million d’Ukrainiens en Pologne et en République tchèque (2023-02-21)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La guerre russo-ukrainienne : La Presse contre le côté obscur de la Force

Publié le 9 août 2022 | Temps de lecture : 4 minutes

Je me serais abonné à La Presse depuis longtemps si ce n’était de ses éditorialistes.

Ce quotidien emploie des journalistes dont les excellents reportages me servent souvent d’inspiration sur ce blogue. Et le chroniqueur Patrick Lagacé possède un jugement et une aptitude à s’indigner face aux injustices qui suscitent mon admiration.

Mais il y a ses éditorialistes…

Ce matin, La Presse s’en prend à un rapport d’Amnistie internationale selon lequel les tactiques de l’armée ukrainienne mettraient en danger les populations civiles.

Dans l’ensemble des nouvelles que nous rapportent nos médias depuis cinq mois au sujet de la guerre russo-ukrainienne, ce rapport est comme cette mouche sur la chevelure immaculée du vice-président Mike Pence lors d’un débat télévisé.

On me permettra de ne pas répliquer point par point à cet éditorial, mais de discuter plus spécifiquement du concept de ‘crime de guerre’ puisqu’il lui sert de trame de fond.

‘Crime de guerre’ est un pléonasme. Une guerre où personne n’est tué et au cours de laquelle rien n’est détruit n’est pas une guerre; c’est un jeu vidéo.

Ceux qui ne sont pas de cet avis font la distinction entre ‘crimes de guerre’ et ‘dommages collatéraux’.

Le premier se définit par la destruction délibérée d’une population civile. Alors que le second est l’homicide involontaire de civils à l’occasion de frappes visant des cibles militaires.

Mais le flou persiste quant à savoir si on parle de ‘dommages collatéraux’ seulement lorsqu’on ne prévoyait pas que des civils seraient tués ou si cela s’applique aussi lorsqu’on le savait, mais qu’on a décidé de procéder quand même.

Si en plus de tuer le dirigeant d’une organisation terroriste à l’occasion d’un mariage, on ne fait qu’abimer le gâteau de noces, c’est simple. Mais si on tue aussi deux-cents invités (dont des enfants), dans quelle catégorie doit-on mettre cette frappe ?

Dans ce cas, on recourt à une nouvelle explication; c’est juste une bavure. Ah bien oui, une bavure. Il fallait y penser.

Et si le terroriste n’avait pas été invité et qu’on a tué deux-cents personnes pour rien ? Alors là, c’est une lacune du renseignement.

Bref, toutes ces belles catégories font en sorte que les États-Unis ne commettent jamais de crimes de guerre. Vladimir Poutine, à l’instar de Darth Vader, ne fait que ça. Mais pas les Américains.

Les bombes atomiques larguées par ces derniers sur Hiroshima et Nagasaki avaient pour unique but de tuer un grand nombre de civils afin que le peuple japonais réalise que son Empereur n’était pas un demi-dieu.

Sept décennies plus tard, on se demande toujours quelle catégorie on devrait inventer pour ne pas dire que c’était un ‘crime de guerre’.

En réalité, dans toutes les guerres prolongées, chacune des parties impliquées commet des ‘crimes de guerre’. Parce qu’effectivement ‘crime de guerre’ est un pléonasme. Et le belligérant qui commet les plus graves est toujours celui qui dispose des moyens les plus destructeurs.

Fondamentalement, ce que La Presse reproche à Amnistie internationale, c’est de refuser de brosser de la guerre russo-ukrainienne un tableau simpliste où les bons sont tous du côté de l’Ukraine et que les méchants portent tous l’uniforme russe.

En croisade contre le Mal, La Presse estime donc qu’Amnésie Internationale travaille pour le côté obscur de la Force.

Références :
Amnistie internationale s’égare
Ukrainian Fighting Tactics Endanger Civilians

Paru depuis : Moscou pointe Washington du doigt après une frappe meurtrière en Crimée (2024-06-23)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le cout de la dé-Merkellisation de l’Allemagne

Publié le 8 août 2022 | Temps de lecture : 11 minutes


 
L’ouverture à l’Est

Née en 1954, Angela Merkel avait vécu presque toute sa vie en Allemagne de l’Est lorsqu’elle assiste, à titre de jeune politicienne, à la réunification de l’Allemagne (en 1989-1990) et à la dislocation de l’URSS en 1991.

Au moment où les deux Allemagnes se fusionnent, l’économie de sa partie occidentale est très prospère alors que sa partie orientale est en piteux état en raison d’un désinvestissement chronique.

Cette dernière sera donc un bassin de main-d’œuvre compétente et à bon marché pour la première.

De plus, aux yeux de la nouvelle classe politique allemande — au sein de laquelle Mme Merkel occupe diverses fonctions ministérielles — la Russie ruinée représente une occasion d’affaires.

En 1991, le parlement russe adopte un ambitieux plan de privatisation de son économie. Profitant des lacunes du droit des affaires, des proches du pouvoir font main basse — à partir de fonds dont on ignore la provenance — sur les fleurons de l’économie russe.

C’est ainsi que Mikhaïl Khodorkovski a payé en 1996 la somme de 309 millions de dollars pour Ioukos, la quatrième plus importante compagnie pétrolière au monde, dont la valeur réelle dépassait vingt-milliards de dollars.

Tout occupée à investir dans l’ancienne Allemagne de l’Est pour y hausser le niveau de vie, la classe politique allemande n’a pas incité ses industriels à participer au pillage économique de la Russie.

Toutefois, la stratégie industrielle allemande fut d’ouvrir le marché allemand aux nouveaux riches russes à la condition que les industriels allemands aient accès à du gaz fossile, du pétrole et des ressources minières à des prix défiant toute concurrence.

Et comment inciter les Russes à offrir tout cela à des prix d’ami ? En leur promettant le financement des infrastructures nécessaires à l’exportation de leur production.

Les nouveaux oligarques russes trouvèrent donc en Allemagne une source d’enrichissement personnel presque illimité. Et d’autre part, l’industrie allemande acquérait un avantage compétitif.

Mais la motivation des dirigeants allemands dépassait le cadre limité du calcul économique et même celui des préoccupations environnementales (puisque bruler du méthane crée moins de gaz à effet se serre qu’utiliser du charbon ou du pétrole).

Pacifier par l’intégration

Pendant des siècles, les empires européens se sont fait la guerre en dépit des mariages dynastiques qui avaient précisément pour but de les empêcher.

Quant aux alliances militaires, contrairement à ce qu’on pense, elles sont belligènes.

La Première Guerre mondiale a été déclenchée à la suite d’un fait divers; l’assassinat du prince héritier de la dynastie austro-hongroise à Sarajevo en 1914.

Un mois plus tard, l’Empire austro-hongrois déclarait la guerre à la Serbie.

Mais en raison de tout un réseau complexe d’alliances militaires bilatérales, bientôt l’Europe entière fut mise à feu et à sang.

C’est le développement de liens commerciaux et plus précisément l’intégration économique qui diminue les risques de guerre. Quand deux pays ne peuvent plus se passer l’un de l’autre, ils trouvent le moyen d’apaiser leurs divergences par la diplomatie.

Ce que font incidemment les partenaires sexuels…

L’exemple franco-allemand

La France et la Prusse (alliée à une bonne partie des principautés allemandes) se sont fait la guerre en 1870. Elles étaient ennemies en 1914-1918. Puis de nouveau en 1939-1945.

Le 9 mai 1950, alors que les haines suscitées par la Deuxième Guerre mondiale étaient encore vives, Robert Schuman, en sa qualité de ministre français des Affaires étrangères, propose à l’ennemi d’hier de placer l’ensemble de la production franco-allemande du charbon et de l’acier sous l’autorité d’un organisme supranational.

Cette déclaration aboutit l’année suivante à création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, ancêtre du marché commun européen.

De nos jours, l’intégration économique entre ces deux pays est telle qu’une guerre entre eux est impossible. En exagérant à peine, on pourrait dire que la France et l’Allemagne forment une fédération sans gouvernement central où sont réunies une province occidentale dirigée par un président français, et une province orientale dirigée par un chancelier allemand.

Le résultat, c’est que non seulement ces deux pays vivent en paix depuis sept décennies, mais tous les conflits européens qui sont survenus au cours de cette période l’ont été hors du marché commun.

C’est cela que Mme Merkel avait à l’esprit en établissant des ponts économiques entre son pays et la Russie; elle pacifiait leurs relations mutuelles.

Comme tous les choix politiques, ce pari n’était pas sans risque, mais il en valait la peine à ses yeux.

Toutefois, à la suite du déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, ses successeurs ont choisi une autre voie pendant qu’éditorialistes et chroniqueurs, d’une même voix, s’entendaient pour blâmer l’ancienne chancelière d’avoir fragilisé l’économie allemande en la rendant aussi dépendante de la Russie.

En réalité, l’ex-chancelière a soutenu une politique d’ouverture qui faisait consensus au sein de la classe politique allemande pendant trente ans et du coup, qu’ont soutenue les trois chanceliers allemands au pouvoir depuis l’effondrement de l’Union soviétique.

Plutôt que de défendre son héritage, Mme Merkel a préféré se murer dans le silence, convaincue que le peuple allemand découvrirait assez vite les conséquences du harikiri économique décrété par ses successeurs sous pression américaine.

Le cout catastrophique des sanctions allemandes

La compagnie allemande Uniper est le principal distributeur de gaz fossile russe en Allemagne. Elle est responsable de la vente d’environ 60 % de tout le gaz fossile vendu dans le pays.

Liée à des municipalités et à des géants industriels par des contrats à long terme, elle a dû acheter à fort prix du gaz fossile sur les marchés internationaux afin de respecter ses engagements quand la Russie a réduit ses exportations.

Si bien que les cinq mois de guerre russo-ukrainienne l’ont mené au bord de la faillite. Conséquemment, l’État allemand a dû débourser quinze-milliards d’euros pour la renflouer.

Puisque cette compagnie a été autorisée à hausser le prix de son gaz, on calcule que chaque foyer allemand pourrait bientôt payer mille euros de plus par année pour se chauffer… à moins de se résoudre à économiser de l’énergie.

Dans l’éventualité où le pays devrait se résoudre au rationnement, la règlementation européenne stipule qu’on doit prioriser les résidences privées, les petites et les moyennes entreprises, de même que ce qui est essentiel au maintien de l’ordre public et de la protection de la vie; la police, le service des incendies et les établissements de la santé.

Selon la modélisation de Bruxelles, les Allemands devraient manquer de gaz dès février 2023 si le gazoduc Nord Stream I continue de fonctionner à 20 % de sa capacité (comme actuellement).

Les premières usines qui devront se serrer la ceinture, ce sont celles qui produisent des biens non essentiels. En principe, cela devrait être le cas des aciéries, des verreries et des usines de céramique.

Mais si on prend le cas des verreries, il faut distinguer la fabrication des gobelets de la fabrication des fioles de médicaments injectables. De plus, sans phares ni parebrises, l’industrie automobile est paralysée.

Certains géants industriels possèdent déjà leurs propres centrales électriques, capables de produire de l’électricité indistinctement à partir du méthane ou du pétrole.

À l’heure actuelle, une multitude d’entreprises cherchent désespérément à s’équiper de génératrices afin d’augmenter leur autonomie.

L’hydrogène peut être produit par l’hydrolyse de l’eau. Mais il est généralement produit à partir du méthane. Pour la pétrochimie allemande, manquer de gaz fossile, c’est manquer aussi de ce qu’il faut pour produire de l’ammoniac (pour fabriquer de l’engrais et des produits de nettoyage) et de l’acétylène (pour la fabrication des colles industrielles). C’est donc paralyser l’agriculture, la construction, l’industrie automobile et l’industrie pharmaceutique, entre autres.

Pour pallier la pénurie, on retardera la mise hors service de toutes les chaudières industrielles qui fonctionnent encore au charbon et dont certaines remontent à l’ère soviétique.

Et pour être en mesure de hausser au maximum sa production d’électricité afin d’aider l’Allemagne l’hiver prochain, la France a décidé de hâter la réparation de la moitié de son parc nucléaire.

De telles réparations sont habituellement effectuées à la belle saison alors que la consommation d’électricité est plus faible. Elles sont beaucoup plus nombreuses cet été à nécessiter des réparations parce que celles-ci ont été différées depuis deux ans en raison de la pandémie.

Le résultat, c’est que la France achète de l’électricité aux pays voisins, dont l’Allemagne, alors cette dernière tente désespérément de constituer des réserves en vue de l’hiver.

Pendant ce temps, les États-Unis — principal fournisseur de gaz fossile liquéfié (GFL) à l’Europe — ont un problème; les installations portuaires de leur deuxième terminal méthanier (à Freeport, au Maine) ont été détruites par le feu en juin dernier. Ce qui réduit du sixième la capacité exportatrice américaine de GFL vers l’Europe.

Bref, tout va mal.

Conclusion

La dé-Merkellisation n’est pas seulement la rupture brutale des relations commerciales avec la Russie, c’est aussi un recul environnemental avec le retour à des combustibles encore plus polluants que le gaz fossile.

Avec sa population de 83 millions de personnes, l’Allemagne ne manque pas de talents pour faire face aux défis gigantesques qu’elle devra relever au cours des prochains mois.

Mais tous ces problèmes, elle ne les aurait pas si elle avait laissé le peuple ukrainien assumer son choix de devenir un ennemi militaire de son puissant voisin. Ce qui rendait la guerre russo-ukrainienne inévitable.

En décembre 2021, deux mois avant le déclenchement de cette guerre, la chancelière Merkel quittait la vie politique. Ce qui ne l’a pas empêchée, à titre privé, de la condamner sévèrement.

Toutefois, au-delà des paroles accusatrices, on ne saura jamais ce qu’elle aurait fait si elle était encore au pouvoir.

Ce qui est certain, c’est que si elle et ses prédécesseurs (Gerhard Schröder et Helmut Kohl) n’avaient pas poursuivi contre vent et marée une politique d’ouverture à l’égard de la Russie, l’Allemagne n’aurait pas connu la remarquable période de prospérité économique qui fut la sienne depuis l’effondrement du Bloc soviétique et au cours de laquelle son PIB a doublé.

Références :
Angela Merkel
Boris Eltsine
Déclaration du 9 mai 1950
Europe et Russie : la bataille des gazoducs
Germany Plans for a Winter Without Gas from Russia
Guerre franco-allemande de 1870
L’engrenage ukrainien
L’expansionnisme toxique de l’Otan
Oligarchie russe
Pourquoi autant de réacteurs nucléaires français sont-ils actuellement à l’arrêt ?

Parus depuis :
Germany confronts a broken business model (2022-12-06)
Le moteur de l’Europe cale (2023-09-18)
En Allemagne, l’incertitude sur les grands projets industriels affecte la crédibilité de la politique de Berlin (2024-09-23)
Volkswagen to shut three factories, axe jobs and cut pay by 10%, says union (2024-10-28)
L’équipementier automobile Schaeffler supprime 4 700 emplois en Europe (2024-11-05)
Le sidérurgiste allemand ThyssenKrupp va supprimer 11 000 postes (2024-11-25)
En Allemagne, engluée dans la stagnation, une « hausse vertigineuse des faillites » (2025-01-14)
En Allemagne, la restructuration de l’aciériste ThyssenKrupp symbole d’une industrie « en chute libre » (2025-12-03)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Satellites-espions et guerre de précision

Publié le 2 août 2022 | Temps de lecture : 4 minutes

Introduction

En 1944 et 1945, l’armée allemande a fait pleuvoir sur l’Angleterre et la Belgique plus de trois-mille fusées V2.

Pouvant transporter une charge explosive de 910 kg et atteindre une cible située à 320 kilomètres, ces missiles autopropulsés étaient tirés par une rampe de lancement de plusieurs dizaines de mètres de long.

Une fois tirés, ceux-ci ne pouvaient pas changer de direction. En faisant pivoter l’angle de la rampe de lancement — en somme, par tâtonnements — les Allemands ajustaient la précision de leurs tirs.

La précision par géolocalisation

Depuis trois semaines, l’armée ukrainienne a reçu des États-Unis huit lance-roquettes à haute mobilité. On les dit à ‘haute mobilité’ parce qu’ils sont montés sur des camions.

Même si l’armée russe pouvait identifier d’où provenait le missile et tentait de détruire sa rampe de lancement, ce serait inutile; le lance-roquette n’est déjà plus là quand le tir de représailles russe tente de le détruire.

Les États-Unis en possèdent plusieurs types qui se distinguent par leurs portées; ceux livrés le mois dernier à l’Ukraine peuvent atteindre des cibles situées à 80 km.

Déjà, ils auraient détruit une vingtaine d’entrepôts de munitions destinées à l’artillerie russe.

Puisqu’on ne peut pas ajuster leur précision par tâtonnement en raison de leurs déplacements, comment ces lance-roquettes peuvent-ils être aussi précis ?

Le guidage par GPS

À l’époque des guerres en Yougoslavie, entre 1991 et 2001, lorsque l’armée française voulait cibler un tireur d’élite embusqué, des éclaireurs devaient s’approcher de lui au plus prés et pointer un rayon laser qui servait à guider le missile de croisière destiné à le mettre hors d’état de nuire.

Depuis, les choses ont bien changé.

Les roquettes les plus modernes sont des fusées non seulement autopropulsées, mais également ‘autonavigables’ (c’est-à-dire à navigation intégrée).

Tout comme nos voitures et nos téléphones multifonctionnels, ces roquettes sont équipées d’un GPS.

Pour des raisons de sécurité nationale, une imprécision est ajoutée à toutes les applications civiles de géolocalisation. Ce n’est pas le cas des applications militaires; la précision de leur GPS est de l’ordre de quelques centimètres.

Chaque roquette autonavigable connait donc sa position exacte au moment de sa mise à feu et à tout instant durant sa course.

Mais comment sait-elle précisément la latitude et la longitude de sa cible ?

Les coordonnées des cibles à atteindre sont fournies à l’armée ukrainienne par les États-Unis.

Les satellites-espions américains surveillent le déplacement des camions de ravitaillement de l’armée russe. Leurs va-et-vient permettent de découvrir où se trouvent les entrepôts de matériel militaire russe.

Une fois en possession de cette information, il ne reste plus à l’armée ukrainienne qu’à communiquer à une équipe de fantassins la position exacte de ce dépôt pour que ceux-ci programment le logiciel du lance-roquette qui transfert l’information au système de guidage du missile immédiatement avant sa mise à feu.

Avec le résultat qu’on sait…

D’une certaine manière, l’aide militaire américaine est une forme d’instrumentalisation de l’armée ukrainienne puisque Washington en profite pour tester l’efficacité de son matériel militaire dans les conditions réelles d’une guerre sans risquer la vie de ses propres soldats.

Bref, le conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine est le laboratoire des guérillas du futur opposant deux armées de forces très inégales.

Références :
Les sites de lancement de V1/V2 du Cotentin
Les systèmes de missiles américains sèment la destruction en Ukraine : « Plus de 20 dépôts d’artillerie russes détruits »
V2 (missile)

Paru depuis :
Russia claims US ‘directly involved’ in Ukraine war (2022-08-02)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les États-Unis et le gaz fossile ukrainien

Publié le 29 juillet 2022 | Temps de lecture : 6 minutes

Introduction

À l’époque où Donald Trump était président des États-Unis, ses partisans avaient cherché à discréditer Joe Biden (l’actuel président des États-Unis) en insinuant que son second fils, Hunter Biden, menait en Ukraine des activités louches, voire illicites.

Ces accusations n’ont jamais été étayées par des preuves sérieuses.

Mais que faisait Hunter Biden en Ukraine ? De 2014 à 2019, il était membre du conseil d’administration de Burisma Holdings, une des plus importantes compagnies pétrolières et gazières ukrainiennes, basée à Kiev.

L’Ukraine, sujet de convoitise

Par le biais d’ONG à sa solde, Washington a dépensé depuis 1991 des milliards de dollars pour convaincre le peuple ukrainien qu’il était dans son intérêt de devenir un ennemi militaire de son puissant voisin.

Cet investissement s’inscrivait dans la politique américaine d’encerclement de la Russie par le biais de l’expansionnisme de l’Otan. Un expansionnisme que Washington voulait pousser jusqu’aux frontières russes.

En plus de son intérêt géostratégique, l’Ukraine représente un intérêt économique pour l’industrie gazière américaine.

Avant la guerre russo-ukrainienne, l’Ukraine consommait annuellement trente-milliards de mètres cubes de gaz fossile, également appelé gaz ‘naturel’ ou méthane (ce sont des synonymes).

De ces trente milliards, vingt étaient extraites dans ce pays alors que le reste, dix-milliards, était importé de Russie.

En raison de son sous-financement, l’industrie gazière ukrainienne n’extrait annuellement qu’une minuscule partie des réserves gazières du pays, estimées à 1 100 milliards de mètres cubes de méthane.

Sur les marchés internationaux, le prix du gaz fossile s’exprime en MBTU (ou million British thermal units). Ce sigle s’écrit indistinctement MMBTU ou MBTU (qui veulent dire la même chose).

Puisqu’on parle d’un gaz, pourquoi ne pas l’exprimer en volume (en million de m³, par exemple) ?

C’est que le gaz fossile est principalement vendu sous forme gazeuse (transporté par des gazoducs), mais aussi, dans une moindre mesure, sous forme liquéfiée (transporté par des méthaniers).

Un mètre cube de GFL (gaz fossile liquéfié) équivalut à 600 m³ de gaz fossile. Mais 1 m³ de GFL et 600 m³ de gaz représentent la même quantité de MBTU (soit 0,0353 MBTU)
 

 
Les réserves ukrainiennes de gaz fossile — 1 100 milliards de mètres cubes — représentent 38,84 milliards de MBTU.

À l’époque où Hunter Biden œuvrait en Ukraine, le prix du gaz fossile oscillait entre trois et six dollars du MBTU. Ce qui veut dire que les réserves gazières inexploitées de l’Ukraine valaient entre 116,5 et 233 milliards de dollars américains.

Ces réserves se concentrent dans l’ouest du pays et en mer Noire.

Dans l’ouest du pays, on trouve du gaz de schiste. C’est-à-dire du gaz qui ne peut être extrait que par fracturation hydraulique, une technique brevetée par les pétrolières américaines.


 
En mer Noire, tous les pays riverains — par le biais de leur zone économique exclusive — chevauchent le gisement qui s’y trouve.

Il y a là un gisement de gaz conventionnel, c’est-à-dire un de ceux où on n’a qu’à forer pour extraire le gaz fossile. Donc, sans fracturation hydraulique.

Malheureusement pour l’Ukraine, la sécession de la Crimée — provoquée par la décision de Kiev d’y retirer à la langue russe son statut de langue officielle — a privé le pays d’une bonne partie du littoral qui lui donnait le droit d’accéder à ce gisement.

Quant à la mer d’Azov, elle est pour l’instant totalement sous contrôle russe.

La capacité d’entreposage

Avant la construction du gazoduc Nord Stream (qui relie directement la Russie à l’Allemagne), la Russie exportait principalement son gaz vers l’Europe en traversant l’Ukraine.

En meilleurs termes qu’aujourd’hui, ces deux pays avaient développé un partenariat très particulier en vertu duquel l’Ukraine stockait des quantités colossales de gaz russe sur son territoire, ou plus précisément dans son sous-sol.

Alors que les réserves stratégiques de l’Allemagne ne correspondent qu’à vingt jours de sa consommation hivernale de gaz fossile, la Russie entreposait dans les gisements épuisés d’Ukraine environ trente-milliards de m³ de méthane (soit l’équivalent d’une année complète de consommation ukrainienne).

Cette capacité de stockage était louée à la Russie qui s’en servait comme tampon pour lui permettre de garantir l’approvisionnement européen, peu importe les variations de la demande.

Le pari américain

Les guerres les moins pénibles — autant pour l’agresseur que pour l’agressé — sont celles qui sont courtes. Leur issue est toujours connue d’avance; c’est le plus fort qui gagne.

C’est seulement à l’occasion de guerres d’usure s’étendant sur plusieurs années que les faibles peuvent l’emporter.

À titre d’exemple, en Afghanistan, les Talibans ont vaincu l’armée américaine après vingt ans de lutte armée. Et au Vietnam, le Viêt Cong a fait de même après une décennie de guérilla.

En réussissant à faire croire aux Ukrainiens qu’il était dans leur intérêt de devenir les ennemis militaires de leur puissant voisin, les États-Unis ont rendu la guerre russo-ukrainienne inévitable.

La fourniture par les États-Unis d’armes sophistiquées et des renseignements de géolocalisation qui leur servent à atteindre leurs cibles, ne change pas l’issue de la guerre; elle prolonge les souffrances du peuple ukrainien.

Même si une partie de ces armes est revendue sur le marché noir par des contrebandiers ukrainiens, les États-Unis parient sur une guerre d’usure destinée à ruiner la Russie. Une longue guerre à l’issue de laquelle l’Ukraine victorieuse aura été transformée en paysage lunaire. Voilà le pari américain.

Il s’agira d’une Ukraine à qui toutes les puissances occidentales promettront des sommes colossales pour sa reconstruction. Mais comme l’Afghanistan et l’Irak à qui on a promis la même chose, l’Ukraine n’en verra pas l’ombre d’un centime.

Pour financer sa reconstruction, l’Ukraine devra se résoudre à laisser les riches pétrolières américaines faire main basse sur les centaines de milliards$ de gaz fossile que son territoire recèle.

On comprendra combien quelques dizaines de milliards$ en armement donné à l’Ukraine auront été un bon investissement…

Références :
Allemagne : les stocks de gaz tombés à un niveau « inquiétant »
Gas pipelines and LNG carriers
Greece plane crash: Cargo aircraft was carrying weapons to Bangladesh – minister
Hunter Biden
La guerre russo-ukrainienne et la vassalisation de l’Europe
L’engrenage ukrainien
L’Europe peut-elle se passer du gaz Russe ? (vidéo)
Résumé de géopolitique mondiale (1re partie)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le commerce au détail à Saint-Pétersbourg après cinq mois de sanctions occidentales

Publié le 27 juillet 2022 | Temps de lecture : 2 minutes
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Voici la vidéo publiée sur YouTube il y a environ dix jours par Émile OS, un expatrié français marié à une Russe. Cet entrepreneur vit à Tallinn, capitale de l’Estonie (un pays balte voisin de la Russie).

Ce vlogueur a effectué un voyage de 369 km vers Saint-Pétersbourg pour y réaliser ce reportage sur l’effet des sanctions économiques occidentales sur le commerce au détail dans cette ville.

Précisons que ce reportage ne porte pas sur l’effet des sanctions sur l’ensemble de l’économie russe. Mais il montre que pour beaucoup de Russes, la vie continue comme d’habitude.

Petite anecdote : au moment où ces lignes sont écrites, la France est frappée par une pénurie de moutarde de Dijon. Pendant ce temps, on trouve facilement de la moutarde Maille à Saint-Pétersbourg…

Il est à noter qu’à partir de 10:01 dans la vidéo, le sujet de l’exposition photographique qu’on voit est la guerre civile qui s’est déroulée depuis 2014 dans la partie orientale de l’Ukraine. Cette guerre civile (dont on a peu parlé en Occident) a fait 14 000 victimes autant parmi des Ukrainiens ukrainophones que russophones.

Ces Ukrainiens russophones ont été tués par des milices d’extrême-droite. Quand Poutine parle de la ‘dénazification’ de l’Ukraine, il vise spécifiquement la liquidation de ces milices.

Référence :
Une pénurie de moutarde en France partiellement causée par le Canada

Paru depuis :
The grey Zara market: how ‘parallel imports’ give comfort to Russian consumers (2022-08-12)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le blocus économique occidental contre la Russie et les relations sino-russes

Publié le 18 juillet 2022 | Temps de lecture : 7 minutes

La Russie, puissance occidentale

Depuis longtemps, la littérature, le théâtre, la musique, la peinture, la sculpture et l’architecture russes font partie du patrimoine culturel de l’Occident.

C’est depuis Pierre le Grand, tsar de 1682 à 1725, que la Russie s’est occidentalisée. L’avènement du communiste a même accentué cette évolution.

Le suffrage universel — en d’autres mots, le droit de vote de tous les adultes, peu importe leur sexe — a été implanté en Russie en 1917, soit vingt-trois ans avant le Québec.

Bien avant les autres pays occidentaux, on trouvait en Russie des femmes à la tête de syndicats ou de manufactures, de même que des femmes exerçant des métiers non conventionnels.

Le Soviet suprême (ou parlement soviétique) comptait 225 femmes parmi ses 1 143 députés (soit 17 %) en 1937. Il en comptait 33 % en 1984, soit plus que le pourcentage de députées au sein du gouvernement canadien trente ans plus tard (26 %).

Quant à la laïcité, à l’époque où on organisait encore annuellement des processions à la Vierge ou au Sacré-Cœur dans tous les villages du Québec, le clergé catholique orthodoxe se faisait discret en Russie.

Bref, les valeurs occidentales modernes — à l’exclusion notable de la démocratie parlementaire — sont partagées en Russie depuis longtemps. Dans certains cas — l’égalité des sexes et la laïcité — la Russie nous a même devancés.

Le rejet de la Russie

Avant même l’effondrement imminent du bloc soviétique, la Russie exprima son désir de devenir membre de l’Otan.

Au fil des années, l’Otan fit miroiter cette possibilité tout en poursuivant sa politique d’encerclement contre la Russie.

C’est ainsi qu’on créa avec elle un Partenariat pour la Paix en 1994, puis le Conseil conjoint permanent Otan/Russie en 1997, et enfin, en 2002, un Conseil Otan-Russie.

Mais tout cela avait pour but d’endormir la Russie; dans la file d’attente des candidats à l’adhésion à l’Otan, on fit constamment passer les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est devant la Russie.

Les raisons profondes qui motivaient les pays de l’Otan à ne pas vouloir de la Russie variaient d’un pays à l’autre.

De leur côté, les États-Unis étaient animés par leur anticommunisme viscéral. Pour quelques pays, cela aurait sonné le glas d’un projet d’alliance militaire exclusivement européenne (incluant la Russie) qui aurait été au service des intérêts géostratégiques spécifiques de l’Europe, affranchie de la mainmise militaire américaine.

Pour terminer, au fur et à mesure que d’anciennes républiques soviétiques adhéraient à l’Otan, celles-ci estimaient qu’accepter que la Russie les rejoigne, c’était comme faire entrer le loup dans la bergerie.

Bref, quand la Russie s’est rendu compte de la supercherie, c’était déjà trop tard; l’encerclement occidental par l’Otan était presque complet puisqu’il ne manquait plus que la Géorgie, l’Ukraine et la Finlande.

Les motifs profonds de la guerre russo-ukrainienne

Tout comme les États-Unis, la Russie ne peut tolérer qu’on installe des missiles dirigés contre elle dans sa cour arrière.

En 1962, les États-Unis avaient ordonné un blocus maritime contre Cuba parce que ce pays avait décidé de déployer des missiles russes sur son territoire. Les États-Unis menaçaient alors de faire sombrer tout navire russe qui s’approchait des côtes cubaines. Ceux-ci rebroussèrent chemin et on évita une Troisième Guerre mondiale.

Mais d’autre part, pendant dix-huit ans, les Ukrainiens se sont laissé convaincre qu’il était dans l’intérêt de leur pays de se transformer en ennemi militaire de son puissant voisin.

Avec le résultat qu’on sait.

Conséquences économiques

Depuis sa création en 1949, l’Otan se prépare à une guerre éventuelle contre la Russie. Soutenir aujourd’hui l’armée ukrainienne est un moyen d’affaiblir l’armée russe et de rendre la Russie plus vulnérable à une guerre qu’on pourrait ultérieurement déclencher contre elle.

Une telle guerre sera bientôt d’autant plus envisageable qu’elle ferait suite à la rupture brutale des liens économiques avec ce pays. Déjà, certains chefs d’État occidentaux préparent leur population à accepter les privations d’une ‘économie de guerre’.

D’ici là, les sanctions économiques contre la Russie ne changeront pas l’issue du conflit russo-ukrainien, connue d’avance. Plus cette guerre dure, plus se poursuivent les destructions et plus se prolongent les souffrances du peuple ukrainien.

Pour nous qui vivons en Occident, nos propres sanctions économiques provoquent la cascade d’évènements suivants : Sanctions économiques ➔ perturbation mondiale des approvisionnements ➔ pénuries ➔ diminution de l’offre ➔ augmentation des prix ➔ inflation ➔ augmentation des taux d’intérêt ➔ récession économique ➔ augmentation du chômage et diminution des revenus de l’État ➔ adoption de mesures d’austérité budgétaire et remise à plus tard de la lutte aux changements climatiques.

Conséquences géostratégiques

Les deux guerres mondiales du XXe siècle — au cours desquelles l’Europe s’est fait hara-kiri — ont provoqué l’émergence de la puissance hégémonique des États-Unis.

Si une Troisième Guerre mondiale a lieu, l’Occident (ce qui inclut la Russie) s’entredéchirera. Ce qui accélèrera l’accession de la Chine en tant que première puissance mondiale.

En 2020, le produit intérieur brut (PIB) des États-Unis et celui de la Chine étaient respectivement de 20 953 milliards$ et de 14 722 milliards$. À titre de comparaison, celui de la Russie n’était que de 1 483 milliards$.

À l’époque de la visite de Nixon en Chine (en 1972), la stratégie américaine consistait à dresser ce pays contre la Russie, déjà en froid à la suite d’un important incident frontalier survenu trois ans plus tôt.

En 1972, le PIB américain était de 1 279 milliards de dollars, comparativement à environ 540 milliard$ pour la Russie et 114 milliars$ pour la Chine. Bref, du point de vue américain, la menace communiste devenait plus inquiétante si ces deux pays réglaient leurs différents. Il fallait donc les éloigner l’un de l’autre.

Or la stratégie nixonnienne a fonctionné; grâce aux réformes économiques de Den Xiaoping et à l’apport de capitaux étrangers, la Chine et les États-Unis sont devenus d’importants partenaires commerciaux alors que l’économie russe a progressé de manière bien moindre.

Même si la Chine et la Russie ont normalisé leurs relations depuis 1985, le niveau de leurs échanges commerciaux est demeuré relativement modeste, comptant pour moins de deux pour cent des importations et des exportations chinoises (avant la pandémie).

Toutefois, le blocus économique occidental contre la Russie a précipité ce pays dans les bras de la Chine; jamais la Russie n’a autant eu besoin de la Chine (alors que l’inverse est beaucoup moins vrai).

Dans ce sens, c’est l’échec de cinquante ans de politique étrangère américaine dont le but était précisément de diviser les pays communistes entre eux afin de les attaquer, si besoin, l’un après l’autre.

Références :
Cinq femmes ayant réussi à s’imposer dans le jeu politique en URSS
Droit de vote des femmes
Évolution du PIB américain
La France est-elle entrée dans une «économie de guerre», comme le prétend Emmanuel Macron ?
La relation OTAN/Russie : moment de vérité ou déjà vu ?
L’épouvantail russe
Pierre Ier le Grand
Rupture sino-soviétique
Ukraine Is the Latest Neocon Disaster
US transfers nuclear weapons from Turkey to Romania

Complément de lecture : L’engrenage ukrainien

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